"Something In The Water"
Voici une découverte (merci à Martha Moore de so much MOORE media) comme j'aimerais en faire tous les jours. Ce jeune homme de vingt-cinq ans nous offre un premier disque dont les compositions sonnent comme s'il avait vingt ans d'expérience, comme John Prine au même âge. Ajoutons-y une voix forte et claire, émouvante, qui sonne un peu comme celle de Tom Russell, quelques musiciens de haut niveau (David Flint aux guitares et à la mandoline, Dow Tomlin à la basse, Billy Thomas à la batterie et - surtout - Dane Bryant aux claviers) et vous obtenez la recette du disque parfait. Jake Ybarra est né au Texas, dans un milieu musical (maman jouait du piano classique et papa des cuivres alors que ses deux frères jouaient de la guitare) mais sa famille a migré à Greenville, en Caroline du Sud, lorsqu'il avait huit ans. La vie et les études l'ont même mené à jusqu'au parlement européen de Bruxelles, avant qu'il ne se consacre pleinement à la musique et au songwriting, inspiré par Townes Van Zandt, Guy Clark, James McMurtry, John Prine ou Lucinda Williams. Il dit par exemple que la chanson qu'il aurait aimé écrire est Dublin Blues, de Guy. Les premiers titres diffusés, Late November en décembre (titre folk avec une guitare qui évoque le jeune Dylan) et A Whole Lot To Remember (le titre le plus rock du disque) début mars ont tout de suite démontré que le jeune homme plaçait la barre très haut, ce que confirme le reste de l'album, au total dix titres aux textes intelligents et aux accents souvent émouvants. Je citerai en premier Long Winter dont Jake dit que c'est le titre pour lequel il à le mieux réussi à faire ce qu'il apprécie chez les grands songwriters: mettre de riches détails dans une chanson. Il y a aussi Call Me By My Name qui exprime le désir de chacun (et le sien en particulier) d'être entendu et vu pour ce qu'il est. Savannah's Song est une superbe chanson entre autobiographie et fiction, à la tonalité mélancolique renforcée par le jeu de piano de Dane Bryant. Something In The Water est un coup d'essai (à l'exception d'un EP de quatre titres, Basement Songs, publié en 2020 sur Instagram) et un coup de maître pour ce jeune artiste qui fait honneur à ses modèles auteurs-compositeurs, mais aussi à ses écrivains favoris, chantres d'une certaine Amérique, George Saunders, Stephen Vincent Benet et Ernest Hemingway.
"How Can I Say This?"
Nous avions laissé Annie Capps fin 2019 avec le disque When They Fall enregistré avec son mari Rod (voir Le Cri du Coyote n° 163). Trois ans et une pandémie plus tard, Annie revient seule (mais avec le soutien de son mari) avec How Can I Say This?. Seule? Pas vraiment car, si Annie a écrit seule les douze titres du disque, elle s'est entourée d'une équipe à cent pour cent féminine avec des noms tels que Cheryl Prashker (batterie et percussions), Telisha Williams (basse et harmonies), Suzie Vinnick (basse et harmonies), Tracy Grammer (violon et harmonies), Louise Mosrie (harmonies), Jenny Bienemann (harmonies). Annie s'accompagne à la guitare et au banjo, et sa voix est plus émouvante que jamais. Elle a conçu ce projet comme "une lettre d'amour à une jeune moi-même" et ne craint pas de se mettre à nu, d'afficher sa vulnérabilité. Les deux premiers titres en sont l'illustration: My Eden donne une certaine idée de l'innocence, alors que Learning évoque la perte de cette même innocence. Le ton général du disque appartient au folk avec quelques incursions doucement jazzy comme dans Dirty Little Secrets. The Silent a un côté lancinant, mystérieux, où basse et batterie dominent. Crowded porte bien son nom, avec un chœur de plus de vingt voix féminines qui aide à comprendre qu'on n'est jamais seul. Le titre de clôture est le plus dépouillé, avec juste le support de la voix de Louise Mosrie et du violon d'Emily Slomovits, en plus de la guitare et du banjo d'Annie. Il est titré Yesterday mais laisse entrevoir des lendemains qui chantent.
"Megunticook"
Cet album est paru en octobre 2021 mais il n'est pas trop tard pour en parler. Auparavant, The Miners n'avaient publié qu'un EP de six titres, Miner's Rebellion. Seul Keith Marlowe a été des deux aventures. C'est lui qui a écrit tous les titres, il chante, joue des guitares acoustique et électrique (et même de la pedal steel sur un titre), du banjo et de l'harmonica. À ses côtés, on trouve Brian Herder (pedal steel, dobro, guitare slide, B-Bender, contrebasse), Gregg Hiestand (guitare basse) et Vaughn Shinkus (batterie, percussions et harmonies). The Miners se définissent comme un groupe original de country alternative, basé à Philadelphie. Dès les premières notes de dobro de Without You on est accroché et on se dit: au diable les étiquettes! C'est de la sacrément bonne musique. Country, rock, folk, peu importe et on a envie de s'adresser à Keith Marlowe pour lui dire: "dis, Keith, n'attends pas dix anx pour nous proposer ton prochain album". Quand on entend des chansons comme Leaving For Ohio, Black Bart ou Day The Drummer Died, on a envie de plus. En Attendant, ce Mugunticook est hautement recommandé.
"Eyes Closed, Dreaming"
On n'arrête plus Steve Dawson. Après Gone, Long Gone et Phantom Threshold (disque instrumental), Eyes Closed, Dreaming est le troisième album en un an du producteur et muti-instrumentiste canadien. Il nous propose onze titres dont trois instrumentaux. On trouve des reprises: Long Time To Get Old de Ian Tyson (qui vient de nous quitter), Small Town Chalk de Bobby Charles, Guess Things Happen That Way (de Jack Clement en version instrumentale) et Let Him Go On On Mama de John Hartford. Il y a deux traditionnels (Singin' The Blues en version instrumentale et House Carpenter). Parmi les originaux, il y a quatre titres coécrits avec l'excellent Matt Patershuck et l'instrumental Waikiki Stonewall Rag). Steve qui joue toutes sortes d'instruments avec des cordes n'est pas le meilleur vocalement, mais il chante avec suffisamment de bon goût pour que cela ne perturbe pas l'auditeur. À ses côtés, les amis canadiens habituels: Gary Carig (batterie), Jeremy Holmes (basse), Chris Gestrin (claviers). Alison Russell vient prêter sa voix sur trois titres, comme Kari Latimer sur deux, et l'on croise des pointures américaines comme Kevin McKendree (claviers), Jay Bellerose (batterie) ou Fats Kaplin à la mandoline sur Long Time To Get Old. Notons aussi la présence de cordes sur Hemingway et de cuivres sur Small Town Talk. Ce disque est très mélodique, le niveau instrumental est très élevé et, s'il n'a rien de révolutionnaire, il est excellent depuis les premières notes jusqu'à Let Him Go On Mama, interprété par Steve seul avec sa Weissenborn.
"Beautiful Thing"
Un peu plus de deux ans après Just Beyond The Shine (voir Le Cri du Coyote n° 167), le duo canadien formé de Heather Read et Jonny Miller (tous deux chanteurs et guitaristes) sous le nom de Peach & Quiet est de retour avec Beautiful Thing. Ils sont accompagnés par Steve Dawson (guitares), Jeremy Holmes (basse), Gary Craig (batterie) et Chris Gestrin (batterie), une équipe connue et bien rodée. Les douze titres sont écrits ou coécrits par le duo: sept écrits sont l'œuvre de Jonny seul et quatre de Heather (dont This Time coécrit avec Terry Fernilough). Seul That Is For Sure a été écrit par Jonny et Heather. L'osmose entre les deux artistes, qui ont chacun de leur côté un riche passé musical avant leur rencontre en 2019, est toujours aussi bonne. Si les deux premiers titres, Beautiful Thing et Calgary Skyline, évoquent le country-rock des années 1970, les mélodies sont presque toutes délivrées sur un tempo tranquille, avec quelques inflexions blues-rock. L'ambiance est généralement acoustique, comme dans le délicat Song From A Tree, mais les apports à la guitare électrique, steel ou slide de Steve Dawson et aux claviers (notamment à l'orgue) de Chris Gestrin confèrent à l'ensemble un dimension nouvelle En témoignent Pockets Empty, Behind The Sun et That Is For Sure. Tout cela démontre que le duo (je devrais écrire le groupe) a trouvé une personnalité et un son bien à lui. J'ai un faible pour les arrangements de Horse And Saddle et Oklahoma Or Akansas, mais je me garderai bien de citer un titre sortant du lot ou, à l'inverse, de trouver un point faible dans ce qui est une belle confirmation du talent de Peach & Quiet.
"The Gristle & Bone Affair"
Il paraît que c'est le quatorzième album de Terry Lee Hale. Quand on aime, on ne compte pas, mais j'ajouterai quand même à ce compte Home Grown du duo Hale & Sarow, les disques du quatuor Hardpan, et puis Deaf Heaven, un CD regroupant des instrumentaux enregistrés à la maison entre 2004 et 2020 et destiné à être vendu uniquement lors de concerts qui n'ont jamais eu lieu. Terry Lee avait en effet découvert (environ deux ans avant la parution de son nouvel album) qu'il était atteint de la maladie de Parkinson. L'évolution de cette maladie l'empêche désormais de faire ce qui'il aime le plus, jouer (remarquablement bien) de la guitare devant un public, le fingerpicking de la main droite lui étant désormais très difficile. Quoi qu'il en soit, The Gristle & Bone Affair intervient six ans après l'excellent Bound, Chained, Fettered et prouve que le Texan natif de San Antonio, établi à Marseille depuis 2015, est toujours au sommet de son art. La réalisation du disque a nécessité trois ans de travail, écriture et enregistrement, puisqu'elle a débuté juste avant la période de pandémie. C'est donc à distance que les musiciens on travaillé ensemble. Comme Terry Lee l'explique lui-même, lorsqu'il envoyait les maquettes aux musiciens, il donnait quelques orientations, mais ne savait pas ce qu'il allait avoir en retour. C'est donc une œuvre où liberté et talent ont cohabité avec bonheur. Ziga Golob (contrebasse sur cinq des huits titres), Catherine Graindorge (violons sur Oh Life), Jon Hyde (pedal steel sur Fish), Chris Cacavas (claviers sur Curve Away et Time Is A River) et Claire Tucker (voix sur Fish et Gone) démontrent qu'ils sont davantage que de des collaborateurs. Le vieil ami de plus de trente ans, Chris Eckman (il produisait déjà Fools Like Me en 1987) est de retour à la production, pour le label Glitterhouse Records. Quant à TLH, j'aurai du mal à éviter les superlatifs pour en parler. La qualité de l'écriture, bonifiée par le temps, égale celle des meilleurs, tout en restant très personnelle. La voix, plus intimiste peut-être qu'auparavant, a gagné en émotion ce qu'elle perdu en puissance et le talent de guitariste de notre ami (qui joue aussi de l'harmonica) est au sommet ainsi que le démontre le seul instrumental de l'album Doen't Matter Anymore. Nous ne verrons sans doute plus Terry Lee Hale en concert mais il est fortement conseillé de l'écouter, notamment en visitant sa page Bandcamp, pour découvrir, si ce n'est déjà fait, une œuvre d'une consistance et d'un constance dans la qualité jamais prises en défaut depuis Oh What A World, il y a juste trente ans.
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