mercredi 28 décembre 2011

Le Cri du Coyote #126

Il est paru pour Noël !!!



Le Cri du Coyote va célébrer son quart de siècle d'existence en janvier 2012. Pas mal pour ce fanzine qui ne s'est jamais pris pour un grand et qui, sous la direction de Jacques Brémond, entend bien poursuivre encore longtemps, sans vendre son âme, avec, pour avancer, un seul carburant, la passion.

Ce numéro 126 marque pour moi le début d'une collaboration que j'espère longue et enrichissante. Quatre petites chroniques, après une présentation, dans le numéro précédent, de "Hymns From Home", le sampler du label Hemifrån de l'ami Peter Holmstedt.

Les nominés de ce mois-ci sont, par ordre d'apparition dans la rubrique "Disqu'Airs":


Eric Taylor "Live At The Red Shack" (Cri du Cœur)



Boca Chica "Get Out Of Sin City"



John Prine "The Singing Mailman Delivers"



Brian Ledford & Cadillac Desert "From Sunlight Into Shadow"



Et bien sûr, toutes les rubriques habituelles sont présentes, du rock 'n' roll au bluegrass, du blues au zydeco, de la country du Texas à celle de l'Australie... À signaler en particulier un dossier de Jacques Brémond sur Amber Digby et un de Bernard Boyat sur Jack Scott. Deux belles découvertes pour moi!

J'en vois qui sont déjà prêts à se ruer vers les kiosques. Calmez-vous, "Le Cri" n'est disponible que sur abonnement, et c'est ici:

Le Cri du Coyote
BP 48
26170 BUIS LES BARONNIES
France
cricoyote@orange.fr
L'adhésion est de 27,00 € pour la France, 30,00 € pour l'étranger et 32,00 € pour les bienfaiteurs (à ce tarif, pourquoi s'en priver).

vendredi 18 novembre 2011

John Shannon - American Mystic Music

John Shannon & Wings Of Sound: Songs of the Desert River
ObliqSound / Creek Valley Records OSD-CD-CV902 (distribution Naïve)


On éprouve toujours besoin de coller des étiquettes sur les artistes. Par exemple, Gram Parsons était catalogué comme un chanteur country, alors qu'il faisait de la Cosmic American Music (selon ses propres termes). John Shannon, lui, est souvent classé comme un artiste folk, on le compare parfois à Tim Buckley, Nick Drake ou John Martyn. J'ai envie que l'on oublie toutes ces références et que l'on considère simplement qu'il fait de l'American Mystic Music (du titre de son premier album, "American Mystic" paru en 2008). Bien sûr, si l'on me pousse un peu, je dirai qu'une comparaison avec Tim Buckley, dans ses moments, les plus apaisés ne me choque pas, mais je n'irai pas plus loin. Et puis John Shannon est vivant, et cela fait une sacrée différence!

J'ai reçu une copie promo de ce disque en juin, le jour où j'apprenais la disparition de Xroads pour lequel je devais le chroniquer. Je l'ai écouté, distraitement, et puis je l'ai un peu oublié. Quand j'ai appris qu'il sortait fin octobre en distribution française chez Naïve, je l'ai recherché au milieu de piles de disques dont je ne parlerai jamais, et l'ai réécouté, parce que j'avais donné ma parole d'en faire une chronique. Et j'ai repensé à un éditorial de Christophe Goffette qui comparait la mal-écoute (musicale) à la mal-bouffe. Trop, trop vite, et sans beaucoup d'attention, c'est ainsi que l'on écoute la musique aujourd'hui, des "trop" qui se résument en un "pas assez". Trop de quantité, pas assez de qualité.

C'est toujours une erreur. Avec John Shannon, cela devient une faute. Parce que l'on écoute pas John Shannon & Wings Of Sound distraitement. Ce n'est pas un disque qui viendra à vous si vous ne le désirez pas. Alors un conseil, faites le vide autour de vous, et le silence surtout. Mettez un casque, de préférence, montez le son, mais pas trop, et écoutez "Songs of the Desert River".

Wings Of Sound, c'est le groupe de scène de John. On y rencontre Caroline McMahon aux voix, Dan Brantigan au flügelhorn (en Français le bugle, à ne pas confondre avec le bugle des Anglais qui est notre clairon), Garth Stephenson à la basse acoustique et Ziv Ravitz à la batterie discrète.

"Songs of the Desert River", c'est onze compositions de John Shannon, onze chansons qu'il nous délivre d'une voix tout en retenue, créant un un décor musical dans lequel il nous invite à prendre place. On prend ou on laisse, mais on ne pénètre pas dans l'univers de John Shannon sans au minimum un effort, celui d'entrer. Certains resteront à la porte, car c'est un disque difficile, un disque qui se mérite. Ce qui ne signifie pas qu'il est aride, bien au contraire, il dégage une véritable chaleur, un sentiment d'intimité qui fait que passé l'effort initial, on se sent chez soi.

Les mélodies sont ici remarquables, d'une fragilité qui fait que l'auditeur retient son souffle, chaque note semble comme suspendue à une invisible toile arachnéenne, la voix se livre rarement, ce qui la rend audible,  paradoxe apparent, imposant le silence et la qualité de l'écoute. Cette voix est claire et nette, elle habite réellement l'espace sonore, aidée en cela par les harmonies hantées de Caroline McMahon et le bugle nostalgique (c'est presque un pléonasme) et omniprésent de Dan Brantigan. La qualité de la production de Michele Locatelli n'est pas pour rien dans ce résultat.

Les titres eux-même donnent une idée de l'ambiance: "Darkness" (qui ouvre l'album et lui confère sa tonalité, celle d'une obscurité lumineuse), "Desert River", "Forever Is When", "Tell The Morning", "Into The Unknown". Les quarante-cinq minutes passent sans un seconde d'ennui, les mots sont simples et beaux, pleins d'une puissance évocatrice. Un morceau comme "Hurricane" est délivré de manière très paisible, dans un calme qui est celui de l'oeil du cyclone, et porte pourtant des images qui défilent devant nos yeux.

Calme et beauté, voilà deux mots qui résument parfaitement "Songs of the Desert River", un disque qui, au moins pendant quelque temps, ne laisse pas intact, un disque qui ne se livre pas totalement et garde une part de mystère qui s'estompera peut-être au fil des écoutes.

Alors je le répète, oubliez les préjugés, oubliez les comparaisons et les étiquettes, écoutez, tout simplement, mais écoutez vraiment.

mercredi 9 novembre 2011

Peter Knapp & Company - Carré d'As

Music Marketing Genius

Peter Knapp fait la promotion des artistes. C'est un génie du marketing musical (ce n'est pas moi qui le dis). Mais attention, c'est un bon génie, celui de la lampe merveilleuse des mille et une musiques. Avec lui, l'expression "Music Business" a un sens qui n'est pas péjoratif car Peter aime la musique et les artistes. J'avais déjà évoqué ici Emma Hill and her Gentlemen Callers et The Twilite Broadcasters. Je vais aujourd'hui vous présenter sommairement 4 autres disques, sur lesquels je reviendrai (sans doute) plus tard. Les voici, par ordre d'apparition dans ma boîte aux lettres...


Brian Ledford and the Cadillac Desert "From Sunlight Into Shadow"


Deuxième album de Brian Ledford, cette fois-ci avec son propre groupe, The Cadillac Desert. Quelques-un des meilleurs musiciens de la scène de Seattle sont au rendez-vous parmi lesquels le guitariste Matt Brown qui produit aussi l'album. Huit titres entre rock et country, qui plairont autant aux amateurs de Clash qu'à ceux des Flatlanders ou de Johnny Cash, nous emmènent dans un voyage musical où il est question d'amour et de rédemption, de trahison et de désespoir. À noter également la présence de Carla Torgenson, des Walkabouts.


Arty Hill "Another Lost Highway"


Arty Hill, entouré de ses Long Gone Daddys, n'est pas un nouveau venu mais c'est pour moi une belle découverte. Si vous cherchez quelqu'un qui sait préserver le côté traditionnel de la country music tout en y ajoutant une belle dose de modernité, si vous aimez le vrai honky-tonk (celui-qui se situe entre Johnny Cash - encore - et Jason Ringenberg), alors vous adorerez "Another Lost Highway", un disque qui fleure bon l'Amérique des grands espaces. À noter la présence émouvante, au dobro et à la lap steel, de Dave Giegerich, disparu en fin d'année 2010, pendant l'enregistrement.


The Steel Wheels "Live At Goose Creek"

 

Avec les Steel Wheels, on aborde un autre genre, qui va du blues au bluegrass, dans la tradition, finalement, des string-bands. Le groupe comporte quatre musiciens: Trent Wagler (voix, guitare, banjo), Jay Lapp (mandoline, guitares, voix), Brian Dickel (basse, voix) et Eric Brubaker (violon, voix). Après un album studio, le quatuor nous propose ici un enregistrement public dans lequel il donne sa pleine mesure. À leur sujet, on évoque des confrères comme les Avett Brothers, Old Crow Medicine Show, Gillian Welch, Darrell Scott. Ces références ne sont pas usurpées. La "musicienneté" du groupe est au top niveau et les compositions originales de Trent Wagler donnent à l'ensemble une dimension mélodique du meilleur aloi.


Boca Chica "Get Out Of Sin City"


Le titre de l'album fait penser à Gram Parsons, même si le "Sin City" de cet album n'a rien à voir avec celui des Burritos (en revanche, on retrouve une reprise de "Do Right Woman" qui figurait également au répertoire de ce groupe). Les chroniqueurs évoquent, à propos de Boca Chica une espèce de croisement entre Neil Young, tendance "Harvest", et Neko Case. Ce qui est certain, c'est qu'il se dégage de cet album une ambiance originale, au caractère hypnotique, qui envoûte rapidement l'auditeur. Le leader de ce groupe est une jeune femme, Hallie Pritts, qui compose huit des dix titres du disque. Pour l'anecdote, c'est Hallie qui m'avait fait découvrir Emma Hill dont elle était l'agent, il y a quelques mois, et je n'ai découvert qu'à la réception de ce "Get out Of Sin City", qu'lle était aussi une singer-songwriter de grand talent.


Ce carré d'as balaie la plus grande partie du spectre de ce qu'on appelle l'Americana. Chacun de ces albums est vivement conseillé, car le principal dénominateur commun en est une rare qualité. Laissez-vous tenter, le disque n'est pas mort, et l'on a ici une belle illustration du fait que, jamais sans doute, la production musicale n'a été aussi riche!

mardi 18 octobre 2011

John Prine - Flashback Blues

John Prine: The Singing Mailman Delivers


Un nouvel album de John Prine est un évènement, forcément. Même quand il a été enregistré il y a plus de 40 ans. Double disque, donc double joie à découvrir "The Singing Mailman Delivers".

Le premier CD a été enregistré en août 1970, John souhaitant à l'époque copyrighter les chansons qu'il interprétait sur scène, dans les studios d'une station de radio de Chicago (WFMT) a laquelle il avait donné une interview.

11 titres sont issus de cette session. 9 d'entre eux alimenteront les premiers albums de John chez Atlantic. Un autre ("Aw Heck") ne verra le jour que plus tard pour "Bruised Orange" et le dernier ("A Star, A Jewell, And A Hoax) restera inédit jusqu'à ce jour.

Quel plaisir de découvrir les premières versions de "Quiet Man", "Blue Umbrella" ou "Souvenirs"! Il y a encore "Hello In There", "Sam Stone" (intitulé alors "Great Society Conflict Veteran's Blues" - un titre digne des bootlegs de Dylan circa 1962), "Paradise", "Illegal Smile", "Flashback Blues", "The Frying Pan", "Sour Grapes".

Tout était déjà là. La maturité exceptionnelle de ce songwriter qui n'avait pas 24 ans étonne encore rétrospectivement.

Le second disque est un enregistrement public datant de novembre 1970, réalisé au 5th Peg de Chicago. John nous dit (expliquant par là-même le titre de l'album): "Je distribuais encore le courrier le jour et je chantais au Fifth Peg la nuit, trois fois par semaine". Il raconte aussi comment l'inspiration lui venait sur le chemin de ses tournées postales, par exemple en mangeant un sandwich dans un réduit où il s'abritait du vent glacial de Chicago.

Les treize titres de ce second disque nous montrent un John Prine qui aime déjà parler entre les chansons, comme il le fait encore en 2011. "Jusqu'à aujourd'hui, je parle toujours entre les chansons durant les concerts et je raconte beaucoup de versions différentes de ces histoires (toutes vraies!)".

Le répertoire est en partie le même que pour le disque studio (rappelons que "John Prine" - le premier album -  ne paraîtra qu'en octobre 1971 - c'est son quarantième anniversaire) avec quelques additions intéressantes dont un medley de Hank Williams: "Hey Good Lookin' / Jambalaya (On The Bayou)".

L'exhumation de ces trésors enfouis (retrouvés parce que Fiona, l'épouse de John, lui avait demandé de vider le garage avant un déménagement) est un vrai bonheur. Et cela même si les fans du facteur chantant en connaissaient déjà la plupart puisqu'un "Live At The 5th Peg" (improprement nommé) était trouvable en téléchargement (gratuit et parfaitement illégal) sur le net. Il combinait, dans la dernière version rencontrée, la totalité des titres enregistrés en studio et 7 des morceaux live.


vendredi 14 octobre 2011

The Lost Pines: Austin Bluegrass

The Lost Pines - Sweet Honey



Le Texas est véritablement un état étonnant, en perpétuel bouillonement musical, du blues de Lightnin' Hopkins au folk de Townes Van Zandt, du rock de Calvin Russell au Texas-swing de Bob Wills en passant par le Tex-Mex ou le jazz.

Aujourd'hui c'est un groupe d'Austin, là où tout se passe, qui a retenu mon attention. The Lost Pines est un combo qui évolue dans le domaine du bluegrass, un genre qui n'est pas le plus représenté dans le Lone Star State.

Le groupe s'est formé autour de deux chanteurs-songwriters, Talia Bryce (formerly Talia Sekons) et ChristianWard (qui jouent respectivement du banjo et de la guitare), et d'un guitariste, Marc Lionetti.

Ils ont produit en 2008 un premier album ,"Middle Of The Morning", plutôt dans la lignée de Gillian Welch & David Rawlings, avant de recruter Brian Durkin à la basse, Jon Kamppainen au violon (parfois tenu pas Shawn Dean sur le disque) et Alex Rueb à la mandoline.

Leur nouvel album traduit une nette évolution vers un bluegrass qui n'est ni vraiment traditionnel, ni vraiment newgrass. C'est tout simplement du Texas-bluegrass dont les membres du groupe ont sans doute écrit ici la définition.

Petite précision: acune des membres n'est originaires du Texas. Talia vient de Manhattan, Marc du New Jersey et Christian de Caroline du Nord. Mais ils ont si bien digéré les différentes influences locales, humant l'air ambiant les oreilles grandes ouvertes, qu'ils sonnent comme s'ils avaient grandi dans les faubourgs d'Austin, nous proposant un ensemble de compositions originales (7 de Christian et 7 de Talia) qui sonnent - déjà - comme des classiques du genre.

Détail d'importance: le disque est produit par le sorcier local Lloyd Maines (ce qui est un joli signe de reconnaissance, une forme d'adoubement) qui ajoute son dobro (pas de pedal steel sur l'album) sur deux titres.

Voici ce que Lloyd dit d'eux: "Les Lost Pines abordent le bluegrass d'une façon légèrement différente. Je ne peux pas décrire ce qui est différent chez eux, je sais seulement qu'ils ont développé leur propre son et que c'est grand de les écouter. J'aime cela".

C'est en tout cas pour moi la révélation bluegrass de l'année, un groupe à l'avenir radieux.

mercredi 24 août 2011

The Good Intentions de Liverpool à Los Angeles

The Good Intentions: Someone Else's Time
Boronda Records 00002


Il est parfois des apparences qui trompent. Lorsque j'ai reçu ce disque par la grâce de Peter Holmstedt et Hemifrån, j'étais persuadé de découvrir un groupe américain de plus, d'autant plus que les noms bien connus de Rick Shea (ancien compagnon de Dave Alvin au sein des Guilty Men, à la production et à divers instruments à cordes), David Jackson (basse et accordéon), Brantley Kearns (violon) ou Eric Brace (voix) me confortaient dans cette certitude

Que nenni! Le trio composé de R. Peter Davies, Gabrielle Monk et Francesco Roskell est en fait originaire de Liverpool, England et cet album est son deuxième.

Peu importe l'origine, c'est ici d'Americana qu'il est question et la route de Liverpool à Los Angeles a superbement été pavée par ces Bonnes Intentions. On est dans un ambiance acoustique à base de guitares, banjo et autoharpe. Onze ballades, toutes de la plume de R. Peter Davies nous font voyager dans une époque révolue, à l'image des photos sépia qui illustrent le livret.

Amateurs de la Carter Family, de Willian Welch & David Rawlings, de Barry & Holly Tashian, ce disque est pour vous. Il ne révolutionne certes rien mais vous accompagne simplement vers le temps de quelqu'un d'autre, un temps qui peut devenir le vôtre.

mardi 23 août 2011

John Prine disque à disque - Bruised Orange (1978)

Voici la chronique de ce premier album de John Prine pour le label Asylum, telle qu'elle a été publiée dans le hors-série Crossroads "1976-1978 - 109 albums essentiels".



Si je ne devais retenir qu'un titre de "Bruised Orange", cinquième album de John Prine, ce serait sans doute le dernier, "The Hobo Song". Pour ses arrangements et son instrumentation; pour son "Hobo Chorus"; pour son texte et sa mélodie qui en font instantanément un classique du folk américain. Mais c'est peut-être le morceau le moins "prinien" de l'ensemble qui recèle bien d'autres trésors.

En 1975 était sorti le quatrième album de John sur Atlantic, "Common Sense", produit par Steve Cropper. Ce fut le premier à entrer dans le top 100 des charts, mais ce fut aussi le moins satisfaisant sur le plan artistique. Les compositions n'étaient pas en cause mais la production maison en altérait gravement l'esprit, plaçant John au milieu de la route, une route qu'il ne souhaitait pas suivre.

1978: notre homme plante un nouveau décor. Tout d'abord, un changement de label: John Prine quitte Atlantic pour Asylum, le petit label devenu grand qui laisse encore les artistes décider. Ensuite, un nouveau producteur, Steve Goodman, l'ami de toujours et un retour au pays. L'album est en effet enregistré entre janvier et mars à Chicago et non plus à Memphis et Los Angeles comme le précédent. Autre élément important, John Prine a cette fois pris son temps, évoluant dans son style, en particulier dans la concision de l'écriture, forgeant ce qui allait devenir sa marque de fabrique.

Dès les premières notes, on est aussi frappé par l'évolution du son, plus varié. Une première explication peut être trouvée dans la présence de Jim Rothermel. Ce magicien des instruments à bouche en tous genres, déjà entendu avec Steve Goodman, mais aussi avec Jesse Colin Young ou Van Morrison (dans "Veedon Fleece"), apporte des couleurs nouvelles et cela dès "Fish And Whistle" où il joue, précisément, du penny whistle. On le retrouvera plus loin au saxophone, à la clarinette, au recorder, intervenant toujours à propos, sans envahir.

D'une manière générale, et on peut en attribuer le mérite au producteur, il y a toujours cet équilibre entre une instrumentation relativement riche et des textes conçus pour être interprétés en public, avec une simple guitare acoustique. Jamais le message de l'auteur n'est masqué ou étouffé, bien au contraire. L'humour incisif et corrosif de John Prine n'a jamais trouvé un écrin qui lui convenait si bien. Car l'humour et l'ironie sont toujours présents, même dans ce qui pourrait être une chanson d'amour, "Aw Heck": "The cannibals can catch me / And fry me in a pan / Long as I got my woman". À noter que le titre du morceau n'existe que parce qu'il fallait bien une rime à "And put her loving arms around my neck"! Parler d'amour, oui, mais sans s'attendrir!

Humour toujours dans ce qui deviendra un pilier des concerts de John Prine, ce "That's The Way That The world Goes 'Round", qui déclenche l'hilarité du public, avec un sens de l'auto-dérision qui n'est pas si commun.


Sur le plan musical, il y a un relatif équilibre entre des ballades, jamais mièvres (à l'exception notable de "If You Don't Want My Love", coécrit avec Phil Spector) et les titres plus rythmés. Parmi les titres forts, il y a "Bruised Orange (Chain Of Sorrow)", petite réflexion philosophique sur la colère et son inutilité: "For a heart stained in anger / Grows weak and grows bitter / You become your own prisoner / As you watch yourself / Sit there / Wrapped up in a trap / Of your very own chain of sorrow". "Sabu Visits The Twin Cities Alone" décrit la solitude de l'artiste sur la route: une clarinette, un accordéon, une ambiance, une grande chanson avec quelques phrases magnifiques.

Et puis il y a "The Hobo Song", un modèle. Intrumentation sobre: guitare, harmonica, dobro et mandoline interviennent tour à tour, magnifiques. Le texte est en partie chanté, en partie récité, dégageant une poignante nostalgie que vient renforcer le "Hobo Chorus", un goupe d'amis et d'invités (parmi lesquels Ramblin' Jack Elliott, Jackson Browne et James Talley) reprenant en chœur ce refrain: "Please tell me where have the hobos gone to / I see no fire burning down by the rusty railroad track / Could it be that time has gone and left them / Tied up in life's eternal travelin sack". Constat désabusé de la disparition d'une certaine Amérique, celle de Woody Guthrie, celle des grands espaces, ce titre a un pouvoir évocateur sans pareil. Quand je l'entends, je vois la poussière soulevée par les talons du hobo qui poursuit son errance. C'est un morceau que j'écoute en boucle, à chaque fois. Un bien belle conclusion pour un album qui reste parmi les favoris des admirateurs de John Prine.


Titres:
1- Fish and whistle (John Prine)
2- There she goes (John Prine)
3- If you don't want my love (John Prine / Phil Spector)
4- That's the way that the world goes 'round (John Prine)
5- Bruised orange (Chain of sorrow) (John Prine)
6- Sabu visits the twin cities alone (John Prine)
7- Aw heck (John Prine)
8- Crooked piece of time (John Prine)
9- Iron ore Betty (John Prine)
10- The hobo song (John Prine)

Muisciens:
John Prine: vocals, acoustic guitar
Sid Sims:bass
Tom Radtke: drums, tambourine, percussion, finger cybal, handclaps
John Burns: electric guitar, background vocals, acoustic guitar, rhythm guitar
Jim Rothermel: penny whistle, alto sax, tenor recorder, soprano recorder, soprano sax, clarinet, tenor sax
Steve Goodman: background vocals, harmony vocal, acoustic guitar, electric guitar, rhythm guitar, handclaps
Len Dresslar: background vocals
Don Shelton: background vocals
Bob Bowker: background vocals
Leo LeBlanc: pedal steel guitar, Dobro
Corky Siegel: harmonica, piano
Bonnie Herman: background vocals
Jackson Browne: harmony vocals
Howard Levy: piano, accordian
Vicky Hubly: background vocals
Kitty Haywood: background vocals
Alan Barcus: strings
Diane Holmes: background vocals
Mike Utley : organ, piano
Bonnie Koloc: harmony vocal
Bob Hoban: piano
Harry Waller: handclaps
Mike Jordan : handclaps
Steve Rodby: acoustic bass
Sam Bush: electric guitar
Jethro Burns: mandolin
Hobo Chorus: Dan Cronin, Ramblin' Jack Elliott, John Burns, Bryan Bowers, Sam Bush, John Cowan, Jethro Burns, Fred Holstein, Steve Goodman, Harry Waller, Mike Jordan, Tom Hanson, Hank Neuberger, Tom Radtke, Jim Rothermel, Sid Sims, Earl Pionke, James Talley, Ed Holstein, Aldo Botalla, Mike Urschel, James McNamara, David Prine, Al Bunetta, Tyler Wilson, Bob Hoban, Jackson Browne, Tim Messer

samedi 20 août 2011

John Prine disque à disque - Common Sense (1975)


Disons le tout net. "Common Sense" n'est pas le meilleur album de John Prine. J'avais écrit que "Sweet Revenge" marquait la fin d'un cycle mais cette nouvelle livraison ne constitue pas le début d'une nouvelle période. C'est tout au plus une parenthèse, peut-être un disque résultant d'obligations contractuelles envers Atlantic. Et puis, en face, il y a l'émergence d'un autre nouveau Dylan (ils ont eu cette même étiquette à leurs débuts) du nom de Bruce Springsteen. Mais John n'est et ne sera jamais que Prine, et c'est déjà beaucoup.

L'inspiration semble absente, John semble avoir épuisé la mine qui avait fourni le matériel de ses trois premiers albums. Bien sûr, il y a encore quelques perles (qui d'autre aurait pu intituler une chanson "Come Back To Us Barbara Lewis Hare Krishna Beauregard"?) et, à y écouter de plus près, on se rend compte que ce disque aurait pu être meilleur, en rectifiant quelques détails.

Le gros point noir, en fait, est la production. Le pourtant très respectable Steve Cropper a été désigné (commis d'office?) par la maison mère, et c'est sans doute là où le bât blesse le plus. Steve a tenté de donner à l'ensemble un côté pop-funk à visées commerciale qui ne sied guère à notre songwriter favori (le mien en tout cas). Là où Arif MArdin avait réussi à saisir l'esprit de l'artiste, Cropper passe à côté.

Cela écrit, un disque moyen de John Prine vole néanmoins bien au-dessus de nombre des oeuvres contemporaines. Mais la même année sont parus "Blood On The Tracks" et "Born To Run", deux des albums majeurs de la décennie (et même du vingtième siècle), alors...

Mais ne boudons pas notre plaisir, et écoutons sans retenue "He Was In Heaven Before He Died, "Wedding Day In Funeralville", ou pur John Prine, ou la reprise de "You Never Can Tell" de Chuck Berry

1- Middle man (John Prine)
2- Common sense (John Prine)
3- Come back to us Barbara Lewis Hare Krishna Beauregard (John Prine)
4- Wedding day in Funeralville (John Prine)
5- Way down (John Prine)
6- My own best friend (John Prine)
7- Forbidden Jimmy (John Prine)
8- Saddle in the rain (John Prine)
9- That close to you (John Prine)
10- He was in heaven before he died (John Prine)
11- You never can tell (Chuck Berry).

Avec, par ordre d'entrée en disque:
John Prine: Vocals
Peter Bunetta: Drums, Background Vocals
Tommy Cathey: Bass
James Brown: Piano, Organ
Steve Goodman: Acoustic Guitar, Electric Guitar
Wayne Jackson, Andrew Love, Jack Hale, James Mitchell, Lewis Collins: Horns
Larry Muhoberac: Piano
Rick Vito: Electric Guitar, Slide Guitar
Paul Cannon: Electric Guitar
Leo LeBlanc: Steel Guitar
Jackson Browne: Background Vocals
John David Souther: Background Vocals
Glenn Frey: Background Vocals, Electric Guitar
Carl Marsh: String Arrangements
Bonnie Raitt: Harmony Vocals
Herb Pedersen: Background Vocals
Donald "Duck" Dunn: Bass
Alan Hand: Piano, Background Vocals
Mailto Correa: Congas & Percussion
Brooks Hunnicut: Background Vocals
Pat Coulter: Background Vocals
Gwenn Edwards: Background Vocals
Steve Cropper: Electric Guitar
Jim Horn, Chuck Findley, Jackie Kelson: Horns
Steve Spear: Bass
Danny Cronin: Background Vocals
Greg Jackson: Background Vocals
Al Bunetta: Background Vocals

Suzy Bogguss: le coup de cœur de l'été

Suzy Bogguss - American Folk Songbook
Loyal Dutchess Records LDR 1006


Quand elle ne chante pas au sein de Wine, Women & Song avec Matraca Berg et Gretchen Peters, Suzy Bogguss enregistre des disques en solo. Son dernier, "Sweet Danger", paru en 2005, nous a une fois de plus démontré qu'elle fait partie des grandes et belles voix de l'Amérique.

Cette voix, elle la met au service du répertoire traditionnel de son pays, réinterprétant à sa façon quelques-uns de titres les plus célèbres: "Wildwood Flower", "Banks Of The Ohio", "Shady Grove", "Shenandoah", "Wayfaring Stranger", "Beautiful Dreamer"... 17 titres en tout nous sont ainsi offerts, pour notre plaisir, un plaisir qui naît de celui que Suzy a manifestement éprouvé en les chantant.

À ses côtés, quelques grands noms comme Pat Bergeson, Stuart Duncan, Charlie Chadwick, Jeff Taylor,sans oublier Doug Crider (son mari) et Gretchen & Matraca. Quoique non crédité sur le disque, Jerry Douglas est présent et son dobro magique enchante "Banks Of The Ohio".

Un livre accompagne le disque 96 pages, il propose les partitions et les textes ainsi que l'histoire de de chaque chanson.


On peut acheter (ou se faire offrir) le CD et le livre, ou le CD seulement ou le livre seulement (ou même aucun des deux si l'on veut se contenter d'un téléchargement). On peut commander ici.

C'est frais, c'est beau, et c'est hautement recommandé.

mercredi 10 août 2011

Le scandale Boone Creek

Boone Creek
(Rounder Records 0081 - © 1977)


En 1977, Ricky Skaggs était encore tout jeune, à peine 23 ans. Il avait pourtant déjà une belle carrière derrière lui, jugez en: il avait fait partie des Clinch Mountain Boys de Ralph Stanley,des Country Gentlemen et du New South de J.D. Crowe, sans oublier le duo précoce qu'il formait avec le regretté Keith Whitley. Il avait également publié en 1975 un album solo, "That's It!", essentiellement instrumental puisque seul trois titres étaient chantés. Un par Ricky, un par daddy Hobert et un par mummy Dorothy.

Je connaissais Ricky par ses participations aux albums d'Emmylou Harris et son appartenance à son Hot Band, lorsqu'un jour de septembre 1979 je découvris, dans un magasin depuis longtemps défunt de Châlons sur Marne (ville également disparue puisqu'elle a depuis été rebaptisée Châlons en Champagne) un disque (paru deux ans plus tôt) dont l'illustration est reproduite ci-dessus. Un nom inconnu (rappelez vous, c'était une vingtaine d'années avant la véritable explosion d'internet), quatre visages, c'était tout.

Heureusement, il y avait beaucoup de lecture au verso. Le temps magique des 33 tours en vinyle nous offrait cette possibilité: lire les disques avant de les acheter et de les écouter. Les visages avaient des noms: Ricky Skaggs, Wes Golding, Jerry Douglas et Terry Baucom. Inutile de préciser que "Boone Creek" ne resta pas en rayon une minute de plus!

Ainsi donc, Ricky Skaggs n'était pas qu'un sideman, un mandoliniste et violoniste hors pair (qui démontra par la suite son habilité à bien d'autres instruments) et un vocaliste ténor dans la lignée des plus grands, à commencer par Maître Bill. Il était aussi un chef de bande qui partageait ici le leadership vocal avec Wes Golding.

C'était pour moi, néophite en bluegrass, une véritable révélation, comme l'était celle de l'immense talent, jamais démenti depuis, de l'as du Dobro, Jerry "Flux" Douglas.

Douze titres plus tard, partagés entre traditionnels, compositions originales (de Wes Golding) et reprises (Bill Monroe, Lester Flatt, Harry McAulife, Ruby Rakes), j'étais convaincu d'avoir découvert un très grand groupe de bluegrass moderne. Je le pense toujours.

En 1978, Boone Creek publia chez Sugar Hill un second album, "One Way Track", également excellent. Et puis Ricky partit chez Emmylou à plein temps, la belle aventure prit donc fin.

Mais, car il y a un "mais", je dois dénoncer ici un véritable scandale. Si le "sophomore album" a été réédité en CD en 1991 par Sugar Hill, enrichi de trois titres bonus live (dont "Paradise" de John Prine), Rounder Records n'a jamais daigné en faire autant pour le trésor qui dort dans ses tiroirs.

Bien sûr, la technologie a permis à l'heureux possesseur du précieux vinyle que je suis de le "ripper" sur un CD-ROM,mais je pense à tous ceux qui n'ont pas la même chance.

Alors, Monsieur Rounder, puisque je sais que tu me lis assidûment, fais un effort. J'en ferai un aussi, et je me fendrai avec plaisir de 20$!

lundi 8 août 2011

Jim Lauderdale: Bluegrass DeLuxe

Jim Lauderdale - Reason and Rhyme
Bluegrass Songs by Robert Hunter & Jim Lauderdale
(Sugar Hill Records SUG-CD-4070)


Jim Lauderdale est un grand songwriter. Mais pas seulement. En qualité d'interprète, il a une vingtaine d'albums à son actif, en solo, mais aussi avec Ralph Stanley & The Clinch Mountain Boys (2 disques) ou Donna & The Buffalo.

Il s'est souvent associé pour le songwriting avec une autre légende, l'ex-partenaire de Jerry Garcia, Robert Hunter (dont nous n'oublierons pas qu'il a aussi produit quelques beaux albums sous son nom dont "Tales Of The Great Rum Runners" en 1974 et "Tiger Rose" en 1975).

Ensemble, en plus de qelques collaborations occasionnelles, ils ont déjà co-écrit deux albums entiers: "Headed For The Hills", en 2004, avec au générique un casting des plus prestigieux, et "Patchwork River" en 2010.

Pour leur troisième travail commun, Jim et Robert ont enrichi le répertoire bluegrass de onze joyaux supplémentaires. Rien à dire sur ce qui nous est ici proposé. mélodies, textes, tout est frappé au sceau de la classe. C'est du grand art, tout simplement.

Et pour servir au mieux ce menu de fin gourmet, nos deux chefs de rang ont enveloppé la voix de velours de Jim d'un enrobage confectionné par quelques maîtres en la matière: Mike Compton (mandoline), Jay Weaver (basse), Scott Vestal (banjo), Tim Crouch (violon), Clay Hess (resonator et harmonies), sans oublier la participation vocale d'Ashley Brown sur "Don't Tempt The Devil (With Your Love)".

What else? Rien! Je me tais et vous écoutez...

lundi 1 août 2011

Donna Ulisse: Singer, Songwriter, Bluegrass Poet

Donna Ulisse – An Easy Climb
Hadley Music Group HMG1007



Les fidèles (et nostalgiques) lecteurs de Xroads s'en souviennent peut-être. Les amateurs de bluegrass aussi. Ceux qui cumulent les deux qualités ne peuvent pas avoir oublié mes chroniques élogieuses, voir dithyrambiques, des deux albums de Donna Ulisse parus respectivement en 2009 (Walk This Mountain Down", Xroads #21) et en 2010 ("Holy Waters", Xroads #21). Les autres pourront se rafraîchir la mémoire en consultant les archives de ce blog.

Donna aime écrire, elle aime chanter, elle aime se produire en public avec son groupe "The Poor Mountain Boys". Alors elle écrit, elle enregistre, elle donne des concerts et nous offre des albums au rythme d'une livraison annuelle. Elle aime aussi la musique et les musiciens qui l'accompagnent, et surtout celui qui partage sa vie.

"An Easy Climb" est son quatrième album, de bluegrass au moins, car il ne faut pas oublier sa première tentative en qualité de chanteuse country pour un disque, "Trouble At The Door", paru en 1991, qui, quoi que fort honorable, ne correspond plus vraiment à ce que Donna est aujourd'hui.

On dit communément qu'on ne change pas une équipe qui gagne, alors Donna ne change rien, ou si peu. Et elle gagne encore.

Il est vrai que les musiciens qui l'entourent sont tous des maîtres dans leur art: Scott Vestal (banjo), Andy Leftwich (mandoline et violon) Viktor Krauss (basse), Rob Ickes (dobro), sans oublier le producteur magique, Keith Sewell (guitare et harmonies). Et je garde pour la bonne bouche l'être aimé, Rick Stanley, aussi modeste que son nom est célèbre, toujours présent pour quelques harmonies vocales, sans oublier une inspiration et un soutien sans faille.

Et Rick ne se contente pas de cela, il co-écrit avec Donna cinq des treize titres de l'album. Marc Rossi (un autre grand nom du songwriting bluegrass, écoutez pour vous en convaincre la mélodie de "Her Heart Is A Stone Hard Ground", admirablement soulignée par le dobro de Rob Ickes) en fait autant. Au final, moi qui étais décidé à modérer mon enthousiasme, je me retrouve désarmé lorsqu'il s'agit de trouver un point faible à l'ensemble. Manque d'objectivité ou qualité de l'enregistrement? Sans doute un peu de deux.

Et c'est ainsi que je m'émerveille encore une fois devant la maîtrise sans cesse plus grande de l'écriture de Donna. Que je suis ébloui par le jeu des différents intervenants, par la complicité et la complémentarité qui règne entre eux. Andy Leftwich, en particulier, au violon comme à la mandoline, ajoute encore une couleur musicale supplémentaire à l'œuvre, transformant en arc-en-ciel un album qui commence par "Let It Rain". Et Donna chante toujours aussi bien...

Mais comme je suis quelqu'un d'exigeant, malgé tout, je voudrais terminer par une requête qui s'adresse aussi bien à Madame et Monsieur Stanley, Donna & Rick, qu'à leur A&R, Kathy Sacra-Anderson (chez Hadley Music Group). Compte tenu de ce que l'on entend dans certains titres de "An Easy Climb" ("Where The Cold Wind Blows", "Banks Of Roane River"), pourquoi n'envisagez-vous pas un album de ballades en duo, husband & wife, un peu dans l'esprit de ce que font Barry & Holly Tashian? Après avoir apporté un grand bol d'air frais au bluegrass, vous aideriez la country music, qui en a davantage besoin, à se régénérer un peu. Une prompte réponse de votre part m'agréerait (Kathy, je sais que vous lisez le Français)…

PS – autre requête: MM. Les organisateurs du Festival Bluegrass de La Roche-sur-Foron, si vous me lisez (dans le cas contraire, je sais que le mesage vous arrivera quand même), invitez Donna & The Poor Mountain Boys, je promets de faire le déplacement (non, pas à pied, quand même). Je sais qu'elle serait ravie de se produire en France. Après tout, Donna et les garçons reviennent bien d'une tournée triomphale en Russie!

TRANSLATION

Regular (and nostalgic) readers of Xroads may remember. Bluegrass fans too. Those who belong to both categories can't have forgotten my reviews full of praise, almost dithyrambic, of last two Donna Ulisse's album released in 2009 ("Walk This Mountain Down", Xroads #21) and 2010 ("Holy Waters", Xroads #21). Others may refresh their memory by going to this blog's archives.



Donna loves writing, singing, doing shows with her group "The Poor Mountain Boys". So she sings, she records, she gives shows and offers us albums, one every year. She also loves music and the musicians who play with her, especially the one who shares her life.


"An Easy Climb" is her fourth album, at least of bluegrass kind, because we won't forget her first attempt as a country singer for a disc, "Trouble At The Door", dating from 1991. It was very estimable, but doesn't looks like today's Donna Ulisse.


We use to say that a winning team must not be changed. So Donna changes nothing, or so few. And she wins again.


The fact is that the musicians featured here are all true masters masters of their art: Scott Vestal (banjo), Andy Leftwich (mandolin and fiddle) Viktor Krauss (bass), Rob Ickes (dobro), without forgetting the magic producer, Keith Sewell (guitar and harmonies). And I keep for the end the beloved man, Rick Stanley, as humble as his name is famous, always here for some harmonies, as well as inspiration and permanent support.


And that's not all, he co-writes with Donna five of the album's thirteen tracks . Marc Rossi (another great name of bluegrass songwriting – if you need to be convinced, listen to the melody of "Her Heart Is A Stone Hard Ground", beautifully underlined by Rob Ickes's dobro) does the same. In the end, though I was determined to soften my enthusiasm, I was disarmed when I needed to find a weak point. Was it my lack of objectivity or the CD's quality? Probably a few of both.


And so I'm once again amazed by Donna's ever growing songwriting mastery. I'm starry-eyed about the musicians' playing, their complementary connivence. Andy Leftwich, especially, on mandolin as on fiddle, adds an extra musical colour to the opus, turning into a rainbow an album that begins with "Let It Rain". And Donna still sings so beautifully...


But as I'm a very demanding person, I nevertheless have a request, as well for Mrs. and Mr. Stanley as for their A&R (Kathy Sacra-Anderson (courtesy of Hadley Music Group). If we consider what we hear on some tracks of "An Easy Climb" ("Where The Cold Wind Blows", "Banks Of Roane River"), why don't you plan a duet ballads' album, husband a wife, in the vein of what Barry & Holly Tashian do. After having brought a lot of fresh air to bluegrass, you could help country music, much more in need, to regenerate. A quick answer would be appreciated (Kathy, I know you can read French).


PS – another request for the bookers of La Roche-sur-Foron Bluegrass Festival, if you read me (if no, I know someone will carry the message to you), add Donna & the Poor Mountain Bots to your next program, I promise to come (I won't go by foot, don't ask me that…). I know she would be happy to play in France. After all, Donna and the boys have just come back from a successful tour in Russia.

The Twilite Broadcasters – Trente minutes de plaisir

The Twilite Broadcasters: The Trail Of Time



The Twilite Boadcasters, c'est deux hommes: Adam Tanner (mandoline, violon et voix) et Mark Jackson (guitare et voix). Ils se produisent ensemble depuis fin 2008 et "The Trail Of Time" est leur deuxième album.

Dans l'esprit des string bands, ils nous proposent une formule simple et efficace: harmonies à deux voix et instruments acoustiques (ils sont sur ce disque renforcés par le seul Duane Anderson, à la basse sur cinq des douze titres).

Quelques semaines après Cahalen Morrison & Eli West (et le superbe "The Holy Coming Of The Storm"), ils sont pour moi une belle découverte, due cette fois à Hallie Pritts et Peter Knapp (Peter Knapp & Company).

Leur musique est inspirée directement par les Louvin Brothers et Bill Monroe, ou par ceux qui ont régalé leurs oreilles dans leur jeunesse pas si lointaine, comme David Grisman (pour Adam), Bill Monroe, les Stanley Brothers ou la Carter Family (pour Mark).

Si je devais chroniquer ce disque en quelques mots, je dirais simplement que les Twilite Broadcasters nous offrent trente minutes de bonheur et de plaisir partagés.

Alternant instrumentaux et titres aux harmonies quasi-fraternelles, Adam et Mark nous entraînent dans un voyage aux sources de la tradition musicale américaine. C'est l'Americana au sens premier du mot, celui qui est à l'origine de baucoup de courants actuels.

La Carter Family, les Louvin Brothers, Bill et Charlie Monroe, les Delmore Brothers, Arthur Smith et même Hank Willams retrouvent une jeunesse et une fraîcheur rarement égalées ainsi qu'en témoignent notamment "Weary Blues From Waiting" et "I can't Keep You In Love With Me".

Les instrumentaux, comme "North Buncombe Gallop" (seule composition originale) ou "Fiddler's Dream" démontrent une compétence aux frontières de la virtuosité qui ne bascule jamais dans la démonstration gratuite.

On imagine aisément, à l'écoute de ce disque, l'ambiance qui doit régner lors des prestations scéniques du duo, et l'on peut espérer (sans trop y croire cependant) qu'ils nous rendront une petite visite si jamais l'idée leur vient de traverser l'océan.

En attendant, nous avons "The Trail Of time" pour nous régaler, et c'est déjà mieux que bien.

jeudi 28 juillet 2011

Lucky Greg

Greg Jacobs – Lucky (live)
Blue Door Records


Si j'ai découvert Greg Jacobs un peu par hasard, naviguant de lien en lien sur le web un jour de 2007, c'est d'abord parce que j'ai lu qu'il était un fan de John Prine, visa suffisant (mais pas nécessaire) pour entrer dans mon univers avec un a priori favorable. Greg l'explique lui-même: « Au début, j'ai beaucoup interprété Bob Dylan mais celui qui m'a vraiment motivé est John Prine. J'étais le jukebox John Prine. Un jour, je l'ai rencontré et lui ai dit que je jouais vingt-six de ses chansons. Il m'a regardé et m'a répondu: "vraiment, moi je n'en joue que vingt-deux". Je n'oublierai jamais cela ».

Originaire de Choctaw, Oklahoma, Greg Jacobs comprit rapidement qu'il n'était pas fait pour le système nashvillien auquel tout songwriter au répertoire plus ou moins teinté de country est tenté de se confronter. Il migra vers la ville de  Stillwater, foyer bourgeonnant de musiciens de talent parmi lesquels Jimmy LaFave, Bob Childers, The Skinner Brothers, The Red Dirt Rangers et même, à une époque, un certain Garth Brooks. C'est la scène "Red Dirt", une des plus fertiles et talentueuses de l'époque, où l'on croise aussi des gens comme Monica Taylor (particulièrement recommandée) ou Jimmy Karstein (fidèle accompagnateur de J.J. Cale, Okie lui aussi).

Après trois albums studio qui le classent parmi les meilleurs songwriters de l'Oklahoma et des environs, le trop rare Greg Jacobs publie "Lucky", enregistré en trois endroits différents entre juin et octobre 2009. Neuf des dix-sept titres ont été enregistrés à Oklahoma City, au Blue Door de Greg Johnson, qui est devenu depuis quelques années un véritable temple de la musique acoustique.
"Lucky" est pour moi l'exemple de ce que doit être un album enregistré en public. Ce n'est pas seulement un "best of live" dans lequel l'artiste se contente de répéter ses titres les plus connus. Cela n'est pas dans la philosophie de Greg qui a choisi une fois pour toute les critères d'envie et de plaisir pour guider sa carrière.

Bien sûr, il interprète ici ses compositions les plus connues ("Enjoy The Ride", "A Little Rain Will Do", "South Of Muskogee Town", "Farmer's Luck", "Okie Wind") mais en leur donnant une nouvelle vie. Et, à cet égard, il faut louer le rôle joué par les accompagnateurs: Travis Linville au dobro et à la guitare acousique lead, Terry "Buffalo" Ware à la guitare électrique et John Fullbtright à l'accordéon (et à la guitare acoustique lead sur un titre) servent à merveille les compositions mid-tempo de Greg, auxquelles la voix douce de l'artiste confère un sentiment d'intimité parfaite avec l'auditeur.

L'association dobro / accordéon est particulièrement appréciable, que ce soit sur des titres connus ou sur les nouvelles chansons que sont "Eyes Of A Child", "Here To Tulsa" (co-composé avec Susan Herndon et John Fullbright, deux noms à retenir) ou "C Chord". Ces nouveaux titres sont plus qu'une valeur ajoutée à l'album, ils en sont la véritable raison d'être.

"C Chord" est pour moi le sommet de l'album. Ce titre est dédié à Bob Childers, l'ami, le modèle, disparu en 2008. Bob Childers était la figure de proue de cette "Red Dirt scene" d'Oklahoma. Tous s'en réclament aujourd'hui et Greg l'évoque ici avec une force émotionnelle rare. " Sit back down / Have another cup of coffee / Let the world go by / For an hour or two / And if you take a notion / Strum a C-Chord / Maybe some of Bob’s wisdom / Will come to you". Bob Childers que Greg imagine au paradis, tout près de Woody Guthrie, frappant son fameux accord en mi avec un sourire bienveillant.

Ce seul titre suffirait à justifier l'acquisition du disque, mais l'ensemble (plus de soixante-huit minutes) est de très haut niveau. Un niveau auquel se situe Greg Jacobs, digne de ses modèles, et à qui il ne manque qu'une reconnaissance plus large.

Quelques liens utiles:

Rappel discographique:
"South Of Muskogee Town" (1997, Binky Records)
"Look At Love" (1999, Binky Records)
"Reclining With Age" (2001, Binky Records)


I tried a translation. Forgive my mistakes...

If I discovered Greg Jacobs almost by accident, browsing from link to link on the web some day of 2007, it's mostly because I read that he was a John Prine fan, enough (but not necessary) to step into my universe with a positive opinion. As Greg himself explains: « Starting out, I played a lot of Bob Dylan, but what really got me going was John Prine. I was the John Prine jukebox. I met him once and told him 'I'm your biggest fan, I play twenty six of your songs' and he looked at me and said, "Really, I only play twenty two.' I'll never forget that". ».

Coming from Choctaw, Oklahoma, Greg Jacobs quickly understood that he was not made for the Nashville system, necessary passage for every songwriter whose repertoire is more or less country flavoured. He moved to Stillwater, home of many a talent: Jimmy LaFave, Bob Childers, The Skinner Brothers, The Red Dirt Rangers and even, at some time, Garth Brooks. It's  "the Red Dirt scene", one of the most fertile and talented of the time, where we can also meet people like Monica Taylor (highly recommended) or Jimmy Karstein (faithful sideman of another Okie, J.J. Cale).

After three studio albums that revealed him as one of the best songwriters in and around
Oklahoma, the too rare Greg Jacobs is now releasing "Lucky", recorded in three different venues between June and October 2009. Nine of the seventeen tracks were recorded in Oklahoma City, in Greg Johnson's Blue Door, now a real temple for acoustic music.

"Lucky" is, from my point of view, the perfect example of what a live album should be. It's not only a live best-of where the artist simply repeats his most famous tracks. It's not in Greg's philosophy, as he definitively chose to let only envy and pleasure guide his career.

Of course, he performs here his most known compositions ("Enjoy The Ride", "A Little Rain Will Do", "South Of Muskogee Town", "Farmer's Luck", "Okie Wind") but he gives them a new life. It's important here to insist on the role of the sidemen: Travis Linville on Dobro and lead acoustic guitar, Terry "Buffalo" Ware on electric guitar and John Fullbtright on accordion (and lead acoustic guitar on one track) perfectly serve Greg's mid-tempo compositions; the sweet voice of the artist provides a real feeling of intimacy with the listener.

The association between Dobro and accordion is especially noticeable, on the older tracks as on the new ones: "Eyes Of A Child", "Here To
Tulsa" (co-written with Susan Herndon and John Fullbright, two promising artists) or "C Chord". The new songs are more than a value added to the album. They are its real reason of being

"C Chord" is for me the highlight of the CD. This track is dedicated to Bob Childers, a friend as well an example, who died in 2008. Bob Childers was the leader of this "Red Dirt scene" of
Oklahoma. Everybody there claims his heritage today and Greg evokes him with a rarely equalled emotional strength. "Sit back down / Have another cup of coffee / Let the world go by / For an hour or two / And if you take a notion / Strum a C-Chord / Maybe some of Bob’s wisdom / Will come to you". Greg imagines Bob Childers in Heaven, near Woody Guthrie, strumming his famous C-Chord with a friendly smile.

This track alone would justify the acquisition of the disc, but everything (more than sixty-eight minutes) is at the same high level. It's the level where Greg Jacobs stands, the level of his models, Bob and John. Only a wider recognition is missing now.

mercredi 27 juillet 2011

Bluegrass de France

Bluegrass 43 – The Witch



Bluegrass 43, c'est une histoire d'amitié, d'abord. D'amour aussi, de la musique et plus précisément du bluegrass. C'est aussi la preuve que l'herbe bleue peut s'épanouir au soleil du Puy en Velay où passe donc aussi la route de cette musique née au Kentucky.

La formation actuelle (Alain Audras: basse et dobro; Jean-Marc Delon: banjo et guitare; Jean-Paul Delon: guitare; Philippe Ochin: mandoline) est née en fait à Lyon en 1983. Les quatre amis vivent aujourd'hui entre Bourgogne et Bordeaux (tout un programme) et se produisent aussi souvent que possible, avec un succès qui ne se dément pas. Le dossier qui leur est consacré dans le dernier numéro du Cri du Coyote vous en apprendra davantage.

Sur le plan discographique, le quatuor n'avait jusqu'à présent à son actif qu'un album, "Country & Swing" paru en 1989, enregistré entre Riom-es-Montagne, Auvergne,  et Nashville, Tennessee, disque riche: 21 titres alliant Mozart à Charles Trénet, Hank Williams à Paul Siebel, sans oublier quelques compositions originales. Il bénéficiait aussi de la présence de quelques grands noms: Sam Bush, Kathy Chiavola, Kenny Malone sans oublier le sorcier du son, Bil Vorn Dick. Ce disque est de nouveau disponible en téléchargement, ici par exemple: http://www.qobuz.com/album/bluegrass-43-country-swing-bluegrass-43/3297167890217

Changemment total de cap avec "The Witch": 6 titres seulement et rien que des reprises. Pas d'intervenant extérieur à l'exception de Stuart Duncan au violon sur un titre et de l'ami Francis Vital (longtemps compagnon de route et qui vit aujourd'hui au Canada) à l'harmonica et à la voix ténor sur un autre.

Six titres (pas tout à fait 18 minutes), c'est court. C'est frustrant parce que c'est bon. On se console en se disant que Doyle Lawson avec son groupe Quicksilver a fait à peine plus (7 titres) pour son dernier opus, "Drive Time". Et puis on se dit que l'on ne devra peut-être pas attendre 22 ans pour le prochain enregistrement! C'est du moins ce que souhaitent les membres du groupe: moins, mais plus souvent.

Autre consolation, de taille, la qualité du disque. Rien que des grands titres, des grands songwriters, jugez-en (l'avantage d'un disque court, c'est que l'on peut citer tous les titres!
1- I've just seen a face (John Lennon / Paul McCartney)
2- The witch (Jeff Hooker)
3- Mr. Jones (Raul Malo)
4- Never again (Benny Williams)
5- Carolina star (Hugh Moffatt)
6- With a memory like mine (Darrell Scott / Wayne Scott)

Maintenant, il ne vous reste qu'à écouter, pour être conquis. À lire, aussi, car la présentation du disque par l'ami fidèle, Jacques Brémond, est pleine de saveur.

Vous apprécierez la qualité des instrumentistes, rodés sur la route et soudés par une réelle complicité. Sur le plan vocal, Bluegrass 43 n'a rien à envier à la plupart de ses cousins d'Amérique et Philippe (lead), Jean-Marc (tenor, low tenor, baritone), Jean-Paul (baritone), Alain (bass) font mieux que rendre justice aux titres qu'ils interprètent, il leur donnent une nouvelle vie. Écoutez par exemple la reprise de "Carolina Star" de Hugh Moffatt dont vous connaissez sans doute quelques versions prestigieuses. C'est une totale réussite.

En attendant le prochain disque, vite, ne passez pas à côté de celui-ci. Vous pouvez vous le procurer ici: http://www.bluegrass43.com/cdthewitch

Vous pouvez aussi écouter quelques titres là: http://www.reverbnation.com/artist/song_details/8962038

lundi 25 juillet 2011

Salut Bill

Bill Morrissey, 25 novembre 1951 - 23 juillet 2011


Bill Morrissey nous a quittés brutalement alors qu'il était en tournée (en Georgie, USA) et que tout semblait aller bien pour lui. Il laisse une œuvre dont on a pas fini de mesurer la richesse.

Pour ma part, je ne l'ai longtemps connu que par son disque en duo avec Greg Brown "Friend Of Mine" (1993), et c'est notre ami commun Hervé qui a réellement appelé mon attention sur ce songwriter et guitariste de grand talent, qui a inspiré nombre de ses pairs.

Par amitié pour Bill, Hervé avait organisé un concert exceptionnel à la Pomme d'Ève le 24 janvier 2010, 18 mois après les "adieux "officiels" de l'association Acoustic in Paris. C'est de ce concert qu'est extraite la photo ci-dessus. La veille, Bill s'était produit au Cinéma Jean Vigo de Jacques Déniel.

Je dédie ces quelques lignes à ses amis, à mes amis, Joe Phillips (à qui j'ai malheureusement annoncé la mauvaise nouvelle) et Hervé Oudet.

Adieu l'artiste, et merci.

http://www.billmorrissey.net/

jeudi 21 juillet 2011

WildCat Recording. Jerry Short

Jerry Short: Lifeline


L'ami Joe Phillips ne manque jamais de nous surprendre et nous offre régulièrement des disques d'artistes dont la renommée n'était jamais parvenue à nos oreilles. "The reality of Art" est le slogan de son label, WildCat Recording et, quel que soit le genre proposé, on a l'assurance de la qualité.

Je ne sais pas qui est Jerry Short, d'où il vient (il est né dans le Kentucky et a grandi dans l'Indiana avant de se fixer dans le Maine), mais je sais que cette dernière découverte (le disque est disponible aujourd'hui - à commander ici: http://www.wildcatrecording.com/) va séduire bon nombre d'amateurs d'Americana.

Jerry est un adepte du picking,des guitares qui résonnent, claires et fières. Il est ici accompagné principalement de Rick Watson avec qui il produit le disque. Rick touche à (presque) tout: guitares, piano, mandoline, accordéon, violon... Il a par ailleurs dans le passé joué avec des artistes légendaires tels que Bill Morrissey, Cormac McCarthy (not the writer), Allison Krauss et... Joe Phillips. Inutile de préciser que l'on est ici dans le très haut niveau.

Mais ce n'est pas tout car Jerry est un excellent chanteur, à la voix pure, et un songwriter de premier plan qui aborde avec bonheur pas mal de genres musicaux (il a écrit ou co-écrit les dix titres de "Lifeline"). Ses influences vont de Bill Monroe à Paul Simon en passant par les Allman Brothers. La palette est étendue...

L'album commence par le morceau titre, un peu à part, une chanson écrite pour le mariage d'un ami, l'ambiance est très seventies, peace & love, l'amour pour ligne de vie, avec des harmonies qui rappellent Brewer & Shipley (si quelqu'un s'en souvient). Le piano est ici très présent. Ambiance très paisible également pour le deuxième titre, hommage à l'Indiana. Les titres plus "roots" arrivent ensuite. L'évocation d'un peintre, poète et vagabond, Everett Ruess, est suivie par "The Baseball Cap", véritable chanson d'amour-humour pour une casquette (avec du velcro derrière)! Inimaginable chez nous. Mandoline, dobro et violon sont entrés en action.

Et c'est le moment que choisit Jerry pour nous asséner un blues-rock électrique, "Get That Outa Here" qui lui permet de démontrer son talent d'harmoniciste et son éclectisme. Ce titre est tonifiant, comme l'est "Katie's Barn", à l'ambiance totalement différente, très rurale, avec crin-crin et accordéon. Deux ballades suivent, très belles, pour nous permettre de souffler, avant que le violon endiablé ne reprenne les commandes pour "Carter Joe", dédié au fils de Jerry (qui signale que la ressemblance de ce morceau avec "Hot Corn, Cold Corn" est totalement intentionnelle).

Pour terminer, "Nothing Ever Felt This Good To Me" nous plonge dans une ambiance cajun. Une guitare électrique (tendance Shadows) s'unit, bien sûr, à un accordéon. Un "parlez-vous Français" se fait entendre au détour d'un couplet. Bon temps roulez, Thunderbird et gumbo sont de sortie. Les voitures, l'amour, la nourriture: les choses essentielles de la vie, en somme...

Joe Phillips dit de cet album que c'est de la "real American music", celle qu'il aime (il dit aussi que le disque est too Short). J'ajouterai que c'est pour moi l'une des belles surprises du moment (mais chez WildCat, la véritable surprise serait d'entendre un album qui soit simplement moyen). C'est le genre de disque que je peux écouter en boucle, un après-midi entier, sans me lasser, qui vogue avec aisance d'un genre à l'autre en évitant avec talent tous les écueils.

mercredi 20 juillet 2011

Je ne suis qu'un cri...

Deux mois déjà sans Xroads. Deux mois que mes chroniques sont orphelines. Le mois dernier, j'ai publié ici celles qui avaient été écrites pour l'édition de juin (#99) qui n'est jamais parue.

Je vais désormais reprendre un rythme plus régulier et vous parler de toutes ces musiques que j'aime et qui continuent à m'enchanter et à m'étonner, tellement la qualité artistique est grande.

En attendant, "Le Cri du Coyote", irréductible fanzine de passion, continue à résister encore et toujours à l'envahisseur. Un numéro double (123/124) vient de paraître, qui réussit la performance de réunir sur la même couverture Elvis Presley et Bluegrass 43. Je ferme les yeux et les imagine jammant sur "Blue Moon of Kentucky".


56 pages riches et denses, à glisser dans toutes les valises de l'été.

Pour s'abonner (pas disponible en kiosque), une seule adresse:

Le Cri du Coyote
BP 48
26170 BUIS LES BARONNIES
France
cricoyote@orange.fr

That's all, folkeux, rendez-vous très vite ici-même. Je vous parlerai (dès que je l'aurai reçu) de "The Witch", le nouvel EP de Bluegrass 43 qui démontre que le bluegrass français de qualité existe...

samedi 25 juin 2011

Peter Case et sa valise magique

Peter Case: The Case Files (Alive Records / Differ-Ant)
Peter Case: Wig! (Yep Roc Records)
The Nerves: One Way Ticket (Alive Records)
The Plimsouls: Live! Beg, Borrow & Steal (Alive Records)

http://www.petercase.com/

En convalescence après son opération à cœur ouvert en 2009, Peter Case n'est pas resté inactif. Il a fouillé dans ses archives et exhumé quelques trésors des Breakaways, Nerves et Plimsouls, ses anciens combos. Aujourd'hui, il s'attaque à son œuvre solo et nos propose onze titres tout droit sortis de sa valise, enregistrés entre le milieu des années 80 et 2009.

Voici donc "The Case Files". Les sources sont différentes, les conditions de réalisation aussi: des maquettes, des enregistrements live, des titres oubliés dans quelque carton et, pourtant, l'artiste nous propose un ensemble dont le manque de cohérence ne saute pas aux oreilles, il est même d'une consistance que pourraient lui envier beaucoup d'albums, conçus comme tels, qui sortent de nos jours. Le son est rude, souvent, mais clair en même temps, par la magie de la production; il véhicule une urgence et une énergie auxquelles, il faut bien le dire, Peter nous a habitués depuis toujours. L'esprit des Plimsouls ne s'est pas affadi avec le temps. On rencontre pêle-mêle les compagnons d'enregistrement de ses disques récents, un Plimsoul par-ci (Eddie Munoz pour "Anything (Closing Credits)", un T Bone Burnett par-là (pour une première version de "Steel Strings" à l'époque du premier album solo) ou encore Stan Ridgway ("Let's Turn This Thing Around"). Remarquable aussi est la présence du regretté Duane Jarvis, notamment sur le titre le plus expérimental du disque "Ballad Of The Minimal Wage". Quatre reprises sont au menu à côté des compositions originales. Le classique "Milk Cow Blues", le blues des Stones "Good Times, Bad Times" (pas le plus connu mais un des meilleurs), celui de Maître Bob "Black Crow Blues" (même remarque que pour les Stones) et un "The End" bien sauvage d'Alejandro Escovedo. Un disque destiné aux fans mais qui deviendra vite indispensable, non seulement à tout amateur du bonhomme (qui n'a pas épuisé, à n'en point douter, sa malle aux trésors) mais aussi à tous ceux qui ont besoin de cette conception intègre de la musique, quel que soit son genre.


Je profite de l'occasion pour parler de "Wig!" paru en 2010 et qui est passé un peu inaperçu en notre beau pays. En effet, pendant sa convalescence, Peter ne s'est pas contenté d"explorer ses archives, il a aussi enregistré un album. On aurait pu s'attendre à une collection de ballades tranquilles et l'on découvre un petit bijou de blues-rock où Peter Case a pour seuls partenaires D.J. Bonebrake (percussions diverses) et Ron Franklin (guitares et un soupçon de piano), à l'exception d'un titre enregistré en 2005 avec un groupe incluant Duane Jarvis, décédé en 2009. Manifestement, le cœur tout neuf de Peter joue bien son rôle si l'on en juge à la vitalité déployée tout au long de cet album qui se situe quelque part entre Chuck Berry et le blues revival anglais des années 60. Vital, indispensable!




The Nerves, groupe éphémère fondé en 1975 comprenait Peter Case, Paul Collins et Jack Lee. Durant sa courte existence, il n'a publié en tout et pour tout qu'un EP 4 titres, réédité depuis sous différentes formes. Cette compilation, produite en 2008 par Peter est la plus complète. Des titres studio, des titres live, des maquettes, tout y est, et même un peu plus: trois des morceaux n'ayant pas été enregistrés par les Nerves mais par, respectivement, les Plimsouls, Jack Lee & Band ou Paul Collins & Peter Case. D'une certaine manière, ce disque sonne un peu comme du remplissage (il comporte vingt titres alors que le groupe n'en a publié officiellement que quatre) mais, quoi qu'il en soit, c'est un document fondamental, le début d'une histoire qui s'est poursuivie avec the Breakaways, the Plimsouls et Paul Collins' Beat.



Rien de tel avec les Plimsouls et "Live! Beg, Borrow& Steal" puisqu'il s'agit d'un concert enregistré le 31 octobre 1981 au Whisky A Go Go, à Los Angeles, quelques mois après "One Night In America". Si ce dernier, plus court, avait un son plus sauvage, la nouvelle publication (parue en 2010) montre un groupe cohérent, sans doute l'un des meilleurs de cette époque avec les Blasters. Les Plimsouls sont déjà au sommet de leur art scénique, passant avec aise du rock au rhythm & blues, des compositions de Peter Case aux reprises de Little Richard, Bo Diddley, Larry Williams ou Ray Davies. À noter, sur deux titres, la présence des Fleshtones qui ouvraient le show en ce soir d'Halloween. "Everywhere At Once", le meilleur album du groupe, ne devait paraître qu'en 1983, mais tous les ingédients étaient déjà présents dans cet enregistrement public avec, en particulier, un "A Million Miles Away" qui démontrait le grand talent de songwriter de Peter Case.

jeudi 23 juin 2011

Audrey Auld, le soleil de Tasmanie

Audrey Auld: Come Find Me (Reckless Records)

Ceux qui me connaissent déjà et qui ont fréquenté mon blog "Blue Umbrella" savent déjà à quel point j'apprécie Audrey Auld-Mezera, que je vous avais présentée ici:

Ellenous revient aujourd'hui avec un nouvel album, son plus abouti à ce jour.

"There are a thousand ways I could show my love / A thousand songs I could sing / I can feel the grace of my family’s place / My heart is in Tasmania".


La Tasmanie, île située au sud de l'Australie dont elle est un état, est surtout célèbre pour ses diables (des marsupiaux). Elle peut aussi s'enorgueillir d'Audrey Auld, sans doute le plus beau cadeau offert aux USA. Depuis ses débuts discographiques en 1999 (l'album "Looking Back To See", en duo avec Bill Chambers, père de Kasey Chambers), elle a conquis l'Amérique (et en particulier Mez Mezera qu'elle a épousé), enchaîné les enregistrements de haute volée, démontrant d'indéniables et originales qualités de songwriter, et recueillant au passage l'hommage de ses pairs (Fred Eaglesmith, Mary Gauthier, Eliza Gilkyson, Jimmy LaFave, Kieran Kane et bien d'autres) pour ses talents vocaux et scéniques.

Elle enchante évidemment le public, aussi bien dans sa patrie d'adoption qu'en Australie où elle vient d'effectuer une tournée triomphale.

Son nouvel opus, "Come Find Me", a été enregistré à Austin sous la houlette de Mark Hallman, par ailleurs principal contributeur instrumental et nous offre douze joyaux de la plume d'Audrey, deux étant des co-compositions: "Just Love" avec Mez Mezera et "Orphan Song" avec l'auteur australien Terry McArthur. Ce dernier titre (enregistré a cappella) est dédié à Mary Gauthier, le texte en ayant été inspiré à son concepteur après une rencontre avec Mary. "Petals" est un titre dédié à John Dee Graham, légende de la scène d'Austin, survivant de tous les excès et accidents de la vie. Audrey a également écrit la chanson "Bread And Roses" pour le pénitencier de San Quentin où elle s'est souvent produite lors de ses séjours en Californie.

Rien à jeter dans cet album, vous l'avez deviné, mais "Tasmania", dont quatre vers sont cités en introduction de cette chronique, occupe une place de choix, tellement ce titre porte l'émotion à fleur de peau de celle qui se dit la fière représentante de la Tasmanie partout dans le monde. "Forty", avec le piano magique et jazzy de Michael Ramos, mérite également une citation: "J'ai quarante ans / Je suis à mi-chemin de la maison"; une chanson pour rester toujours jeune. Audrey se prend pour Johnny Cash, avec l'ombre du picking Luther Perkins (ici, c'est Phil Hurley qui est à la guitare), quand elle chante "Nails", elle évoque Rosa Park ou Martha Luther King dans "The Butterfly Effect".

Comme on le voit, les thèmes d'inspiration sont riches et variés. "Just Love" est une exception pour quelqu'un qui dit ne jamais écrire de chansons d'amour.

Audrey Auld Mezera a encore frappé fort et juste. Son nom devrait devenir plus grand encore et ce disque figurer dans la discothèque de tout amateur d'americana qui se respecte, un americana auquel Audrey apporte l'inestimable et salutaire fraîcheur d'un autre continent.