jeudi 23 mars 2023

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Junior SISK

"Lost & Alone" 

Junior Sisk est depuis une vingtaine d’années une des principales voix du bluegrass classique et sa notoriété n’a pas faibli avec la dissolution de son groupe, Rambler’s Choice. Bien au contraire, son dernier album, Load The Wagon (Le Cri du Coyote 166) a été un franc succès, nommé parmi les albums de l’année 2021 par IBMA. Junior a repris la même équipe pour Lost & Alone, soit Heather Berry Mabe (guitare, voix), Doug Bartlett (fiddle) et les excellents Jonathan Dillon (mandoline) et Tony Mabe (banjo). Il a juste changé de bassiste. 

C’est encore et toujours du classique de chez classique (avec son timbre nasillard, Junior Sisk peut-il chanter autre chose?), mais vraiment bien fait… Les solistes sont bons (Dillon particulièrement) et l’accompagnement est toujours dynamique (I’m Chasin’ All Memories Down est le meilleur exemple). C’est encore mieux quand il y a une pointe d’originalité dans la mélodie (I Wanna Be Where You Are) ou l’arrangement (le banjo clawhammer dans Up There On The Hillside). Le mélancolique Patches On My Heart, The Lonely Side of Goodbye de Randall Hylton et le classique des Louvin Brothers, Take My Ring From Your Finger, plairont à tous les amateurs de bluegrass traditionnel. 

 

STILLHOUSE JUNKIES

"Small Towns" 

  Cri du 💚

Stillhouse Junkies est un trio de Durango dans le Colorado, composé de Fred Kosak (guitare, mandoline), Alissa Wolf (fiddle) et Cody Tinnin (contrebasse). J’avais bien aimé leur premier album, Over The Pass paru en 2018 (Le Cri du Coyote 158). Sur ce disque, il y avait un second guitariste, quelques musiciens supplémentaires, une grande variété de styles mais on sentait quand même que l’influence du bluegrass était dominante. Je ne sais pas à quoi ressemble leur second album, Calamity, paru en 2020, que j’ai malheureusement raté mais Small Towns marque une nette évolution par rapport à Over The Pass. Les Stillhouse Junkies jouent toutes les chansons avec trois instruments. Il n’y a que Becky Buller qui vient apporter un second fiddle à El Camino, la seule chanson écrite et chantée par Alissa (chaque musicien interprète ses propres compositions). Sur les trois titres où Fred Kosak joue de la mandoline ou de la mandole, il ne me semble pas qu’il double avec une partie de guitare. Et pourtant, avec seulement trois instruments (et trois voix), les douze chansons sont à la fois énergiques et intenses. Les musiciens remplissent l’espace avec des rythmiques de guitare frénétiques, une contrebasse dynamique et un fiddle qui complète les chants avec une créativité toujours renouvelée. 

Pour donner la bonne mesure de leur évolution, les Stillhouse Junkies reprennent trois titres de leur premier album. 1963 est débarrassé de la flûte qui lui donnait des airs irlandais dans Over The Pass. Le boogie On The House swingue davantage sans pedal steel. Compositions, chants, parties instrumentales, tout est réussi dans ce disque. Le groupe montre une cohésion exceptionnelle. L’intensité ne faiblit pas quand la guitare passe de la rythmique au solo. Il y a de longues parties instrumentales notamment dans Over The Pass (également sur le premier album), Five Doors Down In Leadville et River Of Lost Soul qui dure près de 7 minutes. Quelques accents cajun dans Evergreen, une rythmique de guitare rock sur une contrebasse jouée à l’archet dans River Of Lost Souls. Stillhouse Junkies est un groupe très talentueux et original, jusque dans le choix de la seule reprise figurant sur l’album, Never Going Back Again, une chanson atypique (très peu de paroles) de Fleetwood Mac, tirée de l’album Rumours dont ils font une jolie version avec une grosse rythmique de contrebasse qui offre beaucoup de liberté au fiddle. 

 

Mr SUN

"Extrovert" 

Bientôt 50 ans que Darol Anger est apparu sur le devant de la scène qu’on ne nommait pas encore new acoustic, à la création du David Grisman Quintet, et il semble toujours avide de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres musicales, tout en restant dans un carré (bien large il est vrai) compris entre jazz, bluegrass, musique classique et new acoustic (ceux qui considèrent que la musique new acoustic est elle-même une fusion du bluegrass et du jazz, n’auront plus qu’un triangle). La dernière aventure de Darol Anger s’appelle Mr Sun, un quartet formé avec Joe K Walsh (ex-mandoliniste des Gibson Brothers), le guitariste Grant Gordy (David Grisman Sextet) et le contrebassiste Aidan O’Donnell qui a remplacé Ethan Jodziewicz depuis le premier album. Extrovert est le second. 

Parmi les musiciens new acoustic, Anger est un de ceux qui ont été le plus influencés par le jazz et ça s’entend de nouveau dans Extrovert. Better Git It In Your Soul est un titre de Charlie Mingus. A Real Dragon de Anger fait à certains moments penser à Weather Report. Danny Barnes composé par Grant Gordy est du jazz qui s’amuse, avec un arrangement travaillé et une bonne partie de contrebasse. Impro jazz d’Anger également dans un arrangement de Blackbird des Beatles dont la magnifique mélodie est bien rendue. The Amen Corner (Anger) et Murmuration (Gordy) ont encore des accents et des impros jazz mais sont plus proches de l’idée que je me fais de la new acoustic. The Traveler’s Prayer est un joli blues lent de Walsh. Breaker’s Breakdown (Anger) est l’instrumental le plus bluegrass. Comme son titre peut l’indiquer, c’est un fiddle tune mais il est joué dans un esprit swing. Anger y exploite à merveille les sons les plus graves de son violon 5 cordes. Ces huit instrumentaux sont très bien joués par les quatre musiciens et on ne s’ennuie jamais, mais pour donner encore plus de variété, Mr Sun a ajouté trois chansons, interprétées par Joe K Walsh. Pour Tamp Em Solid, le groupe a conservé une guitare en fingerpicking comme dans la version originale de Ry Cooder. The Fiddler Of Dooney, composé par Walsh, est chaloupé, un peu dans le style de Tim O’Brien. Extrovert s’achève en beauté par une version bien dynamique de Just A Little Lovin’, un swing de Eddy Arnold

 

UNSPOKEN TRADITION

"Imaginary Lines"

J’avais bien aimé Myths We Tell Our Young, l’album de Unspoken Tradition paru en 2019 (Le Cri du Coyote 162). Imaginary Lines est dans la continuité. Le groupe a désormais deux chanteurs lead avec le nouveau contrebassiste Sarvanan Sankaran. Il a la même tessiture aiguë que Audie McGinnis mais avec un très léger falsetto qui rend son chant délicat. On retrouve une majorité de titres dynamiques, souvent accrocheurs (Carolina And Tennessee), sur lesquels brillent particulièrement le style Scruggs de Zane McGinnis (banjo) et le fiddle de Tim Gardner. Ty Gilpin (mandoline) profite d’un tempo plus calme (Back On The Crooked Road de Tim Stafford et Jon Weisberger) pour s’illustrer en fingerpicking. L’ensemble est assez moderne et c’est tant mieux car j’aime moins le seul titre où le bluegrass de Unspoken Tradition est plus classique (The Old Swinging Bridge). Imaginary Lines est un disque réussi mais il y a deux chansons qui sortent encore davantage du lot: Bounty Hunter, reprise d’une jolie chanson mélancolique parue en 1979, et Crooked Jack, magnifique adaptation en bluegrass d’une chanson irlandaise, formidablement interprétée par ce diable de John Doyle (cf. The Transatlantic Sessions).

Amanda COOK

"Changes" 

Le premier album d’Amanda Cook, One Stop Along The Road, m’avait bien plu, le second, Deep Water, beaucoup moins, du coup j’ai boudé les deux suivants. J’ai peut-être eu tort car Changes (son cinquième disque si vous comptez bien) est une complète réussite. Presque tout le répertoire est dû à des signatures prestigieuses: Becky Buller, Brad Davis, Suzanne et Sidney Cox, Jeff Partin (l’excellent dobroïste de Volume Five et Mountain Heart) et carrément trois titres de Thomm Jutz. Il y a aussi deux compositions de Troy Boone, mandoliniste de Amanda Cook Band. Changes mériterait d’ailleurs d’apparaître sous le nom du groupe et non de sa chanteuse car Amanda a enregistré les dix chansons entièrement avec ses propres musiciens à l’exception d’une intervention d’Aaron Ramsey (coproducteur de l’album) à la guitare dans Stars. Presque tous les morceaux sont menés de bout en bout par le banjo de Carolyne Van Liedrop au jeu sec et au drive impeccable. Troy Boone est un mandoliniste subtil et il a un son superbe (Carried Away, Ohio). George Mason est un fiddler créatif (Another Highway This Time). Brady Wallen (guitare) prend lui aussi régulièrement sa chance en solo. C’est du très bon bluegrass contemporain, bien arrangé, avec deux titres plus classiques (Back To My Home, Lay Me To Rest) et un arrangement plus moderne (Stars). Amanda Cook a une jolie voix qui sait se faire énergique sur les titres les plus rapides. Les harmonies vocales sont aussi réussies que le reste. J’attends le sixième album avec impatience. 

 

JOHNNY & The YOOAHOOS

"Marionette With The Mandarin" 

La prestation de Johnny & The Yooahoos sur la petite scène de la Roche Bluegrass l’été dernier avait provoqué un tel enthousiasme dans le public qu’à peine leur set achevé, Christopher Howard Williams, Président du festival, avait annoncé que le groupe allemand se produirait sur la grande scène en 2023 (ils sont effectivement programmés le 4 août à 19 heures). Si l’on ne perçoit qu’une partie des qualités entendues à La Roche-sur-Foron sur leur premier album Marionette With The Mandarin, c’est sans doute parce qu’il date de 2020, trois ans seulement après la formation des Yooahoos. La voix du guitariste Bernie Huber notamment est moins impressionnante que ce qu’on a pu entendre en concert l’an dernier. Par contre, on retrouve les qualités d’écriture de Bernie et des frères Johnny (mandoline) et Bastian (banjo, dobro) Schuttbeck. Coming Home Soon, assez classique, How Hope Works, très moderne, et Mind Prohibition Waltz, la plus originale, sont mes chansons préférées. Les trois chanteurs ont tendance à chanter trop aigu à mon goût (Meeting Is Over, Nothing But A Tear To Dry) mais les arrangements sont plein de trouvailles vocales et d’invention instrumentale. La longue descente de banjo en intro de Meeting Is Over, la balade I Used To Live et l’arrangement de Somehow But Still (qui dure plus de sept minutes) en sont les plus belles illustrations. Vivement le 4 août à 19 heures. 

 

Terry BAUCOM’s DUKES OF DRIVE

"Here In The Country" 

Comme dans les trois albums précédents, le banjoïste Terry Baucom et ses musiciens font ce qu’il faut pour mériter leur nom de Dukes of Drive. Les dix chansons sont très rythmées. Il y a notamment trois titres rapides qui permettent aux trois solistes de donner la pleine mesure de leur talent. Pourtant, deux musiciens ont changé depuis le dernier disque, mais Will Clark (mandoline) et Clint Coker (guitare) sont aussi talentueux que leurs prédécesseurs. Par contre, les Dukes avaient avec Joey Lemons et Will Jones deux bons chanteurs qui n’ont pas été remplacés. Clark interprète huit chansons et ce n’est pas au niveau attendu d’un groupe professionnel. Cindy Baucom (l’épouse de Terry) chante les deux autres titres. C’est un peu mieux mais très insuffisant pour vous recommander Here In The Country.

1 commentaire:

  1. Je précise que "Marionette With The Mandarin" n'est pas tout à fait le premier album de Johnny and the Yooahoos. Le Cri (n°163, hiver 2019) avait chroniqué le disque précédent "A day with Louise".
    Lien vers ce CD:
    https://yooahoos.bandcamp.com/album/a-day-with-louise

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