samedi 20 mai 2023

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Casey PENN

"One Step Away" 

One Step Away est le premier album de Casey Penn, une jeune artiste qui se révèle être une très bonne chanteuse. Elle a certainement l’un des timbres les plus purs parmi les chanteuses bluegrass. Une voix claire particulièrement bien mise en valeur sur les tempos lents, le joli slow Dark and Desperate, la ballade Journey To Providence, la valse Oceans (ce sont trois des six titres qu’elle a écrits), la chanson country The Blade, et How To Bend où la voix est soulignée par un violoncelle. J’aime aussi l’esprit country qui anime Chasing Rainbows. Justin Moses (dobro, mandoline, banjo) et Jason Roller (guitare, fiddle) usent de leurs multiples talents au service de Casey. A cause de la proportion relativement importante de titres lents, ce sont surtout le fiddle et le dobro qui dominent les arrangements mais c’est le banjo qui mène We Go Together Like a Guitar and a Fiddle sorti en single avant l’album. Moses fait aussi une belle démonstration d’accompagnement de banjo sur une valse lente dans One Step Away. La voix de Casey Penn reste cependant l’atout majeur de ce premier album réussi.

 

MIGHTY POPLAR 

Mighty Poplar est ce qu’on nomme (souvent à la demande des chargés de la promotion) un "supergroupe", une formation constituée de musiciens vedettes, ici les Punch Brothers Noam Pikelny (banjo) et Chris Eldridge (guitare), Alex Heargraves (fiddler de Billy Strings), le contrebassiste Greg Garrison (Leftover Salmon et ex-Punch Brother) et le mandoliniste Andrew Marlin. Ce dernier est certainement le musicien le moins connu des amateurs de bluegrass mais il s’est fait une solide réputation sur la scène americana comme songwriter, musicien et chanteur au sein du duo Mandolin Orange devenu Watchhouse en 2021. C’est autour de sa voix et du répertoire qu’il a choisi (uniquement constitué de traditionnels et de reprises) qu’a travaillé le groupe. Marlin a un style vocal très rare en bluegrass, très décontracté, une voix traînante, parfois presque fatiguée, plus proche de Leon Redbone que de Bill Monroe. Les musiciens se sont bien adaptés à son style. Le banjo est dynamique mais jamais clinquant (A Distant Land To Roam). C’est relax mais jamais mou (Up On The Divide). J’aime beaucoup l’adaptation du classique Blackjack Davy et de North Country Blues (Dylan). A cause du rythme rapide, Little Joe est le morceau qui ressemble le plus à du bluegrass classique. Parmi les six chansons interprétées par Marlin (et sur la totalité de l’album en fait), il me semble n’y avoir qu’une faute de goût : la reprise de Story of Isaac. Je ne reconnais rien de la mélodie composée par Leonard Cohen (Marlin semble l’avoir confondue avec celle de North Country Blues). C’est sans doute concevable au nom de la liberté artistique mais je ne pense pas que ce soit une réussite. Chris Eldridge interprète très bien, dans un style proche de celui de Marlin, Let Him Go Home Mama de John Hartford, légèrement swing. Garrison chante d’une voix plus douce Lovin’ Babe, un blues tranquille. L’arrangement est original (comme celui de Story of Isaac), sans solo instrumental bien que le titre dure près de six minutes, mais avec un entrelacs savant tissé par les différents instruments. De manière générale, Mighty Poplar a soigné les arrangements avec de nombreux passages en duo de Heargraves et Pikeny, notamment sur les deux instrumentaux, les traditionnels Grey Eagle (avec aussi un solo remarquable d’Eldrige) et Dr Hecock’s Jig. Ce premier album de Mighty Poplar est une œuvre singulière qui mérite d’être découverte. 

 

FIRESIDE COLLECTIVE

"Across The Divide" 

Joe Cicero (guitare), Alex Genova (banjo), Tommy Maher (dobro), Jesse Iaquinto (mandoline) et Carson White (contrebasse) sont originaires de Caroline du Nord et se sont rencontrés à l’université East Tennessee (dans le cursus bluegrass bien évidemment) mais on pourrait les croire du Colorado, tant Across The Divide les pousse vers le newgrass, davantage encore que Elements, leur précédent album (Le Cri du Coyote 165). Malgré la présence de quatre chanteurs différents (chacun interprète ses propres compositions), il y a un style Fireside Collective avec une voix lead qui surfe au-dessus d’arrangements fournis et travaillés où le dobro tient une part importante. Les deux titres interprétés par Maher se distinguent par l’écho sur sa voix, dans le newgrass Your Song Goes On comme dans le plus classique mais tout aussi percutant Blue Is My Condition. Jesse Iaquinto est le principal songwriter (et donc chanteur) de Fireside Collective avec cinq chansons. Le banjo est à l’attaque dans When You Fall ponctué de syncopes newgrass. Let It Ride est un blues funk porté par le dobro. And The Rain Came Down est un titre rapide bien arrangé, avec une bonne pulsation. Dans le même genre, j’aime moins House Into A Home. I’m Givin’ In est souligné par un motif de dobro. Joe Cicero signe les deux titres les plus calmes du disque dont une valse. Alex Genova a composé une autre chanson rapide, Rainbow In The Dark, bien arrangée, et Code Switch, seul instrumental de l’album. Chaque soliste y montre tout son talent mais c’est aussi le cas dans la plupart des chansons qui laissent une place importante aux interventions instrumentales. Un groupe à découvrir si vous aimez le newgrass qui déménage. 

 

Hannah Shira NAIMAN

"The Wheels Won’t Go"

Cri du 💚

Hannah Shira Naiman est une artiste canadienne très influencée par la musique des Appalaches. Elle s’accompagne le plus souvent au banjo clawhammer et sa musique peut être définie comme du folk à base de old time. Elle joue aussi un peu de fiddle, de guitare et des percussions corporelles sur deux titres. Elle a composé dix des onze plages de l’album. L’originalité de ce troisième album tient en partie à ses compositions mais beaucoup aussi aux arrangements et à sa façon de chanter. C’est sa scansion très rythmée, complètement en phase avec son accompagnement au banjo qui donnent le bon groove à The Groose, Rosietta Gal ou au formidable Mary O’Mantansie. Hannah Shira chante très joliment les balades plus folk comme Vinegar Pie, Caroline Collins et Ones & Twos. Sa voix de tête apporte un charme particulier à The Wheels Won’t Go. Il y a de jolis passages à deux voix (avec Abigail Lapell) dans Oh The Mother et Winter. Côté arrangements, Hannah Shira a également beaucoup d’idées. La seule reprise, le classique Little Black Train est rythmé par un harmonica basse et les percussions corporelles. Il y a beaucoup de batterie et de percussions dans tout l’album, sans que ça vienne jamais gâter l’esprit folk/old time. Un peu de guitare électrique, une touche de piano aussi mais surtout un très inattendu cor d’harmonie qui se mêle parfois au fiddle, notamment dans Hartman’s Delight, le seul instrumental de The Wheels Won’t Go dans lequel Hannah Shira Naiman joue du banjo-gourde. The Wheels Won’t Go est certainement un album en marge de ceux chroniqués habituellement dans cette rubrique mais à côté duquel il serait dommage de passer. Personnellement, j’ai adoré.

BENSON

"Pick Your Poison" 

Cri du 💚

Depuis 22 ans qu’ils sont mariés, Wayne Benson et Kristin Scott Benson sont un cas rare d’artistes bluegrass (très) réputés en couple menant leur carrière chacun de leur côté, Wayne avec IIIrd Tyme Out depuis 30 ans (une petite interruption de 3 ans pour accompagner John Cowan) et Kristin avec The Grascals depuis 2009 (après avoir joué avec Larry Stephenson et Larry Cordle). Ils n’avaient jusqu’à présent collaboré que sur les trois albums solo de Kristin. L’idée d’un disque en commun les travaillait depuis un moment. Le confinement lié au Covid leur a donné le temps de le réaliser. Pick Your Poison est un très bel album. Le son est vraiment excellent. Il y a trois instrumentaux, tous écrits par Wayne, parmi lesquels Conway et son gimmick entêtant pourrait bien se révéler l’instrumental bluegrass de l’année (The Fest of Rudy n’en serait pas loin non plus). Wayne (mandoline) et Kristin (élue 5 fois banjoïste de l’année par IBMA) sont accompagnés sur tout l’album par l’excellent Cody Kilby (guitare) et un bassiste (Paul Watson ou Jon Weisberger). Jim Van Cleve est au fiddle sur six titres et il y a un batteur ou percussionniste (Tony Creasman) sur l’instrumental Riverside et la plupart des chansons, très bien choisies par les Benson et interprétées par quatre chanteurs invités. Jamie Johnson, revenu récemment dans les Grascals après un long épisode dépressif, interprète très bien I’ll Follow The Sun des Beatles sur un superbe accompagnement. C’est le genre de ballade folk qu’un banjo peut gâcher et la performance de Kristin Scott Benson est tout simplement parfaite. Le fiddle qui relaie le solo de guitare est également magique. L’autre chanson marquante de Pick Your Poison est Oh Me Of Little Faith, une composition d’un chanteur chrétien (Matthew West) que les Benson ont tout simplement fait chanter par le pasteur de leur paroisse, Heath Williams. Il le fait si bien qu’ils lui ont également demandé d’interpréter deux chansons country, Livin’ In These Troubled Times de Crystal Gayle et Look At Me Now. L’arrangement de ce titre repris à Bryan White est assez fidèle à l’original (mais avec des instruments acoustiques). La batterie très sonore ne plaira pas forcément à tout le monde. Grayson Lane (un des fils de Shawn) chante deux titres. Il est efficace sur Icy Cold mais un peu juste pour What Kind of Fool, un titre de Becky Buller qui bénéficie d’une belle intro de Wayne Benson. Il faut un barnbunner dans tout bon album de bluegrass. Les Benson ont choisi d’accélérer le tempo de Red Mountain Wine, une vieille chanson de Gib Gilbeau (Flying Burrito Brothers) qu’ils ont apprise par Lost & Found. Elle est parfaitement interprétée par Mickey Harris, le fidèle contrebassiste de Rhonda Vincent. La maîtrise de Kristin Scott Benson sur ce tempo d’enfer est juste exceptionnelle. Wayne est excellent dans chacune de ses interventions. J’espère que les Benson ne mettront pas 22 ans avant d’enregistrer leur prochain album. 

 

Eddie Ray BUZZINI

"Eddie Ray" 

Tom Mindte, le patron de Patuxent Records, donne fréquemment leur chance à de jeunes artistes. Eddie Ray Buzzini, né en 2007, avait 15 ans à l’époque de l’enregistrement des douze titres de ce premier album. Il joue du banjo ou de la guitare selon les morceaux. Il n’y a que trois instrumentaux. Il joue Farewell Blues comme Scruggs avec un son qui était plus populaire dans les années 50 et 60 qu’aujourd’hui. Il est plus original à la guitare dans New Camptown Races et dans un titre jazz latino (Sunny Ray) qui vaut aussi par l’intervention du fiddler Patrick McAvinue. Eddie Ray chante lui-même huit chansons (il est bass vocal sur le gospel Daniel Prayed interprété par sa sœur Ida Rose) et c’est le problème de ce disque. Eddie Ray a un timbre très nasal, voire nasillard, qui n’est pas agréable, et il ne chante pas toujours très bien (I’ll Try Not To Care, une de ses trois compositions), ce qui est excusable étant donné son âge. C’est sur You’re No Good (de Jesse Fuller, l’auteur de San Francisco Bay Blues) qu’il s’en sort le mieux. Il y a de bons solos de David Knicely (mandoline) et Eddie Ray (banjo) dans Ragnarock, une autre chanson qu’il a écrite. Eddie Ray montre dans cet album qu’il a du talent mais ce premier enregistrement était certainement prématuré.

jeudi 4 mai 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Bill CLIFTON, Red RECTOR & Art STAMPER

"Live In Holland 1987" 

Voici encore un beau cadeau de notre ami néerlandais Pieter Groenveld et de son label Strictly Country Records. Sans lui, ces concerts enregistrés le 21 février et le 1er mars 1987 ne seraient restés que dans les mémoires de ceux qui y on assisté, et ce serait bien dommage. Bill Clifton (guitare, autoharpe et voix), Red Rector (mandoline et voix) et Art Stamper (fiddle et voix) sont des musiciens qui appartiennent à la première génération du bluegrass. Le premier enregistrement de Bill remonte à 1952 et il a été l'ami de Woody Guthrie et A.P. Carter. Il a aussi organisé l'un des premiers festivals bluegrass aux USA avec à l'affiche notamment Bill Monroe, les Stanley Brothers ou Jim & Jesse. Bill parlait d'A.P. Carter comme d'un chercheur de chansons et se définit lui-même comme un passeur de chansons, un rôle qu'il remplit parfaitement, et cela se ressent tout au long des vingt-deux plages de l'album où l'ont sent que les chansons sont plus importantes encore que ceux qui les interprètent. Et pourtant, que de talent dans le jeu des trois hommes, la mandoline de Red et le fiddle d'Art donnant aux mélodies et aux harmonies un indéniable relief. Beaucoup de classiques sont au rendez-vous comme Before I Met You, Are You Tired Of Me My Darling, Curly-Headed Baby, More Pretty Girls Than One, Won't It Be Wonderful There, In The Land Where We Never Grow Old, White Dove, sans oublier quelques instrumentaux tels que Lara's Theme, Fiddle Tune Medley ou Amazing Grace. Il n'y a pas une seconde de répit, pas un instant d'ennui, et ce Live In Holland, qui ne fait pas son âge, est comme une friandise que l'on déguste sans en perdre un miette. Bill Clifton, qui vient de fêter ses 92 ans, a eu l'opportunité d'entendre le disque et voici sa réaction, transmise par sa fille Chandler, s'adressant à Pieter: "Hello, Papa a finalement pu entendre le CD le week-end dernier. Il pense que c'est vraiment bien fait et que la sélection et la séquence des morceaux sont bonnes. Il a ri doucement et souri tout au long de l'écoute. Je lui ai demandé si cela lui rappelait de bons souvenirs, et il a répondu que, bien sûr, cela était le cas. Merci de publier cet enregistrement et de le partager avec la communauté musicale. Papa a dit que vous avez fait un boulot phénoménal". Il n'y a rien à ajouter. 

 

Lynn MILES

"TumbleWeedyWorld" 

Lynn Miles est une légende dans son pays: plus de neuf cents titres écrits, quinze albums publiés avant celui-ci et des récompenses (Juno Awrds, Canadian Folk Music Awrds) à la pelle. Après We'll Look For Stars en 2020, elle revient avec TumbleWeedyWorld qui confirme que, si ses cheveux ont blanchi, sont talent n'a pas faibli, bien au contraire. Le disque est brillant de bout en bout et la voix de Lynn, sensible et émouvante, donne aux mélodies inspirées une dimension supplémentaire. Le disque est totalement acoustique avec un groupe dont la cohésion n'est jamais prise en défaut: Michael Ball (contrebasse), Jay Wright (mandoline et guitare acoustique), Stuart Rutherford (dobro), Rob McLaren (banjo) et James Stephens (violon) ne reçoivent que le concours occasionnel de Jim Bryson (guitare acoustique et harmonies), Dave Bignell (guitare acoustique), Rebecca Campbell, Julie Corrigan et Dave Draves (harmonies). Parmi les titres qui se détachent de l'ensemble, il faut citer Johnny Without June (pour son titre, mais pas seulement), Night Owl, Hide Your Heart ou encore Palomino. Il me faudrait plusieurs pages pour évoquer les textes, souvent doux-amers (All Bitter Never Sweet), la qualité de l'écriture qui fait de Lynn l'égale de Gordon Lightfoot, autre joyau du pays à la feuille d'érable. Je me contenterai de quelques lignes qui ouvrent le dernier titre du disque, Gold In The Middle, et qui sonnent comme un écho à Tomorrow Is A Long Time de Bob Dylan: "There's beauty in sadness beauty in the rain / In the sound of a midnight train / Beauty in the falling and the letting go / In the answers that we don't know" ("Il y a de la beauté dans la tristesse, de la beauté sous la pluie / Dans le son d'un train de minuit / De la beauté dans la chute et le lâcher-prise / Dans les réponses que nous ne connaissons pas"). Si avec cela vous n'avez pas envie de vous précipiter pour écouter TumbleWeedyWorld, je penserai que j'ai écrit cette chronique pour rien. Une dernière chance avec le dernier couplet? "There's beauty in the twilight hope in the dream / Sadness in the road that we're walking on / Promise for the future reverie for the past / Goodbye to the dreams that do not last" ("Il y a de la beauté dans le crépuscule de l'espoir dans le rêve / De la tristesse dans la route sur laquelle nous marchons / Promesse pour l'avenir rêverie pour le passé / Au revoir aux rêves qui ne durent pas"). 

 

MATTHEWS SOUTHERN COMFORT

"The Woodstock Album - 15 songs of peace, love & understanding" 

Matthews Southern Comfort dans version à couleur orange (Iain Matthews, BJ Baartmans, Eric Devries et Bart De Win - rien que des "pointures") avait publié début 2020 un excellent album, The New Mine, malheureusement passé inaperçu faute de tournée promotionnelle dans le contexte que l'on sait. Cela a abouti à la mise en retrait provisoire du groupe. Deux ans plus tard, chacun des musiciens a eu envie de reprendre la route autour d'un nouveau projet et, comme le premier succès du groupe, couleur Union Jack, en 1970, avait été Woodstock, la chanson de Joni Mitchell à propos du festival, une idée a germé: faire un disque autour de ce festival en reprenant des titres qui y avaient été interprétés. En voici la liste exhaustive: With A Little Help From My Friends (Joe Cocker), Bad Moon Rising (Creedence Clearwater Revival), Purple Haze (Jimi Hendrix), 4+20 (Crosby, Stills & Nash), This Wheel's On Fire (The Band), Goin' Up The Country (Canned Heat), High Time (Grateful Dead), I-Feel-Like-I'm-Fixin'-To-Die Rag (Country Joe & The Fish), Get Together (Richie Havens), Evil Ways (Santana), If I Were A Carpenter (Tim Hardin), Everyday People (Sly & The Family Stone), Spinning Wheel (Blood Sweat & Tears), Darling Be Home Soon (John Sebastian), My Generation (The Who). L'ensemble est hétéroclite et plus de cinquante ans sont passés mais on se prend à rêver à l'écoute de ce patchwork musical, à penser à la magie d'une époque que nous n'avons pas tous vécue mais qui, pour les moins anciens, se pare d'une dose de mystère. Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à entendre des versions décalquées sur les originales. Tout est passé à la moulinette de Iain Matthews et ses compères et, quand on sait ce que Iain a pu faire en matière de reprises depuis 1970, on ne peut que s'attendre au meilleur. Mais Iain n'est seul. Écoutez Goin' Up The Country où l'accordéon de Bart De Win remplace l'harmonica d'Al Wilson ou encore This Wheel's On FireIain partage les vocaux avec Eric Devries, qui chante également lead sur High Tide, par exemple. Écoutez aussi Bad Moon Rising, Spinning Wheel ou Evil Ways que le quatuor transforme sans les édulcorer. Et que dire de My Generation qui referme le disque? La génération de Iain Matthews a aujourd'hui 75 ans et non plus 20 comme celle de Pete Townshend en 1965. The Woodstock Album est un disque réjouissant de bout en bout, un bel effort de groupe proposé par quatre musiciens au sommet de leur art et dont l'amour pour la musique transpire à chaque note. 

 

NINALYNN

"A Taste Of The Wild" 

Lorsque j'avais chroniqué Hummingbird de NinaLynn (voir le Cri du Coyote n° 169), j'avais indiqué que cette jeune néerlandaise était dotée d'un voix superbe, doublée d'un indéniable talent d'écriture. A Taste Of The Wild en est la belle confirmation. Elle a fait figurer sur le digipack de son nouvel opus une citation de Tony Rice: "Dès que tu deviens inconditionnel de de quoi que ce soit jazz, bluegrass ou autre chose, tu te prives d'un véritable monde de musique. Cela indique que la demoiselle n'a pas l'intention de se cantonner à un seul genre musical. A Taste Of The Wild repousse les frontières de ce que l'on n'ose plus appeler Americana. L'album présente 13 titres originaux, écrits par Nina seule ou coécrits avec les membres de son groupe Janos Koolen, Lucas Beukers et Arthur Bont, et avec le singer-songwriter hollandais Gé Reinders. Les couleurs musicales changent à chaque titre et l'on peut passer de morceaux aux couleurs prog-rock comme Glistening à d'autres où l'accordéon (parfois cajun) d'Onno Kuipers et la mandoline de Janos Koolen se répondent comme sur la délicate ballade Barefoot, en continuant avec le plus rock Growing Pains et le quasi-bluegrass Wonder In Her Eyes. L'évolution par rapport au premier album est assez impressionnante, tant en ce qui concerne la diversité musicale qu'en ce qui a trait à la qualité de l'interprétation, vocale comme instrumentale, et laisse entrevoir des lendemains qui chantent pour NinaLynn et ses compagnons. 

 

Doug COLLINS & The RECEPTIONISTS 

"Too Late At Night" 

Doug Collins est, chez lui dans le Minnesota, considéré comme l'un des plus brillants songwriters des Twin Cities. S'il est difficile de corroborer cette affirmation, il est indéniable que l'homme sait en trois minutes nous faire passer toutes sortes d'émotion, un peu à la manière de la pop music des années 60, entre Beatles et country music classique, un peu comme savait si bien le faire, avec une tonalité plus rock & roll, Moon Martin. Doug peut nous parler de choses futiles (Mama's Shoes) ou plus sérieuses (Wish I Still Cared, The Hardest Part), évoquer une ville du Missouri au nom venu d'ailleurs (Mexico, MO), tout cela après avoir attaqué le disque avec le réjouissant Drinkin' Again. L'album est, plein de joie, de musicalité et d'humour et Too Late At Night (paru en 20222) confirme, quatre ans après, que le succès de Good Sad News n'était pas dû au hasard. Un autre élément contribue à la qualité de l'album, celle des musiciens. Doug (guitare et voix) est entouré de Charlie Varley (basse et voix) et de deux membres du groupe Gear Daddies, Randy Broughten (pedal steel) et Billy Dankert (batterie et voix). Hautement recommandé, en particulier les soirs de morosité. 

 

Meredith MOON

"Constellations" 

Au moment où je commençais à écrire cette chronique de Constellations, Gordon Meredith Lightfoot, Jr. Plus connu sous le nom de Gordon Lightfoot, quittait ce monde qu'il avait embelli de ses compositions pendant des décennies. Meredith Moon s'appelle en réalité Meredith Elizabeth Lightfoot, fille de Gordon, ce qu'elle avait soigneusement caché jusque -là afin de tracer son propre sillon sans être gênée par l'ombre tutélaire d'un des plus grands songwriters canadiens. Quoique baignée toute jeune dans la musique, elle avait seulement appris le banjo à vingt-et-un ans en regardant des vidéos sur Youtube. Elle a beaucoup voyagé en auto-stop, se formant à la scène en jouant en solo de l'Amérique du Nord à l'Amérique Centrale et à l'Europe de l'Est et publié deux albums indépendants, le premier qu'elle préfère oublier, et le second qu'elle considère comme son véritable début, Forest Far Away, paru en 2018. Pour Constellations, Meredith a signé avec le label canadien de référence, True North Records et s'affirme comme une autrice-compositrice de talent, signant huit des dix titres, les deux autres (Soldier's Joy et Needlecase Medley), étant des traditionnels. À ses côtés, Tony Allen assure les parties de fiddle, Alex Marchand ou Rachel Melas jouent de la contrebasse et Will Fisher est aux percussions et à la batterie. Le morceau-titre, avec une délicate introduction à la guitare a été écrit en 2017, et évoque la soif de voyage de Meredith dans ses jeunes années. Constellations est indéniablement un moment forts de l'album, comme l'est Lighthouse County. Deux titres plus récents ont été enregistrés avec une section rythmique parmi lesquels That Town qui a trait à la ville de Wawa, dans le nord de l'Ontario, renommée pour sa statue géante d'une oie sauvage canadienne. C'est aussi un endroit où les auto-stoppeurs se retrouvent un peu coincés, compte tenu de la situation géographique de l'endroit. L'interprétation du très connu Soldier's Joy donne une autre idée du talent de Meredith, comme chanteuse et banjoïste. Quant à Slow Moving Train, dernier titre de l'album, il donne juste envie de recommencer l'écoute depuis le premier, Starcrossed. Je suppose que Gordon a pu entendre Constellations, paru officiellement dix jours avant son décès et, ainsi, partir en paix.