lundi 24 avril 2023

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Irene KELLEY

"Snow White Memories" 

  Cri du 💚

Après avoir composé pour les autres (Ricky Skaggs, Alan Jackson, Trisha Yearwood, Loretta Lynn, Rhonda Vincent, Claire Lynch, …) et tenté une carrière solo dans la musique country, Irene Kelley a commencé à enregistrer des albums bluegrass il y a dix ans (Pennsylvania Coal, Le Cri du Coyote n° 140). Snow White Memories est son quatrième disque bluegrass et c’est le troisième à être Cri du Cœur. Irene a écrit dix des onze chansons, certaines avec d’autres songwriters de renom (Ronnie Bowman, Donna Ulisse), d’autres avec sa fille Justyna. Certains textes (Six Feet Down, Safe Travels My Friend) sont d’autant plus prenants que la voix d’Irene Kelley est naturellement émouvante. C’est une interprète délicate et elle s’est en plus entourée de chanteurs de choix pour les harmonies vocales: Trisha Yearwood, Ronnie Bowman, Darin & Brooke Aldridge, ses deux filles, ou tout simplement elle-même sur la ballade 4th of July In My Hometown (rien que le titre fleure bon le story telling country ou bluegrass). Pour couronner le tout, Irene est accompagnée d’une pléiade de musiciens tous meilleurs les uns que les autres. Les rythmiques sont excellentes. Les Krüger Brothers interviennent dans Come Some Winter Morning avec un son de banjo qui n’appartient qu’à Jens Krüger. On repère le banjo de Matt Menefee dans Wild Mountain Stream, la mandoline d’Adam Steffey dans Carolina Special, celle de Jesse Brock dans 4th of JulyScott Vestal adapte le son de son banjo aux chansons, plus doux sur une ballade, plus sec et métallique dans le très rythmé et entrainant Satan Get Behind Me. Irene Kelley pousse son style jusqu’au newgrass avec Can I Tell You, reprise du groupe Kansas, particulièrement percutante avec Vestal au banjo et le dobroïste Josh Methany. Rob Ickes, Aubrey Haynie, Billy Contreras, Mike Bub et Brownyn Keith-Hynes sont aussi de la fête. Snow White Memories, sorti fin janvier, postule d’ores et déjà au titre d’album bluegrass de l’année. 

 

Andy LEFTWICH

"The American Fiddler" 

Cri du 💚

En 2001, Andy Leftwich est devenu à 20 ans le fiddler de Kentucky Thunder, le groupe de Ricky Skaggs. Il l’est resté pendant 15 années durant lesquelles il s’est affirmé comme un des meilleurs violonistes bluegrass de sa génération, a beaucoup enregistré pour d’autres artistes, mais n’a gravé qu’un album instrumental sous son nom (Ride en 2003) (deux autres avec le trio de jazz Three Ring Circle - Rob Ickes et Dave Pomeroy). En 2016, il a quitté Kentucky Thunder et s’est consacré à des activités religieuses, en continuant la musique de manière plus discrète. Il a enregistré un second album solo - passé inaperçu - combinant ses aspirations religieuses et musicales (Instrumental Hymns). On n’avait donc quasiment plus entendu Andy Leftwich depuis bientôt sept ans et c’est une demi-surprise de le voir réapparaître avec un album flambant neuf et pour tout dire enthousiasmant. The American Fiddler est un album 100 % instrumental dans lequel Andy nous propose de très bonnes compositions à dominante bluegrass (le fiddle tune Kimper County, l’incandescent Pikes Peak Breakdown) tout en abordant la musique irlandaise (The American Fiddler) et la musique new acoustic (Over Cincinnati, Back To The Garden). Il joue aussi du jazz gitan en reprenant Made In France de Bireli Lagrene et a inclus quelques classiques du bluegrass: Sally Goodin’ enregistré en public avec Ricky Skaggs & Kentucky Thunder, Big Mon et Liberty. Andy Leftwich joue magnifiquement du fiddle sur tous les titres mais aussi de la mandoline sur la plupart et même de la guitare dans Back To The Garden. Ses accompagnateurs jouent tout aussi superbement: pas une surprise de la part de Scott Vestal, Bryan Sutton ou Cody Kilby mais un musicien moins connu comme le banjoïste Matt Menefee réalise de très jolies choses, notamment en triolets dans Made In France. Il y a un joli duo de mandolines avec Sierra Hull dans Big Mon. Leftwich réussit l’alliance de l’ancien et du moderne dans Through The East Gate, illustrée par la présence de Mark Schatz au banjo clawhammer et celle de Scott Vestal en picking. L’accordéoniste Jeff Taylor apporte sa touche aux titres celtiques et manouche. Andy Leftwich est devenu un musicien rare, ne ratez pas The American Fiddler

 

Greg BLAKE & HOMETOWN

"The View from Home" (2022)

La plupart des amateurs français ont découvert le formidable chanteur et guitariste Greg Blake avec le groupe Jeff Scroggins & Colorado au festival bluegrass de La Roche-sur-Foron en 2017. On le retrouvera avec plaisir lors de la prochaine édition avec The Special Consensus. En attendant, il nous propose un disque avec sa propre formation, Hometown (Todd Davis - banjo, Brian McCarty - mandoline, Grant Cochran - basse). Les albums de Colorado ne rendaient pas vraiment toute la puissance que Greg Blake peut dégager sur scène et c’est à nouveau le cas avec Hometown. The View From Home rappelle par plusieurs aspects les années 60-70, la musique des Country Gentlemen ou de Seldom Scene. Pas tant parce qu’on trouve dans le répertoire de l’album des songwriters associés à ces groupes (Randall Hylton, Pete Goble, John Starling, Pete Kuykendall), plutôt pour la voix, le phrasé de Greg Blake et les harmonies vocales de McCarty et Davis, les rythmiques également. Parmi les titres qui évoquent le plus les Country Gentlemen, A Hundred Miles To Go est pourtant une composition de songwriters actuels, Terry Foust et Mark Brinkman. In The Wind, Livin’ In The Past, Since My Baby’s Gone et Georgia Girl sont selon moi les titres les plus réussis. Greg Blake chante avec beaucoup de chaleur Gardens And Memories mais ce n’est malheureusement pas la chanson la plus marquante du répertoire de Seldom Scene

 

Tim STAFFORD & Thomm JUTZ

"Lost Voices" 

Tim Stafford affectionne les albums en duo avec ses partenaires d’écriture. Il en a déjà publié deux en collaboration avec Steve Gulley (Le Cri du Coyote n° 120 et n° 169) et un autre avec Bobby Starnes (Le Cri n° 142). Cette fois, c’est au tour de Thomm Jutz, un des meilleurs songwriters bluegrass de ces dix dernières années, qui s’est affirmé depuis quelques temps comme un artiste à part entière, avec trois albums solo ainsi qu’un disque en duo avec la violoniste des Steeldrivers, Tammy Rogers. Tim et Thomm (oui, je sais, c’est rigolo) ont écrit ensemble les quatorze chansons de Lost Voices dans le style storytelling qu’ils affectionnent. Le meilleur exemple est The Ballad Of Kinnie Wagner au sujet d’un criminel spécialiste des évasions dans les années 20. C’est un des quatre titres arrangés avec une formation bluegrass complète - Tammy Rogers (fiddle), Ron Block (banjo), Shawn Richardson (mandoline) et Mark Fain (basse). Les autres sont Take That Shot, la chanson la plus punchy de l’album, une valse et Callie Lou, une ballade que Tim et Thomm ont eu l’intelligence de faire interpréter par Dale Ann Bradley (ils chantent bien mais Dale Ann Bradley, c’est la classe au-dessus). Les dix autres titres sont arrangés à deux voix / deux guitares (Stafford et Jutz sont tous deux d’excellents guitaristes). The Standing People sort du lot grâce à sa jolie mélodie et Enough To Keep You Going For A While par sa mélancolie. J’ai bien aimé la variété donnée par le fingerpicking de Thomm Jutz au trainsong The Queen & Crescent et au joli blues The Blue Grays. Vaudeville Blues a un petit côté Doc Watson agréable. Les autres titres sont moins marquants et auraient sans doute été mieux mis en valeur par des arrangements plus fournis. 

 

The GIBSON BROTHERS

"Darkest Hour" 

Parmi les formations de premier plan, les Gibson Brothers sont aujourd’hui les seuls représentants des duos de frères, une tradition qui, des Delmore aux Osborne en passant par Bill & Charlie Monroe et Jim & Jesse, a marqué la musique hillbilly et le bluegrass. La notoriété de Leigh et Eric Gibson a été grandissante ces 30 dernières années mais je n’avais pas du tout aimé leur dernier album, Mockingbird, consacré à la musique country. Dans Darkest Hour, ils récidivent pour moitié puisque six chansons reçoivent des arrangements bluegrass et six autres un habillage country avec batterie, lap steel et guitare électrique. Je me suis surpris moi-même à aimer autant les premières que les secondes. Parmi les titres country, j’ai particulièrement apprécié le honky tonk Shut Up And Dance avec la guitare électrique incisive (c’est mieux que canine ou molaire) de Guthrie Trapp, la jolie mélodie (composée par Leigh) de Your Eyes Say His Name, bien mise en valeur par le fiddler Eamon McLoughlin (ex-Green Cards, excellent sur tout l’album) et la ballade musclée The Good Day. Parmi les chansons bluegrass, c’est surtout Heart’s Desire qui se distingue. Jolie mélodie (composée cette fois par Eric), bon duo vocal, le dobro de Jerry Douglas et toujours le fiddle créatif de McLoughlin. La valse Darkest Hour est très bien interprétée par Leigh. Les musiciens sont particulièrement en évidence dans Dust. What A Difference A Day Makes, So Long Mama et la ballade I Feel The Same Way As You sont d’autres chansons bluegrass où Eric, Leigh et leurs accompagnateurs montrent tout leur savoir-faire. Si comme moi vous avez été déçus par le précédent album, Darkest Hour a largement de quoi vous réconcilier avec la musique des Gibson Brothers, même quand ils font de la country. 

 

Shane McGEEHAN

"Your Love For Me Is Gold" 

Your Love For Me Is Gold est le premier album solo de Shane McGeehan, habituellement contrebassiste de Serene Green, une formation de Pennsylvanie qui a déjà enregistré deux albums. Musiciens les plus discrets des groupes bluegrass, les contrebassistes enregistrent rarement sous leur nom. Ce que Your Love For Me Is Gold met essentiellement en valeur, ce sont les qualités de compositeur et de chanteur de McGeehan. Il n’y a aucun solo de contrebasse dans ce disque alors que, curieusement, Shane McGeehan a choisi d’inclure quatre instrumentaux dont trois compositions personnelles. Il accompagne à la guitare Alex Heargraves (fiddle - le musicien le plus brillant sur l’album) sur l’instrumental Wilted Lilly Waltz. J’aime bien le côté alerte, presque joyeux de The Lovesick Teenager. Monsac, un peu swing, est moins typique du bluegrass. Le quatrième instrumental est une composition classique (tempo rapide) de Brett Kretzer, mandoliniste de l’album. Le guitariste Chris Luquette (Frank Solivan & Dirty Kitchen), Ellery Marshall (banjo) et Jack Devereux (fiddler de Town Mountain) sont les autres musiciens présents sur l’album. Il y a presque un cinquième instrumental avec La Danse de Mardi-Gras (Balfa Brothers) puisque les chants (en cajun) sont réduits à la portion congrue. Le titre vaut surtout pour le fiddle d’Alex Heargraves. Shane McGeehan a aussi écrit cinq des huit chansons. Il interprète joliment seul à la guitare There’s Always Room In Hell. Le honky tonk Communication Blues a la même mélodie que T For Texas. McGeehan a une voix claire, un peu trainante qui va bien au très classique Your Love For Me Is Gold et à la ballade countrygrass The Farmer. Il fait également une bonne interprétation de Don’t Step Over An Old Love des Stanley Brothers avec une harmonie vocale féminine très agréable et reprend Stranger In This House qu’Elvis Costello avait écrit pour George Jones.

mercredi 5 avril 2023

Disqu'Airs par Éric Allart & Jean-Christophe Pagnucco

 

Rob ICKES & Trey HENSLEY

"Living In A Song" (2023)

Ceux qui connaissent le superbe Yonder enregistré par Jerry Douglas et Peter Rowan en 1996, et qui se sont mangé comme votre serviteur le duo magique au festival country de Craponne sur Arzon, savent que la formule du duo dobro-guitare forme un combo très polyvalent, ancré dans la modernisation conjointe du country-blues et du hillbilly des années 1930. C’est cette plasticité impressionnante qui ressort de l’album. Si on avait pu mesurer le niveau instrumental cosmique du duo à La Roche sur Foron dans un idiome Bluegrass et Newgrass, ici, le répertoire explore avec succès une grande variété de styles, enrichis par la présence posée et pertinente de fiddle, de percussions, et même d’accordéon diatonique sur un titre zydeco. C’est l’album idéal à offrir aussi bien au novice qu’au compulsif. Il y a tout là-dedans. Une ballade où Trey Hensley évoque vocalement Merle Haggard, du blues rock, une version au drive dingue de Way Downtown, du country blues. Si on trouve du bluegrass et du hillbilly dans le panel, force est de constater que l’objet devrait séduire au-delà du "milieu" tant sa qualité est massive et subtile. Intemporel, personnel et accessible : la virtuosité n’écrase jamais par son exubérance les chansons. Si Trey Hensley n’est pas un chanteur lead spectaculaire, il a plus le timbre et les intonations d’un bon chanteur country actuel, le résultat est plus que convaincant. C’est chaud, attachant, diablement riche. Comme un goût d’indispensable. (Éric Allart

 

Matt HILLYER

"Glorieta" (2023)

Depuis la dissolution de Eleven Hundred Springs, le chanteur lead Matt Hillyer trace son chemin avec une intégrité qui force le respect. L’homme a réussi à combiner une forte personnalité, à savoir un style immédiatement reconnaissable, avec un sens de la modernité toujours appuyé sur une maitrise parfaite des fondamentaux. J’aime sa voix: haute, claire, puissante et sans artifices. Les mélodies sont riches et vont parfois taper dans le folk-rock des années 70. La formule orchestrale est dépouillée sans être minimaliste: on appréciera le mixage des back-ups de fiddle, instrument roi du CD avec la toujours réjouissante lead guitar de Matt, encore chargée de plans rockabilly qui twanguent comme il se doit. On se délectera des touches tex-mex, et de l’hommage à Buddy Holly sur Stolen Kisses. C’est bougrement roboratif et c’est le genre d’opus qui pourrait foutre définitivement la honte au mauvais pop-rock surproduit de Nashville. Mais pour cela il faudrait avoir du goût et des oreilles. Cet album ne contient pas que de la musique: il est plein d’images. Il réjouit aussi bien les oreilles que l’imaginaire. (Éric Allart

 

Collectif de la Mellon/ACLS Community College Faculty Fellowship

"We are for Egypt" (2022)

Voici un drôle d’objet qui m’a été offert par Camille Moreddu dont nous avons ici même présenté le travail universitaire d’ethno- musicologie sur les pas de Sidney Robertson. Il s’agit d’un projet d’enregistrement dans le sud de l’état de I’Illinois de plusieurs artistes locaux investis dans les musiques traditionnelles. Pas un conservatoire folk au sens strict, mais un rassemblement de dix titres interprétés par des formations très diverses où le contemporain voisine le plus archaïque. Ces gens sont professionnels, semi-pros ou amateurs et l’on est bien forcé de reconnaitre le niveau élevé de l’ensemble: ça chante, ça joue et, cerise sur le gâteau, la qualité de l’enregistrement à Carbondale, université du sud Illinois, n’a rien à envier aux studios des majors. Le menu est constitué par des blues ruraux de Rip Lee Pryor, du old-time, de la country music de bonne facture (Miss Jenny and The Howdy Boys). On trouve une chanson hispanique chanté en espagnol (Somos Igual par Regina Zavala), mais le plus émouvant est la version en français de La Guillannnée l’héritage médiéval le plus fascinant des chansons de jour de l’an telles que pratiquées encore à l’instar du Mardi Gras cajun où les convives font le tour des maisons pour demander la charité. Camille Moreddu a retrouvé sur place des descendants de colons français qui la pratiquaient encore de façon phonétique sans en comprendre tout à fait les paroles. Camille a intégré le groupe et donne à ce petit bijou une saveur particulière. Hors des circuits commerciaux, mais illustrant ce qui se pratique à l’échelle locale, voici de quoi documenter de façon attachante le corpus actuel de ce qui constitue cet objet mal défini que l’on nomme parfois americana. (Éric Allart)

Fab ZOREIL

"Blues sur Paname" (Autoproduit, Kebra’s Records, 2021)

Nous sommes sûrement nombreux à avoir été émus, à l’aube des années 90, par les premières minutes de l’album Osez Joséphine, d’Alain Bashung qui, entre quelques splendeurs légitimement mises en lumière par les médias nationaux, débutait par J’écume, un blues épais sur lequel le chanteur mythique déroulait, de sa voix unique, un texte surréaliste et habité. C’est à peu de choses près le même frisson qui parcourt l’échine de l’auditeur qui pose sur sa platine le tout nouvel album de Fab Zoreil, Blues sur Paname, opus épais qui voit ce dernier, guitariste chanteur auteur compositeur, poser ses textes inimitables, souvent surréalistes sur un canevas tour à tour bluesy, rock et reggae. Pas de doute: la french touch est là, tatouée sur des vocaux écorchés et passionnés, et la guitare prolonge la voix de son maître, jamais dans la démonstration mais bien dans une sculpture sonore que ne renierait pas Neil Young servi par son Crazy Horse des dernières années. La signature sonore est d’autant plus personnelle que c’est en duo guitare électrique / batteur que le répertoire est ici défendu, ce qui laisse judicieusement beaucoup d’espace sonore pour orner le chant déclamatoire de ces textes rageurs volontiers subversifs, dont Higelin ou Bohringer ne renieraient sûrement pas la filiation. Cette "chanson rock et blues sans concession" ravira ceux qui préfèrent aux courants mainstreams le danger des chemins escarpés et exigeants, tel que ceux creusés ici par Fab Zoreil, guitariste chanteur vagabond, qui aura recueilli ses influences de Lyon à Paris, en passant par la Réunion, et son fidèle et exemplaire batteur Olivier Hurtu. Jetez une oreille au crescendo intense de The Devil, entrez dans la transe des Vieux Chicots, et pleurez sur Ma Chanson. Fab Zoreil sert ici admirablement un propos original, sur la fond comme sur la forme, dont la sincérité et l’exigence signe la marque des vrais artistes. (Jean-Christophe Pagnucco

 

Hervé LECHÂBLE

"L’inutile et l’agréable" (Autoproduit, L’inutile et l’Agréable, 2022)

Musicien depuis 20 ans, le chanteur guitariste auteur-compositeur parisien Hervé Lechâble publie ces jours-ci son tout premier album, L’inutile et L’agréable, dont le packaging est aussi élégant et chaleureux que son contenu. En 13 vignettes d’une chanson française acoustique et délicate, laquelle repose sur l’habile et harmonieux picking du maître de maison, Hervé Lechâble nous emmène doucement dans un univers personnel où un blues jazzy et chaleureux (Mon vieux veston, L’entendrez-vous?) habille une belle poésie surréaliste (Un éléphant dans la cuisine, Chats toujours), pour des compositions toujours surprenantes et rassurantes, comme les vignettes des jours passés dont la chaleur ressurgit pour gonfler le cœur dans les instants de doute (Rennes, je reviens et son accordéon enveloppant). Dans L’inutile et L’agréable, le blues et la chanson font bon ménage (Harmonica Blues, Susie Blues, L’entendrez-vous?) et convoquent avec élégance et révérence le fantôme de Nino Ferrer (J’ai tant rêvé de vous) et des heures tardives du duo Dutronc / Lanzmann (L’idiot) pour inaugurer une œuvre originale dont on attend avec impatience les prochains édifices. À écouter absolument. (Jean-Christophe Pagnucco

 

Justine BLUE

"True" (WNL Production, Kebra Records, 2023)

Le timbre vocal unique de Justine Blue, de même que le cachet personnel et puissant ses compositions, saisissent dès les premiers instants de cet opus, True qui, après un EP et plusieurs singles, chacun très remarqués dans le microcosme bluesy français, fait paraître ces jours-ci ce premier album riche de 13 titres dont 11 compositions originales qui, fait suffisamment rare pour être remarqué dans le production dite blues en hexagone, le sont réellement. Comme son nom l’indique, True est placé sous le signe de la sincérité, et permet de saisir, en si peu de notes, davantage de la personnalité de cette chanteuse talentueuse et inclassable, même si l’on devine des influences qui l’ont marquée sans jamais la museler. Après avoir été remarqué au Tremplin Blues sur Seine, avoir foulé les scènes canadiennes, la chanteuse montpelliéraine, propose une œuvre d’un rare aboutissement, aux effluves blues (Bye Bye Big Blues), classic soul (Talk About It) et jazzy (What Am I To Do), New Orleans (Rock Me Baby) ou plus généralement americana (It Makes Me Feel All Right) au service de textes profonds et parfois engagés (comme le bouleversant Fallin, sur les accidents de vie entraînant vers le fond). Au rayon des reprises, elles-mêmes sont un manifeste au rythme, au métissage, au groove omniprésent des influences comme des créations, puisque se succèdent Willie and the Hand Jive, de Johnny Otis revu et délicieusement corrigé par le marqueur laid back du mythique album 461 Ocean Boulevard d’Eric Clapton, et Yellow Moon, l’hymne voodoo des apôtres louisianais que sont les Neville Brothers, évadés des Meters pour retrouver leur chemin dans la voix envoûtante de Justine Blue. Les arrangements sont inventifs, le jeu des musiciens époustouflants… Gageons que le train du succès est sur les rails pour une véritable artiste, dont ce bel album est le plus beau véhicule pour la révéler au monde. À écouter absolument. (Jean-Christophe Pagnucco

 

Tio MANUEL

"¡ Ocho !" (El Tio, La Fugitive, Kebra Records, 2023) 

Le 8ème album de Tio Manuel, fièrement intitulé ¡ Ocho !, déboule dans les bacs (et sur ces maudites plates-formes) pour célébrer ce printemps 2023 en fanfare, et reprendre le propos exactement là où il l’avait laissé avec 7th Road, précédent effort remarqué et salué par la critique. Toujours très personnel, le répertoire ici proposé est au métissage, l’anglais percutant l’espagnol pour ce bouillant guitariste chanteur francophone mais qui, culturellement, a intégré le melting pot propre au courant americana dans ce qu’il offre de plus intéressant. Si la couleur musicale globale, baignée d’influences blues, n’est pas sans évoquer les dernières heures de Tom Petty & The Heartbreakers, la voix, détachée à souhait, la guitare saignante, l’orgue et les chœurs, nous rappelle que le plus beau véhicule d’un artiste interprète reste ses chansons, dont la qualité détermine beaucoup de choses. Le Voyage, au propos "kerouacain" en diable, évoque Neil Young, The Moment, le précité Tom Petty, Heading to Sorbas voit convoquer le fantôme de Link Wray, Box of Pictures ne serait pas renié par Van Morrison, tandis que Buckets of Rain est habilement emprunté à Bob Dylan, qui doit être étonné que ce petit titre enfoui à la fin du copieux Blood On The Tracks soit devenu un véritable standard folk blues. A l’évidence des influences répond néanmoins la réussite éclatante dans la construction de ce répertoire qui, justement, n’est ni évident, ni éculé, et demeure diaboliquement personnel. A se procurer, à écouter, à savourer et à applaudir en concert: Tio Manuel a bien des choses à dire et bien des routes caillouteuses à sillonner. (Jean-Christophe Pagnucco)