mercredi 19 juillet 2023

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Tina ADAIR

"Here Within’ My Heart" 

Cri du 💚  

Si vous avez aimé Tina Adair dans ses derniers albums solo, en duo avec Dale Ann Bradley ou avec le groupe Sister Sadie, vous adorerez Here Within’ My Heart. Elle n’a jamais aussi bien chanté. Intense sur les titres rapides et blues, expressive et délicate avec un léger vibrato sur les tempos plus lents. Elle s’est très bien entourée avec les guitaristes Cody Kilby et Pat Mc Grath, Rob Ickes au dobro, Tim et Dennis Crouch (fiddle et basse) – tous les cinq déjà présents sur son dernier album (Le Cri du Coyote 170), le mandoliniste Jesse Brock et Ron Block dont j’avais presque oublié qu’il maîtrisait si bien le style Scruggs au banjo. Les arrangements ont la même intensité que la voix de Tina. Une particularité de Here Within’ My Heart est le choix de Wes Hightower pour partenaire vocal dans les dix chansons. Hightower est un spécialiste des harmonies vocales country - il a chanté dans 150 chansons arrivées en tête des charts (avec Trace Adkins, Brad Paisley, Toby Keith, Carrie Underwood pour n’en citer que quelques-uns). C’est un pro, il fait un excellent job, avec un résultat sans doute un peu différent de ce qu’aurait donné le disque avec des chanteurs bluegrass. Trois titres lents du dernier album, pourtant excellent, m’avaient paru moins intéressants que les autres. Ici, le slow I Wish ThatI Could Hurt That Way Again est magnifiquement interprété. Le blues-rock intense Bad Intentions rappelle les meilleurs moments de l’album Born Bad (Le Cri du Coyote 137). Here Within’ My Heart est un album varié avec du bluegrass classique (Seasons of Love) ou moins classique (My Baby’s Gone, Bridge You’re Gonna Burn), une touche country (Some Things You Can’t Undo), une reprise de Reba McIntyre avec un banjo crépitant (Walk On), une ballade de Steve Miller qui swingue comme elle ne l’a jamais fait (As Long As There’s A Shadow) et du gospel mené par une guitare en fingerpicking (le classique Lonesome Valley). Un très bon disque. Tina Adair sera sur toutes les listes au moment d’élire la chanteuse bluegrass de l’année. 

 

SPECIAL CONSENSUS

"Great Blue North" 

Depuis Chicago Barn Dance en 2020, le groupe Special Consensus a encore perdu la moitié de ses membres (deux sur quatre). Statistiquement, c’est normal. En 48 années d’existence, près de 50 musiciens ont défilé aux côtés du banjoïste Greg Cahill, soit au moins un musicien remplacé chaque année. Au regard de la réussite récente du groupe, le départ de musiciens est plus étonnant. Special Consensus a mis longtemps à s’imposer comme un groupe majeur mais c’est depuis une douzaine d’années une formation bluegrass de tout premier plan. Chicago Barn Dance a été élue chanson de l’année 2020 par IBMA après que Rivers & Roads ait été sacré meilleur album de 2018. Largement de quoi espérer un effectif stable. Le chanteur Rick Faris a néanmoins fini par tenter sa chance en solo après, il est vrai, douze années dans le groupe. Ce qui a changé pour Special Consensus, c’est qu’il y a quelques années, Greg Cahill se serait mis en quête d’un jeune prometteur qui puisse progresser au fur et à mesure des concerts et des enregistrements (ce fut le cas pour Faris). Aujourd’hui, la notoriété du groupe lui permet d’attirer un chanteur confirmé comme Greg Blake (ex- Jeff Scroggins & Colorado). Le nouveau guitariste interprète six chansons de Great Blue North, album consacré à des titres écrits par des artistes canadiens ou installés au Canada (Claire Lynch avait fait la même chose il y a quelques années avec son album North By South). Mes préférés sont Don’t You Try To Change Your Mind, très classique, rapide, mais avec un phrasé original qui fait la différence, et un bon arrangement bluegrass de Snowbird, succès de la chanteuse country Anne Murray en 1970. Comme c’est assez souvent le cas avec Greg Blake, il y a un petit côté Country Gentlemen qui plaira à beaucoup dans Blackbird et Brave Mountaineers, une chanson de Gordon Lightfoot que Tony Rice n’avait pas inscrite à son répertoire. Time Wanders On du duo folk The Small Glories a un arrangement plus moderne, moins convaincant, tout comme la partie lente de The Jaybird Song de John Reischman (mais la partie rapide est sympa avec de bons solos de banjo et mandoline). Le nouveau mandoliniste de Special Consensus, Mike Prewitt, chante deux titres avec un timbre plus âpre, plus "traditionnel" que celui de Blake. J’aime beaucoup Highway 95. C’est une bonne chanson, rythmée, bien chantée, arrangée avec beaucoup de dobro (Rob Ickes, excellent) et un solo original de Cahill. Alberta Bound (autre titre de Lightfoot) m’a moins plu à cause des chœurs à la fin. Le sommet de l’album est selon moi Mighty Trucks of Midnight, seul titre interprété par le bassiste Dan Eubanks. C’est une composition de Bruce Cockburn chantée d’une voix claire et tranchante sur une rythmique blues-rock qui associe banjo picking et clawhammer. Très original. Il n’y a pas de bon disque de Special Consensus sans instrumental avec une distribution chorale. Pretty Kate & The Rabbit est une suite qui associe deux airs traditionnels, La Belle Catherine et Jack Rabbit Jump. Greg Cahill et Alison Brown jouent à deux banjos, Darol Anger et April Verch à deux fiddles. Il y a un bon solo de mandoline et même une courte intervention de contrebasse. C’est vif, entrainant, plein de jeunesse. Que voulez-vous, ce groupe n’a que 48 ans. 

 

Alison BROWN

"On Banjo" 

Cri du 💚  

Le précédent album d’Alison Brown, Story of the Banjo, date d’il y a déjà huit années. Les instruments bluegrass y étaient peu présents (à part le banjo bien entendu). Quelques morceaux étaient réussis mais, globalement, Story of the Banjo était gâché par une batterie mixée trop fort, un banjo et des claviers qui se marchaient parfois sur les pieds et trouvaient trop rarement la bonne complémentarité. Dommage car j’avais trouvé qu’Alison Brown n’avait jamais aussi bien joué. Il n’y a pas beaucoup plus d’instruments bluegrass dans On Banjo (fiddle ou mandoline sur trois titres), il y a encore du piano dans la majorité des morceaux, pas mal de flûte aussi. En plus, le répertoire et l’interprétation sont en grande partie jazz, ce qui n’est pas trop mon truc. Pourtant, j’aime beaucoup cet album. La batterie et les percussions sont beaucoup plus discrets que dans Story of the Banjo et Alison joue toujours aussi divinement bien. Neuf compositions parmi les dix titres, tous instrumentaux. Les morceaux les plus jazz sont arrangés avec piano et flûte. Wind The Clock et Old Shatterhand sont dans la tradition du jazz nord-américain. Old Shatterhand a un début très rapide qui convient bien au banjo, enchainé avec une partie au piano plus décontractée genre lounge bar. Les deux morceaux d’inspiration brésilienne, Choro’ Nuff (avec clarinette) et Banjobim, sont superbes. Je suis un peu moins emballé par la seule reprise, Sun & Water, qui est en fait un medley de Here Comes The Sun (The Beatles) et Waters Of March de Antonio Carlos Jobim qu’on connait en France par son adaptation par Georges Moustaki (Les Eaux de Mars). C’est indéniablement bien joué mais les mélodies sont peut-être trop connues. Deux titres sont d’inspiration plus bluegrass. Malgré son titre, Foggy Mountain Breaking n’est quand même pas votre barnburner de base, c’est du bluegrass plutôt distingué finement joué avec Steve Martin au banjo clawhammer, Stuart Duncan (fiddle) et la jolie mandoline de Sierra Hull. On retrouve Stuart Duncan, compagnon musical d’Alison depuis l’adolescence pour le fiddle tune Tall Hog at the Trough joué en duo. Il y a un autre duo – magnifique – celui de Sierra et Alison sur Sweet Sixteenths, une fugue pour banjo et mandoline qu’on croirait être une adaptation d’une œuvre de Bach. On revient en partie au jazz avec Regalito à la croisée de diverses influences. Alison Brown y joue sur un low banjo, accompagnée par Sharon Isbin (guitariste de jazz brésilien) et des percussions. L’arrangement est très original. On Banjo s’achève (trop vite) avec Porches. Alison est accompagnée par l’orchestre de cordes Kronos Quartet dans une valse un peu viennoise, un peu musette, un peu film de Chaplin. On Banjo est un très beau disque instrumental où Alison Brown montre tout à la fois ses talents de banjoïste dans les contextes les plus variés et de compositrice tout terrain. 

 

APPALACHIAN ROAD SHOW

"Jubilation" 

Cri du 💚  

Le précédent disque d’Appalachian Road Show s’intitulait Tribulation. Le dernier en date se nomme Jubilation et il ne s’agit pas pour le groupe de baptiser leurs albums par allitérations successives. Jubilation est un titre qui va comme un gant à leur nouvel opus. Parmi les groupes jouant du bluegrass traditionnel, il y a les groupes posés, un peu gardiens du temple façon Joe Mullins ou Jr Sisk avec des trios vocaux au cordeau et un banjo qui déroule un impeccable style Scruggs. Il y a aussi ceux qui y mettent énormément d’énergie, souvent parmi les plus jeunes comme Seth Mudler ou Kody Norris. Appalachian Road Show est au-delà de l’énergie, dans un enthousiasme forcément communicatif qui fait du bien à l’auditeur, avec la maîtrise et la virtuosité d’artistes chevronnés. Le groupe a été formé par deux chanteurs complémentaires, le banjoïste Barry Abernathy à la voix blues et le mandoliniste Darrell Webb au registre de tenor, indispensable dans un groupe bluegrass. Autour de ce duo, la formation s’est rapidement stabilisée avec trois excellents musiciens, le fiddler Jim VanCleve (qui a joué avec Abernathy dans Quicksilver puis Mountain Heart), le guitariste Zeb Snyder et une quasi légende à la contrebasse, Todd Phillips, entre autres membre originel du David Grisman Quintet et du Tony Rice Unit. L’enthousiasme suscité par le groupe vient des tempos rapides, de la rythmique appuyée, des chants énergiques et d’arrangements fournis auxquels VanCleve met souvent le feu. Du répertoire aussi. Depuis le temps que Romain Decoret nous parle de Pokey Lafarge dans les colonnes du Cri du Coyote, je m’étais essayé à l’écoute de quelques titres qui ne m’avaient qu’à moitié convaincu, mais là, j’ai été vraiment emballé par la version d’Appalachian Road Show de son La La Blues qui est rapidement devenu un de leurs titres phares sur scène. C’est Abernathy qui le chante, comme il interprète Ballad of Kidder Cole, presque un fiddle tune chanté tant il est porté par VanCleve. Dans le même style il y a Blue Ridge Mountain Baby composé par Abernathy et VanCleve mais chanté par Webb. Un autre morceau enthousiasmant est – malgré le titre – Graveyard Fields, un fiddle tune écrit par VanCleve et l’occasion pour Zeb Snyder de montrer son talent dans son solo. L’autre chanson écrite par VanCleve et Abernathy, Tonight I’ll See You In My Dreams sonne comme un classique et Abernathy la chante d’ailleurs en laissant traîner les syllabes à la manière de Lester Flatt. Dans la même veine, on trouve dans cet album une reprise de Dylan (Only A Hobo) dans une version accélérée, punchy, à laquelle Darrell Webb a ajouté un judicieux passage en yodle à la fin de chaque refrain, et une composition de Rick Lang et Tim Stafford (Troubled Life) à l’arrangement particulièrement intense et fourni. Gallow’s Pole, une chanson folk qu’Abernathy a connu par la version de Led Zeppelin, a un arrangement plus dépouillé (fiddle et Zeb Snyder à la slide) mais tout aussi intense grâce au chant blues de Barry Abernathy. Deux titres plus lents (très bien chantés par Abernathy) permettent de souffler un peu mais ne nous font pas sortir de notre jubilation intérieure à l’écoute de cet album. 

 

VOLUME FIVE

"Karma" 

Après trois très bons albums, Volume Five avait déçu avec For Those Who Care To Listen paru en 2020 (Le Cri du Coyote n° 164). Sans retrouver le niveau de Drifter ou Milestones, Karma est meilleur et permet d’identifier le problème du groupe. Volume Five n’a qu’un chanteur sur ce disque, le fiddler Glen Harrell. Sa voix douce convient très bien aux ballades, au countrygrass, mais pour des chansons plus rythmées, il manque de tranchant (What I Didn’t Say), d’ampleur (My Life), de puissance (No End of Love de John Hartford) ou d’aigus (My Love Will Never Fade). Il s’en sort beaucoup mieux avec le soutien vocal de Shawn Lane sur Walk Beside Me, reprise d’une jolie composition de Darrell Scott et Tim O’Brien. Même chose pour Losing My Religion (une compo de Josh Miller et non le tube planétaire de R.E.M.) grâce à l’harmonie tenor de Josh Shilling dans un arrangement dominé par le banjo staccato de Patton Wages. La voix de Glen Harrell fait merveille dans You Take Me As I Am, très jolie ballade écrite par Craig Market et Thomm Jutz. C’est un des trois titres où Harrell chante sur fond de guitare jouée en crosspicking par Jacob Burleson et chacun est une réussite. Les deux autres sont une seconde ballade, It’s Gonna Get Better, que Market a composée avec Tim Stafford, et The Bible, chanson de Harrell et Jeff Partin qui sonne comme du Blue Highway. Il est dommage que Volume Five n’ait pas dans ses rangs un second chanteur capable d’incarner le volet plus classique du bluegrass. Pour ce qui est des arrangements par contre, le groupe est uniformément bon avec les excellents musiciens que sont Patton Wages, Jacob Burleson, le dobroïste Jeff Partin et Aaron Ramsey qui a remplacé Adam Steffey à la mandoline depuis le dernier disque.

lundi 10 juillet 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Ellis PAUL

"55" 

Quatre ans et une pandémie après The Storyteller's Suitcase (chroniqué dans Le Cri n° 162), Paul Plissey, plus (mais pas assez) connu sous le nom d'Ellis Paul, nous revient avec 55, allusion à l'âge qu'il a atteint quand il a commencé à écrire les chansons de l'album. Ellis continue une quête de beauté commencée vers la fin des années 1980. 55, la chanson titre de l'album, est une évocation de la condition des non-essentiels pendant cette dure période, mais nous parle aussi du vieillissement: "The virus don't care / If You got mouths to feed / Or about songs you're singing / While the world's bleeding / But you got to stay and John Prine's leaving / Who's in charge of the order?" ("Le virus se moque bien / des bouches que tu as à nourrir / ou des chansons que tu chantes / pendant que le monde saigne / mais tu dois rester et John Prine s'en va / qui est chargé de l'ordre?"). La voix tendrement éraillée d'Ellis se promène avec grâce sur des mélodies aériennes avec souvent les harmonies de sa partenaire Laurie MacAllister mais aussi, sur Who You Are, d'une autre Red Molly, Abbie Gardner qui y ajoute son dobro enchanté. Le disque est défini comme réfléchi, adulte et joyeux. La pandémie et les problèmes qui ont nécessité une opération de la main gauche (la droite suivra) ont ralenti Ellis mais ne l'ont pas arrêté. Il peut de nouveau jouer de la guitare et l'optimisme domine l'album. S'il évoque la violence des armes dans les écoles (When Angels Fall), il sait aussi rendre grâce à la vie qu'il vit et aux chansons qu'il chante (Cosmos), il évoque des lieux bénis des dieux (Gold In California) et chante l'amour, pour et avec Laurie MacAllister (Everyone Knows It Now). Il nous parle aussi d'un cadeau de Patty Griffin dans une boîte de chaussures (The Gift). Il faut citer les musiciens qui l'accompagnent au long du disque: Mark Dann (basse et guitare électrique lead), Radoslav Lorkovic (claviers), Erik Parker (batterie). Tous, plus quelques invités sont au top niveau, comme le sont les co-auteurs des douze compositions originales et inspirées (Abbie Gardner, Kristian Bush, John Mabe, Will Chapman et Clarence Easterday).

 

Rodney RICE

"Rodney Rice" 

Rodney Rice, tel est le nom de l'artiste et le titre de son troisième album dont les neuf chansons ont été écrites par Rodney (Little Pieces a été coécrit avec Dale Lewis et Wonder Where I Came From avec Katie Cahn). Comme à l'accoutumée, le songwriter originaire de Virginie occidentale est entouré d'une belle bande de musiciens, sous la direction du producteur Drew Carroll. Les sons sont variés, du piano et des cuivres du morceau d'ouverture, How You Told Me So, et de Set Em Up, à l'orgue de Micah Hulscher sur Little Pieces en passant par le fiddle de Billy Contreras et la mandoline d'Ethan Bollinger sur Roll River Roll. Malgré cela, l'album garde une belle unité, sans temps mort, avec la tonalité d'un country-rock qui sait se parer d'électricité comme dans Wonder Where I Came From, un titre sur lequel on ne peut s'empêcher de battre du pied. Rodney interprète tout cela avec une conviction réjouissante mais aussi un humour et un sens de la mélodie qui lui valent des comparaisons avec John Prine. J'avais déjà été emballé par se deux premiers albums, Empty Pockets And A Troubled Mind (2015) et Same Shirt, Different Day (2020), mais ce troisième LP fait plus que me convaincre que nous avons affaire à un artiste de premier plan comme le prouve le dernier titre, Every Passing Day, qui est en fait une belle porte ouverte sur l'avenir pour un auteur-compositeur dont j'espère que les lendemains chanteront longtemps. 

 

Spike FLYNN

"Lachlan River Blues" 

Après Postcards From The Heart, Lunchtime At La Cantina et Mostly Smokes And Mirrors publiés en 2021, Spike Flynn s'est accordé une petite pause puisque Lachlan River Blues, son nouvel opus, est paru le 25 mai 2023. Spike se réfugie régulièrement vers Lachlan River et dans les régions désertiques qui l'inspirent et dont il apprécie le "feeling", l'horizon, l'ancienneté, le mystère. L'album est imprégné de cette ambiance et, si l'on n'a pas totalement affaire à de la "desert music" (à la manière des Américains de 3hattrio), on sent quand même ce sentiment de solitude et d'isolement au travers des notes distillées par les fidèles Andrew Clermont (fiddle, mandoline, banjo) et Gary Brown (guitares slide). Ces deux-là donnent le ton et la direction musicale du disque dès les premières notes de Here We Go Again ou encore sur Lachlan River Blues Spike, quant à lui, assure les parties de guitare, d'harmonica et de basse électrique. L'aspect musique du désert est particulièrement sensible dans les ballades, longues et lentes, dont Spike s'est fait une spécialité: Dance Your Heart To Me, Jesus The Railway Man (le meilleur titre de l'album pour moi) ou Rocket Ship Blues. Parlons aussi des textes, car le songwriter australien sait raconter des histoires comme nul autre. Jesus The Railway Man ne souffre pas de la comparaison avec Jesus The Missing Years, de John Prine. Le parallèle avec ce dernier ne s'arrête pas là, car on rencontre chez Spike le même sens de l'humour, un humour souvent revêtu d'un blues mélodique et addictif, et un véritable sens de la formule. Dire que Lachlan River Blues, entre folk et pur blues comme le titre tutélaire, est un grand disque est un euphémisme et je vous invite à faire un tour sur le Bandcamp du songwriter originaire des Nouvelles Galles du Sud où vous pourrez découvrir l'ensemble de son œuvre (mais pas le prochain album, déjà enregistré et mixé, et qui est superbe). 

 

The MARSHALS

"Le Ptit Cham Session" 

On connaissait le Bourbonnais par les romans de René Fallet. On peut se demander aujourd'hui si Moulins (Allier), n'est pas en train de devenir la capitale française du blues par la grâce d'un trio qui se produit sous le nom de The Marshals. Thomas Duchézeau (batterie et percussions), Laurent Siguret (harmonica) et Julien Robalo (guitare, voix et écriture des chansons) sont les trois musiciens qui réussissent ce miracle de faire exister, et de quelle manière, le blues du Massif Central. Si l'on veut chercher des comparaisons, il faut se tourner du côté des maîtres du boogie qu'étaient John Lee Hooker et Canned Heat pour leur authenticité. Écoutez par exemple le rythme insufflé par l'harmonica dans Oh My, les premières mesures de Howl, la guitare lancinante sur le court Steal The Silence et vous serez convaincus par cet héritage parfaitement assumé. Rien de fabriqué dans les huit compositions de Julio Robalo (ni dans la seule reprise, Elements and Things de Tony Joe White), juste le pouvoir d'un trio dont les notes sont habitées d'une âme véritable, sans artifice. Après Les Bruyères Session, Les Courriers Session, AYMF Session, etc., le disque a été enregistré au Ptit Cham, au milieu des volcans d'Auvergne, non loin du Sancy, mais il pourrait aussi bien venir du Delta. La vie rude des montagnards, dans un environnement aride, est une inspiration permanente comme pouvait l'être la condition des descendants des esclaves dans le sud des USA. Comme le dit la bio du groupe: "Dans leurs textes, il est question de sorcellerie, d’oiseaux de nuit, des éléments, de la lumière qui apparaît après le désastre, d’une nouvelle aube. Les Marshals portent en eux le souffle épique du blues qui tape au cœur, au plus près de la vie des petites gens. Ils sont un groupe sincère. Ils sont sans doute la meilleure bande-son des temps à venir". On ne saurait mieux résumer l'œuvre des trois bluesmen de l'Allier. 

 

Zach AARON

"This Lovely War" 

Zach Aaron vient de Cleveland, Texas, et This Lovely War est son quatrième album, court et compact avec ses huit titres qu'il interprète de sa voix de ténor. Le premier morceau, May The Iron Horse Get Fed a été co-composé avec Kayla Ray (et déjà interprété par elle). C'est un train song de belle facture classique. Fall Down Drunk avec son rythme chaloupé donne envie de chanter le refrain dès la première écoute. Vient ensuite la reprise de Cowboy In The Continental Suit de Marty Robbins qui montre que Zach aime et maîtrise l'interprétation du genre. It's You est un duo (avec Meredith Crawford?) aux accents nostalgiques qui incite à penser, qui évoque la difficulté des choix à faire. C'est aussi une chanson d'amour avec cette phrase "Sunday morning when I'm coming down" qui est comme un clin d'œil à Kris Kristofferson. Songbird est une valse délicate qui se caractérise essentiellement par un dialogue entre la voix de Zach et la pedal steel. Avec Truth In The Mirror, Zach Aaron habille sa country music de rock et de soul, un peu comme Hayes Carll sait bien le faire. Someone’s Gotta Bleed est peut-être la chanson la plus marquante de l'album, avec ses arrangements qui lui donnent l'apparence de la bande-son d'un western imaginaire. Elle a même, au détour d'un couplet, inspiré le titre de l'album, elle évoque une histoire d'amour qui a mal tourné et non une véritable guerre: "Yesterday is gone / Though burning in your mind / Swimming in the embers of all you left behind / Here I am before you / I am not the enemy / Who is keeping score in this lovely war? / Someone’s gotta bleed” (Hier est parti / Bien que brûlant dans ton esprit / Nageant dans les braises de tout ce que tu as laissé derrière toi / Me voici devant toi / Je ne suis pas l'ennemi / Qui tient les comptes dans cette jolie guerre? / Quelqu'un doit saigner). Le disque se termine avec Latigo Joe (titre co-composé par Wayne Ballew), l'histoire d'un cowboy qui, une nuit d'ivresse, tue le fils d'un homme de loi et se trouve en conséquence condamné à la prison à vie. Il reprend goût à l'existence grâce à l'invitation que lui fait un maton de participer à un rodéo. La jument Graveside le désarçonnera au bout de moins de huit secondes et la chute lui sera fatale. Latigo Joe, mi-parlé, mi-chanté, est un titre qui démontre particulièrement le grand talent de raconteur d'histoires de Zach Aaron qui sait combiner textes intelligents et mélodies qui accrochent et confirme avec This Lonely War qu'il est un digne héritier de Guy Clark ou Kris Kristofferson

 

Bob MARTIN

"Seabrook" 

Le songwriter de Lowell, Massachussetts, nous a quittés à 80 ans, en septembre 2022, laissant derrière lui un héritage discographique placé sous le signe des pointillés. Quatre albums studio (Midwest Farm Disaster en 1972, Last Chance Rider en 1982, The River Turns The Wheel en 1997 et Next To Nothin' en 2000) ainsi qu'un disque en public (Live At The Bull Run en 2010, enregistré en 2008). Ce que l'on ne savait pas alors, c'est qu'il y avait aussi un album inachevé dont les chansons avaient été enregistrées à Seabrook, New Hampshire, un endroit plein de souvenirs pour Bob. C'est là que le 26 mai 2008 Bob avait signé un contrat rédigé à la main avec Jerry David DeCicca et Jake Hough afin d'enregistrer le matériel pour un nouveau LP. Ce qui fut fait en quelques jours. Des instruments furent ajoutés à l'automne suivant, la maquette de l'album proposée à quelques labels, sans suite acceptable, avant de tomber dans l'oubli, ou presque. En effet, Jerry réécoutait de temps en temps les bandes inachevées et, par ailleurs, il était resté en contact avec Tami, la fille de Bob, Lorsque cette dernière l'appela en 2021 pour lui parler de la santé déclinante du songwriter, il décidèrent que le temps était venu de ressortir l'enregistrement de 2008, après treize années. Quelques titres ont été retravaillés, un nouveau mix réalisé par Jake, et voici enfin Seabrook, riche de onze chansons dont quatre avaient déjà vu le jour en version live (My Fater Painted Houses, Stella, Kerouac, Two Half Sisters). Dans ce ce disque, Bob Martin fait du Bob Martin, il nous raconte des histoires ou nous peint des portraits d'une voix délivrée sur le ton de la confidence, accompagné de sa guitare et de son harmonica. Quelques musiciens l'accompagnent: Chris Forbes (guitare électrique), Cannan Faulkner (basses), Sven Kahns (pedal steel), Jovan Karcic (batterie et percussions), Jon Beard et Jake Hough (claviers) et le légendaire Gary Mallaber (vibraphone). Avec le temps, Bob a gagné en sagesse et des chansons comme Midway Motel (ma favorite du disque), Streetlight Moon ou Three Miles Beneath This Mountain font partie des meilleures d'une carrière qui s'est arrêtée il y a quinze ans mais qui grâce à quelques fidèles, trouve un prolongement aujourd'hui.

mardi 4 juillet 2023

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

Dan TYMINSKI

"God Fearing Heathen" 

Cri du 💚 

Dan Tyminski, 56 ans, est pour moi le meilleur chanteur bluegrass de sa génération (celle qui vient après Del McCoury et Peter Rowan). Pourtant, depuis bientôt 30 ans qu’il a quitté Lonesome River Band, le groupe qui l’a fait découvrir, on peut juger qu’il n’a pas fait grand’ chose… Si, deux coups énormes! La voix de George Clooney pour interpréter Man Of Constant Sorrow dans le film O Brother et celle de Hey Brother, tube du DJ électro suédois Avicii qui s’est vendu à plus de 6 millions d’exemplaires dans le monde et a été en tête des charts de 18 pays en 2014. A côté de ça, une poignée de chansons sur les albums d’Alison Krauss & Union Station, deux albums bluegrass sous son nom en 2003 et 2008 et un OMNI (objet musical non identifié) intitulé Southern Gothic, inspiré de la collaboration de Dan avec Avicii, et sorti sous le sobriquet raccourci de Tyminski pour ne pas être confondu avec le reste de sa discographie (un flop commercial si j’ai bien compris). Les derniers albums bluegrass de Dan Tyminski datent donc de 2008 (Wheels en solo) et 2011 (Paper Airplane avec Alison Krauss & Union Station). God Fearing Heathen était donc très attendu et ne déçoit pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Les dix titres sont superbement chantés avec cette voix épaisse, charnue et pourtant claire, qui en garde toujours sous la pédale question puissance et dont chaque inflexion est un vrai bonheur. En plus, Dan (guitare) s’est entouré d’excellents jeunes musiciens qui font un superbe travail: Jason Davis (banjo), un des meilleurs spécialistes du style Scruggs, Grace Davis (basse) et trois membres du groupe East Nash Grass: Gaven Largent (dobro), Harry Clark (mandoline) et Maddie Denton (fiddle). Dan Tyminski reprend Hey Brother dans une version purement bluegrass (sans batterie ni bidouillages électro) qui ravira tous les amateurs du genre, menée par le banjo et le dobro. Une grande chanson. Il a coécrit les neuf autres. Il interprète seul à la guitare God Fearing Heathen. Ode To Jimmy est un hommage à Jimmy Martin. Keep Your Eye On Kentucky, Silence In The Brandy, Never Coming Home et encore plus Never Met A Stranger sont enthousiasmants. Les chœurs de Maddie Denton et Gaven Largent apportent un charme supplémentaire à Occam’s Razor. Le banjo et le fiddle enflamment G.O.A.T. Vous aussi, vous aurez un coup de cœur pour ce disque. Ne le manquez pas, Dan Tyminski est un artiste rare.

 

CIRCUS No. 9 

Avant internet, à la lointaine époque des 33 tours et même aux premiers temps des CDs, nous disposions de peu d’infos pour choisir nos albums bluegrass (souvent achetés par correspondance). Il y avait bien la presse spécialisée, mais elle était rarement objective. Le choix se faisait souvent par associations de musiciens. On achetait l’album de Anger & Marshall parce qu’on les avait aimés avec David Grisman, on pariait sur Quicksilver parce qu’on avait apprécié Doyle Lawson avec les Country Gentlemen, on découvrait Alison Krauss parce qu’il y avait Tony Trischka, Sam Bush, Jerry Douglas et Russ Barenberg sur son premier album… C’est ainsi que j’ai connu Circus No. 9, à l’ancienne, parce que j’avais aimé le mandoliniste Thomas Farrell sur l’album de Mason Via (cf. Bluegrass & C° du mois de janvier). En plus de Cassell, Circus No. 9 est composé depuis sa formation en 2016 de Matthew Davis (banjo), Ben Garnett (guitare) et Vince Ilagan (contrebasse). Cassell et Davis sont les principaux chanteurs et compositeurs. Le répertoire est 100 % original et cinq des onze morceaux sont signés par l’ensemble des membres de Circus No. 9. Pour cet album sans titre (leur second), ils sont accompagnés sur sept morceaux par John Mailander (fiddle) et sur trois autres par un batteur. Circus No. 9 joue du bluegrass moderne. Davis, Cassell et Mailander brillent dans les quatre instrumentaux. Comme les Punch Brothers, il y a pas mal de crescendos et de descentes d’adrénaline mais sans les ralentis extrêmes qui m’énervent chez la bande à Chris Thile. To The Lighthouse est entre new acoustic et newgrass. Unfinished Business est plus doux, dans le style des chansons du groupe. J’ai moins aimé les deux autres instrumentaux qui s’enchainent sur dix minutes avec une intro pour laquelle on croirait que les Beatles sont venus leur passer les bandes à l’envers (en fait des bidouillages électro de Garnett). J’ai, en revanche, apprécié toutes les chansons. The Place That I Call Home est la plus classique, chantée par la voix douce de Thomas Cassell, avec un banjo dans le style Scruggs. Headphones est plus moderne, presque pop, avec une rythmique savante et un bon arrangement punchy. Steampipe Coffee est caractérisé par une mandoline créative, un bon gimmick de banjo et un solo de guitare électrique qui rend rock la fin du morceau. Forever More, par sa mélodie, le chant doublé et l’atmosphère intimiste fait penser à l’album From Langley Park To Memphis de Prefab Sprout (ça date de 1988 et ce groupe pop anglais n’a rien à voir avec le bluegrass, je vous le concède). Kind Of Fool est un titre jazz avec des fulgurances funk (c’est un des morceaux arrangés avec un batteur et Ben Garnett y joue de la guitare électrique). Les quatre musiciens sont tout aussi à l’aise sur ce titre que sur les morceaux bluegrass et newgrass. Circus Train No. 9 est une chanson en plusieurs mouvements qui démarre en ballade, s’accélère puis ralentit pour une partie instrumentale en valse qui se transforme en musique de cirque. L’album s’achève en douceur avec Scaffold Song interprétée par Matthew Davis avec Aoife O’Donovan (toujours prête à contribuer aux albums des artistes novateurs) sur fond de banjo, fiddle et contrebasse à l’archet (Vince Ilaman est aussi virtuose que ses camarades). Les vieilles méthodes ont décidément du bon pour découvrir les nouveaux talents. 

 

Michael CLEVELAND

"Lovin’ Of The Game" 

Cri du 💚  

Après The American Fiddler de Andy Leftwich en avril, Lovin’ Of The Game est le deuxième album d’un violoniste bluegrass à être Cri du Cœur cette année. Deux disques pourtant bien différents. Celui de Leftwich était 100 % instrumental. Il y a huit chansons parmi les douze titres choisis par Michael Cleveland. Cinq ont été enregistrés avec diverses vedettes du bluegrass. I Wish I Knew Now What I Knew Then est une valse lente écrite et chantée par Vince Gill, placée au milieu de l’album, qui calme (un peu) le jeu au milieu de titres rythmés emportés par la fougue du flamboyant Michael Cleveland. For Your Love de Joe Ely est magnifiquement chanté par Billy Strings dans un arrangement newgrass. Sunny Days est interprété par Jeff White, fidèle compagnon de route de Cleveland. Temperance Reel est chanté en duo par Luke Bulla et Tim O’Brien et accompagné en triple fiddle par Bulla, O’Brien et Cleveland. Contact est une des deux compositions instrumentales de Cleveland, un tempo rapide où il double fiddle et mandoline (avec le même feu qu’au fiddle), passant le relais ou jouant en duo avec Béla Fleck et Cody Kilby, excusez du peu. Deux morceaux ont été enregistrés avec les Travellin’ McCourys, l’instrumental Five Points (la seconde compo de Cleveland) et Luxury Liner de Gram Parsons, une chanson que je n’aime pas beaucoup d’habitude mais que j’ai trouvée très réussie dans l’arrangement concocté par Cleveland autour de la voix de baryton de Jason Carter. Les cinq autres titres ont été enregistrés avec le groupe de Michael Cleveland: Josh Richards (guitare), Nathan Livers (mandoline), Josiah Shrode (banjo) et Chris Douglas (basse). Beaucoup moins connus que les invités cités précédemment mais tout autant talentueux. Richards est vraiment un excellent chanteur et les harmonies vocales sont parfaites. Il interprète un titre rapide et deux bons countrygrass dont One Horse Town soutenu par un batteur. Ils jouent enfin deux instrumentaux, Empty Pocket Blues sur les chapeaux de roues avec un coup de main de Bryan Sutton à la guitare, et Thousand Dollar Holler, un traditionnel qui me semble en fait être Lost Indian et d’ailleurs joué dans le même arrangement que Country Gazette, avec la voix de Tim O‘Brien qui se confond (ou s’harmonise) avec le fiddle. Brillant! 

 

Tim O’BRIEN

"Cup Of Sugar" 

À part Red On Blonde (consacré à des reprises de Bob Dylan) et Chicken & Egg en 2010, tous les albums de Tim O’Brien (soit une bonne quinzaine) portent le titre d’une des chansons du disque. J’ai rarement trouvé que le choix s’était porté sur celle que je préférais mais, pour Cup of Sugar, c’est une évidence. Ce titre est un vrai bijou. Le texte (les relations de Tim avec son voisin) est un savoureux morceau de philosophie du quotidien, un vade me cum du vivre ensemble. Chaque anecdote fait mouche avec tout l’humour second degré et l’auto-dérision dont Tim est capable. Les parties chantées en duo par Tim et son épouse Jan Fabricius sont très réussies, portées par un arrangement guitare – mandoline tout en nuances. Il y a beaucoup d’autres bonnes chansons dans ce disque, toutes composées par O’Brien, à commencer par deux titres bluegrass, Let The Horses Run auquel l’harmonie vocale de Del McCoury donne tout son cachet, et Little Lamb, Little Lamb, moins classique, plus marqué par le style de Tim. Trois arrangements sont rythmés par le banjo old time de Tim, Bear (sur la place de la nature dans nos sociétés modernes), le dynamique Shout Lulu (à propos d’un chien millionnaire qui urine sur la statue du fondateur du Ku Klux Klan) et Diddleye Day, une des trois chansons coécrites par Tim et Ronnie Bowman. Depuis que Jan Fabricius accompagne sa vie mais aussi sa musique, Tim est plus souvent guitariste que mandoliniste et c’est avec un joli fingerpicking qu’il accompagne le honky tonk The Pay’s A Lot Better, écrit avec Thomm Jutz, autre tranche de philosophie non dénuée d’humour ("The weather is better than six feet under and the pay’s a lot better too"). Jan Fabricius interprète She Can’t, He Won’t and They’ll Never d’une jolie voix plutôt folk. Gila Headwaters est intégralement chanté en duo. C’est la plus jolie mélodie de cet album qui marque le retour de Tim O’Brien aux arrangements qu’il privilégiait dans les années 90, avec une très nette prépondérance des instruments à cordes acoustiques, même s’il semble délaisser le bouzouki depuis quelques années. Les claviers de Mike Rojas sont présents sur plusieurs titres mais le piano n’est en première ligne que dans l’arrangement de The Pay’s A Lot Better. L’orgue accentue le côté blues de Thinkin’ Like A Fish. Guitare, mandoline (Jan Fabricius mais aussi Tim sur deux titres), banjo (Cory Walker) et fiddle (Shad Cobb) sont parfois soutenus par la batterie ou les percussions de Jamie Dick. On a hâte de retrouver ces chansons avec Tim et son groupe à La Roche Bluegrass Festival cet été. 

 

Nick DUMAS 

"Details" 

Nick Dumas s’est fait connaître comme mandoliniste de Special Consensus, groupe avec lequel il a enregistré deux bons albums (dont Rivers & Roads, album IBMA de l’année 2018). Details est son second album solo. Il s’est entouré d’une équipe talentueuse où brillent particulièrement Jeff Partin (dobro) et Kenny Smith (guitare) et qui comprend aussi Carley Arrowood (fiddle) et Russ Carson (banjo). Les deux instrumentaux de l’album sont de la plume de Dumas. Bozeman est assez classique. Harvest Sky est plus moderne, beaucoup plus intéressant et a inspiré l’ensemble des musiciens. Parmi les neuf chansons, Dumas n’a écrit que Old Soul, moderne, bluesy et intense. Pour les autres, il s’est adressé aux songwriters bluegrass en vogue que sont Becky Buller (4 titres), Tim Stafford, Daniel Salyer et Jon Weisberger. L’ensemble est plutôt moderne. Le fiddle est grâcieux et le dobro remarquable dans Details. Riding The Boston & Maine est un trainsong efficace de Stafford. We’d Go To Town joue sur la nostalgie. How Many Tours, un titre rapide plus classique, clôt joliment l’album. A l’époque où il jouait avec Special Consensus, le chanteur du groupe était Rick Faris mais Dumas avait déjà montré des qualités sur quelques titres. Il confirme ici qu’il chante plutôt bien, d’autant que l’harmonie vocale de Carley Arrowood colore agréablement son timbre assez neutre. 

 

Joe MULLINS & The RADIO RAMBLERS

"Let Time Ride" 

Le banjoïste Joe Mullins avait démarré sa carrière dans le groupe de son père, The Traditional Grass. Depuis bientôt 20 ans, avec les Radio Ramblers, il perpétue ce bluegrass bien ancré dans la tradition. Let Time Ride doit être leur dixième album. Le groupe a connu pas mal de changements au cours du temps et depuis Somewhere Beyond The Blue (Le Cri du Coyote n° 170), Jeff Parker a été remplacé à la mandoline par Chris Davis qui a un CV plutôt avantageux (Jr Sisk, Wildfire, The Grascals). Il partage les chants lead avec Mullins et le guitariste Adam McIntosh. Avec Jason Barie au fiddle et Randy Barnes à la basse, Let Time Ride est un album très bien joué (Old Fire, Big City notamment) mais dont le répertoire me parait plutôt faible et les chants décevants. Aucune chanson n’est vraiment marquante. Sur plusieurs titres, la voix lead manque de relief ou de personnalité. Au titre des satisfactions, la voix douce de McIntosh va bien au gospel lent Scars In Heaven. Forsaken Love est bien chanté en duo par Mullins et McIntosh. Il y a un bon trio sur le refrain de A Courtin’ I Go. Le quartet est en place dans le gospel The Glory Road mais celui de It’s A Grand And A Glorious Feeling (a cappella) est raté (les timbres des voix ne vont pas ensemble). Pour apprécier Joe Mullins & The Radio Ramblers, préférez leurs albums The Story We Tell et For The Record.