jeudi 9 mars 2023

Lone Riders, par Éric Supparo

 

I'M KINGFISHER

"Glue" 

Brisons-là ces deux années de silence pour cette chronique… Pourquoi, pour qui? Pour Thomas Denver Jonsson alias I’m Kingfisher, pardi. Voilà vingt ans que Thomas sort des albums de toute beauté, dans un anonymat criant, en France en tous cas. Il n’est jamais trop tard pour corriger ça, puisque son huitième opus, Glue, sort ces jours-ci. Que faut-il ajouter, pour faire basculer vos cœurs et vos oreilles du bon côté, sinon mentionner qu’il partage l’affiche - en Suède - avec Courtney Marie Andrews et The Jayhawks? Qui peut en dire autant? Il faut plonger dans cette piscine, cet océan de sentiments, il faut lire ces textes, leur donner le temps et la respiration nécessaire pour envahir votre monde comme un virus bénéfique. Chaque chanson est un poème, une lettre perdue, une photo oubliée. Cet homme est un grand artiste, point à la ligne. Glue navigue entre folk dru (Second Wave), americana-soul de poche (Peer Pressure, Saved by a Friendly Reminder) et ballades décorées à la main sur pedal-steel (Beginning of a Great Song). C’est l’œuvre d’un musicien accompli, qui a digéré toutes les bonnes influences, qui invite des gens de très bon goût au festin, Carl Edlom (fidèle multi-instrumentiste depuis ses débuts), Martin Hederos (fabuleux pianiste) et Bebe Risenfors (un magicien suédois qui a travaillé sur Blood Money / Alice de Tom Waits, entre autres). Bebe donne à cet album une couleur jazzy, sombre et inspirée, entre accordéon, basse acoustique, saxophones et divers cuivres. Un ton qui va comme un gant à la voix unique de Thomas. Comme une révélation. Le bon ton, la bonne voie. Glue s’écoute comme on déguste un rhum vieux. Sans précipitation. Avec l’assurance de se réchauffer au bon feu du talent sans cesse renouvelé de I’m Kingfisher

 

BONNY LIGHT HORSEMAN

"Rolling Golden Holy" 

En 2020 est sorti le premier album de Bonny Light Horseman, groupe constitué de Anaïs Mitchell, Eric D. Johnson et Josh Kaufman. Un petit-grand miracle d’équilibre acoustique, voix et guitares mêlées, un son parfait, et des chansons belles à pleurer (The Roving, la voix puissante et claire d’Anaïs Mitchell, imparable, ou Deep In Love, une mélodie au cordeau…). Rolling Golden Holy est sorti l’an dernier, et même si on n'est pas tout à fait si haut dans les cieux, ces onze titres sont splendides, d’un velouté et d’une précision rares. Josh Kaufman est un sorcier du son, incontestablement. Et Eric et Anaïs possèdent le plus beau blend de voix du moment. La production penche sur ce nouvel album un peu plus du côté pop mais sans jamais s’y vautrer. Exile qui ouvre la marche est un condensé-précipité de tout ce que l’on a pu aimer chez Steely Dan ou Rickie Lee Jones. Lorsque l’écriture est au rendez-vous, comme sur Summer Dream, California ou Sweetbread, il nous manque des mains pour applaudir encore plus fort. Leurs prestations scéniques sont fort justement prisées, partout dans le monde. Un album d’une douceur et d’une amplitude que l’on accueille avec un large sourire et l’envie d’en savoir et d’en écouter plus… 

 

Josh ROUSE

"Going Places" 

25 ans après Dressed Up Like Nebraska, nous suivons toujours les traces de Josh Rouse sur microsillon. Parce que Josh est un exemple parfait de cette liberté possible (indispensable?) des songwriters de haut vol: il ne s’est jamais limité à un genre ou à une sonorité, et en ressort, avec le recul et la perspective, grand et fort comme jamais. Il a (et a toujours eu) un don incroyable pour le mélodieux et le délicat. Going Places a été écrit en 2020 et 2021, explicitement pour la scène, à un moment où jouer en public n’était pas possible (Josh habite en Espagne). C’est sans doute sa livraison la plus forte depuis longtemps (Stick Around ou Henry Miller’s Flat iraient très bien sur 1972, par exemple). Hollow Moon est un classique instantané, She’s In L.A., gorgé de soleil et de percussions légères viendra se ficher tout droit dans votre mémoire, et Indian Summer, habillé d’une simple guitare et un harmonica, devrait être enseigné dans toutes les écoles des aspirants compositeurs pour son équilibre et son économie d’effets. Josh, à 50 ans passés, a encore beaucoup à dire. Tant mieux, pour lui et pour nous.


DON ANTONIO & The GRACES "Colorama"

DON ANTONIO "La Bella Stagione" 

Terminons par une injustice à réparer (elles sont légion). Combien de fois avons-nous parlé d’artistes ou groupes italiens dans les colonnes du Cri? Pas assez, nous sommes d’accord… Il faut donc laisser toute la place qu’il mérite à Antonio Gramentieri, alias Don Antonio (ou Sacri Cuori). Ses productions, à l’image de ce nouveau Colorama (la bande originale d’une série Netlfix, Wanna, avec The Graces, soit Piero Perelli et Luca Giovacchini) ou de La Bella Stagione sorti en 2021 (qui contenait un fabuleux Batticuore, notamment), témoignent du soin absolument obsessionnel et maladif qu’Antonio porte à son art. Une recherche sonore sur chaque ingrédient, qui a du sens, et qui fait appel à nos sens - depuis son studio (Crinale Lab), situé quelque part du côté de Ravenne en Émilie-Romagne. Un paysage sonore voluptueux, profond, majoritairement instrumental, à la frontière de nombreux mondes, celui de Marc Ribot, de Ry Cooder, Naim Amor, la musique du Nigeria et du Mali ou Daniel Lanois. Il a croisé la route d’à peu près tous les musiciens dont Lone Riders vous cause depuis plus de trente ans, soit à la production soit sur scène (attention, liste trop longue, ceci est un extrait): Alejandro Escovedo, Dan Stuart (Green On Red), Richard Buckner, Terry Lee Hale, Giant Sand, Hugo Race, Steve Wynn… Et son talent parvient à synthétiser tout ça, et même plus, pour distiller un cocktail au parfum entêtant, qui ne connaît pas de frontières (des déserts mexicains à ceux d’Afrique, des films signés David Lynch à ceux de Jim Jarmusch, d’Ali Farka Touré à JJ Cale…) et ne parle que d’intégrité et de respect. Qu’on lui ouvre la porte, bon sang, et qu’il soit le bienvenu pour les siècles à venir !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire