dimanche 14 juillet 2024

Bluegrass & Co, par Dominique Fosse

 

EAST NASH GRASS

"Last Chance To Win" 

Last Chance To Win est le deuxième album de East Nash Grass, une formation créée en 2017 et qui sera présente sur la scène de Bluegrass In La Roche début août. Individuellement, les musiciens du groupe ont de sérieuses références. Gaven Largent est le dobroïste qui a remplacé Rob Ickes dans Blue Highway. Le mandoliniste Harry Clark est présent sur de nombreux disques et il a été membre de Volume Five et The Wooks. Avec la violoniste Maddie Denton, Clark et Largent ont récemment également fait partie du groupe de Dan Tyminski. Le banjoïste Cory Walker a joué avec, entre autres, The Dillards et Tim O’Brien. Jeff Picker accompagne Ricky Skaggs depuis plusieurs années et il a sorti un album sous son nom en 2020 (Le Cri du Coyote 169), ce qui est plutôt rare pour un contrebassiste. Le guitariste James Kee est le moins connu des membres de East Nash Grass (il a été mandoliniste du groupe Newtown il y a une douzaine d’années). Le talent de ces musiciens s’exprime pleinement dans Jenna McGaugh, composition instrumentale de Maddie Denton, et How Could I Love Her So Much, reprise d’un des derniers succès du chanteur country Johnny Rodriguez dans les années 80. La rythmique est originale, très légèrement chaloupée et l’arrangement plutôt moderne va bien à la voix douce de James Kee. Il est moins à son avantage sur trois autres titres, des bluegrass trop classiques pour sa voix. Harry Clark interprète deux titres trop standard pour être intéressants mais donne une bonne version swing de Papa’s On The Housetop, un classique de près de cent ans d’âge dans lequel il délivre un solo typique du style de Bill Monroe. Malgré un arrangement dynamique, je n’ai pas aimé l’interprétation de When You Come Home par Maddie Denton. Dans ce groupe où aucun chanteur ne s’impose vraiment, c’est Gaven Largent qui s’en sort le mieux sur un blues (East Due West Blues) et une reprise punchy de Railroadin’ And Gamblin de Uncle Dave Macon. Dommage que Last Chance To Win ne contienne qu’un instrumental car le talent des musiciens est vraiment le principal atout du groupe et East Nash Grass aurait également intérêt à privilégier un répertoire plus moderne pour mieux mettre en valeur la voix de James Kee


 

 

"Highlander" 
Sur la pochette du CD de Missy Raines figurent, en grand, son nom et le titre de l’album, et en petit, en bas de la pochette, le nom de son groupe (Allegheny) et de ses quatre musiciens. C’est bien le moins qu’elle pouvait faire. Il aurait été logique qu’elle sorte l’album sous le nom de Missy Raines & Allegheny tant l’apport de Ellie Hakanson (fiddle), Tristan Scroggins (mandoline), Eli Gilbert (banjo) et Ben Garnett (guitare) est énorme. Ils accompagnent avec talent Missy et sa contrebasse sur tous les titres. Et si Missy Raines chante tour à tour avec Kathy Mattea, Dudley Connell, Laurie Lewis et Danny Paisley, c’est son duo avec Ellie Hakanson dans Listen To The Lonesome Wind qui retient avant tout l’attention. Pas d’invité sur cette chanson de Gary Ferguson, pas plus que sur Fast Moving Train, un titre qui porte bien son nom, un bluegrass sur les chapeaux de roues qui pourrait bien concourir au titre de chanson de l’année, ou sur Looking To You, une chanson écrite par Missy, superbement jouée par les cinq musiciens dans un arrangement moderne. Le quatrième titre vraiment remarquable de Highlander, Are You Ready To Say Goodbye, est une autre composition de Missy qui bénéficie d’un duo de banjos (Eli Gilbert et Alison Brown qui produit d’ailleurs l’album) mais aussi d’excellents solos de Scroggins et Hakanson (ils semblent inséparables depuis qu’on les a découverts ensemble avec Jeff Scroggins & Colorado). Il y a encore un bon duo vocal avec Ellie dans Cryin’ And Singin’, une composition légèrement blues signée par Shad Cobb (comme Fast Moving Train). Les quatre chansons en duo avec des chanteurs invités n’ont rien de remarquable. Missy Raines n’est pas une chanteuse extraordinaire. Elle se contentait de jouer de la contrebasse avec Cloud Valley puis avec Eddie Adcock et Claire Lynch. Elle laissait le chant à d’autres dans son premier album solo (My Place In The Sun en 1998). Elle ne s’y est vraiment mise que quand elle a tourné en duo avec Jim Hurst. Elle a un timbre agréable et immédiatement reconnaissable mais aucune magie ne ressort de ses duos avec Dudley Connell (la valse rapide Ghost of Love), Laurie Lewis (la ballade I Would Be A Blackbird), Kathy Mattea (Who Needs A Mine signé Missy) et encore moins Dan Paisley, un chanteur dont je n’ai jamais compris le succès (These Old Blues de Loretta Lynn). Petite déception du côté du seul instrumental de l’album, Panhandle County de Bill Monroe. Missy Raines convie des invités prestigieux (Rob Ickes, Brownyn Keith-Hynes), c’est bien joué mais ça reste très classique et sans surprise. Avec le talent que déploient ses musiciens sur la plupart des chansons, on attendait plus d’originalité. 
 
"No Fear" 
 
Cri du 💚   
 
Formé en 2013, Sister Sadie a pu être considéré comme un super-groupe au féminin avec deux chanteuses de premier plan, Dale Ann Bradley (élue 5 fois chanteuse de l’année par IBMA) et Tina Adair qui est également une très bonne mandoliniste. La banjoïste Gena Britt a été membre de New Vintage, Lou Reid & Carolina et Grasstowne. Elle est la troisième chanteuse de Sister Sadie. De son côté, la violoniste Deanie Richardson s’est fait une solide réputation comme accompagnatrice de vedettes country (Vince Gill, Patty Loveless et Travis Tritt). La contrebassiste Beth Lawrence complétait la formation. Les départs successifs de Dale Ann Bradley et Tina Adair ont fait craindre la fin de Sister Sadie mais l’arrivée de Jaelee Roberts, auteure d’un excellent premier album (cf. juillet 2022) a suscité l’espoir d’une suite réussie. Le groupe a en fait été profondément remanié puisque ne demeurent que Gena Britt et Deanie Richardson de la formation originale. Dani Flowers est la deuxième chanteuse du groupe. Hasee Ciaccio puis Maddie Dalton ont succédé à Beth Lawrence. Elles sont toutes deux présentes dans No Fear. Après un intermède de Mary Meyer, il n’y a plus de mandoliniste dans le groupe, Roberts et Flowers jouant toutes deux de la guitare. Pas étonnant donc que la musique de Sister Sadie ait elle aussi beaucoup évolué. Les deux nouvelles chanteuses n’ont ni la douceur de Dale Ann Bradley, ni l’agressivité et le blues de Tina Adair. Le groupe a choisi des arrangements plus modernes qui leur conviennent très bien, presque tous soulignés par une batterie ou des percussions. Il y a même un arrangement country avec piano et pedal steel (Lie To Me). Si j’ai préféré No Fear aux deux précédents albums de Sister Sadie (Le Cri du Coyote 150 et 159), c’est surtout parce que le répertoire est bien meilleur. Deux titres ressortent. Le premier est Blue As My Broken Heart, une composition de Dani Flowers qu’elle chante très bien, à l’arrangement fourni, moderne qui doit beaucoup au motif de violon de Deanie Richardson. Le second est Diane, titre rapide mené par le banjo, chanté par Jaelee Roberts avec une très efficace rythmique de mandoline (Tristan Scroggins). Il y a un bon refrain avec des chœurs façon gospel sur Well chanté par Gena Britt (une compo de Becky Buller et Craig Market). Elle interprète également Baby You’re Gone, un titre rapide où tous les musiciens sont brillants, et Ode To The Ozarks, un blues qui va bien à sa voix. Elle a écrit l’unique instrumental de l’album, Pad Thai Karaoke (un titre qui sort de l’ordinaire pour un instrumental bluegrass mais on a épuisé la liste des possibilités avec Mountain, Breakdown, Valley, Blue et Foggy). Deux autres bonnes chansons sont interprétées par Jaelee Roberts, Willow (moderne, avec un bon trio vocal au refrain) et If We Ain’t Drinking Then We’re Fighting, un drôle de titre pour un groupe féminin et pourtant composé par deux femmes (Tina Adair et Sharon Richardson). Si on connaissait les qualités vocales de Jaelee Roberts depuis la sortie de son album, on découvre la jolie voix de Dani Flowers, aussi à l’aise sur la ballade lente Free que dans un titre plus rapide aux accents country comme Cannonball, et la douceur du timbre de Maddie Dalton dans Mississipi River Long. Ça fait trente ans qu’on sait que les femmes sont l’avenir du bluegrass. Sister Sadie en est la preuve par cinq. 
 

 
 
 
 

mercredi 10 juillet 2024

Disqu'Airs, par Éric Allart

 

SWEET JOE PYE

Rise Early 

Structuré autour de la chanteuse Annick Odom, le trio Old time Sweet Joe Pye tient son nom d’une fleur native de Virginie Occidentale, tout comme cette dernière. Après d’être rencontré aux Pays Bas à la Hague, le groupe s’est fait remarquer entre autres au festival Bluegrass de Rotterdam, et au festival Herbe Bleue en Anjou. Les trois titres de l’album ont été enregistrés en une journée avec un sens aigu de la personnalisation de l’idiome Old-Time. Le fiddle d’Annick offre des arrangements très subtils où on peut percevoir des échos de musiques savantes, en particulier du jazz et de la musique de chambre, qui enrichissent le contre-champ sans jamais basculer dans une forme trop bavarde ou se perdre dans l’expérimentation. A certains moments, cet Old-time semble même n’avoir pas totalement traversé l’Atlantique. Au centre du projet la voix d‘Annick exprime une grande sensibilité avec des touches de maniérisme, comme un instrument à part entière doté d’une forte personnalité. Elle s’exprime en anglais et en néerlandais. Henri Colombat assure la rythmique à la guitare et à la mandoline, Lucas Henri le banjo clawhammer, la guitare et la contrebasse. Les chansons prennent le temps de respirer, de poser leur tempo en douceur, des ballades originales qui racontent des faits divers, avec une expression où le sentiment et la proximité priment. 


 

 

Trois pépites sur Bandcamp.

Trois rééditions de raretés vont combler les amateurs de honkytonk les plus exigeants. Trois seconds couteaux qui enregistrèrent au début des années 70 alors que Nashville basculait massivement dans la pop pré-disco à la recherche de nouveaux segments de consommateurs. A des années lumières du sous ABBA du type Dave & Sugar, indifférents au mouvement Outlaw naissant, quelques individus continuent de signer ou de reprendre des titres enracinés dans les canons d’un classicisme forcené. Si le succès ne fut pas au rendez-vous, leur œuvre mérite largement le détour. La production se situe entre les œuvres contemporaines de Johnny Paycheck, Johnny Dollar, Faron Young ou Moe Bandy

 

Pat PATTERSON

Most Requested Country Songs

Pat Patterson, militaire de carrière basé en Allemagne, doté d’un physique assez ingrat, se révèle un grand vocaliste haut perché, dans la veine d’un Bobby Austin ou d’un Wynn Stewart. Le gars s’était offert en mars 1969 la crème des sidemen nashvilliens avec, excusez du peu, Lloyd Green à la pedal steel. Les orchestrations sont somptueuses et le niveau global n’a rien à envier aux meilleures têtes d’affiche. 

 


Roger WILHOIT

The 'Social World' Of Rodger Wilhoit

Rodger Wilhoit ne propose que des compositions personnelles, toutes susceptibles de par leur écriture et leur évidence narrative de devenir des hits pour 1974. Y abondent les thèmes attendus de la déglingue, de la trahison et de la vengeance. La production est un cran en dessous de celle de Pat Patterson, un peu plus rugueuse et locale, ce qui loin d’être un défaut, accentue l’impression d’honnêteté essentielle de l’œuvre. Le shuffle nappé de pedal steel et de fiddle est très addictif. L’album vinyl préfacé par Colin Escott en 2020 est épuisé, mais le téléchargement reste possible. 

 


Richard GIBBS

No Use To Grieve

Richard Gibbs est un gars qui s’est trompé d’époque. Le vocal semble sorti des années 50, avec cette fragilité et cet accent rustique qui ne pouvait plus fonctionner dans les années 70. Si l’ensemble est moins brillant que chez Rodger Wilhoit ou Pat Patterson, l’artiste reste attachant dans le sens où son hillbilly est livré sans artifice ni posture. 

 


 

mercredi 26 juin 2024

Bluegrass & Co, par Dominique Fosse

 

EMISUNSHINE & THE RAIN 

"Sideshow"

Cri du 💚   

À l’âge de 19 ans, Emisunshine (de son vrai nom Emilie Sunshine Hamilton) a sorti son premier album bluegrass. Pas si impressionnant que ça dans un genre musical où les talents précoces sont légion. Ça l’est beaucoup plus quand on sait que c’est déjà son dixième disque (le neuvième avec son groupe The Rain)! Emisunshine s’est fait connaître par YouTube, a commencé à écrire des chansons (avec sa mère) et enregistrer des albums à 9 ans. Elle a interprété deux chansons dans un documentaire consacré à Elvis Presley (avec Emmylou Harris, Rosanne Cash et Alec Baldwin) ce qui lui a valu de chanter lors de la présentation du film au festival de Cannes en 2017. Elle a travaillé avec Tony Brown, joué au Grand Ole Opry et au Ryman, fait la première partie de Willie Nelson et Loretta Lynn, chanté en duo avec Jim Lauderdale, participé à des émissions de télévision (American Idol). Bref, à peine majeure et déjà un CV long comme le bras. Emilie est habituellement accompagnée de son père à la basse, de son frère à la mandoline, d’un batteur et parfois d’un guitariste. Elle-même joue du ukulélé. Les arrangements bluegrass de Sideshow apportent un relief inédit à ses chansons. Ils sont essentiellement dus à Justin Moses qui se multiplie au banjo, au dobro, à la guitare, au fiddle et à la mandoline (ceux qui l’ont vu cet hiver sur scène avec Béla Fleck ont pu apprécier ses talents de multi-instrumentiste). Le jeune prodige de la mandoline Wyatt Ellis (14 ans) et Addie Levy (fiddle, mandoline) qui remplace parfois le frère d’Emilie sur scène sont présents sur quelques chansons. Les treize titres de Sideshow ont été écrits par Emisunshine et sa mère Alisha, avec parfois la complicité de songwriters connus (Darrell Scott, Matraca Berg). The Boy I Never Loved, Ink & Paper et surtout Gold Digger sont des compositions typiquement bluegrass. Le dobro est magnifique dans Trojan Horse et White Dress. White Dress est superbement chanté en duo par Emisunshine et Cruz Contreras, leader du groupe americana The Black Lillies. C’est une chanson mélancolique, comme quatre autres dans Sideshow, toutes sublimées par la voix enchanteresse d’Emisunshine. Son vibrato vous fera immanquablement penser à Dolly Parton. Ses interprétations ont une sensibilité comparable à celles de Claire Lynch, Julianne Petersen ou Noah Wall, la chanteuse de The Barefoot Movement. En plus, Off The Rails, le délicat Scars & Wings, What’s The Best For Me et Hibiscus ont de très jolies mélodies. La voix d’Emilie va également très bien au blues (Pine Box) ou à des rythmes plus enlevés (Little Blackbird). Pour ne rien gâcher, les paroles, souvent émouvantes (Scars & Wings), valent la peine d’être comprises (Sideshow à propos de la vie d’un groupe sur la route). Ces dernières années, la notoriété d’Emisunshine n’était pas à la hauteur des espoirs qu’elle avait pu susciter à ses débuts malgré la qualité de sa voix et de son répertoire. Les arrangements bluegrass de Sideshow les mettent réellement mieux en valeur et mériteraient de lui valoir un succès plus important.

 

STEEP CANYON RANGERS 

"Morning Shift" 

Morning Shift est le dix-septième album des Steep Canyon Rangers (dont trois enregistrés avec le banjoïste et acteur Steve Martin). On pouvait craindre que le groupe pâtisse du départ de son meilleur chanteur, le guitariste Woody Platt, mais les Rangers ont évité les comparaisons en renouvelant leur style. Leur musique avait déjà évolué avec l’arrivée du multi-instrumentiste-batteur Mike Ashworth. Morning Shift ressemble presque autant à un disque de singer-songwriter qu’à un disque de bluegrass. Le choix de Darrell Scott comme producteur, la présence de sa guitare électrique sur quelques titres ne sont certainement pas étrangers au phénomène. Mais c’est également dû aux chansons et aux voix. Les Steep Canyon Rangers ont un répertoire très majoritairement original depuis les débuts du groupe, grâce aux compositions du banjoïste Graham Sharp et du contrebassiste Charles Humphrey III. Humphrey a quitté les Rangers en 2017 mais les Rangers ont trouvé un nouveau songwriter avec le nouveau guitariste Aaron Burdett (le remplaçant de Woody Platt) qui signe ou cosigne (avec Sharp) quatre chansons du nouvel album. La seule reprise du disque est Fare Thee Well, Carolina Gals de Robbie Fulks, archétype du storytelling americana. On est aussi dans l’ambiance songwriter avec la voix très posée de baryton de Sharp, particulièrement dans Second In Line, à l’atmosphère particulière, un des meilleurs titres du disque. Dans Birds of Ohio, sa voix fait même penser à Leonard Cohen. Ça continue dans le style songwriter avec les interprétations détachées du contrebassiste Barrett Smith dans Hominy Valley, assez rock, le blues Ghost of Glasgow et l’intense Morning Shift arrangé avec la guitare électrique, le banjo électrique, la mandoline pertinente de Mike Guggino et le fiddle puissant de Nicky Sanders. On retrouve banjo et guitare électriques dans le blues-rock Harvest Queen interprété par Burdett. C’est lui qui chante les titres les plus bluegrass de Morning Shift, sa composition Deep End (qui aurait pu se passer de batterie) et le gospel en quartet Above My Burdens. Le répertoire est complété par une jolie suite instrumentale écrite par Guggino et Sharp où ils jouent certains passages en trio avec Sanders. Un des bons titres d’un album qui ne manque pas de personnalité. 

 

Rick FARIS 

"The Next Mountain" 

Rick Faris sera un des musiciens vedette du festival Bluegrass In La Roche en août prochain. L’occasion de revenir sur The Next Mountain, son second album solo qui n’avait pas été chroniqué à sa sortie. Rick Faris s’est fait connaître comme mandoliniste puis guitariste de Special Consensus dont il est resté membre pendant plus de onze ans. On l’a vu progresser comme chanteur au fil des albums. Il n’est pas étonnant qu’il ait choisi de se lancer en solo car il est aussi un songwriter prolifique. Son premier album, Breaking In Lonesome (Le Cri du Coyote 166), comptait onze compositions parmi les douze titres. Pour The Next Mountain, Faris a écrit ou coécrit les onze chansons et l’instrumental Dust On The Royal. Les deux albums sont assez similaires dans le style bluegrass contemporain. On retrouve Laura Orshaw (fiddle) et Harry Clark (mandoline) présents sur l’album précédent. Justin Moses est encore au banjo sur deux titres mais il laisse la place à Russ Carson sur les autres morceaux. Les chansons que je préfère sont placées en fin d’album. Ma favorite est même la toute dernière, Moonshine Song, un titre très rapide, dans un style plus classique que le reste du disque et qui a plus de relief grâce aux interventions des solistes. Dans le même style classique, Evil Hearted Woman bénéficie de l’accompagnement énergique des Travellin’ McCourys. See You On The Other Side ressemble beaucoup à She Took The Tennessee River que chantait Faris avec Special Consensus (c’est un des grands succès du groupe) et il bénéficie de la participation (vocale et instrumentale) de Sam Bush et Jason Carter. Rick Faris passe au dobro sur le gospel Can’t Build A Bridge To Glory et, comme dans Breaking In Lonesome, il a introduit un swing dans le répertoire (I’m Asking You Today), un des deux morceaux où Justin Moses est au banjo. Parmi les titres plus modernes qui constituent l’essentiel de l’album, il faut signaler What I’ve Learned. Rick Faris aurait cependant intérêt à davantage équilibrer ses albums entre le bluegrass contemporain qui semble avoir sa préférence et le bluegrass classique qui, à mon sens, lui convient mieux.

 

HAPPY TRAILS, PROSPECTOR 

"The Good, The Bad & The Dreadful" 

Les breaks instrumentaux sont un des fondamentaux de la musique bluegrass. Chaque soliste prend son tour, bien entendu dans les instrumentaux, mais aussi dans les chansons. Pour apporter de la variété, les musiciens jouent parfois en duo. Le duo banjo-violon est un arrangement classique des fiddle tunes mais toutes les combinaisons entre instruments sont possibles. A mon sens rien n’égale en naturel les duos de fiddle qui dégagent à la fois puissance et musicalité. Ce sont précisément les duos de fiddle qui font le charme de The Good, The Bad & The Dreadful, premier album du groupe canadien Happy Trails, Prospector (oui, c’est curieux cette virgule au milieu du nom du groupe). Les fiddlers Sarah Hamilton et Nathan Smith jouent les cinq instrumentaux de l’album en duo de bout en bout, soutenus par le picking en style Scruggs de Milan Zurawell, la guitare de Patrick Hamilton et la contrebasse de Nico Humby. Deux sont des classiques (Durang’s Hornpipe et Mississipi Sawyer), les autres des titres plus obscurs. C’est aussi gai, énergique et entrainant à souhait. Sarah Hamilton et Nathan Smith jouent également en duo sur les sept chansons mais il y a aussi quelques solos de banjo et de guitare. Et malheureusement il y a également les chants. Les cinq musiciens s’essaient au chant lead chacun son tour sans qu’aucun s’impose. Il faut sauver Bonaparte’s Retreat (dans la version de Pee Wee King). Le chant de Nathan Smith accentue le rythme de la chanson et sa voix est sympa. Patrick Hamilton apporte aussi de l’énergie à Old Black Choo Choo, c’est chanté à l’emporte-pièce mais les harmonies sont rigolotes. The Wind & Rain a le mérite d’être chanté en trio et j’aime bien la mélodie. Pour le reste on est en-dessous des qualités vocales requises pour dépasser le niveau d’un groupe régional. Laissez-vous tenter cependant par The Good, The Bad & The Dreadful si, comme moi, vous aimez les duos de violon. 

 

THE FRETLINERS 

The Fretliners est un quartet composé de Tom Knowlton (guitare), Dan Andree (fiddle), Sam Perkins (mandoline) et Taylor Shuck (contrebasse). Ils ont gagné en 2023 les concours de groupes de Telluride et Rocky Grass, ce qui est pour le moins gage de qualité. Comme ces concours couronnent souvent des groupes newgrass (Front Country, RapidGrass, Town Mountain entre autres) et que les Fretliners sont basés dans le Colorado, creuset de cette branche innovante du genre bluegrass, j’ai cru avoir affaire à une formation newgrass. Ils le sont un peu grâce aux excellents Dan Andree et Sam Perkins qui sont des solistes créatifs, mais le chanteur principal des Fretliners, Tom Knowlton, a une voix dans la lignée d’un Del McCoury, ce qui les rapproche du bluegrass classique, d’autant qu’une chanson comme The Bottle semble fort inspirée de Walls Of Time, le classique de Bill Monroe et Peter Rowan. Le blues cher à Bill Monroe est également très présent dans Suitcases & Heartaches, Ozark Memories et Lonesome Holler. Les dix chansons ont été écrites par les différents membres du groupe. Perkins signe le bon instrumental Mississipi Kite avec une grille qui associe subtilement accords majeurs et mineurs. Le répertoire est inégal mais tous les titres sont bien arrangés. Andree (qui a été membre des Henhouse Prowlers) et Perkins jouent des accompagnements toujours pertinents derrière le chanteur, notamment en duo dans Dreaming of the Dawn et Shadows of My Past, meilleures chansons de l’album avec Suitcases & Heartaches et Purple Flowers

 

THE COUNTRY GENTLEMEN TRIBUTE BAND 

"Yesterday And Tomorrow" 

The Country Gentlemen Tribute Band a été créé par Bill Yates (ancien contrebassiste des Country Gentlemen) peu après le décès de Charlie Waller en 2004. Cette formation s’appuie essentiellement sur la voix de son guitariste, Mike Phipps, proche de celle de Waller. Leurs deux premiers albums ne comprenaient que des titres déjà enregistrés par les Country Gentlemen. Il n’y en a que quatre dans Yesterday & Tomorrow et c’est tant mieux car les reprises ne valent jamais les originaux. Teach Your Children, Sea of Heartbreak et God’s Coloring Book (seul titre chanté par le mandoliniste David Propst) sont moins dynamiques et pêchent par les harmonies vocales moins affirmées, moins précises. Pour le reste le groupe est allé chercher des titres que les Gentlemen auraient pu enregistrer: A Fool Such As I (Hank Snow), One Tin Soldier qui fut repris par plusieurs groupes bluegrass modernes des années 70 et une version instrumentale de Riders In The Sky que Lynwood Lunsford (ancien banjoïste de James King, Jimmy Martin et Lost & Found) joue dans le style de Bill Emerson. Le répertoire original tente aussi d’évoquer autant que possible les authentiques Gentlemen: rien que le titre Miner’s Child (écrit par Probst) évoque Mother of a Miner’s Child. Lunsford a composé Eddie’s Swing qui est une bonne évocation du style de Eddie Adcock. Mais il y a trop de chansons countrygrass avec énormément de dobro (l’ex-Quicksilver Darren Beachley ou Geoff Gay selon les titres) et dans lesquelles Phipps accentue le côté plaintif de sa voix au point que ses interprétations relèvent souvent plus de la parodie que de l’imitation. En bref, préférez les originaux.

vendredi 14 juin 2024

Adam Wood

 

 


 

Adam Wood vous présente Rainy Valley premier extrait de son nouvel EP intitulé Lucky Charm et prévu pour début 2025.

"La brume se lève doucement sur la vallée, une pluie fine enveloppe le paysage d'une atmosphère mystérieuse et apaisante à la fois. Un peu comme si Jim Jarmusch et Wes Anderson se partageaient la caméra. Devant l'objectif, Adam Wood traverse les terres de son Cantal natal, le coeur brisé mais l'humour et le panache toujours intacts.
Rainy Valley se place en ballade douce-amère, chaînon manquant entre Beck, Arctic Monkeys et Wilco. Une section basse / batterie qui flirte avec le hip-hop, un Mellotron qui ronronne, une guitare slide tout droit sortie d’un western parfois soutenue par une trompette mariachi … Et ce solo de guitare, doux et intense à la fois, parfaite synthèse de la dualité assumée du morceau.

Déclaration d’adieu et d’amour, Adam Wood chante la fin d’une idylle et le début d’une nouvelle vie. Un retour aux sources, entre doutes et regrets, rêves et espoir. Stoïque dans le jardin de sa nouvelle maison, il contemple la pluie tomber sur la vallée, projetant au fil des jours ses états d’âme de manière aussi abrupte et sincère que l’environnement qui l’entoure.

Le tout traversé de ces deux passages hors du temps, comme des rayons de soleil à travers les nuages. Rythmique tout en clapping, guitare 12 cordes, cuivres et paroles délibérément naïves…
Éloge aux choses simples, profiter de ses amis et cultiver son jardin, sur les cendres de l’amour un nouvel arbre pousse. Rainy Valley n’en est que le premier fruit : ferme, sucré et juteux. Vivement que l’on goutte les prochains."

 


 

dimanche 26 mai 2024

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Chip TAYLOR 

"Behind The Sky"  

Tout démarre à l'été 2022, au moment où Chip ressent une gêne dans la gorge avant qu'en octobre une tumeur cancéreuse ne soit identifiée. Commence alors la période des rendez-vous avec des spécialistes et la litanie des soins, notamment une radiothérapie. Chip raconte dans le livret du CD toutes les étapes, du sens du goût perdu et retrouvé, parle de son épouse Joan, solide à ses côtés, de Kareem et George, devenus ses amis de thérapie mais aussi de musique, de la messe à laquelle il a assisté et qui lui a inspiré la chanson The Blessing. C'est une tranche de vie déclinée en trois pages et douze chansons, de Do Something Good à Hey Skip Along With Me. Behind The Sky, c'est le titre de l'album, a été enregistré avec un groupe complet (John Platania à la guitare électrique, Tony Mercadante à la basse, Tony Leone à la batterie et Goran Grini aux claviers) pour la première fois depuis Yonkers NY paru en 2009. Chip Taylor confirme qu'il reste un des meilleurs songwriters vivants, déroulant ses mélodies de son timbre voilé, de sa voix pleine d'émotion, introduisant parfois les chansons par des narrations comme dans Speaking Of Horses et Radiation Song. Ce dernier titre est une espèce de conversation entre Chip et Kareem à qui il demande: "Kareem, every time you strap me in, do me a favor / Just play me a little John Prine" (Kareem, chaque fois que tu m'attacheras, fais-moi une faveur, joue moi une peu de John Prine). John Prine, l'ami disparu, survivant du cancer mais pas du COVID, dont plusieurs titres sont évoqués (Lake Marie, Speed Of The Sound Of Loneliness, Glory Of True Love), avec cette conclusion: "Just thinking about you, John / We could use your message from above". Il est encore question des traitements dans George In Radiation, par exemple, mais Chip rend également hommage à sa mère (Momma Was The Queen), à son épouse (Nurse Joan), évoque des souvenirs (Speaking Of Horses), délivre aussi des messages de tolérance, de pardon et de résilience (If A Door Slams In Prison, Other Side Of The Moon, Without Hearing). Monsieur James Wesley Voight vient de fêter ses 84 ans mais il démontre que cinquante-huit ans après ses premiers succès en qualité d'auteur-compositeur (I Can't Let Go par The Hollies et Wild Thing par The Troggs), il n'a rien perdu de son inspiration qui s'exerce aujourd'hui dans un autre registre, plus personnel et confidentiel. 

 

Grey DeLISLE 

"Driftless Girl"  

Décidément, on n'arrête plus Grey DeLisle. À peine a-t-on eu le temps de se régaler de She's An Angel qu'elle est de retour avec Driftless Girl, un album produit par Jolie Holland. Sa créativité, en sommeil pendant plus de quinze ans, ou plutôt orientée vers d'autres activités, s'est ravivée avec la frustration née du confinement en 2020, pour notre plus grand bonheur. Le mot traduit bien, ce que l'on ressent à l'écoute de ce nouvel opus. Après la douce ballade Where You're Coming From, Grey enchaîne avec un titre rock, My Two Feet, composé par Murry Hammond, son ex-mari, pour Old 97's. Puis vient Driftless Girl, dans la lignée de To Daddy de Dolly Parton, qui évoque aussi bien cette dernière que son amie Emmylou. Nouveau détour par le rock avec Little Ol'While (on appréciera le piano de Ben Boye et la guitare de Buck Meek) avant ce qui est pour moi le sommet du disque, The Ballad Of Ella Mae, en duo avec Jolie Holland, que l'on croirait sortie du répertoire de la Carter Family. La belle dame nous gratifie aussi de trois titres de tendance honky-tonk qui nous font voyager dans le temps: I Don't Wanna Want You (où Jolie Holland excelle à l'alto), le plus électrique Quick Draw et In The Living Room, entrecoupés par le trépidant Pretty Jolie. Le disque se termine avec Mama's Little Rose, avec la voix de Jolie Holland et le banjo de Gil Landry, et la seconde reprise du disque, Down From Dover de Dolly Parton. Avec Driftless Girl, Grey DeLisle, confirme qu'elle est une interprète de grand talent, quel que soit le registre qu'elle aborde. Elle est un parfait trait d'union entre la génération qui la précède, celle de Dolly, Linda et Emmylou, et celle qui est en train de s'installer avec, par exemple, Sierra Ferrell, Emily Nenni et Brennen Leigh

 

Jubal Lee YOUNG 

"Wild Birds Warble"  

Dix ans déjà que nous attendions le successeur de On A Dark Highway publié par Jubal Lee Young. Beaucoup de choses se sont passées depuis 2014 car, en plus de la pandémie qui a particulièrement frappé le monde artistique, Jubal Lee Young a eu la douleur de perdre ses deux parents, Steve Young et Terrye Newkirk (il reprenait My Oklahoma de la seconde et The White Trash Song du premier dans son précédent opus à côté de dix de ses compositions). Jubal s'était un peu éloigné du monde de la musique, d'un système auquel cet écorché vif n'a jamais voulu appartenir. Pour son retour, intitulé Wild Birds Warble, notre homme a voulu rendre hommage à quelques-uns des songwriters qu'il admire, tous aujourd'hui disparus. C'est ainsi qu'il commence par cinq compositions paternelles, auxquelles il donne une nouvelle jeunesse sans en trahir l'esprit originel: The White Trash Song, Jig, Seven Bridges Road, Long Way To Hollywood et Traveling Kind. Il interprète aussi Rock Salt & Nails d'Utah Phillips (morceau titre du premier album de Steve Young) et West Virginia, un traditionnel qu'il avait appris de son père et qu'il chantait en concert avec lui. Une seule composition de Jubal Lee Young: Angel With A Broken Heart dont on trouve une première version sur Take It Home et qui avait été écrit comme un hommage à Steve Young. Ce dernier interprétait en concert une autre reprise de l'album, Useful Girl du méconnu Richard Dobson. Townes Van Zandt est également présent avec No Place To Fall (morceau titre de l'album de Steve Young publié en 1978), comme l'est Warren Zevon avec le sublime Carmelita (que Steve chantait également en public). David Olney était un ami de la famille et l'on retrouve ici deux de ses plus belles compositions: Deeper Well et If My Eyes Were Blind. Pour terminer l'album sur une note plus légère que ce qui a précédé, Jubal a choisi Why You Been Gone So Long de Mickey Newbury, comme un clin d'œil qu'il se ferait à lui-même. Un mot sur les musiciens, pour dire qu'ils sont excellents et sont plus que de simples accompagnateurs. Jubal Lee Young (voix, guitare, harmonica), Markus Stadler (dobro, banjo, mandoline, guitare baryton, voix), Brian Zonn (basse), Charlie Pate (mandoline sur quatre titres), Christian Sedelmyer (fiddle) et Jeff Taylor (accordéon) apportent en effet à l'album les couleurs musicales que Jubal avait sans doute en tête, dans un esprit qui oscille entre la tendresse et la colère, avec une passion qui ne se dément jamais. Wild Birds Warble n'est pas seulement l'hommage d'un fils à son père. C'est le disque d'un artiste qui a choisi de se mettre au service d'un répertoire exceptionnel et de songwriters qui ne le sont l'étaient pas moins, sans jamais se cacher ni perdre son identité. Le Jubal Lee Young que l'on connaît et que l'on aime est toujours là, et bien là. Il ne connaît pas la compromission ni même le compromis et l'on pouvait être assuré avant de l'entendre qu'il ne nous offrirait pas un disque qui soit simplement moyen. Jubal Lee Young a mis toute son âme, tout son cœur dans ces quatorze titres, en attendant de nous offrir ses nouvelles compositions que l'on devine nombreuses. 

 

Ruth MOODY

"Wanderer"  

Ce qui frappe d'abord, à l'écoute de Ruth Moody, c'est la qualité et la beauté de sa voix. C'est d'ailleurs en venant chanter sur les disques de Mark Knopfler (et à ses concerts) Privateering et Tracker qu'elle s'est fait connaître du grand public. Elle n'était pour autant pas une débutante puisqu'elle avait co-fondé The Wailin' Jennys en 2002 et démarré sa carrière solo en 2010 publiant The Garden puis These Wilder Things. Son nouvel opus, Wanderer, est comme un journal intime rédigé au cours des dix dernières années et qu'elle partage aujourd'hui. Cette Canadienne de Winnipeg, Manitoba, est venue à Nashville enregistrer dix chansons, toutes de sa plume, dont elle a partagé la production avec Dan Knobler. Elle s'est entourée de quelques amis musiciens parmi lesquels Sam Howard (basse), Anthony da Costa (guitares diverses), Jason Burger (batterie), Kai Welch et Will Honaker (claviers). Son compatriote Joey Landreth est venu chanter, accompagné de sa guitare à résonateur, sur The Spell Of The Lilac Broom. Dès le premier titre, Already Free, Ruth nous emmène dans un voyage où l'on se sent comme en apesanteur, portés par une voix aérienne et des harmonies dont la simplicité n'est qu'apparence. On imagine en effet la somme de travail qu'il a fallu pour parvenir à un tel résultat. Le duo avec Joey Landreth, un des grands moments de l'album, en est le parfait exemple. Les guitares et les claviers donnent en général le la, mais la pedal steel de Russ Pahl (Michigan, The Way Lovers Move, les violons de Christian Sedelmyer (Twilight, North Calling) ou de Richard Moody et Adrian Dolan (Comin' Round The Bend), la mandoline de Jacob Joliff (Coyotes) jouent également leur partition avec une élégance jamais en défaut. Dans ce disque presque parfait, il faut souligner l'omniprésence d'Anthony da Costa, qui fut un songwiter et interprète très précoce (il a débuté à treize ans) et qui est aujourd'hui également un musicien de session et producteur très demandé. Il brille, entre autres, dans les deux titres que je n'ai pas encore cités, Seventeen et Wanderer et, comme les autres musiciens présents, il fait resplendir Ruth Moody qui sait, et ce n'est pas le moindre de ses talents, s'entourer des meilleurs. 

 

Keegan McINROE

"Dusty Passports And Empty Beds" 

Il nous vient de Dublin, Texas et est établi à Fort Worth, s'appelle Keegan McInroe et sa voix se situe quelque part entre celles de Guy Clark et Kris Kristofferson à leurs débuts. Dusty Passports And Empty Beds est son septième album, profondément marqué par la période traumatisante de la pandémie et du confinement, comme le suggère le titre. Comme beaucoup d'autres songwriters qui passaient le plus clair de leur temps sur la route, il a dû s'adapter à la situation qui a fini par lui inspirer de nouvelles compositions. Elles sont au nombre de huit, auxquelles s'ajoute la reprise d'une des dernières chansons de John Prine, Lonesome Friends Of Science. Keegan était un grand fan de John qui est évoqué dans plusieurs titres. Dans Dusty Passports And Empty Beds, Keegan dit: "Nous avons perdu John Prine et Paul English, Billy Joe et Jerry Jeff". Et puis il y a surtout John's Songs, qui sonne comme une leçon de vie, donnée par sa petite nièce lorsque Keegan apprit le mort de John Prine, à Dublin, TX, pendant la quarantaine. Le texte est émouvant et rappelle qu'il faut aimer les gens lorsqu'ils sont vivants. Dès le début de l'album, l'ombre de l'année 2020 plane, avec Big Year, mais bien vite, l'espoir et l'optimisme reprennent le dessus avec Thanksgiving Night, Only To Be Songs ou Eat Drink And Be Merry. Et c'est finalement l'appel de la route qui est le plus fort, avec Traveler's Wind, ce vent qui pousse les artistes vers de nouvelles aventures, de nouveaux concerts. Autour de Keegan, on trouve Clint Kirby (batterie et percussion), Aden Bubeck et Patrick Smith (basse), Matt Tedder (guitare), Chris Watson (claviers), Gary Grammer (harmonica), Dirk Stinnett (mandoline, fiddle et gut string), Jeff Dazey (saxophone), Hannah Owens et Morris Holdahl (voix). Il serait injuste de ne pas les citer, tellement Dusty Passports And Empty Beds apparaît comme un travail de groupe autour de compositions de haut niveau. 

 

Kelsey WALDON 

"There's Always A Song" 

Quand elle se sent en manque d'inspiration ou de créativité, Kelsey Waldon pense souvent à ce qui l'a inspiré et lui a donné envie de se plonger dans la country music. "Sometimes the road seems weary and long / Traveling the highway home / But in my heart there's always a song / Traveling the highway home" ("Parfois la route semble fatigante et longue / Quand je voyage sur l'autoroute pour rentrer chez moi / Mais dans mon cœur il y a toujours une chanson / Quand je voyage sur l'autoroute pour rentrer chez moi"). Ces lignes sont extraites de Traveling The Highway Home (un standard écrit par Frankie et Walter Bailes, enregistré à l'origine par Mollie O'Day et Lynn Davis en 1951) et ont inspiré le titre du disque. C'est un album de huit titres publiés en vinyle sous la forme d'un 45 tours, chaque face commençant par un morceau a cappella (Keep Your Garden Clean de Jean Ritchie pour la face 1, Pretty Bird de Hazel Dickens pour la face 2). There's Always A Song doit être pris pour ce qu'il est, une récréation pour quelqu'un qui a l'habitude d'écrire ses propres chansons et dont les qualités lui ont permis d'être engagée par Oh Boy Records, le label de John Prine. Si Your Lone Journey, de Doc Watson, conclut en beauté cet EP , il est difficile de ne pas penser au duo d'Emmylou Harris et Nicolette Larson (sur Luxury Liner) pour le classique Hello Stranger que Kelsey chante ici avec S.G. Goodman. Autres invitées: Amanda Shires et son fiddle pour Uncle Pen et Margo Price pour Traveling The Highway Home. I Only Exist (Ralph Stanley & The Clinch Mountain Boys) permet d'entendre la voix d'Isaac Gibson, leader de 49 Winchester. Il y a enfin I've Endured d'Ola Belle Reed qui, comme d'autres morceaux de l'album, nous donne l'occasion d'apprécier le talent de Libby Weitnauer (fiddle) et Junior Tutwiler (guitares), ainsi que celui de Brett Resnick (pedal steel guitar).

mercredi 8 mai 2024

L'Art (selon) Romain, par Romain Decoret

 

Johnny CASH

"Songwriter" (Universal ) 

Plus de vingt ans après sa disparition en 2003, il reste des trésors dans les bandes que le Man In Black a laissées derrière lui. Son fils, John Carter Cash a découvert Songwriter, un disque que Johnny Cash avait enregistré, mais qu’il n’avait pas eu le temps de sortir avant d’être signé avec le producteur Rick Rubin pour les séances American Recordings où il reprenait des titres d’Eddie Vedder ou Nine Inch Nails avec un succès mondial qui lui ouvrit le dernier chapitre de sa longue carrière en 1994. La différence est que les onze titres de Songwriter sont des originaux, écrits de sa main. Et c’est un disque remarquable à ce niveau. Les chansons ont été captées en 1993 à LSI Studios Nashville, avec des musiciens, mais John Carter a décidé de réactualiser intelligemment le son des backing tracks en convoquant à la Cash Cabin d’Hendersonville des amis de son père tels Marty Stuart, Vince Gill et Dan Auerbach des Black Keys. Un invité de marque chantait sur la bande originale et a été gardé: le regretté Waylon Jennings sur I Love You Tonite et Like A Soldier. Pour la section rythmique, c’est Dave Roe le bassiste du groupe de tournée de Johnny Cash et le batteur de l’Average White Band, Peter Abbott. David Fergie Ferguson, ingénieur-son personnel de Cash, a su garder l’inspiration suggérée par le Man In Black sur Have you Ever Been To Little Rock, dédiée à son Arkansas natal. Well Alright est une histoire d’amour commencée dans une Laundromat. She Sang Sweet Baby James est une référence à Carole King et Sing It, Pretty Sue rappelle Buddy Holly, sans doute sous l’influence de Waylon Jennings qui fut son bassiste. Magistral! (Romain Decoret

 

Richard THOMPSON

"Ship To Shore" (New West)

Le légendaire guitariste chanteur a créé le folk britannique moderne avec son groupe Fairport Convention pendant les sixties. En solo, il s’est révélé comme un songwriter de haut niveau avec des compositions abordant aussi bien l’architecture anglaise (Rock Tudor) que les motos mythiques (1952 Vincent Black Shadow). Ses chansons ont été reprises par des stars de toutes les générations: Robert Plant, Elvis Costello, Tom Jones, R.E.M., David Byrne, Don Henley ou Los Lobos. Il a été décoré d’un O.B.E. (Ordre du British Empire) par la reine Elizabeth II en 2011. Tout cela sans jamais tomber dans l’auto-publicité ronflante. Pour ce nouveau disque, qu’il a fallu attendre longtemps depuis le précédent, 13 Rivers, Richard Thompson est allé avec ses musiciens à Woodstock afin de composer au calme et d’enregistrer sans impératif d’horaire. Il a utilisé principalement une 12-cordes custom faite pour lui par un luthier. Musique folk traditionnelle avec Singapore Sadie, chanson de marin. Inspiration écossaise ou irlandaise sur The Old Pack Mule. Jazz, country, musique classique, il peut tout jouer, on se souvient de sa reprise très ironique de Oops, I Did It Again de Britney Spears. Richard Thompson défie tous les genres musicaux avec une maîtrise qui le place comme un auteur virtuose dans la tradition folk. Pas forcément votre tasse de thé mais avec une authenticité évidente. Richard Thompson tourne cette année aux USA, en Angleterre et en Europe avec un passage à Paris… (Romain Decoret

 

Sierra FERRELL

"Trail Of Flowers" (Rounder)

Au milieu d’une période de Nashville où Taylor Swift se roule dans la pop-music et de nombreux artistes comme Beyonce donnent dans une fusion rap et country convenue, prévisible et ringarde, Sierra Ferrell tient la flamme du bluegrass, hillbilly traditionnel, honky-tonk et au-delà. En cela, elle rejoint des artistes comme Chris Stapleton ou Sturgill Simpson. Mo-derne utilisation de la batterie et de la basse avec une connaissance profonde de la tradition. Pour ce nouveau disque, Sierra Ferrell a travaillé avec les producteurs Gary Paczosa (Allison Krauss, Dwight Yoakam) et Eddie Spear (Brandi Carlile, Zach Bryan) et elle a invité des musiciens avertis tels que Mike Rojas ou Lucas Nelson (fils de Willie Nelson). I’ll Come Off The Mountain est du pur bluegrass, référence à la phrase légendaire de Bill Monroe après une méditation dans une caverne des Appalaches. Chittlin’ Cookin’ Time In Chatham County est un hymne à la soul food hillbilly. Fox Hunt est une traditionnelle analogie sexuelle entre la séduction et la chasse au renard. Dollar Bill Bar évoque ces saloons où il faut d’abord mettre de l’argent sur le comptoir pour être servi et Money Train décrit la même. chose à un autre niveau. De toutes les jeunes chanteuses roots, Sierra Ferrell est celle qui suscite le plus de magie dans tout ce qu’elle aborde, révélant des perles de sagesse et d’imagination dans ses compositions qui appartiennent au domaine du storytelling. (Romain Decoret

 

We Still Can’t Say Good Bye

"A Musicians’ Tribute To Chet Atkins" (Morning Star/MVD Entertainment)

Les meilleurs guitaristes actuels de Nashville se sont réunis pour honorer Chet Atkins, innovateur, songwriter, guitariste hors-pair, producteur et visionnaire. Le centenaire de sa naissance est célébré ce mois-ci. Le disque offre 15 pièces de country, bluegrass, rock électrique et acoustique produites par Carl Jackson (guitariste des Louvin Brothers) avec l’ingé-son Luke Wooten. Les meilleurs instrumentistes et les hits de Chet Atkins. Mr. Guitar par Tommy Emmanuel & Michael Cleveland. Lover Come Back To Me par Brent Mason. So Sad (To WatchGood Love Go Bad) par Vince Gill et Eric Clapton. Brad Paisley est sur Windy & Warm. Jerry Douglas & Bryan Sutton s’occupent de Sleepwalk, alors que Ricky Skaggs & Charlie McCoy sont sur Yakety Axe, remodelé par Chet à partir de Yakety Sax de Boots Randolph. Vince Gill revient sur I Still Can’t Say Good Bye de Chet puis laisse James Taylor & Alison Krauss duetter sur How’s The World Treating You. Guthrie Trapp évoque la rencontre Chet Atkins/Les Paul avec Caravan . Le picking acoustique de The Entertainer ( b.o. du film L’Arnaque, qui est en fait Maple Leaf Rag de Scott Joplin) est dû à John Knowles, un autre CGP (Certified Guitariste player). Sierra Hull vocalise sur All I Ever Need Is You et pour clore l’album apparaissent les Chester Bees (Chester était le vrai prénom de Chet) avec Ashley Campbell, Eric Clapton, Tommy Emmanuel, Vince Gill, John Knowles, Brent Mason, Ricky Skaggs et Guthrie Trapp dans Freight Train d’Elisabeth Cotten pour honorer Chet Atkins de la manière la plus cool possible. (Romain Decoret

 

The STETSON FAMILY

"The Stars If You Look Closely" (Canyon Records)

Aller jouer du bluegrass à Nashville est un peu comme vendre des machines à glaçons aux eskimos. C’est pourtant ce qui est arrivé aux membres de la Stetson Family. Ils viennent de Melbourne, Australie où le groupe a été formé en 2008, inspiré par le film O Brother, Where Art Thou. Le producteur Em Rose fut l’ingé-son du Little River Band. Le titre du disque est en référence à un poème australien : "The stars, if you look closely, will guide you to your journey’s end". Ils ont évidemment une préférence pour les tempos rapides dans leurs compositions The Other Side, Dollar In My Hand, Heading West. La vocaliste Nadine Budge se spécialise dans les hymnes plus lents tels Lonesome Valley, Angel’s Hand ou Mama’s Gonna Take You Home. Il y a un instrumental avec Nightfall. Leurs influences sont les groupes de bluegrass traditionnels, mais aussi Emmylou Harris, Lucinda Williams et les Everly Brothers. Leur instrumentation comprend la. mandoline, le fiddle et la contrebasse en plus des guitares. Ceci n’est que leur quatrième disque, mais le précédent, True North (2015), les amena à Nashville où ils furent élus par la conférence du festival World Of Bluegrass. (Romain Decoret