dimanche 26 mars 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Gwil OWEN

"The Road To The Sky" 

Gwilym Emyr Owen III, plus connu sous le nom de Gwil Owen a une longue carrière qui dure depuis près de quatre décennies. Quelques noms lui sont souvent associés. Il y a d'abord Jeff Finlin avec qui il a joué dans les années 1980 au sein de The Detonators puis de The Thieves. Il y a ensuite Kevin Gordon, David Olney et Will Kimbrough, partenaires d'écriture. Tous les quatre sont présents d'une manière ou d'une autre dans The Road To The Sky (qui serait le neuvième album solo de Gwil): Will qui a coécrit Where The West Wind Blows et Change, ainsi que Jeff et Kevin qui chantent respectivement sur Ghost Town et When The Songwriter's Gone. À l'énoncé de ce titre, on pense évidemment au regretté David Olney, présent ici par la coécriture de So Much et She Does It All With Her Eyes et par les dernières notes de guitare du disque. L'album a été produit par Joe McMahan (habituel partenaire de Kevin Gordon) et, autour de Gwil (guitare et chant), on trouve Joe McMahan (guitare, lap steel, pedal steel, voix), Dave Jacques (basse), Bryan Owings (batterie) et Tony Crow (claviers) avec quelques invités qui ont pour noms Shannon McNally (voix sur quatre titres), James Westfall (vibraphone sur Murder), Chris Carmichael (cordes sur deux titres) et Jim Hoke (flûte sur So Much). C'est un album globalement assez rock, dans la veine de Bruce Springsteen, mais aussi de David Olney dont on se souvient qu'il a débuté comme rocker avec ses X-Rays, il y a plus de quarante ans. Quelques ballades comme Magic Child et Heaven In Our Hands, ou encore le titre final, She Does It All With Her Eyes, sont dominées par le piano de Tony Crow comme pour apporter une forme de respiration à Joe McMahan dont la guitare est particulièrement électrique et inspirée dans Sweeping The Road To The Sky. The Road To The Sky est le type même du disque qui, par sa qualité d'écriture et d'interprétation, peut plaire aussi bien aux amateurs de rock qu'à ceux de folk, dans la lignée de groupes comme Little Feat, par exemple. 

 

Melissa CARPER

"Ramblin' Soul" 

Melissa Carper a beaucoup œuvré pour la musique old-time au sein de différents groupes qui ont pour nom Campton Ladies, Carper Family, Buffalo Gals Band, Sad Daddy. En 2021, son album solo Daddy's Country Girl parcourait des horizons plus vastes. Moins de deux ans plus tard, Ramblin' Soul continue à nous emmener dans les allées des musiques populaires américaines du vingtième siècle. Pour l'occasion, Melissa a délaissé sa contrebasse, se contentant de chanter (fort bien) les chansons qu'elle a elle-même composées. En effet, sur les treize titres de l'album on ne note que deux reprises (Hanging On To You de l'amie Brennen Leigh et Hit Or Miss d'Odetta) ainsi qu'une coécriture (I Do What I WANNA, avec Gina Gallina, sa partenaire des Campton Ladies). La basse de Dennis Crouch, les guitares (y compris pedal steel) de Chris Scruggs et le fiddle de Billy Contreras nous emmènent du western swing (Texas, Texas, Texas) au rockabilly (Zen Buddha, I Do What I WANNA) et au rock & roll (1980 Dodge Van). Il y a aussi les ballades qui tirent des larmes (That's My Only Regret, I Don't Need To Cry). Hit Or Miss est très bluesy, alors que Ain't A Day Goes By a des accents gospel avec un orgue quasi-liturgique et un piano joués par John Pahmer. Autre beau moment du disque, Holding All The Cards évoque le jazz des années 30 par la grâce de la clarinette de Rory Hoffman qui répond au swing du piano. Le fiddle devient violon sur From I Recall et ce bel album se referme avec Hanging On To You, hanté par un orgue très sixties. 

 

Loudon WAINWRIGHT III

"Lifetime Achievement" 

Il y a plus de cinquante ans, en 1970, Loudon Wainwright III débarquait sur nos électrophones avec sa voix éraillée, sa guitare et son harmonica, pour son premier disque, un 33 tours simplement revêtu de son nom et de sa photo en noir et blanc sur fond de mur de briques. C'était un album déjà en dehors des modes pour quelqu'un que l'on classait parmi les nouveaux Dylan (il devait d'ailleurs plus tard enregistrer Talking New Bob Dylan). En 2022, il est toujours là avec Lifetime Achievement, la voix est la même, le jeu de guitare aussi. Loudon est parfois seul, parfois accompagné de ses habituels complices Chaim Tennenbaum et David Mansfield et, si certains titres sont plus orchestrés, on reste dans un terrain familier dont il ne s'est que rarement éloigné. Parfois nostalgique et triste, parfois drôle à la limite du loufoque (It avec juste les voix de Loudon et Chaim), le songwriter reste hanté par l'âge et le vieillissement et, quand il chante How Old Is 75?, où il s'accompagne au banjo, il fait le constat qu'il a déjà vécu un an de plus que sa mère et treize ans de plus que son père. Rappelez-vous Older Than My Old Man Now paru en 2012 et Surviving Twin paru en 2017. Il évoque parfois des souvenirs personnels comme dans Town & Country où il se souvient de sa mère: "My dear mother was afraid of the country / She'd say: Don't go there Loudie, It's shady and it's shitty / She was raised in the country, what could that poor woman know?" ("Ma chère mère avait peur de de la ville / N'y va pas, Loudie, c'est sombre et merdique / Elle avait été élevée à la campagne, que pouvait savoir cette pauvre femme?"). Cet album est-il le couronnement d'une vie? Non, à en croire le premier couplet du morceau-titre, son trophée principal est tout autre: "I have lived a lifetime / And it's hard to be believed / I'm near the end, time's almost up / So what have I achieved? / I have done and won some things / Awards, I have a few / But the biggest prize, the great surprise / Is I managed to win you" ("J'ai vécu toute une vie / Et c'est difficile à croire / Je suis près de la fin, le temps est presque écoulé / Alors qu'ai-je réalisé ? / J'ai fait et gagné certaines choses / Des récompenses, j'en ai quelques-unes / Mais prix le plus important, la grande surprise / Est que j'ai réussi à te gagner). Lifetime Achievement ne remportera sans doute aucune coupe (voir l'illustration de la pochette) mais, pour qui suit et aime Loudon le Troisième depuis longtemps, il sera comme le symbole d'une certaine forme d'éternité. 

 

Angela PERLEY

"Turn Me Loose" 

Lorsque j'ai écouté pour la première fois Turn Me Loose par Angela Perley, je ne me rappelais pas son album précédent 4:30 que j'avais pourtant chroniqué pour le Cri du Coyote (n° 162) en concluant "cette jeune personne est incontestablement une des belles surprises de l'année". J'allais écrire la même chose, je vais donc simplement dire qu'elle est une belle confirmation. Entre folk, country et rock & roll, avec parfois des accents psychédéliques (Star Greamer, Near You), Angela représente une belle synthèse de ce qui se faisait de mieux aux USA à la charnière des sixties et des seventies, tout en se gardant bien de tout passéisme. Les guitares sont électriques, et même la pedal steel de Brandon Bankes (producteur de l'album) sait parfois sonner plus rock que country, un peu comme celle de Rusty Young aux débuts de Poco. Chris Connor (guitare électrique et harmonies), Jake Levy (batterie) et Nate Smith (basse) constituent l'ossature du disque aux côtés de Brandon et Angela (voix et guitare électrique). Les compositions, toutes originales, font mouche et la voix d'Angela est à la fois assurée et pleine d'émotion en est le parfait véhicule. On sent l'expérience de la scène au travers de l'interprétation d'une artiste de l'Ohio qui est active depuis 2010 avec son groupe The Howlin' Moons. Après Plug Me In (country-rock), Here For You et Ripple nous emmènent très vite vers des horizons plus rock 'n' roll avant que Praying For Daylight n'amorce un virage plus orienté vers les ballades. 

 

Alex MILLER

"Miller Time" 

Voici un artiste que ce disque aurait dû mener vers l'Avenue Country il y a un an. Sans doute un problème de réglage de son GPS est-il responsable du fait qu'il ne soit présenté qu'aujourd'hui dans ma rubrique. Ce doux géant de tout juste 18 ans au moment de la sortie de Miller Time semble en effet l'un des plus aptes à reprendre le flambeau de la country music traditionnelle et l'emmener loin, porté par le grand souffle d'air frais qu'il a provoqué. Son passage à American Idol, saison 19, lui a permis de rencontrer une large audience et, dès lors, les choses se sont accélérées pour lui. C'est ainsi qu'il a joué au Ryman Auditorium, s'est produit dans différents États (Kentucky, Missouri, New York, Washington, Wisconsin) et a joué en première partie de Hank, Jr, Josh Turner, Lee Brice, Rhonda Vincent et Shenandoah. Il a été signé par Billy Jam Records, label basé a Nashville, et a ainsi pu enregistrer son premier album, produit par Jerry Salley qui a coécrit quatre chansons avec lui. On ne peut que s'enthousiasmer à l'écoute de Miller Time. Qu'il chante des compositions originales ou des reprises, notamment Freeborn Man, auquel il donne une nouvelle jeunesse, ou I'm Gonna Sing de Hank Williams (qui clôture l'album avec la participation vocale des Oak Ridge Boys), Alex démontre qu'il a parfaitement intégré les codes du genre, alternant chansons rythmées entre honky-tonk et western swing (comme le premier single de l'album Don't Let The Barn Hit You) et ballades d'amour perdu, sans un côté larmoyant excessif (Through With You, I'm Over You So Get Over Me), avec une mention spéciale pour le superbe Kentucky's Never Been This Far From Tennessee. Difficile, à l'entendre, de croire qu'Alex Miller n'a pas encore vingt ans. Il symbolise bien le futur de la country-music, pas celle qui se vend mais celle qui touche au cœur. Je ne voudrais pas terminer cette chronique sans saluer les musiciens qui contribuent à faire de ce premier album une totale réussite. Outre les voix de Jerry Salley et des Oak Ridge Boys déjà cités, on peut entendre Brent Mason (guitare électrique), Mike Johnson (steel guitar), Jason Roller (guitare acoustique et fiddle), Dirk Johnson (claviers), Kevin Grantt (basse) et Robb Tripp (batterie). 

 

Tim GRIMM

"The Little In-Between" 

Tim Grimm n'est pas un nouveau venu puisqu'il a déjà une quinzaine d'album à son actif depuis Heartland paru à la toute fin du dernier millénaire. L'homme qui est aussi acteur et fermier continue à nous délivrer ses histoires pleines d'humanité, sur un lit de mélodies sensibles et riches à la fois, dans la veine de ceux qui l'ont inspiré, au premier rang desquels, Ramblin' Jack Elliott, Greg Brown, Tom Paxton (à qui il a consacré un album), John Prine et Woody Guthrie. Le nouvel album de Tim, The Little In-Between est l'un de ses plus personnels à ce jour, écrit en trois mois intenses au cours de l'hiver 2021-22. Il retrace son voyage entre les collines du sud de l'Indiana et la prairie de l'Oklahoma mais aussi son voyage intérieur d'un passé riche vers un futur inattendu (sic). Il chante le plus souvent à la première personne pour mieux mettre en valeur cette exploration personnelle. Si Tim a enregistré voix et guitare à Norman, Oklahoma, le violoncelle d'Alice Allen a été enregistré à Pencaitland en Écosse. Quant à Sergio Webb (guitare électrique et steel guitar), Mark Clark (batterie) et Justin Bransford (basse), ils ont été enregistrés par Jono Manson (qui vient lui-même de publier un album) à Santa Fe, New Mexico. Les premières notes, les premiers mots de The Leaving, donnent le ton de ce que seront les huit autres titres, délivrés comme des confidences, avec un violoncelle très présent. Le deuxième morceau, Lonesome All The Time, a un rythme country un peu plus sautillant et fait penser à un autre maître, Townes Van Zandt. Cette fois, c'est la steel guitar de Sergio Webb qui donne le ton. Tim Grimm trouve son inspiration dans la vie de tous les jours, la sienne et celle de ceux qui l'entourent. C'est ainsi que New Boots évoque ses parents et leur quotidien ordinaire. Les préoccupations sociales ne sont jamais loin et quand il chante I Don't Know This World, il le fait sous la forme d'un constat un peu désabusé. Les titres ont souvent un goût doux-amer, mais c'est quand même l'espoir qui finit par l'emporter avec le morceau final, Bigger Than The Sky: "There is love and love can keep you curious / Keep you dancin' and making art at night / Keeps you funny, feeling young and not too serious / Helps you walk and live your life in a broad daylight" (Il y a l'amour et l'amour peut vous garder curieux / Vous faire danser et faire de l'art la nuit / Vous garder drôle, vous faire sentir jeune et pas trop sérieux / Vous aider à marcher et à vivre votre vie au grand jour). Nous avons perdu quelques de nos plus grands songwriters ces dernières années, mais il reste encore des anciens, de grand talent, qui aident les plus jeunes à reprendre le flambeau. Tim Grimm est assurément de ceux-là.

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