dimanche 31 juillet 2022

L'Avis d'Alain, par Alain Kempf

 

L'Avis d'Alain

 

Tim O’BRIEN, Bill FRISELL & Dale BRUNING 

"Life Lessons " 

Les lecteurs du Cri connaissent Tim O’Brien, membre fondateur du groupe de bluegrass Hot Rize, chanteur, mandoliniste, violoniste, guitariste, auteur et compositeur actif depuis une cinquantaine d’années. Star du bluegrass, il excelle aussi en musique irlandaise, old-time, etc. Bill Frisell est également, une sommité, l’un des guitaristes de jazz contemporains les plus notoire-ment connus, qui a pour particularité d’associer le jazz au folk et à la country-music. En revanche, je n’avais jamais entendu parler de Dale Bruning, le troisième membre du trio signant cet album. Au début des années 1970, il était le professeur de guitare à la fois de Tim et de Bill, à Denver, et son influence a été déterminante sur la carrière de ses deux célèbres élèves. Life Lessons est le fruit de la réunion, un demi-siècle plus tard, des trois musiciens. Cet album revêt donc un caractère “historique” mais la réussite musicale est-elle au rendez-vous? Sachant que le projet est l’initiative de Nick Forster, bassiste de Hot Rize et remarquable producteur, on ne risquait guère d’être déçu et, en effet, le voyage musical est superbe. Dale Bruning joue de la guitare acoustique archtop, Bill Frisell essentiellement de la guitare électrique et Tim O’Brien intervient avec sa palette d’instruments à cordes (guitare, mandoline, mandocello, etc.) et chante sur plusieurs titres. Ils sont parfois accompagnés à la basse par Nick Forster. Il y a plusieurs standards de jazz : l’arrangement de Bags Groove, joué en en duo par Dave et Bill, est excellent; All Things You Are et Sweet Lorraine sont chantés par Tim, très à l’aise dans ce registre de crooner. Dale Bruning interprète en solo Gone With The Wind et à l’écouter on ne se douterait pas qu’il était âgé de 86 ans au moment de l’enregistrement! Red Rocking Chair, puisé dans le répertoire old-time est ici adapté de façon très originale, entre folk et blues. Autre emprunt au répertoire folk: Spanish Is The Loving Tongue, popularisé par Bob Dylan. D’autres titres sont soit des originaux, soit des raretés (je ne dispose pas des noms des auteurs). Paris Nights est une très jolie valse latine. Sur Langosta Bay, swing langoureux, des cuivres et une contrebasse sont invités avec bonheur. Tim O’Brien clôt l’album en chantant I Pluck A Red Rose, ballade celtique qui prend des couleurs jazzy. Tous les 11 morceaux de l’album sont sur des rythmes assez lents et les musiciens ne font pas étalage de virtuosité spectaculaire, mais privilégient le beau son et la sensibilité dans l’interprétation. Life Lessons doit s’écouter attentivement, au calme, pour en apprécier les grandes qualités. 

 

Eliza GILKYSON

"Songs From the River Wind" 

Cette chanteuse (et songwriter) du Nouveau-Mexique, née en 1950, a sorti son premier disque en 1969, suivi par de nombreux autres. Celui-ci évoque le vieil Ouest, les vastes paysages, les cowboys et cowgirls. La voix est étonnamment jeune, la manière de chanter et l’orchestration sont dans une veine americana intemporelle de très bon goût. C’est donc fort plaisant à écouter, grâce aux talents d’écriture et d’interprétation d’Eliza mais aussi aux excellents arrangements du producteur et multi-instrumentiste Don Richmond (cf. Wind River And You). Le disque démarre par une ballade acoustique enrobée d’accordéon, de mandoline et de slide guitar. Elle suivie par chanson endiablée sur un rythme de square-dance, où le dobro et le fiddle sont à l’honneur. Puis on enchaîne avec une très jolie ballade avec un accompagnement dépouillé de guitare électrique. Au fil des plages, on aura de l’autoharp, de la steel-guitar, du trois-temps, du banjo, pas le temps de s’ennuyer! 

 

The SPACE AGE TRAVELLERS 

"Satellite Shuffle"  

Les amateurs de belle guitare électrique devraient apprécier ce disque instrumental, création de BJ Baartmans qui revendique des influences très variées qu’on retrouve dans ses compositions : les Shadows, Brian Setzer, Bill Frisell… On a donc des morceaux de différents styles où BJ déploie un grand talent et des sons de guitare réjouissants. Il est accompagné par une section rythmique impeccable formée de Gerco Aerts (basse) et Sjoerd Van Bommel (batterie). Satellite Shuffle est un blues planant, Sandology fait tourner un riff sophistiqué et groovy, Charlie’s Pickup lorgne vers le western-swing, Miles Inbetween nous fait penser au jazz de Bill Frisell, The Saturn 3 propose du ska psychédélique: on peut embarquer sans crainte dans ce satellite néerlandais !

 

Susan CATTANEO 

"All is Quiet" 

La chanson-titre de l’album fait l’objet d’une vidéo qui donnera une bonne idée de l’œuvre. “Tout est calme”; certes, jamais de rythmes débridés, pas de débordements vocaux, mais l’émotion pointe dans les neuf titres splendides. La voix de Susan Cattaneo, claire avec un vibrato parfaitement maîtrisé, me fait penser aux grandes chanteuses folk comme Judy Collins. On sent une artiste expérimentée, même si sa carrière discographique est assez récente : bostonienne, elle est professeur de songwriting au prestigieux Berklee College, respect! L’accompagnement instrumental est fourni par deux fabuleux guitaristes, Kevin Barry et Duke Levine: pas des stars non plus, mais des CV bourrés de grosses références en studio et sur scène. Nulle esbroufe, mais un tissu de guitares électriques et acoustiques de toute beauté. Difficile d’isoler une chanson en particulier dans cet ensemble très homogène, mais mon coup de cœur va à Blackbirds, petit bijou de délicatesse folk. Une très belle réussite. 

 

Grant HAUA 

"Ora Blues at the Chapel" 

On a pu voir ce bluesman maori en France cet été, dans les festivals blues de Cognac et Cahors. Les 13 titres de l’album issus du répertoire déjà enregistré précédemment de Grant Haua, mais joués en live devant un public restreint: on a ainsi l’énergie d’un concert, mais avec une qualité de son comparable à celle du studio. Les morceaux sont très énergiques, avec une orientation blues-rock et on se régale grâce aux qualités vocales et guitaristiques de l’artiste, très bien accompagné par ailleurs (basse, batterie, piano). Sur Voodoo Doll, on voit que l’esprit de la Nouvelle-Orléans souffle sur la Nouvelle-Zélande. Cerise sur le kiwi : la chanteuse de soul (elle aussi maorie) Delanie Ututaonga est présente sur quelques titres et met le feu. Difficile de rester assis en écoutant Beetlejuice

 

Neko CASE 

"Wild Creatures" 

Il s’agit d’une compilation de 21 titres retraçant les 25 ans carrière de la chanteuse-songwriter américaine, classée entre indie-rock et alt-country. S’y ajoute une nouveauté: Oh, Shadowless. La plupart de morceaux sont du rock électrique, mais on trouve aussi un titre acoustique un peu old-time, le tout étant fort bien chanté et joué. Cet album est disponible exclusivement en version numérique sur les différentes plateformes.

jeudi 28 juillet 2022

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Peter ROWAN 

"Calling You From My Mountain" 

Au cours de sa longue carrière, Peter Rowan a rarement enregistré deux albums de suite dans le même style. Calling You From My Mountain est une exception puisqu’il succède à Carter Stanley’s Eyes (2018) déjà consacré au bluegrass classique. A 80 ans (il les a eus le 4 juillet dernier), Peter a sans doute envie de se livrer essentiellement au genre qui fut celui de ses débuts et le seul en fait vers lequel il soit régulièrement revenu. A la première écoute, j’ai cru qu’il avait gardé tous les musiciens du précédent album mais il ne reste en fait que Chris Henry (mandoline), entouré de Julian Pinelli (fiddle), Eric Thorin (basse) et Max Wareham (banjo). Contrairement à Carter Stanley’s Eyes (cf. Le Cri du Coyote 157), il y a une majorité de compositions de Peter dans Calling You From My Mountain. Mes préférées sont A Winning Hand et le très beau Dream Of Heaven dont les mélodies portent toutes deux l’écriture typique de Rowan, une délicatesse qui lui est propre. La voix de Peter se marie bien avec celle de Molly Tuttle dans From My Mountains. Molly se met au banjo clawhammer pour la charmante ballade The Red, The Blue And The White. Billy Strings est à la guitare sur deux titres mais j’ai davantage été impressionné par la sensibilité de l’accompagnement de Shawn Camp dans Dream Of Heaven. Parmi les reprises, Peter et son groupe livrent une bonne version du classique Little Joe. New York Town de Woody Guthrie s’adapte assez bien au bluegrass. Ils reprennent aussi Penitentiary Blues de Lightnin’ Hopkins. Évènement rare dans un disque de Peter Rowan, il y a deux instrumentaux, Come Along Jody du fiddler Tex Logan et Frog On The Lilly Pad que Bill Monroe a composé mais jamais enregistré. Le talent des musiciens de Peter justifie ce choix, comme celui de conclure la dernière plage, Freedom Trilogy, par une succession de solos. 

 

Allison de GROOT & Tatiana HARGREAVES 

"Hurricane Clarice" 

Hurricane Clarice est le second disque en duo de la banjoïste clawhammer Allison de Groot et de la violoniste Tatiana Hargreaves. On ne peut pas dire qu’elles caressent l’auditeur dans le sens du poil en choisissant pour premier titre The Banks Of Miramishi, une chanson traditionnelle canadienne (Allison est Canadienne) toute en dissonances avec un fiddle qui a les modulations d’un sitar. L’ensemble de l’album est cependant beaucoup moins âpre avec des instrumentaux rapides, énergiques comme le traditionnel Nancy Blevins, le joyeux Dead And Gone, interprétés de façon inventive et virtuose par les deux jeunes musiciennes. Tatiana joue souvent sur un violon à 5 cordes qui lui permet d’aller chercher des notes graves inhabituelles dans les airs old time. Le jeu à la fois rythmique et mélodique des deux musiciennes fait penser qu’elles sont quatre dans Brushy Fork On John’s Creek. Tout en respectant l’esprit old time, leurs compositions instrumentales sont plus sophistiquées, plus ambitieuses, tels Wellington (signée Allison) et surtout Hurricane Clarice de Tatiana, mélodique et délicate. Côté chansons, la voix de Tatiana est complètement dans la tradition appalachienne (alors qu’elle est originaire de l’Oregon). Il faut sans doute déjà être déjà bien imprégné de culture old time pour apprécier sa voix dans Each Season Changes You de Roy Acuff ou les harmonies serrées de The Road That’s Walked By Fools. Par contre, l’harmonie vocale d’Allison inventive, souvent surprenante et toujours juste dans I Would Not Live Always est tout à fait charmante. Elle m’évoque le groupe de folk flamand Laïs (qu’Allison ne connaît certainement pas malgré son patronyme d’origine belge ou hollandaise). Les deux musiciennes devraient travailler d’autres chansons dans ce style si elles veulent toucher un public plus large que les amateurs purs et durs de musique old time. Pas certain que ce soit leur but.

 

 Joe TROOP 

"Borrowed Time" 

Joe Troop s’est fait connaître comme chanteur et fiddler du groupe bluegrass Che Appalache (Le Cri du Coyote 164) qu’il a formé avec des musiciens argentins et mexicain et avec lequel il joue un ensemble de musiques métissées (le groupe est basé à Buenos Aires). De retour aux États-Unis pour cause de Covid, Joe Troop a composé et enregistré douze titres qu’il accompagne essentiellement au banjo dans son premier album solo, Borrowed Time. Il est capable de jouer du bluegrass classique (Love Along The Way) mais son jeu est souvent original, fréquemment inspiré du jazz (la chanson en espagnol Monte Oscuro, l’instrumental jazz-ragtime Django’s Palace joué en duo avec le bassiste They Boudreaux, son principal partenaire sur l’album). Borrowed Time est aussi varié que les disques de Che Appalache. Heaven On Earth est très influencé par la musique sud-américaine. Sevilla est un instrumental d’inspiration flamenco qui aurait pu être écrit par Béla Fleck et n’aurait pas déparé sur l’album Alegria du groupe espagnol Flamengrass (cf. Bluegrass & C° mars 2022). Joe joue de la guitare fingerpicking sur Red, White & Blues. Langues anglaise et espagnole sont parfois présentes dans la même chanson. Joe Troop est un artiste original jusque dans ses textes, avec des revendications environnementales et sociales marquées. Une chanson comme Horizon fait immanquablement penser à Pete Seeger. Joe parle d’injustice (The Rise of Dreama Caldwell, tiré d’une histoire vraie) et surtout d’immigration (le joli Hermano Migrante avec accordéon, Mercy For Migrants chanté en duo avec Abigail Washburn et accompagné par Béla Fleck au banjo – Joe est au fiddle sur ce titre). Pour ne rien gâcher, Joe Troop est un très bon interprète. Prisoniero, accompagné par la basse, des percussions et un jeu de banjo très original est magnifique. Tim O’Brien imprime toute sa personnalité en harmonie vocale sur le refrain de Love Along The Way (il est présent sur deux autres titres). L’originalité, les multiples talents et la sensibilité de Joe Troop font de Borrowed Time un très bel album.

 

Jaelee ROBERTS 

"Something You Didn’t Count On" 

Jaelee Roberts n’a que 20 ans et elle a remplacé en tant que chanteuse et guitariste Dale Ann Bradley dans le groupe Sister Sadie. Pas une mince affaire quand on sait que Sister Sadie a été élu 2 fois groupe vocal de l’année par IBMA et que Dale Ann elle-même a été sacrée 5 fois chanteuse de l’année. Les complotistes du milieu bluegrass (il y en a sûrement) vous diront que c’est parce qu’elle et la fille de Danny Roberts (mandoliniste des Grascals) et d’Andrea Roberts qui dirige une agence d’artistes bluegrass et fut il y a 30 ans membre de Petticoat Junction aux côtés de Gena Britt, la banjoïste de Sister Sadie. Il suffit d’écouter Something You Didn’t Count On, le premier album de Jaelee, pour comprendre qu’elle possède tout le talent nécessaire pour réussir avec Sister Sadie comme en solo. C’est une excellente chanteuse, au timbre plutôt neutre. Sa jolie voix peut faire penser à Amanda Smith sur les titres les plus doux (November, le gospel I Owe Him Everything) et à Cia Cherryholmes sur des chansons plus dynamiques (The Best Of Me). Elle a coécrit cinq des douze chansons, avec des partenaires aussi prestigieux que Molly Tuttle, Jerry Salley et Jon Weisberger. Parmi les reprises figurent Landslide de Fleetwood Mac dans une version proche de celle des Dixie Chicks. Jaelee y a Vince Gill pour partenaire vocal. Original ou repris, le répertoire est de bonne qualité. Jaelee est très bien accompagnée. Son producteur, Tim Surrett (Balsam Range) est à la contrebasse et au dobro sur trois titres. Les autres musiciens sont Kristin Scott Benson, banjoïste des Grascals, Alan Bibey, mandoliniste de Grasstowne, Jimmy Mattingly qui fut le premier fiddler des Grascals mais fait surtout carrière auprès de vedettes country, et Tony Wray, moins connu (il joue dans le groupe Blue Mafia) mais excellent guitariste. Les harmonies vocales sont aussi superbes. Jaelee double sa voix sur quatre chansons. Sur les autres, on trouve Kenny et Amanda Smith ou Paul et Kelsi Harrigill (ex-Flatt Lonesome). La musique de Jaelee Roberts est ce qu’on appelle du bluegrass contemporain, du bluegrass classique avec des sonorités modernes. Le picking de banjo est presque toujours en avant, même dans les ballades (Lie To Me, The Beginning Was The End), ce qui est plutôt rare chez les chanteuses bluegrass. La rythmique de Think Again est plus sophistiquée. Les musiciens se montrent inventifs dans leurs courtes interventions et finissent par se lâcher à la fin de la reprise de Luxury Liner (Gram Parsons) qui clôt cet excellent premier album. 

 

Cheryl CAWOOD 

"Bullet In The Cabin Wall"  

La langue anglaise qui aime la concision traduit auteur-compositeur-interprète par singer songwriter. Dans le cas de Cheryl Cawood, il est un terme encore plus court et approprié: storyteller. Chacune de ses chansons raconte une histoire. De famille surtout, de guerre du whisky, d’injustice, d’exode rural aussi. Il livre beaucoup d’histoire personnelle ou familiale (Daddy’s Home Town) dans ces chansons qui ont pour décor un coin perdu du Kentucky "a hundred miles from the sound of any train". L’interprétation de Cheryl Cawood touche par sa sincérité, son authenticité. Sa diction, son phrasé rendent très compréhensibles tous les textes (le prérequis est quand même de comprendre l’anglais). Son producteur Jack Saunders joue de presque tous les instruments (mandoline, guitares, banjo, basse) sauf le fiddle (Eleanor Whitmore). Il a recours épisodiquement à un batteur et un pianiste. Les arrangements sont proches du bluegrass et du old time (ça coule de source quand on chante le Kentucky). Quatre titres ont un traitement plus country. Bullet In The Cabin Wall et Ballad Of Spade Cooley sont les plus belles chansons du disque. Parmi les deux reprises, j’aime beaucoup l’arrangement de L & N Don’t Stop Here Anymore avec ses percussions et son banjo entêtant. Cheryl Cawood y montre un réel talent d’interprète.

mardi 26 juillet 2022

Avenue Country par Jacques Dufour

 

James DARDEN 

"360° Series" 

James Darden n’aura jamais son nom en tête d’affiche d’un festival. Il ne classera aucune des ses chansons dans les charts. Il n’a pas non plus le vocal d’Alan Jackson ou Josh Turner. James Darden est un besogneux de la country, un gregario, comme il en existe des milliers à travers les Etats-Unis et le Canada. Un chanteur honnête de country music qui propose des chansons simples et intemporelles qu’il interprète dans les bars et honky tonks autour de chez lui. En l’occurrence l’Alabama. C’est grâce à des chanteurs comme James Darden que la country music classique demeure la musique de base de l’Amérique profonde.

 

Jessica WILLIS FISHER 

"Brand New Day" 

Excellente découverte. Cette chanteuse possède une voix des plus séduisantes. Je ne saurais cependant vous définir précisément son style de musique: entre country, folk, alternatif et new-country. Bref, americana. Si j’osais la comparaison je dirais qu’elle est assez proche d’Allison Krauss. Mais peu importe, ce qui prime c’est le vocal de cette artiste qui capte notre attention. Beaucoup de douceur, certes, mais ce qui ne veut pas dire un album de berceuses. Les ballades acoustiques alternent avec des chansons au tempo plus relevé. Je vous conseille de découvrir cette artiste qui nous offre un premier album solo prometteur après avoir fait ses classes auprès de ses frères et sœurs au sein du Willis Clan. Jessica s’accompagne au fiddle. 

 

David STEWART 

"Still Got Some Cowboy In Me" 

Cet album est intéressant pour diverses raisons. Il est l’œuvre d’un vétéran qui a commencé sa carrière musicale dans les années 70, marqué par l’ambiance qui régnait dans la taverne/dancing que possédaient ses parents en Floride. Après un très bref séjour à Nashville, Stewart se fixe avec son épouse dans le Wyoming en 1977 et se rendent acquéreurs d’un hôtel historique dans lequel il se produit toujours. Entre temps David compose des chansons pour Eddy Raven. Les dix titres de Still Got Some Cowboy In Me sont bien variés et offrent la particularité de présenter des instruments typiquement bluegrass avec fiddle, mandoline et pas mal de banjo pour accompagner des chansons plutôt de style country. On entend beaucoup de dobro et parfois la pedal steel guitare, mais pratiquement jamais le son de la guitare acoustique ou électrique. Étrange, isn’t it? Un album bien agréable.

 

Jason ALDEAN 

"Georgia" 

Je voulais juger cet album de Jason Aldean en toute objectivité. En effet je n’avais jamais considéré que la musique de ce chanteur à succès pouvait être cataloguée comme étant de la country music. En tout cas elle ne cadre pas avec celle qui est interprétée par Alan Jackson, George Strait ou Mark Chesnutt. Si vous avez les mêmes valeurs on se comprend. Mais on ne sait jamais… D’autres et non des moindres ont prouvé qu’ils connaissaient leurs classiques. Et bien pour Aldean c’est raté. Il aurait fallu sous-titrer cet album "recette miracle pour insomniaques". Je défie quiconque de ne pas fermer les paupières avant l’écoute de la dixième ballade consécutive. Ballades sans aucun accompagnement country et chantées sans conviction. Cinq titres live ont été rajoutés. Le premier est du heavy metal (!!) et les quatre autres… des ballades. Un album à éviter comme un pavé au milieu de la route. 

 

 Thomas RHETT 

"Where We Started" 

Thomas Rhett est le fils de Rhett Akins, un artiste country originaire de Georgie qui s’est illustré dans la seconde partie des années 90 en classant une douzaine de chansons au Billboard et en décrochant un n°1 en 1996. Rhett, qui n’enregistre plus, a passé le relais à son fils qui a réussi en très peu de temps a dépassé son géniteur sur le plan du succès commercial en caracolant en tête des ventes d’albums, mais dans un style fort éloigné des néo-traditionalistes. Et fort éloigné de la country tout court. Je m’apprêtais à faire un bref survol du nouvel album de ce prince du nashpop en concluant qu’il avait atterri à tort au siège du Cri. Eh bien, en toute objectivité, j’ai été agréablement surpris. En fait, la première chanson n’étant pas désagréable je me suis pris au jeu de l’écoute des quatorze autres titres. Bon, Rhett Akins n’est ni Randy Travis ni Alan Jackson. Son vocal est agréable mais comme beaucoup d’autres je dirais. L’amateur de country classique ne trouveras pas matière à se sustenter mais on sortira du lot une petite demi-douzaine de chansons que l’on qualifiera de country moderne pas désagréable à l’oreille. Et j’ai même ouï le son d’une pedal steel guitare!

 

Louise RIEFFER 

"Demonymic Eculturation" 

Cette chanteuse a de l’énergie à revendre. Elle privilégie les titres rapides et même tendance rock. Nettement plus proche de Gretchen Wilson que d’Alison Krauss. Les seules exceptions étant une chanson acoustique et tendre, une ballade et la valse lente qui referme l’album. Deux morceaux sont résolument rock et éloignés de la country. Les rapides Love A Cowboy et Pocket Aces sont excellents avec fiddle et pedal steel guitare mais le meilleur pour mon goût personnel est une splendide reprise dynamique de Cocaine Blues de Johnny Cash. Pour un premier album c’est bluffant. Louise Rieffer est originaire de la ville de De Soto, au sud de St Louis, et qui a donné son nom à une marque automobile vénérée des collectionneurs. Elle y vit toujours avec son mari et ses enfants après avoir été institutrice durant une douzaine d’années. Elle a enfin trouvé sa voie… 

 

  The HAWTTHORNS 

"Tarot Cards And Shooting Stars" 

Ce groupe au vocal féminin me rappelle une formation fort populaire il y a quelques décades, les Carpenters. L’équivalent américain d’Abba en Europe. On est plus proche d’une variété mélodieuse que de la country ou même de l’americana. Si vous êtes nostalgiques des Mamas and Papas, essayez les HawtThorns. On est dans la même connotation musicale, et la pochette de l’album est fort réussie.

mercredi 13 juillet 2022

L'art selon Romain (Decoret)

 

Marcus KING 

"Young Blood" (American Recordings) 

Né en 1996 à Greenville, North Carolina, Marcus King représente le lien entre le Southern rock des Allman Brothers et le metal. Il aurait pu n’être qu’un enfant prodige mais, sur les conseils de son père et de son grand père eux mêmes guitaristes, il prit des leçons auprès de Steve Watson du Greenville Fine Art Center avant de recevoir des conseils de B.B. King et de Warren Haynes. Son premier album -Soul Insight- sortit en 2015 sur le label de Haynes et lança sa carrière. Son jeu de guitare progressant de manière quantique, Dan Auerbach produisit en 2019 son second album solo, Eldorado. Pas sans quelques cahots: interviewant Warren Haynes en 2020, il me fut conseillé de ne pas prononcer le nom de Marcus King. D’ailleurs son premier album solo avec Haynes a presque disparu du sonar sur les banques de données. Le nouveau disque solo de Marcus King est résolument un trait d’union entre le 70’s rock sudiste et le son du 21ème siècle. Metal-funk avec Lie Lie Lie, hard-rock sudiste sur Blood On The Tracks, blues dans Hard Working Man et Blues Worse Than I Ever Had avec juste les vocaux et une piste de slide électrique. Marcus King après le festival Cognac Blues Passion, jouera à Paris fin novembre. (Romain Decoret)

 

Tami NEILSON 

"Kingmaker" (Outside Music) 

Tami Neilson est une diva country comme il y en a peu. Née à Toronto dans une famille musicale elle a appris le métier en tournant avec ses frères dans le circuit country, des auditoriums de Branson, Missouri, à Nashville et en Caroline, Virginie et Kentucky. Pour échapper au COVID, Tami s’installa en Nouvelle Zélande et sortit le disque Sassafrass! où elle abordait le style de Screaming Jay Hawkins. Aujourd’hui, c’est à Auckland qu’elle a enregistré son nouvel album, beaucoup plus country et garage. Sa voix est exceptionnellement pure et claire sur Kingmaker ou Baby You’re a Gun, mais tout aussi capable de sonner dirty dans Careless Woman. Elle fait partie d’une sororité (pas sonorité) à l’atmosphère raréfiée qui comprendrait Dolly Parton et toutes ces filles qui font dire aux hommes "elles sont toutes de mèche!". Cela dit, Dolly Parton ne pourrait pas enregistrer King Of Country Music, qui réunit des percussions maoris et une guitare avec space-écho sur la voix de Tami Neilson. Elle écrit ses propres chansons et dirige les séances. C’est incroyable ce qu’elle peut faire avec des arrangements simplifiés: un riff de basse, une guitare en phasing, quelques power-chords et sa voix. Et dans l’intro de Beyond The Stars, on reconnait distinctement Trigger, la guitare electro-acoustique de Willie Nelson, avant même qu’il ne chante le couplet qui lui est attribué. (Romain Decoret)

 

GA-20 

"Crackdown" (Colemine/ Karma Chief Records/ Modulor) 

Pour son 3ème disque, le trio de Matt Stubbs, Pat Faherty et Tim Carman prend une orientation haute énergie plutôt que blues comme sur leur album précédent, l’excellent Try It You Might Like It sur lequel ils couvraient le répertoire de l’explosif Hound Dog Taylor. "Nous faisons les disques que nous aimerions écouter" disent ils. Ils le font avec le materiel vintage requis: le GA-20, d’où ils ont tiré leur nom, est un Gibson , un petit ampli combo funky de 1959 utilisé par Bo Diddley, Earl Hooker ou les Trashmen. Garage donc, avec les deux versions de Fair Weather Friend. On reconnaitra dans Easy On The Eyes le riff de James Burton dans Suzy Q de Dale Hawkins. Ensuite on reste en Louisiane avec Dry Run et le méconnu Just Because écrit par Lloyd Price et repris par Larry Williams en 58 et (gasp!) John Lennon sur son album Rock’n’Roll de 75. Mais oubliez ces références qui n’ont plus grand chose à voir avec GA-20 pour qui l’important est de monter le volume à 12 (sur un combo de 20 watt!), d’enclencher le phasing en laissant cruncher le feedback naturel et de revisiter ces titres qu’is ont (re) découverts. (Romain Decoret

 

Matty T. WALL 

"Live Down Underground" (Froszak Promo Records) 

La scène australienne a toujours été différente du reste du monde, que ce soit avec les Easybeats émigrés à Londres ou avec leurs neveux d’AC/DC. Dans le domaine du blues-rock, Dave "The Plumber" Hole a longtemps représenté le meilleur dans ce domaine. Avec l’arrivée de Matty T. Wall, le jeu est changé. Avec sa virtuosité il n’essaye pas d’imiter le son caractéristique du trio blues-rock, il le redéfinit en compagnie du batteur Ric (pas de k) Whittle et du bassiste Leigh Miller. Versé aussi bien dans le jazz de Sophia’s Strut, le slide avec Slideride et la suramplification de Scorcher ou Broken Heart Tattoo, Matty Wall est addictivement électrique. Apprécié par Walter Trout et Eric Gales, il en est déjà à son troisième album n°1 consécutif dans les charts australiennes. Cet enregistrement live a été capté au Lyric Underground de Perth, sur la côte Ouest du continent australien. (Romain Decoret

 

David GASTINE 

"From Either Side" (Label Ouest) 

L’idée est naturelle et aurait du être déjà réalisée tant elle est évidente: la fusion entre le gypsy-jazz et la country-music. Les deux côtés comme le décrit le titre du disque. Côté Django, c’est David Gastine qui a joué sur la scène du Carnegie Hall avec Stochelo Rosenberg et Al DiMeola, accompagné ici par son partenaire Samy Daussat. Côté country-blues, c’est Vincent Bucher, un grand harmoniciste français. Le répertoire est centré sur Johnny Cash avec I Walk The Line, Folsom Prison Blues et le traditionnel (Ghost) Riders In The Sky. Pour remonter à Django Reinhardt, il y a la fusion originale du great American songbook avec le gypsy-jazz de I’ll See You In My Dreams. Il est d’ailleurs dommage que personne au Label Ouest n’ait pensé à cette autre fusion qui est celle de Django avec les premiers guitaristes de western-swing comme Herman Arnspiger des Texas Playboys de Bob Wills. dans les années 30. Il y a là une belle œuvre qui attend. David Gastine va tourner cet été, ne le manquez pas. (Romain Decoret)

mercredi 6 juillet 2022

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Molly TUTTLE & GOLDEN HIGHWAY 

"Crooked Tree" 

Après Rise en 2018 (Le Cri du Coyote 156), un premier EP où elle jouait un bluegrass moderne largement ouvert à d’autres cultures musicales, Molly Tuttle avait enregistré deux disques sans rapport aucun avec le bluegrass qui avaient fait craindre qu’elle délaisse désormais le genre musical qui l’a fait connaître (au sein du groupe familial The Tuttles) et consacrée (élue guitariste de l’année par IBMA en 2017 et 2018). Les précédents de ces surdoués qui se sont tournés vers d’autres musiques après des débuts triomphants dans le bluegrass sont nombreux: Mark O’Connor, Béla Fleck, Tony Furtado, Sarah Jarosz, Sara WatkinsDavid Grisman et Marty Stuart si on veut remonter plus loin. Au grand bonheur des amateurs de bluegrass, Molly ne suit pas cette voie et revient à ses premières amours avec l’album Crooked Tree. Elle a coécrit toutes les chansons, la plupart avec Ketch Sekor (Old Crow Medicine Show), quatre avec Melody Walker et les deux dernières avec Becky Buller et Mark Simos. J’ai été surpris par la simplicité de plusieurs compositions aux structures et mélodies très classiques alors que Molly a montré ces dernières années des aspirations (et une inspiration) modernes. Parmi les titres écrits avec Sekor, Flatland Girl, Over The Line et Nashville Mess Around – tous des tempos rapides – ont une mélodie on ne peut plus standard. Molly les chante bien, même si ce bluegrass classique convient mieux à des chanteuses comme Rhonda Vincent ou Tina Adair. La valse San Francisco Blues est tout aussi simple mais le duo vocal avec Dan Tyminski fonctionne bien. Goodbye Girl, caractéristique du style enthousiaste de Becky Buller, et qui a une mélodie également assez basique, va bien à la voix de Molly. Big Backyard est un titre joyeux accompagné par Old Crow Medicine Show. Crooked Tree, tout en douceur, et Castilleja (avec de jolis couplets) sont plus sophistiqués. L’approche vocale et l’accompagnement de guitare dans She’ll Change sont dans le style de Tony Rice. Dooley’s Farm est un blues lugubre chanté en duo avec Billy Strings, bien arrangé autour de la guitare de Molly. C’est une bonne chanson qui irait également très bien au duo Robert Plant - Alison Krauss. Les deux chansons que j’ai préférées ont été écrites avec Melody Walker. Dans The River Knows, Molly joue de la guitare dans son style inspiré du clawhammer qui donne à ce titre un air de famille avec Little Sadie et Shady Grove. Enfin, la complicité de Molly et Gillian Welch transpire dans les chants de Side Saddle, hymne féministe enthousiaste et réjouissant. Si le répertoire manque parfois d’originalité, il n’y a rien à redire quant aux performances instrumentales, toutes brillantes. La guitare de Molly est partout et ravira les amateurs de flatpicking bluegrass. De son groupe, Golden Highway, seul Dominic Leslie (mandoline) est largement présent sur l’album. Les autres principaux partenaires de Molly sont Jerry Douglas (dobro) qui coproduit l’album avec elle, Jason Carter et Christian Sedelmyer (fiddle), Mike Bub (contrebasse) et Ron Block (banjo), tous excellents.

 

The INFAMOUS STRINGDUSTERS 

"Toward The Fray" 

La pandémie semble avoir massivement incité les artistes bluegrass à nourrir leurs chansons de préoccupations environnementales, sociales, existentielles ou politiques, eux qui se sont souvent contentés de parler d’amour, de famille, de trains et de meurtres au bord de la rivière. Rien qu’à la pochette de leur douzième album, Toward The Fray (une petite fille portant un masque à gaz et tenant son ours en peluche dans un décor post apocalyptique), on peut deviner que c’est aussi le cas des Infamous Stringdusters, ce que confirment les textes de Means To An End, Til I’m Satisfied ou I’m Not Alone. Quant à la chanson Toward The Fray, elle est ouvertement inspirée par la mort de George Floyd qui a donné naissance au mouvement Black Lives Matter. Pour le reste, Toward The Fray est un album typique des Infamous Stringdusters, avec leurs qualités et leurs défauts. Côté qualités, l’excellence instrumentale d'Andy Hall (dobro), Jeremy Garrett (fiddle), Andy Falco (guitare) et Chris Pandolfi (banjo) et des arrangements modernes, travaillés avec une belle recherche sur la complémentarité des instruments. Le principal défaut du groupe reste les chants. Non que Hall, Falco, Garrett et Travis Book (contrebassa) soient de mauvais chanteurs mais ils ne sont pas au niveau de leur talent de musiciens. Plusieurs chansons ont un couplet bluegrass assez classique et un refrain newgrass. Hall et Garrett manquent de puissance (ou de technique vocale) sur les refrains. C’est sur I Didn’t Know que Garrett est le meilleur, peut-être parce que le titre est soutenu par une batterie. La voix douce de Travis Book est sans doute la plus plaisante parmi les Stringdusters. Elle convient surtout à des ballades comme I’m Not Alone ou How Do You Know qui ne constituent pas l’essentiel du répertoire du groupe. Sans partie chantée, l’instrumental Revolution est évidemment une réussite. Means To An End et Pearl Of Carolina font également partie des bons titres de Toward The Fray

 

 YONDER MOUNTAIN STRING BAND

"Get Yourself Outside"  

Yonder Mountain String Band a un nouveau mandoliniste, Nick Piccininni, et il est tout aussi excellent que ses prédécesseurs, Jeff Austin et Jacob Joliff, comme en témoignent son instrumental Out Of The Pan, son intro sur I Just Can’t et ses nombreux solos sur les onze titres de Get Yourself Outside. C’est sans doute aujourd’hui le musicien du groupe qui le tire le plus vers le newgrass. Comme de nombreux jam bands, YMSB a des influences rock/newgrass mais, dans ses albums studio, il conserve une base marquée par le bluegrass classique de ses débuts. Il y a même deux folkgrass. If Only, chanté par le guitariste Adam Aijala, est dynamisé par le duo de fiddles de Piccininni et Allie Kral. No Leg Left, interprété par Piccininni est intime mais intense avec encore une jolie prestation de Allie Kral. Comme dans beaucoup d’autres titres, les harmonies vocales (Aijala, Kaufman et Piccininni) sont très réussies. Parmi les meilleures chansons de l’album, la valse blues Small House repose sur un motif de guitare répétitif. Elle doit aussi beaucoup au talent de Nick Piccininni qui la chante et l’accompagne au dobro. Mon titre préféré est Broken Records du contrebassiste Ben Kaufmann. C’est un morceau à part dans l’album par son rythme chaloupé, le phrasé et la voix de Kaufman, Broken Records ressemble à un tube oublié de Steely Dan – ce qui nous emmène bien loin du bluegrass et même du newgrass. Il faut aussi citer le newgrass rapide Into The Fire avec encore un bon duo vocal de Aijala et Piccininni et Change Of Heart, joliment interprété par Allie Kral. Deux chansons par le banjoïste Dave Johnston et un semi-newgrass de Piccininni m’ont moins intéressé, question de voix ou d’écriture, mais partout, les cinq musiciens sont remarquables. Si vous ne connaissez pas encore cette formation créée en 1998, Get Yourself Outside est une bonne porte d’entrée pour découvrir Yonder Mountain String Band.

Aoife O'DONOVAN

"Age Of Apathy" 

Elle n’a pas la voix la plus puissante, elle n’atteint pas des tessitures stratosphériques, elle n’a pas un timbre naturellement émouvant mais Aoife O’Donovan est une chanteuse extraordinaire. Elle passe avec la même justesse, avec la même perfection du murmure, de la confidence à l’aigu le plus limpide. Elle sait tout faire. L’émotion transpire à chaque note. Ce talent, je l’avais jusqu’à présent beaucoup plus apprécié par les groupes dont Aoife a été membre (Crooked Still, I’m With Her) et ses nombreuses collaborations à divers projets que dans ses propres albums. Age Of Apathy me semble plus réussi que ses disques précédents. Aoife a composé les onze chansons. On reste dans l’univers folk moderne de ses précédents albums (Aoife a écrit Age Of Apathy avec Joni Mitchell – deux autres titres avec Tim O’Brien et son producteur Joe Henry). Les claviers et les guitares dominent les arrangements. Parmi les chansons les plus réussies, Sister Starling, Phoenix, et à moindre titre Lucky Star m'évoquent Shawn Colvin (et particulièrement l’album A Few Small Repairs). Dans Elevators, on sent aussi l’influence de Sarah Jarosz. J’aime beaucoup Passengers, titre le plus pop et sans doute le plus « grand public » avec ses guitares électriques. Gallahad, B 61 et Town Of Mercy sont d’autres chansons qui vous feront irrémédiablement tomber sous le charme de la voix d’Aoife O’Donovan.

 

EDGAR LOUDERMILK BAND 

"The Dark Side Of Lonesome" 

Edgar Loudermilk s’est fait connaître comme songwriter et contrebassiste de plusieurs groupes importants, notamment IIIrd Tyme Out de 2006 à 2013. Il a en parallèle enregistré plusieurs albums solo et finalement formé son propre groupe en 2015. The Dark Side Of Lonesome est le second disque de cette formation. Edgar Loudermilk Band joue un bon bluegrass classique. Zack Autry (mandoline – fils de Jeff Autry qui fut un temps guitariste du groupe) et Curtis Bumgarner (banjo) sont de bons musiciens et se mettent fréquemment en évidence, notamment sur For The Likes Of You, un des titres écrits par Loudermilk, et le classique John Henry. Ils reçoivent sur certaines chansons le renfort de Michael Cleveland ou Hunter Berry (fiddle) et Jeff Partin (dobro). Le répertoire associe compositions de Loudermilk et Zack Autry et reprises. I Hope She Sings et I’ll Put The Blame On You sont les titres les plus remarquables. I’m Going Home et Lost Cause Loving You semblent sortir tout droit des fifties. Pas mal de qualités donc, mais l’appréciation de cet album dépend surtout de celle que vous aurez de la voix d’Edgar Loudermilk. Il a un timbre dur, une voix un peu étranglée qui passe plus ou moins bien selon les chansons. Personnellement, j’ai un peu de mal avec ce type de voix. Elle convient mieux à un blues comme For The Likes Of You qu’à Movin’ Train, pourtant choisi pour ouvrir l’album. Ma chanson préférée du disque est d’ailleurs The Queen Of Laramie, une composition de Tim Stafford et Zack Autry, et c’est un des deux titres qu’interprète ce dernier sur l’album.

samedi 2 juillet 2022

Du côté de Chez Sam par Sam Pierre

 

 Rod PICOTT 

"Paper Hearts and Broken Arrows" 

Cela fait un peu plus de vingt ans que Rod Picott nous délivre des disques dont chacun donne l'impression qu'il est meilleur que le précédent. Paper Hearts and Broken Arrows ne fait pas exception à la règle. Il prend même une dimension supplémentaire, deux anx après la disparition de Dave Olney, que Rod admirait, se posant comme un de ses meilleurs héritiers. Le sens le la mélodie, les textes intelligents qui donnent à réfléchir, sans jamais négliger l'émotion, et même la voix, tout cela rapproche les deux hommes. J'y ajouterai une touche supplémentaire quant à l'attitude des deux vis à vis de la création artistique. Rod, comme Dave, fait venir ceux qui l'écoutent à lui, tout doucement, sans se compromettre, sans concession. Il s'est ainsi constitué une base de supporters qui le suivent dans toutes ses évolutions, participant avec confiance au financement de chaque projet, aussitôt qu'il est annoncé. Dès Lover, le premier titre, on est accroché par ces mots qui s'insinuent, "I'm so tired of flying alone", et cela continue avec le plus rythmé Revenuer puis Mona Lisa ("You're not the Mona Lisa, I'm not your James Dean") avant de croiser le hors-la-loi Frankie Lee ou le boxeur Sonny Liston. Lost In The South et Mark Of Your Father sont d'autres moment forts d'un disque parfait de bout en bout. Les valeurs talent et travail des artistes ne sont pas reconnues par nos dirigeants politiques car les saltimbanques, non-essentiels, ne produisent que du bonheur et de l'émotion. À moins de dormir avec son attaché-case et son costume 3 pièces, branché en permanence sur l'évolution du Dow Jones, on ne peut qu'être touché par Rod Picott, ses mélodies, sa guitare et sa voix, le tout parfaitement mis valeur par la production de Neilson Hubbard, entouré de quelques musiciens dont l'excellent Juan Solodzano à la pedal steel et à la guitare slide. 

 

Ian NOE 

"River Fools & Mountain Saints" 

Ian NOE fait partie de ces jeunes songwriters qui constituent une relève plus que crédible de leurs glorieux ainés. Originaire du Kentucky, plus précisément de Beattysville, triste ville conservatrice, il a égayé sa jeunesse en écoutant Neil Young, Bob Dylan ou John Prine. À 17 ans, en 2007 il gagne le grand prix de l'Appalachian Starsearch à Hazard, Kentucky avec sa composition originale Don't Let The Morning Bring Ya Down. Ce n'est pourtant qu'en 2019 qu'il publiera son premier album, Between The Country, qui lui vaudra un début de reconnaissance internationale. Premier album? Pas tout à fait car Ian avait enregistré dix de ses compositions pour un album sans titre où il sonnait, vocalement surtout, comme un jeune Neil Young. Avec River Fools & Mountain Saints, Ian s'affirme comme un réel talent, capable de peindre des portraits tels que River Fool, Tom Barrett ou Mountain Saint, de nous tirer une larme avec l'émouvant Ballad Of A Retired Man mais aussi de nous faire réfléchir avec l'épique Appalachia Haze. Entre folk (comme la ballade One More Night avec la steel guitar de Steve Daly et le French Horn de Jennifer Kummer) et rock, avec certains titres qui révèlent ses origines appalachiennes et d'autres dominés par un orgue ou un piano, Ian Noe nous propose un disque aux ambiances variées, s'éloignant de ses références (même si l'on pense encore parfois à Neil Young) pour tracer tout doucement son propre sillon. Les douze compositions de l'album sont de la plume de Ian Noe, la dernière, Road May Flood étant enchaînée avec une reprise de It's A Heartache

 

Chuck BRODSKY 

"Gravity, Wings, And Heavy Things" 

Chuck Brodsky est un de ces artistes pour lesquels j'ai une affection particulière, dans la lignée de John Prine, Paul Siebel ou Sammy Walker. C'est de ce dernier qu'il se rapproche le plus, par son sens de la mélodie, son jeu de guitare et, surtout, son timbre de voix. Gravity, Wings, And Heavy Things est le genre de disque qui me donne le sourire dès la première note, dès les premier mots: "Juste un simple chanson / À propos d'une paire d'ailes / À propos de la gravité / Et de son effet sur les choses" (It Takes Two Wings). Originaire de Philadelphie où il est né au début des années 60, Chuck vit désormais à Asheville, Caroline du Nord, une des scènes les plus riches des musique acoustiques actuelles. Pour son treizième album, l'homme a fait dans la sobriété avec en plus de sa voix et de sa guitare, deux de ses accompagnateurs favoris, Chris Rosser et Doug Pettibone. Le premier joue toutes sortes de claviers et d'intruments à cordes, y compris une guitare électrique sur le morceau le plus rock du disque, Bully Jim. Le second intervient sur la moitié des titres avec sa pedal steel et ou sa Weissenborn slide guitar. Cette dernière donne un couleur inimitable à mon titre préféré du disque, That's How I Changed His Mind. Je citerai aussi Cup Of Coffee ou encore The Country Needed Baseball. L'homme est un grand fan de ce sport et a publié en 2002 et 2013 The Baseball Ballads et The Baseball Ballads 2: "Le pays avait besoin de baseball / Les garçons étaient au-delà des mers / Se battant contre les Allemands / Et les Japonais". Chuck continue entre légèreté et gravité, à l'image du titre de l'album qui se conclut par une deuxième version de It Takes Two Wings où la voix de Chuck est seulement accompagnée du piano de Chris, conférant à cette chanson légère en apparence un côté plus grave que la première version.

 

The SLOCAN RAMBLERS 

"Up The Hill And Through The Fog" 

Ce trio canadien de Toronto est composé de Darryl Poulsen (guitare et voix), Adrian Gross (mandoline, mandole et voix) et Frank Evans (banjo et voix). Avec Charles James (basse et voix) il nous propose un album, leur quatrième, sur lequel on pourrait apposer l'étiquette de bluegrass progressif. Quatre compositions sont de Frank, deux de Darryl et cinq d'Adrian. Une seule reprise, A Mind With A Heart Of Its Own de Tom Petty complète parfaitement l'ensemble. Les instrumentaux (Snow Owl, Platform Four, Harefoot's Retreat) aux arrangements travaillés cohabitent parfaitement avec des titres plus classiques comme Won't You Come Back Home, Streetcar Lullabye ou The River Roaming Song. Les voix sont excellentes et les harmonies accentuent l'aspect moderne du groupe. Le disque a été conçu au plus fort de la pandémie, les membres ont perdu des proches: Darryl son frère et Adrian son père. You Said Goodbye (composition de Darryl) témoigne de l'attitude du groupe qui parvient à traiter un sujet grave en apposant un rythme joyeux sur des textes qui vous tirent des larmes. S'il fallait résumer le disque (et donc qualifier le groupe), j'utiliserais deux mots: talentueux et inventif. En tout cas, il s'agit pour moi d'une belle découverte.  


The LUCKY ONES 

"Slow Dance, Square Dance, Barn Dance"  

Eux aussi viennent du Canada, mais du Yukon. J'avais été séduit par leur premier album (sans titre) paru en 2021 et grande fut ma surprise de voir son successeur arriver si vite. Ian Smith (guitare, harmonica, voix), JD McCallen (guitare et voix), Ryan James West (mandoline, guitare et voix), Kieran Poile (fiddle et voix) reçoivent le renfort d'Aaron P. Burnie (banjo), Hayley Warden (basse), Aki Jonasson (accordéon), Jeff Dineley (harmonies et basse), Michael C. Duguay (piano) et Jo Lane Dillman (harmonies). Inspiré par le bluegrass aussi bien que par le honky-tonk, mais surtout par la vie dans le grand nord, le groupe rend une copie qui serait parfaite si elle n'était pas si courte (neuf titres et moins de vingt-sept minutes). Goodbye Train (qui pourrait figurer sur Desperado de Eagles), Keno City Love Song (superbe ballade d'amour nostalgique) ou encore Kate And Dan (qui narre l'histoire tragique de deux fameux criminels) ne sont que trois exemples de ce que savent faire The Lucky Ones, dont la cohésion, aussi bien musicale que vocale, et la capacité à trousser en trois minutes des petites histoires habillées de superbes mélodies sont remarquables.