vendredi 31 mars 2023

L'art (selon) Romain, par Romain Decoret

 

Tommy EMMANUEL

"Accomplice Two" 

Le superguitariste de Nashville avait commencé ses aventures en duo avec des CGP (Certified Guitar Players, selon Chet Atkins) sur l’imposant Accomplice One, suivi d’un Accomplice Series vol. 2 et 3 avec Richard Smith, puis Mike Dawes. Il continue ici avec la même diversité en invitant des artistes country de grande amplitude. Seul le titre change. Jerry Douglas, spécialiste du Dobro, illumine Mama Knows. David Grisman traite le standard jazz Seven Come Eleven dans le style bluegrass. Le Nitty Gritty Dirt Band rajeunit Tennessee Stud de Buck Owens et le Del McCoury Band aborde Sweet Temptation. Jorma Kaukonen joue country-blues pour Another Man Done a Full Go Around. Superbe jeu en slide des survivants de Little Feat sur Cajun Girl. Le travail de recherche personnel de Tommy Emmanuel brise dans ses compositions personnelles Precious Time avec la vocaliste Sierra Hull et Richard Smith sur Son Of a Gun. Le fingerpicking en duo avec Billy Strings sur Doc’s Guitar / Black Mountain Rag est rien moins qu’extraordinaire. La grande découverte est Molly Tuttle, une très jeune guitariste-chanteuse en duo avec Tommy Emmanuel dans White Freight Liner Blues de Townes Van Zandt. Disque incontournable… (Romain Decoret

 

TAJ MAHAL

"Savoy" (Stony Plain)

Taj Mahal utilise son statut de légende pour explorer les diverses avenues du blues et du jazz. Son dernier disque en compagnie de Ry Cooder, recréait le premier album de Sonny Terry & Brownie McGee. Ce nouveau projet est totalement différent, consacré à l’American Songbook et à la mythique salle du Savoy, où les big bands de jazz accueillaient volontiers les bluesmen. L’idée a été planifiée par Taj Mahal depuis deux décennies, attendant le bon moment. Finalement c’est devenu une réalité en compagnie du producteur John Simon (The Band, Leonard Cohen, Blood Sweat & Tears, Gordon Lightfoot). Enregistré avec les meilleurs musiciens de San Francisco, le disque est un tribute au Savoy Ballroom de Harlem où jouaient Duke Ellington, Louis Jordan, Louis Armstrong. Musicalement, c’est une exploration des grandes chan-sons de l’époque. Stompin’ At The Savoy de Lionel Hampton, Summertime de George Gershwin, Moon Indigo de Duke Ellington, Is You Is Or Is You Ain’t My Baby de Cab Calloway, Lady Be Good de Lester Young, Caldonia de Louis Jordan, Sweet Georgia Brown de Louis Armstrong et le monumental One For My Baby (And One More For The Road) de Johnny Mercer & Harold Arlen pour Frank Sinatra. Taj Mahal mène son groupe de studio avec sa National Steel. Probablement un autre Award de l’Americana Music Association pour Taj Mahal. (Romain Decoret

 

Bella WHITE

"Among Other Things" (Rounder Records)

Cette jeune chanteuse-guitariste de 22 ans représente le futur du bluegrass avec son second disque. Un parcours compliqué, elle est née Isabelle Farley White à Calgary, Alberta, au Canada, en 2000. Son père est de Virginie et musicien de bluegrass. Dès son plus jeune âge, Bella est exposée à la musique des Appalaches, bluegrass, old time country et folk. Elle fait ses débuts sur scène à 13 ans et après le collège s’installe à Boston où elle partage pendant un an une maison avec des musiciens de la Berklee School Of Music, ce qui la dote d’un solide jeu de guitare acoustique. En 2020 elle part pour Nashville et enregistre un premier disque Just Like Leaving. Le showbiz de Nashville fond devant cette jeune musicienne talentueuse. Le nouveau disque a été enregistré au studio Five Stars de Topanga Canyon, le centre des songwriters country californiens. Le guitariste est Buck Meek, et Pat MGonigle est au violon. Bella White a écrit toutes les chansons. Numbers est pur country, avec une pedal-steel et Flowers On My Bedside est fait pour les cow-boys qui pleurent dans leur bière. Marylin traite de l’amitié , alors que Rhododendron est la force éternelle de la nature, qu’il faut savoir préserver. Le futur du bluegrass? Il était temps… (Romain Decoret

 

GA-20

"Live In Loveland" (Colemine/Karma Chief Records)

Leur nom, il est bon de rappeler, est la référence d’un ampli combo Gibson 20w des fifties favorisé par tous les grands de Earl Hooker à Hound Dog Taylor, Bo Diddley et Chuck Berry. En deux disques, Lonely Soul (2019) et GA-20 Does Hound Dog Taylor (2021) le jeune trio a explosé sur la scène internationale. Mais il n’était pas question pour eux de faire deux fois la même chose, ni de se laisser enfermer dans un hypothétique cliché Chicago blues . Avec Crackdown (2022), Matt Stubbs, Pat Faherty et Tim Carman s’orientèrent d’un côté plus garage que blues, un amalgame de barroom country et rock, comme on l’entend dans le Tennessee ou en Louisiane. De là s’imposait ce nouveau disque live: cinq titres de Crackdown, trois de Lonely Soul et des reprises obscures de Harold Burrage (I Cry For You) ou de Little Walter (My Baby’s Sweeter). Enregistrés en direct-sur-bande dans la Plaid Room de Loveland, Ohio, les GA-20 exsudent ce type spécial d’énergie, ces phéromones qui n’apparaissent que devant une authentique audience et que les producteurs ont tant de mal à capter en studio. Le back-beat peut être country ou funky avec des riffs venus de Memphis, ou encore New Orleans, comme dans Just Because de Lloyd Price. Les GA-20 passent en radio aussi bien à la BBC que sur SiriusXM de Nashville. La haute énergie dans l’inspiration traditionnelle, il était temps! (Romain Decoret

 

Chris DUARTE

"Ain’t Giving Up" (Mascot/Provogue)

Le guitariste d’Austin, Texas, fait partie de l’ultime phase du règne de Stevie Ray Vaughan. Parmi ceux qui la vécurent, certains comme Bert Willis ou Pat Boyack, ont disparu ou sont retournés dans l’anonymat, d’un point de vue mondial car le circuit texan reste gigantesque et viable, alors que d’autres sont toujours actifs, tels Van Wilks et Chris Duarte. Pour ce dernier, ce nouveau disque n’est que son 15ème en studio sur plus de 30 ans de carrière. Il aborde ici une large vista musicale de blues outlaw, d’americana (quelle désignation détestable!) et aussi de country alternatif. Le producteur est Dennis Herring (Buddy Guy, The Hives, Elvis Costello). Cela ne signifie pas du tout un retour aux affaires roots, car Chris Duarte reste actuel par ses orientations et ses compositions. Big Fight est un instantané metal-rock d’un gig texan qui tourne mal, tout le monde étant armé au Texas. Gimme Your Love est une ballade alt.country qui évite la sentimentalité banale. Les séances ont été enregistrées live en studio avec du maté-riel analogique et un minimum d’overdubs, laissant la place aux riffs étourdissants de Chris Duarte et à sa maîtrise élusive du Texas Shuffle, un beat difficile à reproduire. Il y a aussi sa dédication à CETTE période du Texas blues signée SRV. Chris l’aborde avec délicatesse et respect dans l’instrumental Can Opener avant de lâcher les chevaux sur les sept minutes de Week Days. The Right Stuff! (Romain Decoret

 

Ally VENABLE

"Real Gone" (Ruf Records)

Ally Venable est de Kilgore, Texas. Elle a commencé la guitare à 12 ans (elle en a maintenant 30) en jouant de la country-music. Elle change après avoir entendu les Texas bluesmen d’Austin et enregistre son premier disque, un EP, quand elle a 14 ans. Elle ne perd pas de temps et écrit ses propres morceaux seule ou avec des guitaristes comme Lance Lopez, Gary Hoey ou Devon Allman (le fils de Greg Allman). En 2015 et 2016, Ally est nommée meilleure guitariste de l’année au Texas Blues Awards, ce qui est un signe d’excellence au Texas, vu le nombre de prétendantes! Elle est considérée comme l’héritière de Sue Foley, Susan Tedeschi et Joanna Connors. Elle y est parvenue en jouant et tournant inlassablement mais aussi en connectant le hard-rock au blues et à la country. Pour son cinquième album, produit par Tom Hambridge, Ally Venable joue metal sur Kick Your Ass ou Hold My Ground avec un son à la fois cru et recherché. Two Wrongs est un exemple de cette alchimie sonique. Même ses blues, Gone So Long, Any Fool Should Know, Justifying, sonnent plus metal que traditionnels. La seule exception étant Texas Louisiana en duo avec Buddy Guy, alors que Broken & Blue avec Joe Bonamassa se situe à la croisée des chemins. Espérons la voir sur une scène française malgré la récession économique annoncée… (Romain Decoret)

dimanche 26 mars 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Gwil OWEN

"The Road To The Sky" 

Gwilym Emyr Owen III, plus connu sous le nom de Gwil Owen a une longue carrière qui dure depuis près de quatre décennies. Quelques noms lui sont souvent associés. Il y a d'abord Jeff Finlin avec qui il a joué dans les années 1980 au sein de The Detonators puis de The Thieves. Il y a ensuite Kevin Gordon, David Olney et Will Kimbrough, partenaires d'écriture. Tous les quatre sont présents d'une manière ou d'une autre dans The Road To The Sky (qui serait le neuvième album solo de Gwil): Will qui a coécrit Where The West Wind Blows et Change, ainsi que Jeff et Kevin qui chantent respectivement sur Ghost Town et When The Songwriter's Gone. À l'énoncé de ce titre, on pense évidemment au regretté David Olney, présent ici par la coécriture de So Much et She Does It All With Her Eyes et par les dernières notes de guitare du disque. L'album a été produit par Joe McMahan (habituel partenaire de Kevin Gordon) et, autour de Gwil (guitare et chant), on trouve Joe McMahan (guitare, lap steel, pedal steel, voix), Dave Jacques (basse), Bryan Owings (batterie) et Tony Crow (claviers) avec quelques invités qui ont pour noms Shannon McNally (voix sur quatre titres), James Westfall (vibraphone sur Murder), Chris Carmichael (cordes sur deux titres) et Jim Hoke (flûte sur So Much). C'est un album globalement assez rock, dans la veine de Bruce Springsteen, mais aussi de David Olney dont on se souvient qu'il a débuté comme rocker avec ses X-Rays, il y a plus de quarante ans. Quelques ballades comme Magic Child et Heaven In Our Hands, ou encore le titre final, She Does It All With Her Eyes, sont dominées par le piano de Tony Crow comme pour apporter une forme de respiration à Joe McMahan dont la guitare est particulièrement électrique et inspirée dans Sweeping The Road To The Sky. The Road To The Sky est le type même du disque qui, par sa qualité d'écriture et d'interprétation, peut plaire aussi bien aux amateurs de rock qu'à ceux de folk, dans la lignée de groupes comme Little Feat, par exemple. 

 

Melissa CARPER

"Ramblin' Soul" 

Melissa Carper a beaucoup œuvré pour la musique old-time au sein de différents groupes qui ont pour nom Campton Ladies, Carper Family, Buffalo Gals Band, Sad Daddy. En 2021, son album solo Daddy's Country Girl parcourait des horizons plus vastes. Moins de deux ans plus tard, Ramblin' Soul continue à nous emmener dans les allées des musiques populaires américaines du vingtième siècle. Pour l'occasion, Melissa a délaissé sa contrebasse, se contentant de chanter (fort bien) les chansons qu'elle a elle-même composées. En effet, sur les treize titres de l'album on ne note que deux reprises (Hanging On To You de l'amie Brennen Leigh et Hit Or Miss d'Odetta) ainsi qu'une coécriture (I Do What I WANNA, avec Gina Gallina, sa partenaire des Campton Ladies). La basse de Dennis Crouch, les guitares (y compris pedal steel) de Chris Scruggs et le fiddle de Billy Contreras nous emmènent du western swing (Texas, Texas, Texas) au rockabilly (Zen Buddha, I Do What I WANNA) et au rock & roll (1980 Dodge Van). Il y a aussi les ballades qui tirent des larmes (That's My Only Regret, I Don't Need To Cry). Hit Or Miss est très bluesy, alors que Ain't A Day Goes By a des accents gospel avec un orgue quasi-liturgique et un piano joués par John Pahmer. Autre beau moment du disque, Holding All The Cards évoque le jazz des années 30 par la grâce de la clarinette de Rory Hoffman qui répond au swing du piano. Le fiddle devient violon sur From I Recall et ce bel album se referme avec Hanging On To You, hanté par un orgue très sixties. 

 

Loudon WAINWRIGHT III

"Lifetime Achievement" 

Il y a plus de cinquante ans, en 1970, Loudon Wainwright III débarquait sur nos électrophones avec sa voix éraillée, sa guitare et son harmonica, pour son premier disque, un 33 tours simplement revêtu de son nom et de sa photo en noir et blanc sur fond de mur de briques. C'était un album déjà en dehors des modes pour quelqu'un que l'on classait parmi les nouveaux Dylan (il devait d'ailleurs plus tard enregistrer Talking New Bob Dylan). En 2022, il est toujours là avec Lifetime Achievement, la voix est la même, le jeu de guitare aussi. Loudon est parfois seul, parfois accompagné de ses habituels complices Chaim Tennenbaum et David Mansfield et, si certains titres sont plus orchestrés, on reste dans un terrain familier dont il ne s'est que rarement éloigné. Parfois nostalgique et triste, parfois drôle à la limite du loufoque (It avec juste les voix de Loudon et Chaim), le songwriter reste hanté par l'âge et le vieillissement et, quand il chante How Old Is 75?, où il s'accompagne au banjo, il fait le constat qu'il a déjà vécu un an de plus que sa mère et treize ans de plus que son père. Rappelez-vous Older Than My Old Man Now paru en 2012 et Surviving Twin paru en 2017. Il évoque parfois des souvenirs personnels comme dans Town & Country où il se souvient de sa mère: "My dear mother was afraid of the country / She'd say: Don't go there Loudie, It's shady and it's shitty / She was raised in the country, what could that poor woman know?" ("Ma chère mère avait peur de de la ville / N'y va pas, Loudie, c'est sombre et merdique / Elle avait été élevée à la campagne, que pouvait savoir cette pauvre femme?"). Cet album est-il le couronnement d'une vie? Non, à en croire le premier couplet du morceau-titre, son trophée principal est tout autre: "I have lived a lifetime / And it's hard to be believed / I'm near the end, time's almost up / So what have I achieved? / I have done and won some things / Awards, I have a few / But the biggest prize, the great surprise / Is I managed to win you" ("J'ai vécu toute une vie / Et c'est difficile à croire / Je suis près de la fin, le temps est presque écoulé / Alors qu'ai-je réalisé ? / J'ai fait et gagné certaines choses / Des récompenses, j'en ai quelques-unes / Mais prix le plus important, la grande surprise / Est que j'ai réussi à te gagner). Lifetime Achievement ne remportera sans doute aucune coupe (voir l'illustration de la pochette) mais, pour qui suit et aime Loudon le Troisième depuis longtemps, il sera comme le symbole d'une certaine forme d'éternité. 

 

Angela PERLEY

"Turn Me Loose" 

Lorsque j'ai écouté pour la première fois Turn Me Loose par Angela Perley, je ne me rappelais pas son album précédent 4:30 que j'avais pourtant chroniqué pour le Cri du Coyote (n° 162) en concluant "cette jeune personne est incontestablement une des belles surprises de l'année". J'allais écrire la même chose, je vais donc simplement dire qu'elle est une belle confirmation. Entre folk, country et rock & roll, avec parfois des accents psychédéliques (Star Greamer, Near You), Angela représente une belle synthèse de ce qui se faisait de mieux aux USA à la charnière des sixties et des seventies, tout en se gardant bien de tout passéisme. Les guitares sont électriques, et même la pedal steel de Brandon Bankes (producteur de l'album) sait parfois sonner plus rock que country, un peu comme celle de Rusty Young aux débuts de Poco. Chris Connor (guitare électrique et harmonies), Jake Levy (batterie) et Nate Smith (basse) constituent l'ossature du disque aux côtés de Brandon et Angela (voix et guitare électrique). Les compositions, toutes originales, font mouche et la voix d'Angela est à la fois assurée et pleine d'émotion en est le parfait véhicule. On sent l'expérience de la scène au travers de l'interprétation d'une artiste de l'Ohio qui est active depuis 2010 avec son groupe The Howlin' Moons. Après Plug Me In (country-rock), Here For You et Ripple nous emmènent très vite vers des horizons plus rock 'n' roll avant que Praying For Daylight n'amorce un virage plus orienté vers les ballades. 

 

Alex MILLER

"Miller Time" 

Voici un artiste que ce disque aurait dû mener vers l'Avenue Country il y a un an. Sans doute un problème de réglage de son GPS est-il responsable du fait qu'il ne soit présenté qu'aujourd'hui dans ma rubrique. Ce doux géant de tout juste 18 ans au moment de la sortie de Miller Time semble en effet l'un des plus aptes à reprendre le flambeau de la country music traditionnelle et l'emmener loin, porté par le grand souffle d'air frais qu'il a provoqué. Son passage à American Idol, saison 19, lui a permis de rencontrer une large audience et, dès lors, les choses se sont accélérées pour lui. C'est ainsi qu'il a joué au Ryman Auditorium, s'est produit dans différents États (Kentucky, Missouri, New York, Washington, Wisconsin) et a joué en première partie de Hank, Jr, Josh Turner, Lee Brice, Rhonda Vincent et Shenandoah. Il a été signé par Billy Jam Records, label basé a Nashville, et a ainsi pu enregistrer son premier album, produit par Jerry Salley qui a coécrit quatre chansons avec lui. On ne peut que s'enthousiasmer à l'écoute de Miller Time. Qu'il chante des compositions originales ou des reprises, notamment Freeborn Man, auquel il donne une nouvelle jeunesse, ou I'm Gonna Sing de Hank Williams (qui clôture l'album avec la participation vocale des Oak Ridge Boys), Alex démontre qu'il a parfaitement intégré les codes du genre, alternant chansons rythmées entre honky-tonk et western swing (comme le premier single de l'album Don't Let The Barn Hit You) et ballades d'amour perdu, sans un côté larmoyant excessif (Through With You, I'm Over You So Get Over Me), avec une mention spéciale pour le superbe Kentucky's Never Been This Far From Tennessee. Difficile, à l'entendre, de croire qu'Alex Miller n'a pas encore vingt ans. Il symbolise bien le futur de la country-music, pas celle qui se vend mais celle qui touche au cœur. Je ne voudrais pas terminer cette chronique sans saluer les musiciens qui contribuent à faire de ce premier album une totale réussite. Outre les voix de Jerry Salley et des Oak Ridge Boys déjà cités, on peut entendre Brent Mason (guitare électrique), Mike Johnson (steel guitar), Jason Roller (guitare acoustique et fiddle), Dirk Johnson (claviers), Kevin Grantt (basse) et Robb Tripp (batterie). 

 

Tim GRIMM

"The Little In-Between" 

Tim Grimm n'est pas un nouveau venu puisqu'il a déjà une quinzaine d'album à son actif depuis Heartland paru à la toute fin du dernier millénaire. L'homme qui est aussi acteur et fermier continue à nous délivrer ses histoires pleines d'humanité, sur un lit de mélodies sensibles et riches à la fois, dans la veine de ceux qui l'ont inspiré, au premier rang desquels, Ramblin' Jack Elliott, Greg Brown, Tom Paxton (à qui il a consacré un album), John Prine et Woody Guthrie. Le nouvel album de Tim, The Little In-Between est l'un de ses plus personnels à ce jour, écrit en trois mois intenses au cours de l'hiver 2021-22. Il retrace son voyage entre les collines du sud de l'Indiana et la prairie de l'Oklahoma mais aussi son voyage intérieur d'un passé riche vers un futur inattendu (sic). Il chante le plus souvent à la première personne pour mieux mettre en valeur cette exploration personnelle. Si Tim a enregistré voix et guitare à Norman, Oklahoma, le violoncelle d'Alice Allen a été enregistré à Pencaitland en Écosse. Quant à Sergio Webb (guitare électrique et steel guitar), Mark Clark (batterie) et Justin Bransford (basse), ils ont été enregistrés par Jono Manson (qui vient lui-même de publier un album) à Santa Fe, New Mexico. Les premières notes, les premiers mots de The Leaving, donnent le ton de ce que seront les huit autres titres, délivrés comme des confidences, avec un violoncelle très présent. Le deuxième morceau, Lonesome All The Time, a un rythme country un peu plus sautillant et fait penser à un autre maître, Townes Van Zandt. Cette fois, c'est la steel guitar de Sergio Webb qui donne le ton. Tim Grimm trouve son inspiration dans la vie de tous les jours, la sienne et celle de ceux qui l'entourent. C'est ainsi que New Boots évoque ses parents et leur quotidien ordinaire. Les préoccupations sociales ne sont jamais loin et quand il chante I Don't Know This World, il le fait sous la forme d'un constat un peu désabusé. Les titres ont souvent un goût doux-amer, mais c'est quand même l'espoir qui finit par l'emporter avec le morceau final, Bigger Than The Sky: "There is love and love can keep you curious / Keep you dancin' and making art at night / Keeps you funny, feeling young and not too serious / Helps you walk and live your life in a broad daylight" (Il y a l'amour et l'amour peut vous garder curieux / Vous faire danser et faire de l'art la nuit / Vous garder drôle, vous faire sentir jeune et pas trop sérieux / Vous aider à marcher et à vivre votre vie au grand jour). Nous avons perdu quelques de nos plus grands songwriters ces dernières années, mais il reste encore des anciens, de grand talent, qui aident les plus jeunes à reprendre le flambeau. Tim Grimm est assurément de ceux-là.

jeudi 23 mars 2023

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Junior SISK

"Lost & Alone" 

Junior Sisk est depuis une vingtaine d’années une des principales voix du bluegrass classique et sa notoriété n’a pas faibli avec la dissolution de son groupe, Rambler’s Choice. Bien au contraire, son dernier album, Load The Wagon (Le Cri du Coyote 166) a été un franc succès, nommé parmi les albums de l’année 2021 par IBMA. Junior a repris la même équipe pour Lost & Alone, soit Heather Berry Mabe (guitare, voix), Doug Bartlett (fiddle) et les excellents Jonathan Dillon (mandoline) et Tony Mabe (banjo). Il a juste changé de bassiste. 

C’est encore et toujours du classique de chez classique (avec son timbre nasillard, Junior Sisk peut-il chanter autre chose?), mais vraiment bien fait… Les solistes sont bons (Dillon particulièrement) et l’accompagnement est toujours dynamique (I’m Chasin’ All Memories Down est le meilleur exemple). C’est encore mieux quand il y a une pointe d’originalité dans la mélodie (I Wanna Be Where You Are) ou l’arrangement (le banjo clawhammer dans Up There On The Hillside). Le mélancolique Patches On My Heart, The Lonely Side of Goodbye de Randall Hylton et le classique des Louvin Brothers, Take My Ring From Your Finger, plairont à tous les amateurs de bluegrass traditionnel. 

 

STILLHOUSE JUNKIES

"Small Towns" 

  Cri du 💚

Stillhouse Junkies est un trio de Durango dans le Colorado, composé de Fred Kosak (guitare, mandoline), Alissa Wolf (fiddle) et Cody Tinnin (contrebasse). J’avais bien aimé leur premier album, Over The Pass paru en 2018 (Le Cri du Coyote 158). Sur ce disque, il y avait un second guitariste, quelques musiciens supplémentaires, une grande variété de styles mais on sentait quand même que l’influence du bluegrass était dominante. Je ne sais pas à quoi ressemble leur second album, Calamity, paru en 2020, que j’ai malheureusement raté mais Small Towns marque une nette évolution par rapport à Over The Pass. Les Stillhouse Junkies jouent toutes les chansons avec trois instruments. Il n’y a que Becky Buller qui vient apporter un second fiddle à El Camino, la seule chanson écrite et chantée par Alissa (chaque musicien interprète ses propres compositions). Sur les trois titres où Fred Kosak joue de la mandoline ou de la mandole, il ne me semble pas qu’il double avec une partie de guitare. Et pourtant, avec seulement trois instruments (et trois voix), les douze chansons sont à la fois énergiques et intenses. Les musiciens remplissent l’espace avec des rythmiques de guitare frénétiques, une contrebasse dynamique et un fiddle qui complète les chants avec une créativité toujours renouvelée. 

Pour donner la bonne mesure de leur évolution, les Stillhouse Junkies reprennent trois titres de leur premier album. 1963 est débarrassé de la flûte qui lui donnait des airs irlandais dans Over The Pass. Le boogie On The House swingue davantage sans pedal steel. Compositions, chants, parties instrumentales, tout est réussi dans ce disque. Le groupe montre une cohésion exceptionnelle. L’intensité ne faiblit pas quand la guitare passe de la rythmique au solo. Il y a de longues parties instrumentales notamment dans Over The Pass (également sur le premier album), Five Doors Down In Leadville et River Of Lost Soul qui dure près de 7 minutes. Quelques accents cajun dans Evergreen, une rythmique de guitare rock sur une contrebasse jouée à l’archet dans River Of Lost Souls. Stillhouse Junkies est un groupe très talentueux et original, jusque dans le choix de la seule reprise figurant sur l’album, Never Going Back Again, une chanson atypique (très peu de paroles) de Fleetwood Mac, tirée de l’album Rumours dont ils font une jolie version avec une grosse rythmique de contrebasse qui offre beaucoup de liberté au fiddle. 

 

Mr SUN

"Extrovert" 

Bientôt 50 ans que Darol Anger est apparu sur le devant de la scène qu’on ne nommait pas encore new acoustic, à la création du David Grisman Quintet, et il semble toujours avide de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres musicales, tout en restant dans un carré (bien large il est vrai) compris entre jazz, bluegrass, musique classique et new acoustic (ceux qui considèrent que la musique new acoustic est elle-même une fusion du bluegrass et du jazz, n’auront plus qu’un triangle). La dernière aventure de Darol Anger s’appelle Mr Sun, un quartet formé avec Joe K Walsh (ex-mandoliniste des Gibson Brothers), le guitariste Grant Gordy (David Grisman Sextet) et le contrebassiste Aidan O’Donnell qui a remplacé Ethan Jodziewicz depuis le premier album. Extrovert est le second. 

Parmi les musiciens new acoustic, Anger est un de ceux qui ont été le plus influencés par le jazz et ça s’entend de nouveau dans Extrovert. Better Git It In Your Soul est un titre de Charlie Mingus. A Real Dragon de Anger fait à certains moments penser à Weather Report. Danny Barnes composé par Grant Gordy est du jazz qui s’amuse, avec un arrangement travaillé et une bonne partie de contrebasse. Impro jazz d’Anger également dans un arrangement de Blackbird des Beatles dont la magnifique mélodie est bien rendue. The Amen Corner (Anger) et Murmuration (Gordy) ont encore des accents et des impros jazz mais sont plus proches de l’idée que je me fais de la new acoustic. The Traveler’s Prayer est un joli blues lent de Walsh. Breaker’s Breakdown (Anger) est l’instrumental le plus bluegrass. Comme son titre peut l’indiquer, c’est un fiddle tune mais il est joué dans un esprit swing. Anger y exploite à merveille les sons les plus graves de son violon 5 cordes. Ces huit instrumentaux sont très bien joués par les quatre musiciens et on ne s’ennuie jamais, mais pour donner encore plus de variété, Mr Sun a ajouté trois chansons, interprétées par Joe K Walsh. Pour Tamp Em Solid, le groupe a conservé une guitare en fingerpicking comme dans la version originale de Ry Cooder. The Fiddler Of Dooney, composé par Walsh, est chaloupé, un peu dans le style de Tim O’Brien. Extrovert s’achève en beauté par une version bien dynamique de Just A Little Lovin’, un swing de Eddy Arnold

 

UNSPOKEN TRADITION

"Imaginary Lines"

J’avais bien aimé Myths We Tell Our Young, l’album de Unspoken Tradition paru en 2019 (Le Cri du Coyote 162). Imaginary Lines est dans la continuité. Le groupe a désormais deux chanteurs lead avec le nouveau contrebassiste Sarvanan Sankaran. Il a la même tessiture aiguë que Audie McGinnis mais avec un très léger falsetto qui rend son chant délicat. On retrouve une majorité de titres dynamiques, souvent accrocheurs (Carolina And Tennessee), sur lesquels brillent particulièrement le style Scruggs de Zane McGinnis (banjo) et le fiddle de Tim Gardner. Ty Gilpin (mandoline) profite d’un tempo plus calme (Back On The Crooked Road de Tim Stafford et Jon Weisberger) pour s’illustrer en fingerpicking. L’ensemble est assez moderne et c’est tant mieux car j’aime moins le seul titre où le bluegrass de Unspoken Tradition est plus classique (The Old Swinging Bridge). Imaginary Lines est un disque réussi mais il y a deux chansons qui sortent encore davantage du lot: Bounty Hunter, reprise d’une jolie chanson mélancolique parue en 1979, et Crooked Jack, magnifique adaptation en bluegrass d’une chanson irlandaise, formidablement interprétée par ce diable de John Doyle (cf. The Transatlantic Sessions).

Amanda COOK

"Changes" 

Le premier album d’Amanda Cook, One Stop Along The Road, m’avait bien plu, le second, Deep Water, beaucoup moins, du coup j’ai boudé les deux suivants. J’ai peut-être eu tort car Changes (son cinquième disque si vous comptez bien) est une complète réussite. Presque tout le répertoire est dû à des signatures prestigieuses: Becky Buller, Brad Davis, Suzanne et Sidney Cox, Jeff Partin (l’excellent dobroïste de Volume Five et Mountain Heart) et carrément trois titres de Thomm Jutz. Il y a aussi deux compositions de Troy Boone, mandoliniste de Amanda Cook Band. Changes mériterait d’ailleurs d’apparaître sous le nom du groupe et non de sa chanteuse car Amanda a enregistré les dix chansons entièrement avec ses propres musiciens à l’exception d’une intervention d’Aaron Ramsey (coproducteur de l’album) à la guitare dans Stars. Presque tous les morceaux sont menés de bout en bout par le banjo de Carolyne Van Liedrop au jeu sec et au drive impeccable. Troy Boone est un mandoliniste subtil et il a un son superbe (Carried Away, Ohio). George Mason est un fiddler créatif (Another Highway This Time). Brady Wallen (guitare) prend lui aussi régulièrement sa chance en solo. C’est du très bon bluegrass contemporain, bien arrangé, avec deux titres plus classiques (Back To My Home, Lay Me To Rest) et un arrangement plus moderne (Stars). Amanda Cook a une jolie voix qui sait se faire énergique sur les titres les plus rapides. Les harmonies vocales sont aussi réussies que le reste. J’attends le sixième album avec impatience. 

 

JOHNNY & The YOOAHOOS

"Marionette With The Mandarin" 

La prestation de Johnny & The Yooahoos sur la petite scène de la Roche Bluegrass l’été dernier avait provoqué un tel enthousiasme dans le public qu’à peine leur set achevé, Christopher Howard Williams, Président du festival, avait annoncé que le groupe allemand se produirait sur la grande scène en 2023 (ils sont effectivement programmés le 4 août à 19 heures). Si l’on ne perçoit qu’une partie des qualités entendues à La Roche-sur-Foron sur leur premier album Marionette With The Mandarin, c’est sans doute parce qu’il date de 2020, trois ans seulement après la formation des Yooahoos. La voix du guitariste Bernie Huber notamment est moins impressionnante que ce qu’on a pu entendre en concert l’an dernier. Par contre, on retrouve les qualités d’écriture de Bernie et des frères Johnny (mandoline) et Bastian (banjo, dobro) Schuttbeck. Coming Home Soon, assez classique, How Hope Works, très moderne, et Mind Prohibition Waltz, la plus originale, sont mes chansons préférées. Les trois chanteurs ont tendance à chanter trop aigu à mon goût (Meeting Is Over, Nothing But A Tear To Dry) mais les arrangements sont plein de trouvailles vocales et d’invention instrumentale. La longue descente de banjo en intro de Meeting Is Over, la balade I Used To Live et l’arrangement de Somehow But Still (qui dure plus de sept minutes) en sont les plus belles illustrations. Vivement le 4 août à 19 heures. 

 

Terry BAUCOM’s DUKES OF DRIVE

"Here In The Country" 

Comme dans les trois albums précédents, le banjoïste Terry Baucom et ses musiciens font ce qu’il faut pour mériter leur nom de Dukes of Drive. Les dix chansons sont très rythmées. Il y a notamment trois titres rapides qui permettent aux trois solistes de donner la pleine mesure de leur talent. Pourtant, deux musiciens ont changé depuis le dernier disque, mais Will Clark (mandoline) et Clint Coker (guitare) sont aussi talentueux que leurs prédécesseurs. Par contre, les Dukes avaient avec Joey Lemons et Will Jones deux bons chanteurs qui n’ont pas été remplacés. Clark interprète huit chansons et ce n’est pas au niveau attendu d’un groupe professionnel. Cindy Baucom (l’épouse de Terry) chante les deux autres titres. C’est un peu mieux mais très insuffisant pour vous recommander Here In The Country.

jeudi 9 mars 2023

Lone Riders, par Éric Supparo

 

I'M KINGFISHER

"Glue" 

Brisons-là ces deux années de silence pour cette chronique… Pourquoi, pour qui? Pour Thomas Denver Jonsson alias I’m Kingfisher, pardi. Voilà vingt ans que Thomas sort des albums de toute beauté, dans un anonymat criant, en France en tous cas. Il n’est jamais trop tard pour corriger ça, puisque son huitième opus, Glue, sort ces jours-ci. Que faut-il ajouter, pour faire basculer vos cœurs et vos oreilles du bon côté, sinon mentionner qu’il partage l’affiche - en Suède - avec Courtney Marie Andrews et The Jayhawks? Qui peut en dire autant? Il faut plonger dans cette piscine, cet océan de sentiments, il faut lire ces textes, leur donner le temps et la respiration nécessaire pour envahir votre monde comme un virus bénéfique. Chaque chanson est un poème, une lettre perdue, une photo oubliée. Cet homme est un grand artiste, point à la ligne. Glue navigue entre folk dru (Second Wave), americana-soul de poche (Peer Pressure, Saved by a Friendly Reminder) et ballades décorées à la main sur pedal-steel (Beginning of a Great Song). C’est l’œuvre d’un musicien accompli, qui a digéré toutes les bonnes influences, qui invite des gens de très bon goût au festin, Carl Edlom (fidèle multi-instrumentiste depuis ses débuts), Martin Hederos (fabuleux pianiste) et Bebe Risenfors (un magicien suédois qui a travaillé sur Blood Money / Alice de Tom Waits, entre autres). Bebe donne à cet album une couleur jazzy, sombre et inspirée, entre accordéon, basse acoustique, saxophones et divers cuivres. Un ton qui va comme un gant à la voix unique de Thomas. Comme une révélation. Le bon ton, la bonne voie. Glue s’écoute comme on déguste un rhum vieux. Sans précipitation. Avec l’assurance de se réchauffer au bon feu du talent sans cesse renouvelé de I’m Kingfisher

 

BONNY LIGHT HORSEMAN

"Rolling Golden Holy" 

En 2020 est sorti le premier album de Bonny Light Horseman, groupe constitué de Anaïs Mitchell, Eric D. Johnson et Josh Kaufman. Un petit-grand miracle d’équilibre acoustique, voix et guitares mêlées, un son parfait, et des chansons belles à pleurer (The Roving, la voix puissante et claire d’Anaïs Mitchell, imparable, ou Deep In Love, une mélodie au cordeau…). Rolling Golden Holy est sorti l’an dernier, et même si on n'est pas tout à fait si haut dans les cieux, ces onze titres sont splendides, d’un velouté et d’une précision rares. Josh Kaufman est un sorcier du son, incontestablement. Et Eric et Anaïs possèdent le plus beau blend de voix du moment. La production penche sur ce nouvel album un peu plus du côté pop mais sans jamais s’y vautrer. Exile qui ouvre la marche est un condensé-précipité de tout ce que l’on a pu aimer chez Steely Dan ou Rickie Lee Jones. Lorsque l’écriture est au rendez-vous, comme sur Summer Dream, California ou Sweetbread, il nous manque des mains pour applaudir encore plus fort. Leurs prestations scéniques sont fort justement prisées, partout dans le monde. Un album d’une douceur et d’une amplitude que l’on accueille avec un large sourire et l’envie d’en savoir et d’en écouter plus… 

 

Josh ROUSE

"Going Places" 

25 ans après Dressed Up Like Nebraska, nous suivons toujours les traces de Josh Rouse sur microsillon. Parce que Josh est un exemple parfait de cette liberté possible (indispensable?) des songwriters de haut vol: il ne s’est jamais limité à un genre ou à une sonorité, et en ressort, avec le recul et la perspective, grand et fort comme jamais. Il a (et a toujours eu) un don incroyable pour le mélodieux et le délicat. Going Places a été écrit en 2020 et 2021, explicitement pour la scène, à un moment où jouer en public n’était pas possible (Josh habite en Espagne). C’est sans doute sa livraison la plus forte depuis longtemps (Stick Around ou Henry Miller’s Flat iraient très bien sur 1972, par exemple). Hollow Moon est un classique instantané, She’s In L.A., gorgé de soleil et de percussions légères viendra se ficher tout droit dans votre mémoire, et Indian Summer, habillé d’une simple guitare et un harmonica, devrait être enseigné dans toutes les écoles des aspirants compositeurs pour son équilibre et son économie d’effets. Josh, à 50 ans passés, a encore beaucoup à dire. Tant mieux, pour lui et pour nous.


DON ANTONIO & The GRACES "Colorama"

DON ANTONIO "La Bella Stagione" 

Terminons par une injustice à réparer (elles sont légion). Combien de fois avons-nous parlé d’artistes ou groupes italiens dans les colonnes du Cri? Pas assez, nous sommes d’accord… Il faut donc laisser toute la place qu’il mérite à Antonio Gramentieri, alias Don Antonio (ou Sacri Cuori). Ses productions, à l’image de ce nouveau Colorama (la bande originale d’une série Netlfix, Wanna, avec The Graces, soit Piero Perelli et Luca Giovacchini) ou de La Bella Stagione sorti en 2021 (qui contenait un fabuleux Batticuore, notamment), témoignent du soin absolument obsessionnel et maladif qu’Antonio porte à son art. Une recherche sonore sur chaque ingrédient, qui a du sens, et qui fait appel à nos sens - depuis son studio (Crinale Lab), situé quelque part du côté de Ravenne en Émilie-Romagne. Un paysage sonore voluptueux, profond, majoritairement instrumental, à la frontière de nombreux mondes, celui de Marc Ribot, de Ry Cooder, Naim Amor, la musique du Nigeria et du Mali ou Daniel Lanois. Il a croisé la route d’à peu près tous les musiciens dont Lone Riders vous cause depuis plus de trente ans, soit à la production soit sur scène (attention, liste trop longue, ceci est un extrait): Alejandro Escovedo, Dan Stuart (Green On Red), Richard Buckner, Terry Lee Hale, Giant Sand, Hugo Race, Steve Wynn… Et son talent parvient à synthétiser tout ça, et même plus, pour distiller un cocktail au parfum entêtant, qui ne connaît pas de frontières (des déserts mexicains à ceux d’Afrique, des films signés David Lynch à ceux de Jim Jarmusch, d’Ali Farka Touré à JJ Cale…) et ne parle que d’intégrité et de respect. Qu’on lui ouvre la porte, bon sang, et qu’il soit le bienvenu pour les siècles à venir !

dimanche 5 mars 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Jake YBARRA

"Something In The Water" 

Voici une découverte (merci à Martha Moore de so much MOORE media) comme j'aimerais en faire tous les jours. Ce jeune homme de vingt-cinq ans nous offre un premier disque dont les compositions sonnent comme s'il avait vingt ans d'expérience, comme John Prine au même âge. Ajoutons-y une voix forte et claire, émouvante, qui sonne un peu comme celle de Tom Russell, quelques musiciens de haut niveau (David Flint aux guitares et à la mandoline, Dow Tomlin à la basse, Billy Thomas à la batterie et - surtout - Dane Bryant aux claviers) et vous obtenez la recette du disque parfait. Jake Ybarra est né au Texas, dans un milieu musical (maman jouait du piano classique et papa des cuivres alors que ses deux frères jouaient de la guitare) mais sa famille a migré à Greenville, en Caroline du Sud, lorsqu'il avait huit ans. La vie et les études l'ont même mené à jusqu'au parlement européen de Bruxelles, avant qu'il ne se consacre pleinement à la musique et au songwriting, inspiré par Townes Van Zandt, Guy Clark, James McMurtry, John Prine ou Lucinda Williams. Il dit par exemple que la chanson qu'il aurait aimé écrire est Dublin Blues, de Guy. Les premiers titres diffusés, Late November en décembre (titre folk avec une guitare qui évoque le jeune Dylan) et A Whole Lot To Remember (le titre le plus rock du disque) début mars ont tout de suite démontré que le jeune homme plaçait la barre très haut, ce que confirme le reste de l'album, au total dix titres aux textes intelligents et aux accents souvent émouvants. Je citerai en premier Long Winter dont Jake dit que c'est le titre pour lequel il à le mieux réussi à faire ce qu'il apprécie chez les grands songwriters: mettre de riches détails dans une chanson. Il y a aussi Call Me By My Name qui exprime le désir de chacun (et le sien en particulier) d'être entendu et vu pour ce qu'il est. Savannah's Song est une superbe chanson entre autobiographie et fiction, à la tonalité mélancolique renforcée par le jeu de piano de Dane Bryant. Something In The Water est un coup d'essai (à l'exception d'un EP de quatre titres, Basement Songs, publié en 2020 sur Instagram) et un coup de maître pour ce jeune artiste qui fait honneur à ses modèles auteurs-compositeurs, mais aussi à ses écrivains favoris, chantres d'une certaine Amérique, George Saunders, Stephen Vincent Benet et Ernest Hemingway

 

Annie CAPPS

"How Can I Say This?" 

Nous avions laissé Annie Capps fin 2019 avec le disque When They Fall enregistré avec son mari Rod (voir Le Cri du Coyote n° 163). Trois ans et une pandémie plus tard, Annie revient seule (mais avec le soutien de son mari) avec How Can I Say This?. Seule? Pas vraiment car, si Annie a écrit seule les douze titres du disque, elle s'est entourée d'une équipe à cent pour cent féminine avec des noms tels que Cheryl Prashker (batterie et percussions), Telisha Williams (basse et harmonies), Suzie Vinnick (basse et harmonies), Tracy Grammer (violon et harmonies), Louise Mosrie (harmonies), Jenny Bienemann (harmonies). Annie s'accompagne à la guitare et au banjo, et sa voix est plus émouvante que jamais. Elle a conçu ce projet comme "une lettre d'amour à une jeune moi-même" et ne craint pas de se mettre à nu, d'afficher sa vulnérabilité. Les deux premiers titres en sont l'illustration: My Eden donne une certaine idée de l'innocence, alors que Learning évoque la perte de cette même innocence. Le ton général du disque appartient au folk avec quelques incursions doucement jazzy comme dans Dirty Little Secrets. The Silent a un côté lancinant, mystérieux, où basse et batterie dominent. Crowded porte bien son nom, avec un chœur de plus de vingt voix féminines qui aide à comprendre qu'on n'est jamais seul. Le titre de clôture est le plus dépouillé, avec juste le support de la voix de Louise Mosrie et du violon d'Emily Slomovits, en plus de la guitare et du banjo d'Annie. Il est titré Yesterday mais laisse entrevoir des lendemains qui chantent. 

 

The MINERS

"Megunticook" 

Cet album est paru en octobre 2021 mais il n'est pas trop tard pour en parler. Auparavant, The Miners n'avaient publié qu'un EP de six titres, Miner's Rebellion. Seul Keith Marlowe a été des deux aventures. C'est lui qui a écrit tous les titres, il chante, joue des guitares acoustique et électrique (et même de la pedal steel sur un titre), du banjo et de l'harmonica. À ses côtés, on trouve Brian Herder (pedal steel, dobro, guitare slide, B-Bender, contrebasse), Gregg Hiestand (guitare basse) et Vaughn Shinkus (batterie, percussions et harmonies). The Miners se définissent comme un groupe original de country alternative, basé à Philadelphie. Dès les premières notes de dobro de Without You on est accroché et on se dit: au diable les étiquettes! C'est de la sacrément bonne musique. Country, rock, folk, peu importe et on a envie de s'adresser à Keith Marlowe pour lui dire: "dis, Keith, n'attends pas dix anx pour nous proposer ton prochain album". Quand on entend des chansons comme Leaving For Ohio, Black Bart ou Day The Drummer Died, on a envie de plus. En Attendant, ce Mugunticook est hautement recommandé. 

 

Steve DAWSON

"Eyes Closed, Dreaming" 

On n'arrête plus Steve Dawson. Après Gone, Long Gone et Phantom Threshold (disque instrumental), Eyes Closed, Dreaming est le troisième album en un an du producteur et muti-instrumentiste canadien. Il nous propose onze titres dont trois instrumentaux. On trouve des reprises: Long Time To Get Old de Ian Tyson (qui vient de nous quitter), Small Town Chalk de Bobby Charles, Guess Things Happen That Way (de Jack Clement en version instrumentale) et Let Him Go On On Mama de John Hartford. Il y a deux traditionnels (Singin' The Blues en version instrumentale et House Carpenter). Parmi les originaux, il y a quatre titres coécrits avec l'excellent Matt Patershuck et l'instrumental Waikiki Stonewall Rag). Steve qui joue toutes sortes d'instruments avec des cordes n'est pas le meilleur vocalement, mais il chante avec suffisamment de bon goût pour que cela ne perturbe pas l'auditeur. À ses côtés, les amis canadiens habituels: Gary Carig (batterie), Jeremy Holmes (basse), Chris Gestrin (claviers). Alison Russell vient prêter sa voix sur trois titres, comme Kari Latimer sur deux, et l'on croise des pointures américaines comme Kevin McKendree (claviers), Jay Bellerose (batterie) ou Fats Kaplin à la mandoline sur Long Time To Get Old. Notons aussi la présence de cordes sur Hemingway et de cuivres sur Small Town Talk. Ce disque est très mélodique, le niveau instrumental est très élevé et, s'il n'a rien de révolutionnaire, il est excellent depuis les premières notes jusqu'à Let Him Go On Mama, interprété par Steve seul avec sa Weissenborn. 

 

PEACH & QUIET

"Beautiful Thing" 

Un peu plus de deux ans après Just Beyond The Shine (voir Le Cri du Coyote n° 167), le duo canadien formé de Heather Read et Jonny Miller (tous deux chanteurs et guitaristes) sous le nom de Peach & Quiet est de retour avec Beautiful Thing. Ils sont accompagnés par Steve Dawson (guitares), Jeremy Holmes (basse), Gary Craig (batterie) et Chris Gestrin (batterie), une équipe connue et bien rodée. Les douze titres sont écrits ou coécrits par le duo: sept écrits sont l'œuvre de Jonny seul et quatre de Heather (dont This Time coécrit avec Terry Fernilough). Seul That Is For Sure a été écrit par Jonny et Heather. L'osmose entre les deux artistes, qui ont chacun de leur côté un riche passé musical avant leur rencontre en 2019, est toujours aussi bonne. Si les deux premiers titres, Beautiful Thing et Calgary Skyline, évoquent le country-rock des années 1970, les mélodies sont presque toutes délivrées sur un tempo tranquille, avec quelques inflexions blues-rock. L'ambiance est généralement acoustique, comme dans le délicat Song From A Tree, mais les apports à la guitare électrique, steel ou slide de Steve Dawson et aux claviers (notamment à l'orgue) de Chris Gestrin confèrent à l'ensemble un dimension nouvelle En témoignent Pockets Empty, Behind The Sun et That Is For Sure. Tout cela démontre que le duo (je devrais écrire le groupe) a trouvé une personnalité et un son bien à lui. J'ai un faible pour les arrangements de Horse And Saddle et Oklahoma Or Akansas, mais je me garderai bien de citer un titre sortant du lot ou, à l'inverse, de trouver un point faible dans ce qui est une belle confirmation du talent de Peach & Quiet

 

Terry Lee HALE

"The Gristle & Bone Affair" 

Il paraît que c'est le quatorzième album de Terry Lee Hale. Quand on aime, on ne compte pas, mais j'ajouterai quand même à ce compte Home Grown du duo Hale & Sarow, les disques du quatuor Hardpan, et puis Deaf Heaven, un CD regroupant des instrumentaux enregistrés à la maison entre 2004 et 2020 et destiné à être vendu uniquement lors de concerts qui n'ont jamais eu lieu. Terry Lee avait en effet découvert (environ deux ans avant la parution de son nouvel album) qu'il était atteint de la maladie de Parkinson. L'évolution de cette maladie l'empêche désormais de faire ce qui'il aime le plus, jouer (remarquablement bien) de la guitare devant un public, le fingerpicking de la main droite lui étant désormais très difficile. Quoi qu'il en soit, The Gristle & Bone Affair intervient six ans après l'excellent Bound, Chained, Fettered et prouve que le Texan natif de San Antonio, établi à Marseille depuis 2015, est toujours au sommet de son art. La réalisation du disque a nécessité trois ans de travail, écriture et enregistrement, puisqu'elle a débuté juste avant la période de pandémie. C'est donc à distance que les musiciens on travaillé ensemble. Comme Terry Lee l'explique lui-même, lorsqu'il envoyait les maquettes aux musiciens, il donnait quelques orientations, mais ne savait pas ce qu'il allait avoir en retour. C'est donc une œuvre où liberté et talent ont cohabité avec bonheur. Ziga Golob (contrebasse sur cinq des huits titres), Catherine Graindorge (violons sur Oh Life), Jon Hyde (pedal steel sur Fish), Chris Cacavas (claviers sur Curve Away et Time Is A River) et Claire Tucker (voix sur Fish et Gone) démontrent qu'ils sont davantage que de des collaborateurs. Le vieil ami de plus de trente ans, Chris Eckman (il produisait déjà Fools Like Me en 1987) est de retour à la production, pour le label Glitterhouse Records. Quant à TLH, j'aurai du mal à éviter les superlatifs pour en parler. La qualité de l'écriture, bonifiée par le temps, égale celle des meilleurs, tout en restant très personnelle. La voix, plus intimiste peut-être qu'auparavant, a gagné en émotion ce qu'elle perdu en puissance et le talent de guitariste de notre ami (qui joue aussi de l'harmonica) est au sommet ainsi que le démontre le seul instrumental de l'album Doen't Matter Anymore. Nous ne verrons sans doute plus Terry Lee Hale en concert mais il est fortement conseillé de l'écouter, notamment en visitant sa page Bandcamp, pour découvrir, si ce n'est déjà fait, une œuvre d'une consistance et d'un constance dans la qualité jamais prises en défaut depuis Oh What A World, il y a juste trente ans.