jeudi 28 juillet 2011

Lucky Greg

Greg Jacobs – Lucky (live)
Blue Door Records


Si j'ai découvert Greg Jacobs un peu par hasard, naviguant de lien en lien sur le web un jour de 2007, c'est d'abord parce que j'ai lu qu'il était un fan de John Prine, visa suffisant (mais pas nécessaire) pour entrer dans mon univers avec un a priori favorable. Greg l'explique lui-même: « Au début, j'ai beaucoup interprété Bob Dylan mais celui qui m'a vraiment motivé est John Prine. J'étais le jukebox John Prine. Un jour, je l'ai rencontré et lui ai dit que je jouais vingt-six de ses chansons. Il m'a regardé et m'a répondu: "vraiment, moi je n'en joue que vingt-deux". Je n'oublierai jamais cela ».

Originaire de Choctaw, Oklahoma, Greg Jacobs comprit rapidement qu'il n'était pas fait pour le système nashvillien auquel tout songwriter au répertoire plus ou moins teinté de country est tenté de se confronter. Il migra vers la ville de  Stillwater, foyer bourgeonnant de musiciens de talent parmi lesquels Jimmy LaFave, Bob Childers, The Skinner Brothers, The Red Dirt Rangers et même, à une époque, un certain Garth Brooks. C'est la scène "Red Dirt", une des plus fertiles et talentueuses de l'époque, où l'on croise aussi des gens comme Monica Taylor (particulièrement recommandée) ou Jimmy Karstein (fidèle accompagnateur de J.J. Cale, Okie lui aussi).

Après trois albums studio qui le classent parmi les meilleurs songwriters de l'Oklahoma et des environs, le trop rare Greg Jacobs publie "Lucky", enregistré en trois endroits différents entre juin et octobre 2009. Neuf des dix-sept titres ont été enregistrés à Oklahoma City, au Blue Door de Greg Johnson, qui est devenu depuis quelques années un véritable temple de la musique acoustique.
"Lucky" est pour moi l'exemple de ce que doit être un album enregistré en public. Ce n'est pas seulement un "best of live" dans lequel l'artiste se contente de répéter ses titres les plus connus. Cela n'est pas dans la philosophie de Greg qui a choisi une fois pour toute les critères d'envie et de plaisir pour guider sa carrière.

Bien sûr, il interprète ici ses compositions les plus connues ("Enjoy The Ride", "A Little Rain Will Do", "South Of Muskogee Town", "Farmer's Luck", "Okie Wind") mais en leur donnant une nouvelle vie. Et, à cet égard, il faut louer le rôle joué par les accompagnateurs: Travis Linville au dobro et à la guitare acousique lead, Terry "Buffalo" Ware à la guitare électrique et John Fullbtright à l'accordéon (et à la guitare acoustique lead sur un titre) servent à merveille les compositions mid-tempo de Greg, auxquelles la voix douce de l'artiste confère un sentiment d'intimité parfaite avec l'auditeur.

L'association dobro / accordéon est particulièrement appréciable, que ce soit sur des titres connus ou sur les nouvelles chansons que sont "Eyes Of A Child", "Here To Tulsa" (co-composé avec Susan Herndon et John Fullbright, deux noms à retenir) ou "C Chord". Ces nouveaux titres sont plus qu'une valeur ajoutée à l'album, ils en sont la véritable raison d'être.

"C Chord" est pour moi le sommet de l'album. Ce titre est dédié à Bob Childers, l'ami, le modèle, disparu en 2008. Bob Childers était la figure de proue de cette "Red Dirt scene" d'Oklahoma. Tous s'en réclament aujourd'hui et Greg l'évoque ici avec une force émotionnelle rare. " Sit back down / Have another cup of coffee / Let the world go by / For an hour or two / And if you take a notion / Strum a C-Chord / Maybe some of Bob’s wisdom / Will come to you". Bob Childers que Greg imagine au paradis, tout près de Woody Guthrie, frappant son fameux accord en mi avec un sourire bienveillant.

Ce seul titre suffirait à justifier l'acquisition du disque, mais l'ensemble (plus de soixante-huit minutes) est de très haut niveau. Un niveau auquel se situe Greg Jacobs, digne de ses modèles, et à qui il ne manque qu'une reconnaissance plus large.

Quelques liens utiles:

Rappel discographique:
"South Of Muskogee Town" (1997, Binky Records)
"Look At Love" (1999, Binky Records)
"Reclining With Age" (2001, Binky Records)


I tried a translation. Forgive my mistakes...

If I discovered Greg Jacobs almost by accident, browsing from link to link on the web some day of 2007, it's mostly because I read that he was a John Prine fan, enough (but not necessary) to step into my universe with a positive opinion. As Greg himself explains: « Starting out, I played a lot of Bob Dylan, but what really got me going was John Prine. I was the John Prine jukebox. I met him once and told him 'I'm your biggest fan, I play twenty six of your songs' and he looked at me and said, "Really, I only play twenty two.' I'll never forget that". ».

Coming from Choctaw, Oklahoma, Greg Jacobs quickly understood that he was not made for the Nashville system, necessary passage for every songwriter whose repertoire is more or less country flavoured. He moved to Stillwater, home of many a talent: Jimmy LaFave, Bob Childers, The Skinner Brothers, The Red Dirt Rangers and even, at some time, Garth Brooks. It's  "the Red Dirt scene", one of the most fertile and talented of the time, where we can also meet people like Monica Taylor (highly recommended) or Jimmy Karstein (faithful sideman of another Okie, J.J. Cale).

After three studio albums that revealed him as one of the best songwriters in and around
Oklahoma, the too rare Greg Jacobs is now releasing "Lucky", recorded in three different venues between June and October 2009. Nine of the seventeen tracks were recorded in Oklahoma City, in Greg Johnson's Blue Door, now a real temple for acoustic music.

"Lucky" is, from my point of view, the perfect example of what a live album should be. It's not only a live best-of where the artist simply repeats his most famous tracks. It's not in Greg's philosophy, as he definitively chose to let only envy and pleasure guide his career.

Of course, he performs here his most known compositions ("Enjoy The Ride", "A Little Rain Will Do", "South Of Muskogee Town", "Farmer's Luck", "Okie Wind") but he gives them a new life. It's important here to insist on the role of the sidemen: Travis Linville on Dobro and lead acoustic guitar, Terry "Buffalo" Ware on electric guitar and John Fullbtright on accordion (and lead acoustic guitar on one track) perfectly serve Greg's mid-tempo compositions; the sweet voice of the artist provides a real feeling of intimacy with the listener.

The association between Dobro and accordion is especially noticeable, on the older tracks as on the new ones: "Eyes Of A Child", "Here To
Tulsa" (co-written with Susan Herndon and John Fullbright, two promising artists) or "C Chord". The new songs are more than a value added to the album. They are its real reason of being

"C Chord" is for me the highlight of the CD. This track is dedicated to Bob Childers, a friend as well an example, who died in 2008. Bob Childers was the leader of this "Red Dirt scene" of
Oklahoma. Everybody there claims his heritage today and Greg evokes him with a rarely equalled emotional strength. "Sit back down / Have another cup of coffee / Let the world go by / For an hour or two / And if you take a notion / Strum a C-Chord / Maybe some of Bob’s wisdom / Will come to you". Greg imagines Bob Childers in Heaven, near Woody Guthrie, strumming his famous C-Chord with a friendly smile.

This track alone would justify the acquisition of the disc, but everything (more than sixty-eight minutes) is at the same high level. It's the level where Greg Jacobs stands, the level of his models, Bob and John. Only a wider recognition is missing now.

mercredi 27 juillet 2011

Bluegrass de France

Bluegrass 43 – The Witch



Bluegrass 43, c'est une histoire d'amitié, d'abord. D'amour aussi, de la musique et plus précisément du bluegrass. C'est aussi la preuve que l'herbe bleue peut s'épanouir au soleil du Puy en Velay où passe donc aussi la route de cette musique née au Kentucky.

La formation actuelle (Alain Audras: basse et dobro; Jean-Marc Delon: banjo et guitare; Jean-Paul Delon: guitare; Philippe Ochin: mandoline) est née en fait à Lyon en 1983. Les quatre amis vivent aujourd'hui entre Bourgogne et Bordeaux (tout un programme) et se produisent aussi souvent que possible, avec un succès qui ne se dément pas. Le dossier qui leur est consacré dans le dernier numéro du Cri du Coyote vous en apprendra davantage.

Sur le plan discographique, le quatuor n'avait jusqu'à présent à son actif qu'un album, "Country & Swing" paru en 1989, enregistré entre Riom-es-Montagne, Auvergne,  et Nashville, Tennessee, disque riche: 21 titres alliant Mozart à Charles Trénet, Hank Williams à Paul Siebel, sans oublier quelques compositions originales. Il bénéficiait aussi de la présence de quelques grands noms: Sam Bush, Kathy Chiavola, Kenny Malone sans oublier le sorcier du son, Bil Vorn Dick. Ce disque est de nouveau disponible en téléchargement, ici par exemple: http://www.qobuz.com/album/bluegrass-43-country-swing-bluegrass-43/3297167890217

Changemment total de cap avec "The Witch": 6 titres seulement et rien que des reprises. Pas d'intervenant extérieur à l'exception de Stuart Duncan au violon sur un titre et de l'ami Francis Vital (longtemps compagnon de route et qui vit aujourd'hui au Canada) à l'harmonica et à la voix ténor sur un autre.

Six titres (pas tout à fait 18 minutes), c'est court. C'est frustrant parce que c'est bon. On se console en se disant que Doyle Lawson avec son groupe Quicksilver a fait à peine plus (7 titres) pour son dernier opus, "Drive Time". Et puis on se dit que l'on ne devra peut-être pas attendre 22 ans pour le prochain enregistrement! C'est du moins ce que souhaitent les membres du groupe: moins, mais plus souvent.

Autre consolation, de taille, la qualité du disque. Rien que des grands titres, des grands songwriters, jugez-en (l'avantage d'un disque court, c'est que l'on peut citer tous les titres!
1- I've just seen a face (John Lennon / Paul McCartney)
2- The witch (Jeff Hooker)
3- Mr. Jones (Raul Malo)
4- Never again (Benny Williams)
5- Carolina star (Hugh Moffatt)
6- With a memory like mine (Darrell Scott / Wayne Scott)

Maintenant, il ne vous reste qu'à écouter, pour être conquis. À lire, aussi, car la présentation du disque par l'ami fidèle, Jacques Brémond, est pleine de saveur.

Vous apprécierez la qualité des instrumentistes, rodés sur la route et soudés par une réelle complicité. Sur le plan vocal, Bluegrass 43 n'a rien à envier à la plupart de ses cousins d'Amérique et Philippe (lead), Jean-Marc (tenor, low tenor, baritone), Jean-Paul (baritone), Alain (bass) font mieux que rendre justice aux titres qu'ils interprètent, il leur donnent une nouvelle vie. Écoutez par exemple la reprise de "Carolina Star" de Hugh Moffatt dont vous connaissez sans doute quelques versions prestigieuses. C'est une totale réussite.

En attendant le prochain disque, vite, ne passez pas à côté de celui-ci. Vous pouvez vous le procurer ici: http://www.bluegrass43.com/cdthewitch

Vous pouvez aussi écouter quelques titres là: http://www.reverbnation.com/artist/song_details/8962038

lundi 25 juillet 2011

Salut Bill

Bill Morrissey, 25 novembre 1951 - 23 juillet 2011


Bill Morrissey nous a quittés brutalement alors qu'il était en tournée (en Georgie, USA) et que tout semblait aller bien pour lui. Il laisse une œuvre dont on a pas fini de mesurer la richesse.

Pour ma part, je ne l'ai longtemps connu que par son disque en duo avec Greg Brown "Friend Of Mine" (1993), et c'est notre ami commun Hervé qui a réellement appelé mon attention sur ce songwriter et guitariste de grand talent, qui a inspiré nombre de ses pairs.

Par amitié pour Bill, Hervé avait organisé un concert exceptionnel à la Pomme d'Ève le 24 janvier 2010, 18 mois après les "adieux "officiels" de l'association Acoustic in Paris. C'est de ce concert qu'est extraite la photo ci-dessus. La veille, Bill s'était produit au Cinéma Jean Vigo de Jacques Déniel.

Je dédie ces quelques lignes à ses amis, à mes amis, Joe Phillips (à qui j'ai malheureusement annoncé la mauvaise nouvelle) et Hervé Oudet.

Adieu l'artiste, et merci.

http://www.billmorrissey.net/

jeudi 21 juillet 2011

WildCat Recording. Jerry Short

Jerry Short: Lifeline


L'ami Joe Phillips ne manque jamais de nous surprendre et nous offre régulièrement des disques d'artistes dont la renommée n'était jamais parvenue à nos oreilles. "The reality of Art" est le slogan de son label, WildCat Recording et, quel que soit le genre proposé, on a l'assurance de la qualité.

Je ne sais pas qui est Jerry Short, d'où il vient (il est né dans le Kentucky et a grandi dans l'Indiana avant de se fixer dans le Maine), mais je sais que cette dernière découverte (le disque est disponible aujourd'hui - à commander ici: http://www.wildcatrecording.com/) va séduire bon nombre d'amateurs d'Americana.

Jerry est un adepte du picking,des guitares qui résonnent, claires et fières. Il est ici accompagné principalement de Rick Watson avec qui il produit le disque. Rick touche à (presque) tout: guitares, piano, mandoline, accordéon, violon... Il a par ailleurs dans le passé joué avec des artistes légendaires tels que Bill Morrissey, Cormac McCarthy (not the writer), Allison Krauss et... Joe Phillips. Inutile de préciser que l'on est ici dans le très haut niveau.

Mais ce n'est pas tout car Jerry est un excellent chanteur, à la voix pure, et un songwriter de premier plan qui aborde avec bonheur pas mal de genres musicaux (il a écrit ou co-écrit les dix titres de "Lifeline"). Ses influences vont de Bill Monroe à Paul Simon en passant par les Allman Brothers. La palette est étendue...

L'album commence par le morceau titre, un peu à part, une chanson écrite pour le mariage d'un ami, l'ambiance est très seventies, peace & love, l'amour pour ligne de vie, avec des harmonies qui rappellent Brewer & Shipley (si quelqu'un s'en souvient). Le piano est ici très présent. Ambiance très paisible également pour le deuxième titre, hommage à l'Indiana. Les titres plus "roots" arrivent ensuite. L'évocation d'un peintre, poète et vagabond, Everett Ruess, est suivie par "The Baseball Cap", véritable chanson d'amour-humour pour une casquette (avec du velcro derrière)! Inimaginable chez nous. Mandoline, dobro et violon sont entrés en action.

Et c'est le moment que choisit Jerry pour nous asséner un blues-rock électrique, "Get That Outa Here" qui lui permet de démontrer son talent d'harmoniciste et son éclectisme. Ce titre est tonifiant, comme l'est "Katie's Barn", à l'ambiance totalement différente, très rurale, avec crin-crin et accordéon. Deux ballades suivent, très belles, pour nous permettre de souffler, avant que le violon endiablé ne reprenne les commandes pour "Carter Joe", dédié au fils de Jerry (qui signale que la ressemblance de ce morceau avec "Hot Corn, Cold Corn" est totalement intentionnelle).

Pour terminer, "Nothing Ever Felt This Good To Me" nous plonge dans une ambiance cajun. Une guitare électrique (tendance Shadows) s'unit, bien sûr, à un accordéon. Un "parlez-vous Français" se fait entendre au détour d'un couplet. Bon temps roulez, Thunderbird et gumbo sont de sortie. Les voitures, l'amour, la nourriture: les choses essentielles de la vie, en somme...

Joe Phillips dit de cet album que c'est de la "real American music", celle qu'il aime (il dit aussi que le disque est too Short). J'ajouterai que c'est pour moi l'une des belles surprises du moment (mais chez WildCat, la véritable surprise serait d'entendre un album qui soit simplement moyen). C'est le genre de disque que je peux écouter en boucle, un après-midi entier, sans me lasser, qui vogue avec aisance d'un genre à l'autre en évitant avec talent tous les écueils.

mercredi 20 juillet 2011

Je ne suis qu'un cri...

Deux mois déjà sans Xroads. Deux mois que mes chroniques sont orphelines. Le mois dernier, j'ai publié ici celles qui avaient été écrites pour l'édition de juin (#99) qui n'est jamais parue.

Je vais désormais reprendre un rythme plus régulier et vous parler de toutes ces musiques que j'aime et qui continuent à m'enchanter et à m'étonner, tellement la qualité artistique est grande.

En attendant, "Le Cri du Coyote", irréductible fanzine de passion, continue à résister encore et toujours à l'envahisseur. Un numéro double (123/124) vient de paraître, qui réussit la performance de réunir sur la même couverture Elvis Presley et Bluegrass 43. Je ferme les yeux et les imagine jammant sur "Blue Moon of Kentucky".


56 pages riches et denses, à glisser dans toutes les valises de l'été.

Pour s'abonner (pas disponible en kiosque), une seule adresse:

Le Cri du Coyote
BP 48
26170 BUIS LES BARONNIES
France
cricoyote@orange.fr

That's all, folkeux, rendez-vous très vite ici-même. Je vous parlerai (dès que je l'aurai reçu) de "The Witch", le nouvel EP de Bluegrass 43 qui démontre que le bluegrass français de qualité existe...