mardi 7 janvier 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Sierra FERRELL

"Trail of Flowers" 

Cri du 💚 


Sierra Ferrell a été désignée révélation de l’année 2022 et artiste de l’année 2024 par Americana Music Association, et Trail of Flowers a été élu meilleur album 2024. Des récompenses dues en premier lieu à la très jolie voix de Sierra. Un très léger vibrato et une infime fêlure rendent instantanément émouvantes des ballades comme Wish You Well et Rosemary, d’autant que ces deux chansons ont de très jolies mélodies. Les autres atouts de Sierra sont la qualité de ses compositions et ses arrangements qui balaient un large spectre avec des ballades folk (No Letter) ou country (American Dreaming), des sonorités celtiques (I Could Drive You Crazy avec deux fiddles), du country-rock à la KT Tunstall (Dollar Bill Bar écrit avec Melody Walker), des rythmes indiens (Fox Hunt) et une chanson d’amour façon comptine (I’ll Come Off The Mountain). Il y a chez Sierra Ferrell un savant mélange d’anticonformisme dans son look et son histoire (ses tatouages, ses piercings, ses tenues et coiffures extravagantes, ses dix années sur la route, son passé de junkie) et de respect pour les traditions musicales américaines avec une chanson de train (Money Train), une murder ballad (Rosemary) et la présence d’instruments traditionnels de la country et du bluegrass (banjo, mandoline, violon, pedal steel). Elle remonte loin dans l’histoire de la country avec la seule reprise de l’album, la ballade swing Chittin’ Cookin’ Time in Cheatham County popularisée dans les années 1930 par Arthur Smith et arrangée dans un style proche de Hot Club of Cowtown avec des guitares électriques. En quelques années (Trail of Flowers est son deuxième album chez Rounder après deux disques autoproduits en 2018 et 2019), Sierra Ferrell est devenue incontournable. On la voit partout, aux côtés de Billy Strings, sur les albums de Tony Trischka, Cory Walker, des Black Keys, avec Lukas Nelson (le fils de Willie), Old Crow Medicine Show, Sierra Hull et les Travellin’ McCourys. Si ce n’est déjà fait, découvrez-la avec ce très bel album.


 

 

Dan TYMINSKI

"Live From the Ryman" 

Cela fait trente-cinq ans que Dan Tyminski est une des grandes voix du bluegrass (élu quatre fois chanteur de l’année par IBMA). Pourtant, sa discographie solo est bien mince: trois albums seulement auxquels il faut ajouter un 5 titres en hommage à Tony Rice (One Time Before You Go paru en 2022) et un disque qui n’avait rien à voir (ou si peu) avec le bluegrass (Southern Gothic). Dan Tyminski s’est surtout fait connaitre dans des groupes, d’abord par son association avec Ronnie Bowman comme le formidable duo vocal de Lonesome River Band puis comme le partenaire d’Alison Krauss dans Union Station. Sa notoriété a largement débordé le cadre du bluegrass puisqu’il a doublé George Clooney pour interpréter Man of Constant Sorrow dans le film O Brother, Where Art Thou (élue chanson de l’année par Country Music Association) et qu’il a été le chanteur du méga tube Hey Brother du DJ électro-pop Avicii qui s’est classé en tête des charts dans 18 pays (pas en France) et dépassé le milliard de streams sur Spotify. L’album en public Live From the Ryman sort seulement un an après le troisième disque de Dan, God Fearing Heathen (cf. juillet 2023) et il pourrait presque tenir lieu de "Best of" s’il avait inclus Hey Brother (repris en version bluegrass dans le dernier album) et une ou deux chansons de son excellent album Wheels paru en 2008 (cf. Le Cri du Coyote 107). Dan s’est entouré des mêmes musiciens que sur son dernier disque, soit trois membres de East Nash Grass (Gaven Largent – dobro, Maddie Denton – fiddle et Harry Clark – mandoline), Jason Davis (banjo) et Grace Davis (contrebasse). On retrouve quatre titres de God Fearing Heathen, deux chansons tirées des albums avec Alison Krauss, Man of Constant Sorrow, Modern Day Jezebel que Dan avait enregistré avec Jason Davis, une compo inédite de Dan (Whiskey Drinking Man) et quatre classiques. L’album est très bien joué par tous les musiciens, avec beaucoup de talent et d’énergie et une mention spéciale à Jason Davis qui a un son percutant que je trouve fantastique. Le petit défaut, c’est peut-être d’avoir joué l’instrumental Cumberland Gap et la chanson Let Me Fall sur des tempos un poil trop rapides, mais ça se justifie dans le cadre d’un enregistrement en public. La vedette reste la voix de Dan Tyminski. Il interprète God Fearing Heathen seul à la guitare. Il est formidable dans GOAT, Old Home Place des Dillards, Silence in the Brandy et The Boy Who Wouldn’t Hoe Corn qui est précédé d’une longue intro de dobro solo (plus de trois minutes). L’autre chanson tirée du répertoire d’AKUS est This Sad Song, une composition d’Alison Krauss et Alison Brown dont j’avais oublié l’existence et qu’il est très agréable de redécouvrir dans ce Live From the Ryman

 

LONESOME RIVER BAND

"The Winning Hand" 

Lonesome River Band a aujourd’hui plus de quarante années d’existence. Le groupe a connu ses grands succès entre 1990 et 2000 avec les chanteurs Ronnie Bowman, Dan Tyminski et Don Rigsby. Depuis près d’un quart de siècle, le banjoïste Sammy Shelor, devenu le leader du groupe, maintient la formation sur le devant de la scène bluegrass. Le dernier album, Heyday paru en 2022 marquait un tournant. Huit titres étaient joués avec Brandon Rickman, guitariste et chanteur du groupe pendant 20 ans, et Barry Reed à la basse. Les quatre autres morceaux permettaient de découvrir les deux nouveaux membres de Lonesome River Band, le jeune mandoliniste Adam Miller et le bassiste Kameron Keller (ex Jr Sisk et Grasstowne, entre autres). Dans l’opération, Jesse Smathers est passé de la mandoline à la guitare. C’est avec cette nouvelle formation que les quatorze titres de The Winning Hand ont été enregistrés. Smathers et Miller se partagent les chants. Ni en solo ni en duo leurs voix ne rivalisent avec les riches heures passées du groupe. En revanche, les trios vocaux avec Sammy Shelor sont des modèles du genre et instrumentalement, c’est de très bon niveau. On connait l’excellent style Scruggs de Shelor (élu 5 fois banjoïste de l’année par IBMA), les qualités du fiddler Mike Hartgrove (dans le groupe depuis 2001 après avoir été membre de Quicksilver puis de IIIrd Tyme Out). Adam Miller est lui aussi un excellent soliste (Queen of Hearts) et Smathers est aussi à l’aise dans un blues (Near Mrs), un titre moderne (Hang Out for the Heartbreak) que dans solo inspiré du style de Tim Austin, guitariste originel et fondateur de Lonesome River Band (Nothin’ Comes To Mind). Lonesome River Band a heureusement renoncé à jouer avec un batteur, ce qui avait gâché plusieurs disques enregistrés il y a une dizaine d’années. Le son du groupe est fourni mais il est dommage que les arrangements ne soient pas plus créatifs, avec des interactions entre les instruments. Les solos s’enchainent de manière on ne peut plus classique. Côté répertoire, il y a trois reprises, That’s Why Trains are Lonesome (Blue Moon Rising), Brown Hill (Lost & Found) et Tom & Jerry (attribué à Tommy Jackson), seul instrumental de The Winning Hand. Parmi les autres chansons, c’est grâce à son texte humoristique que Hard Work pourrait connaître un beau succès. Le mélange bluegrass classique/countrygrass a longtemps fait la réputation de Lonesome River Band. Dans The Winning Hand, c’est le blues qui domine avec des titres classiques parmi lesquels on distinguera Blues of the Night et surtout Oh Darlin’. Lonesome River Band nous offre aussi des titres plus modernes comme Effingham County et Charlottesville sur une rythmique blues-rock.

 

BLUE HIGHWAY

"Lonesome State of Mind" 

Lonesome State of Mind est le treizième album de Blue Highway en trente ans de carrière. Le précédent, Somewhere Far Away (Le Cri du Coyote 163), date d’il y a déjà cinq ans. Il faut dire que le système économique a changé pour le bluegrass comme pour d’autres genres musicaux. Les artistes sortent désormais essentiellement des chansons en "single". Dans le temps ç’aurait été des 45 tours, aujourd’hui c’est du téléchargement. C’est ce qu’a fait Blue Highway avec les chansons On The Roof of the World et Lonesome State of Mind parues successivement en 2022 puis The North Side en 2023. Toutes trois sont placées en tête du nouvel album, composé uniquement de créations des membres du groupe, comme c’est le cas depuis plusieurs disques. Lonesome State of Mind est tout à fait dans la continuité de l’œuvre de Blue Highway. La pochette rappelle d’ailleurs celle de It’s A Long, Long Road, leur premier disque. La formation est presque la même qu’à leurs débuts. Seul le dobroïste a changé. Rob Ickes semblait irremplaçable et pourtant, comme sur l’album précédent, Gary Hultman parvient à nous le faire oublier. Wayne Taylor interprète six des dix chansons, la plupart écrites par Tim Stafford. En plus de Lonesome State of Mind et du countrygrass On the Roof of the World qui se sont déjà hissés dans les cinq premières places des charts bluegrass, il chante notamment Soil and Soul, au rythme marqué, typique du style Blue Highway (et de l’écriture de Stafford, ici avec Thomm Jutz) et Randall Hayes, également assez moderne avec une intro de dobro dans le style de Jerry Douglas. Gary Hultman chante, pour la première fois sur un disque de Blue Highway, une autre composition de Stafford. Shawn Lane interprète trois compositions personnelles, le gospel Why Did I Wait So Long – une valse bien chantée mais quelconque, le bluesy Just Like Today et The North Side, tous deux très bien arrangés, Lane (mandoline) et Hultman se distinguant particulièrement. Quand on compare les disques de Blue Highway et Lonesome River Band, deux groupes majeurs du bluegrass depuis trente ans et plus, ce qui frappe, c’est la sophistication des arrangements chez Blue Highway, le dialogue permanent entre les musiciens alors que ceux de LRB se contentent de se succéder en solo. Le répertoire est complété par deux bons instrumentaux, Emerson composé par le banjoïste Jason Burleson en hommage à Bill Emerson, et Bull Moose écrit par Shawn Lane. Pas loin du niveau des meilleurs albums récents de Blue Highway, The Game et Somewhere Far Away

 

BROKEN COMPASS BLUEGRASS

"Through These Trees" 

Through These Trees est le troisième album de Broken Compass Bluegrass en deux ans (dont un double disque en public). Ces jeunes gens (20 ans en moyenne) ne perdent pas de temps. Ceux qui ont vu le groupe sur scène l’été dernier à Craponne ou La Roche-sur-Foron auront sans doute retenu les joutes instrumentales entre Kyle Ledson et Django Ruckrich, deux musiciens qui excellent à la guitare comme à la mandoline. Ce qui surprendra peut-être dans Through These Trees est l’importance prise dans ces enregistrements en studio par le fiddle de Mei Lin Heirendt, sa complicité avec la mandoline lors de nombreux passages en duo. Dans le groupe, chacun interprète ses propres compositions. Kyle Ledson confirme toutes les qualités décelées dans son album solo Left It All Behind (Cri du cœur dans Le Cri du Coyote 168). Les quatre chansons qu’il a écrites coulent comme des évidences. Sa voix domine les arrangements. C’est de loin le meilleur chanteur du groupe. Try se prolonge sur sept minutes avec un dialogue guitare-mandoline et une intervention en solo du contrebassiste Sam Jacobs. Le seul reproche qu’on pourrait faire à Ledson est que The Alien Song, Try et Set In Stone ont des tempos similaires mais c’est sans importance dans un album où ces chansons sont intercalées avec les compositions des autres membres du groupe. Vocalement, Mei Lin manque de puissance à certains moments, de maturité (elle n’a que 18 ans) mais elle a un timbre agréable et c’est une formidable violoniste. Ses compositions sont aussi remarquables que celles de Ledson. Comme lui elle affectionne les tempos rapides, sauf pour le début de Discovering Me, plus lent mais dont le rythme s’accélère pendant la partie instrumentale. Mei Lin signe également le bon instrumental Circustown. Django Ruckrich a une voix très nasillarde, pas vraiment agréable. Comme Ringo Starr sur les albums des Beatles, il ne chante qu’un titre, Steel & Rust, et c’est bien comme ça. Partout sur l’album, comme ses camarades, il confirme ses qualités de musicien avec davantage de respect pour les mélodies que sur scène. Through These Trees pourrait de ce fait plaire aussi à ceux qui ont trop vite pris Broken Compass Bluegrass pour un jamgrass californien de plus.


 

dimanche 15 décembre 2024

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

C. Daniel BOLING

"Love, Dan" 

En entendant les premières notes de banjo et les premiers mots de la chanson Love, Dan, j'ai cru entendre Loudon Wainnwright III. "Dear Mama I hate, you. Love, Dan". Ces blessures d'enfance, cette conscience douce-amère du temps qui passe, de la bascule trop rapide du statut de fils à celui de père ("Dear Daddy, I Hate you. Love, Sam"), tout cela est typique du songwriter new-yorkais. Et pourtant, il s'agit bien ici de C. Daniel Boling qui nous donne avec Love, Dan (l'album), un nouvel aperçu de son talent. Entre deux aventures avec Tom Paxton (le prochain disque est prévu pour 2025), Daniel, armé de sa guitare et de son banjo, nous offre quatorze nouvelles chansons, des ballades tendres, sérieuses, humoristiques, nostalgiques. C'est ainsi qu'il peut aussi bien chanter l'actualité (All Of Us Are Immigrants, Toward The Fire, For Better Or Worse) que l'amour (Maya, I Adore You, coécrit avec Tom Paxton), parler d'un père qui manque (Whadya Do Today?) et évoquer encore sa mère (The Leash). Il parle aussi, sans le nommer, dans Public Domain d'un songwriter qui a grandi à Bristow, Oklahoma, dont on connait les chansons sans toujours savoir qu' il les a écrites; il s'agit bien sûr de Tom Paxton. Il dit notamment "He wrote a little ditty back in 1965 / About a wino vagabond just glad to be alive / Now everyone from les enfants to mesdames et messieurs / Declares it's a French folk song they've sung a hundred years". Chacun aura reconnu Bottlle Of Wine / Sacrée Bouteille. Daniel n'oublie pas non plus la nature, au milieu de laquelle il a toujours vécu, et conclut l'album avec The Sycamore Tree. Voilà pour les chansons. Pour le reste, il faut noter la production impeccable, comme toujours, de l'excellent Jono Manson. Kelly Mulholan (mandoline notamment) et Char Rothchild (accordéon et tin whistle) contribuent beaucoup au son de l'album. Un violon par-ci (Jason Crosby sur Something From Your Past), un violoncelle par-là (Michael G. Ronstadt sur If I Were You), ou encore un dobro (John Egenes sur The Leash) font le reste, en douceur et en beauté.


 

 

Jeffrey FOUCAULT

"The Universal Fire" 

Le nouveau disque de Jeffrey Foucault, The Universal Fire, est dédié à Billy Conway (1956-2021), batteur attitré de Jeffrey, qui était encore présent sur son dernier album Blood Brothers, paru en 2018. C'est à cette époque que j'avais eu l'occasion de voir en France Jeffrey Foucault avec son groupe au grand complet: Jeffrey (guitare), Billy (batterie), Jeremy Moses Curtis (basse) et Eric Heywood (pedal steel). Eric (qui joue également de la guitare électrique, tout comme Jeffrey) et Jeremy sont présents sur le nouvel opus, John Convertino à pris le siège de Billy, Erik Koskinen est à la guitare électrique et Mike Lewis produit le disque, y ajoutant piano, orgue et saxophone ténor. Dès le début, on comprend que The Universal Fire est l'œuvre d'un groupe, au son rock, compact et parfois sombre , comme dans Winter Count qui ouvre l'album. Cela s'explique par le fait que l'ensemble a été enregistré dans les conditions du direct, en studio, en l'espace d'une semaine, en novembre 2023. Un premier constat s'impose, la qualité de l'écriture est toujours la même et cela ne surprendra pas ceux qui ont découvert Jeffrey avec Miles From The Lightning, au début du millénaire, et n'ont jamais été déçus depuis. Ici, l'écriture semble simplement plus concise et percutante, comme si elle répondait à une forme d'urgence. Le côté brûlant du titre se reflète dans l'instrumentation, très électrique, avec parfois trois guitares et le titre Nightshift, par exemple, en est la parfaite illustration, aux frontières du hard-rock. Même les titres les plus calmes comme Moving Through ou Sometimes Love (avec la voix de Kris Delmhorst) montrent que Jeffrey Foucault n'est pas simplement le troubadour acoustique que l'on a connu et que l'on retrouve dans East Of Sunshine. Si cet album est un hommage à Billy Conway, l'ami de longue date, le titre The Universal Fire fait directement référence à l'incendie qui a ravagé les studios Universal en 2008, détruisant au passage des centaines d'enregistrements originaux, trésors irremplaçables. 


 

 

Various Artists

"Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney" 

La vie et la mort de David Olney, décédé sur scène au milieu d'une chanson, en janvier 2020, juste avant le cauchemar du COVID, appartiennent désormais à la légende. Son ami et partenaire Gwil Owen a pris l'initiative de réunir certains de ses pairs et admirateurs autour d'un beau projet: Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney. Ils sont venus, ils sont tous là, certains tirés de la tombe, comme Townes Van Zandt, d'autres d'un oubli profond (et volontaire) comme Willis Alan Ramsey. David lui-même apparaît dans le court Sonnet #40, un texte mis en musique par Irakli Gabriel. L'album est riche de dix-sept titres, dix-sept artistes, et pas mal de musiciens célèbres venus les soutenir. Ils viennent d'horizons différents, de styles musicaux variés avec un dénominateur commun, l'amour des chansons de David. "Because David Olney was the best of us", écrit Steve Earle, ici présent avec Sister Angelina. Steve et David s'étaient rencontrés en 1973, quand ils venaient de débarquer à Nashville, avec des rêves plein la tête, notamment celui de placer leurs compositions auprès d'artistes célèbres. Steve connaissait déjà Townes Van Zandt qui interprète ici Illegal Cargo, version publique enregistrée en 1977, 4 ans avant le premier disque de David (avec les X-Rays), 12 ans avant le premier enregistrement officiel de ce titre par son auteur-compositeur sur Deeper Well. Plutôt que des mots, une simple liste des participants, par ordre d'apparition, vous donnera une idée de la qualité de l'album: Lucinda Williams, Steve Earle, The McCrary Sisters, Buddy Miller, The Steeldrivers, Willis Alan Ramsey, Mary Gauthier, R.B. Morris, Jimmie Dale Gilmore, Anana Kaye, Greg Brown avec Bo Ramsey, David Olney avec Irakli Gabriel, Afton Wolfe, Dave Alvin with the Rick Holmstrom Trio, Jim Lauderdale, Janis Ian, Townes Van Zandt. Mieux qu'un who's who, non? Il ne faut pas oublier les sidemen prestigieux qui sont venus donner un coup de main. Au premier rang d'entre eux on trouve, bien sûr, Gwil Owen, omniprésent. Quel plaisir de retrouver, avec une nouvelle vie, des titres aussi forts que Jerusalem Tomorrow, If My Eyes Were Blind, 1917, Deeper Well, Women Across The River, If It Wasn't For The Wind, Sister Angelina… Et combien d'autres auraient pu aussi faire partie du menu! Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney est une belle occasion de (re)découvrir l'œuvre d'un des plus grands songwriters de ces cinquante dernières années.


 

 

Steve EARLE

"Alone Again… Live" 

Les dernières parutions discographiques de Steve Earle ont été consacrées à des hommages à son fils, Justin Townes Earle, et à Jerry Jeff Walker. Son dernier album de chansons originales, Ghosts Of West Virginia, date de 2020. En 2023, Steve a ressenti le besoin de partir seul sur les routes, en tournée avec sa guitare, son harmonica et ses chansons. C'est aujourd'hui sans surprise, mais non sans plaisir, que nous pouvons écouter Alone Again… Live, fort de quinze titres enregistrés au court de ladite tournée. Le répertoire en en majorité composé de chansons des premières années discographiques de Steve: The Devil's Right Hand, My Old Friend The Blues, Someday, Guitar Town, I Ain't Ever Satisfied, Goodbye, Copperhead Road. Il y a aussi des titres des années de la "renaissance", après la prison: Now She's Gone, Transcendental Blues, CCKMP (Cocaine Cannot Kill My Pain), South Nashville Blues, The Galway Girl, Sparkle And Shine. Un titre obscur, instrumental, figure au programme, Dominick St., dont la version studio avait été enregistrée en même temps que The Gallway Girl (qu'il précède ici) et que l'on ne trouvait que sur la compilation Sidetracks. Le seul titre récent, paru sur Ghosts Of West Virginia, est It's About Blood. Alone Again… Live, est un album pour les fans de Steve qui retrouvent ainsi, dans sa plus pure expression, un artiste dont on mesure de mieux en mieux l'importance à chaque fois qu'un de ses maîtres et/ou amis rejoint le "singer-songwriter Heaven". Pour ma part, j'y ai retrouvé la même énergie et la même fraîcheur qu'en avril 1986 quand j'avais découvert par hasard le 33 tours Guitar Town, séduit par la pochette et ses précieuses informations, dans un bac de la FNAC de Lyon.

 

FOREST SUN

"No Finish Line" 

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de Forest Sun (Schumacher) dans les colonnes du Cri du Coyote (et précédemment dans Xroads). La dernière fois, c'était en octobre 2023 pour Hey Magnolia. Depuis, l'artiste californien, toujours aussi difficile à enfermer dans une catégorie, a continué à nous distiller ses chansons par le biais de Patreon avant de les réunir sous la forme d'un album intitulé No Finish Line. En effet, la ligne d'arrivée n'est pas en vue pour notre ami qui continue, avec classe et élégance, à nous ravir avec ses compostions fines et mélodieuses, que sa voix chaude sait si bien habiller d'émotion. Aux côtés de Forest Sun (voix, guitare et piano), on trouve essentiellement son complice et coproducteur Gawain Matthews (banjo, contrebasse, batterie, harmonies vocales, orgue Hammond, piano, accordéon, guitare électrique, mandoline, dobro). L'alchimie entre les deux hommes fonctionne à merveille et les seuls renforts sont Lara Louise (harmonies vocales), Luke Price (fiddle) et Aaron Kierbel (batterie sur un titre). Forest Sun est un véritable artiste, qui vit pour sa passion, ou plutôt ses passions car il a plusieurs cordes à son arc, sans chercher la gloire à tout prix. C'est un homme heureux qui aime son pays (America, I Love You) même si ce dernier le fait parfois souffrir. Dans ce cas, le remède est la musique (Music Is My Medicine). Il sait la précarité de l'existence (Precious Days), il sait que la vie n'est pas une course (No Finish Line), manie la nostalgie dans le bluesy Autumn In Montreal, chante l'amour simple (Take Along Our Love, Because You're Mine), évoque une forme de lassitude (Too Much Of Everything). Les orchestrations sont tantôt riches (merci Gawain), tantôt dépouillées mais se rejoignent dans un ensemble harmonieux. Et quand Forest Sun nous quittee avec Apples & Oranges, c'est au son d'un piano, bientôt rejoint par quelques notes subtiles de guitare électrique, qu'il nous donne rendez-vous pour de nouvelles aventures, de nouvelles chansons.


 

 

LOVESICK

"Remember My Name" 

Lovesick (ex Lovesick Duo) est un groupe italien composé de Paolo Roberto Pianezza (guitares, lap steel, chant) et Francesca Alinovi (contrebasse et chant). Ils ont toujours été influencés par la musique américaine, du rock 'n' roll à la country music, du blues au western swing. Au duo est venu s'ajouter Alessandro Cosentino (fiddle, batterie et chant). Disons-le tout de go, Remember My Name est un pur concentré de bonne humeur et de joie (ce qui n'empêche par une qualité musicale de haut niveau). Until I'm Done ouvre le bal, et ce western swing (avec la clarinette de Chloe Feoranio) emporte, dès les premières notes, l'adhésion de l'auditeur. L'intérêt va croissant et, ça et là, on note des références aux pères du rock Eddie Cochran, Buddy Holly ou Elvis Presley (Goin' Back For More, You And I, The Rain). La country music est là aussi avec le bien nommé I've Got A Smile For You. On pense aussi à Johnny Cash (Blue Skies) et on se dit que Remember My Name, Martha et l'entrainant Goin' Down (compositions de Paolo & Francesca, comme les autres titres) sont des chansons que beaucoup auraient aimé écrire. L'album se termine par un instrumental, Kauai, dont le seul intitulé définit le style. Solidement ancrés dans les années 1950, nos amis italiens de Lovesick, en duo ou en trio, sont, à n'en point douter un véritable plaisir à voir sur scène. 


 

mercredi 11 décembre 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Billy STRINGS

"Highway Prayers" 

Ceux qui apprécient Billy Strings et son groupe comme jam band (ils sont nombreux si on en juge par les cohortes de fans qui les suivent à chaque concert) seront peut-être déçus à la première écoute de Highway Prayers. Ils auraient tort de passer leur chemin car c’est un excellent album mais c’est un album studio qui met en avant le répertoire, ce qui est logique juste après la sortie d’un disque enregistré sur scène (Live Vol. 1). Highway Prayers est copieux (double CD – 21 titres), sans doute parce que c’est le premier album de compositions de Billy en trois ans (Me/and/Dad en 2023 ne comprenait que des reprises). Highway Prayers est si bon qu’il est plus facile de faire la (courte) liste des titres un peu décevants que de pointer les meilleurs. Je n’en vois guère que deux. Happy Hollow est un titre rapide, classique, sans originalité. Pour Leadfoot (qui fait pourtant l’objet d’une belle promo avec un clip chiadé), Billy Strings a selon moi eu le tort de vouloir tout faire lui-même. Ça sonne assez rustique, notamment à cause du banjo. Pour le reste (19 titres, rien que ça), tout semble naturel, facile pour Billy Strings, le chant, la guitare, les compos, le dobro même sur le folkpop Gild The Lily qu’on croirait sorti d’un album oublié de Paul McCartney. L’humour de Billy, un poil de provocation parfois, ressortent dans les textes de Gone A Long Time (Jesus took the water and turned it into wine / Me I’ll take them pretty girls and try to make ‘em mine), Catch & Release (dans le même moule que A Boy Named Sue, chanté seul à la guitare) et MoreBud4Me rythmé par une roulette de briquet et des bulles de narguilé (ou quoique ce soit qui y ressemble). Billy a aussi intitulé un gospel (religieusement interprété en quartet a cappella) du nom d’un pilote de NASCAR (Richard Petty). La voiture et la vie sur la route sont les thèmes récurrents de pas mal de chansons, illustrées par la pochette où Billy est au volant d’une Chevrolet Chevelle immatriculée à ses initiales et celles de l’album. Et ça peut donner d’excellents textes comme le presque philosophique In The Clear et surtout My Alice, superbe murder ballad où la voiture devient l’arme du crime. Parmi les autres textes remarquables, il faut citer le bon countrygrass Don’t Be Calling Me (At 4 AM) écrit avec Shawn Camp (Jerry Douglas au dobro), Gone A Long Time et The Beginning Of The End. Seven Weeks In Country est un westerngrass à la Marty Robbins. Stratosphere Blues accompagné au synthé ressemble à une vieille chanson folk de Pink Floyd (période Ummagumma). Il est enchainé avec I Believe In You qui a une jolie mélodie folk elle aussi. It Ain’t Before penche vers le old time avec le banjo clawhammer de Victor Furtado et la guimbarde (ça faisait très longtemps que je n’avais pas entendu de guimbarde dans un album). Il y a un piano dans Be Your Man. Les autres chansons sont des bluegrass rapides très bien joués par les musiciens de Billy: Billy Falling (banjo), Jarrod Walker (mandoline), Alex Heargraves (fiddle) et Royal Masat (basse). Leur talent (et celui de Billy à la guitare) est encore plus éclatant dans les trois instrumentaux. Escanaba a des couleurs new acoustic. Seney Stretch est moderne, savamment arrangé avec de nombreuses interactions entre les musiciens. Malfunction Blues est dans la même veine, joué avec deux mandolines (Walker et Strings). La fin du morceau devrait réjouir ceux qui apprécient Billy Strings et sa bande comme jam band. Incontournable.


 

 

Daniel GRINDSTAFF

"Heroes and Friends" 

Le banjoïste Daniel Grindstaff a fait ses classes avec des artistes de premier plan: Jim & Jesse puis Jesse McReynolds, Bobby Osborne, Marty Raybon. Il a gagné en notoriété en formant le groupe Merle Monroe avec Tim Raybon, le frère de Marty. Leurs deux albums ont connu un beau succès (Le Cri du Coyote 164 et 170). Après leur séparation, le premier disque du Tim Raybon Band s’est révélé très décevant. Il n’en est heureusement pas de même de celui de Daniel Grindstaff. Son style Scruggs dynamique qui rappelle le banjo bounce du génial Allen Shelton avec un son plus feutré fait merveille sur les dix plages. Grindstaff s’est entouré d’excellents musiciens. On imagine que ce sont les amis annoncés dans le titre de l’album: Trey Hensley (guitare), Andy Leftwich (fiddle, mandoline), Stephen Burwell (fiddle), Jesse Brock (mandoline) et Jeff Partin (dobro). A part Doyle Lawson présent à la mandoline sur deux titres, les héros sont, eux, cachés parmi les harmonies vocales: Dolly Parton, Rhonda et Darrin Vincent, Shawn Lane. Deux bonnes compositions de Grindstaff parmi les quatre instrumentaux: le joli The Three ArrowsGrindstaff et Burwell sont excellents, et le fiddle tune Finnland. Doyle Lawson joue sur la version instrumentale de Jesse James. Le quatrième instrumental est mon préféré, une version bluegrass/swing du standard de jazz When You’re Smiling (notamment enregistré par Louis Armstrong et Michael Bublé). Les six chansons sont interprétées par six chanteurs différents. L’impressionnante voix de tenor de Paul Brewster (qui a accompagné les Osborne Brothers et Ricky Skaggs) fait merveille dans Forever Young, une chanson de Rod Stewart inspirée du titre homonyme de Dylan. On est dans le bluegrass classique avec Jimmy Fortune (Statler Brothers) pour I Still Write Your Name in the Sand (Mac Wiseman) et Ricky Wasson pour Colleen Malone. Le duo de fiddles (Burwell et Derek Deakins) en rajoute côté traditionnel sur My Last Old Dollar chanté par Kevin Richardson (ex-Larry Stephenson Band). On fait un petit tour par le gospel avec Child of the King interprété par Jeff Tolbert de The Primitive Quartet. La meilleure chanson selon moi est l’adaptation bluegrass d’un titre country de Del Reeves, Looking at the World Through a Windshield superbement chantée par Trey Hensley. Heroes and Friends est un bon album de bluegrass dont on aurait aimé qu’il dure plus de 29 minutes. 

 

Various Artists

"Silver Bullet Bluegrass"

Silver Bullet Bluegrass est une collection de treize adaptations bluegrass de chansons de Bob Seger. Stephen Mougin (guitare), Mike Bub (contrebasse) et Ned Luberecki (banjo) jouent la plupart des titres. Gary Nichols (guitare, harmonies), Darrell Webb (mandoline), Megan Lynch (fiddle) et Wayne Briggs (dobro) sont également présents sur plusieurs morceaux. Les treize chansons sont interprétées par treize artistes différents, bluegrass ou country. Le résultat est inévitablement inégal mais ça tient moins aux qualités des chanteurs qu’aux chansons elles-mêmes et aux arrangements. La seule interprétation que je trouve vraiment ratée est celle de Robert Hale (Wildfire) dans Feel Like A Number. Larry Cordle maîtrise bien le début de Night Moves mais la chanson dure au moins une minute de trop. Le dobroïste Wayne Briggs n’est pas au niveau des autres musiciens et Night Moves en pâtit, de même que Hollywood Nights et Ramblin’ Gamblin’ Man pourtant bien interprétés respectivement par Shonna Tucker (bassiste de Drive-By Truckers) et le chanteur de southern rock Bo Bice. You’ll Accompany Me est bien adapté en bluegrass, sur un tempo plus rapide que l’original mais l’interprétation de Keith Garrett (Blue Moon Rising, The Boxcars) manque d’épaisseur. Même style d’arrangement (un peu chargé cependant) pour Even Now chanté par Tim Stafford. Le titre que j’ai préféré est Turn The Page (une des meilleures chansons de Seger avec Still The Same qui n’est pas repris dans ce disque – sans doute trop rock) très bien chanté en mode blues par Gary Nichols qui avait succédé à Chris Stapleton dans The Steeldrivers. On retrouve à ses côtés ses anciens partenaires Tammy Rogers (fiddle) et Richard Bailey (banjo). J’aime aussi beaucoup Against The Wind (autre grand succès de Seger) par Tim Shelton, ancien chanteur de NewFound Road, à l’aise dans ce type de répertoire (il avait sorti en 2015 un excellent album de reprises de Jackson Browne). Carson Peters est un tout jeune violoniste. Sa voix est encore juvénile mais son punch remplace l’agressivité que mettait Bob Seger dans la version originale de Long Twin Silver Line et je trouve que c’est plutôt mieux. Webb et Luberecki sont très bons sur ce titre. Dans Roll Me Away, le chanteur americana Bill Taylor réussit l’exploit de retrouver le souffle épique que met souvent Seger dans ses chansons alors que ce rock reçoit ici un arrangement typiquement bluegrass. Le rock’n’roll Betty Lou’s Gettin’ Out Tonight vire au honky tonk dans la bonne version du chanteur de country Ward Hayden, agrémentée d’un solo de contrebasse de Mike Bub. Il reste deux slows pour finir. Le banjo fait office de piano dans We’ve Got Tonight, bien chanté par Jeff Parker (ex- Lonesome River Band et Dailey & Vincent, entre autres) et Josh Shilling (Mountain Heart) est très à son affaire sur le blues Main Street

 

Tony TRISCHKA

"Earl Jam" 

Je ne sais pas si les personnes qui téléchargent les albums pourront apprécier Earl Jam de Tony Trischka à sa juste valeur. Il fait partie des disques qui prennent leur pleine dimension après qu’on ait lu les pages du livret. Tony Trischka s’est fait connaître par son approche iconoclaste du banjo et du bluegrass mais avec son cinquième album solo, Hill Country paru en 1985, il avait montré son amour et sa profonde connaissance du bluegrass classique. Earl Jam, dont le répertoire est presque exclusivement composé de classiques pourrait apparaitre comme un nouvel hommage au bluegrass traditionnel enregistré à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Earl Scruggs. En lisant le livret, on apprend que Tony Trischka s’est en fait retrouvé destinataire d’une clé USB comportant plus de 200 titres enregistrés par John Hatford lors de jam sessions avec Earl ou la famille Scruggs dans les années 80 et 90. Bluffé par ce qu’il a entendu, il a choisi ses morceaux préférés et les a gravés en jouant note pour note les solos de Earl Scruggs (les back up sont de lui mais toujours dans le style de Scruggs). Le son est celui d’aujourd’hui mais on retrouve effectivement dans le jeu de Trischka tous les effets de main gauche de Scruggs et surtout son génie de la syncope. Les principaux partenaires de Trischka sont le fiddler Michael Cleveland, les mandolinistes Dominick Leslie et Jacob Joliff et le contrebassiste Mike Bub. Il n’y a que deux instrumentaux, Shout Little Lulu joué en solo par Trischka et Chinese Breakdown en formation bluegrass complète avec Stuart Duncan et Dominick Leslie. Il semble que personne ne puisse rien refuser à Trischka car la liste des chanteurs présents dans Earl Jam constitue un who’s who de la scène bluegrass, à commencer par les trois stars du moment, Billy Strings pour Brown’s Ferry Blues (avec un solo pas scruggsien du tout de Béla Fleck), Molly Tuttle (en duo avec Sam Bush) pour Dooley des Dillards et Sierra Ferrell pour le swing San Antonio Rose (avec les fiddles de Casey Driessen et Darol Anger) qui lui convient à merveille et le gospel Amazing Grace, joliment accompagné par les chœurs des trois sœurs McCrary. En plus de ces trois étoiles au firmament des années 2020, il y a deux grandes voix historiques du bluegrass. Del McCoury interprète Roll On Buddy avec son groupe (Tony Trischka à la place de Rob McCoury) et je le trouve meilleur que sur son propre dernier album (cf. plus loin). Il chante aussi un couplet et un refrain dans Little Liza Jane habituellement joué en instrumental. Pour ce titre, Trischka et Brittany Haas (fiddle) recréent la complicité de Scruggs et Hartford en se répondant au cours de leurs interventions. Dudley Connell est carrément royal dans Freight Train Blues, tout comme Michael Cleveland qui a superposé trois parties de fiddle. Comme McCoury, Connell chante un court passage dans un (faux) instrumental, Cripple Creek. Trischka, Joliff et Cleveland montrent qu’on peut faire de très belles choses avec l’un des titres les plus basiques du répertoire (à condition bien entendu d’avoir leur talent). Beaucoup d’enregistrements confiés à Tony Trischka étaient des duos entre Scruggs et Hartford et il reprend cette formule avec Bruce Molsky qui chante le traditionnel My Horses Ain’t Hungry en s’accompagnant au fiddle. Trischka a aussi invité une vedette country (qui vient régulièrement s’encanailler dans le bluegrass), Vince Gill, pour Bury Me Beneath The Willow. Michael Daves est moins connu que les autres interprètes bien qu’il ait enregistré un album en duo avec Chris Thile. Il collabore régulièrement avec Tony Trischka (sur son dernier album Shall We Hope) et se montre à la hauteur des autres chanteurs dans Casey Jones. J’ai gardé le meilleur et le plus inattendu pour la fin, Lady Madonna, que Earl Scruggs jouait de temps en temps sur scène avec ses fils au temps de The Earl Scruggs Revue. Ce succès des Beatles est formidablement chanté par Leigh Gibson (Gibson Brothers) avec le soutien vocal de son frère Eric et de Dudley Connell. Il y a un bon solo de Joliff. Trischka (et donc Scruggs par procuration) est excellent et le morceau se termine par une sorte de jam organisée réjouissante. Avec Earl Jam, Tony Trischka a trouvé une magnifique façon de célébrer l’œuvre de Earl Scruggs, à la fois ambitieuse, très originale (ça lui ressemble) et complètement respectueuse du père du banjo bluegrass (paradoxalement, ça lui ressemble aussi). 


 

 

The Del McCOURY BAND

"Songs of Love and Life" 

Del McCoury a 85 ans. Soit on considère que le verre est à moitié plein parce qu’il chante très bien pour son âge, soit on considère qu’il est à moitié vide parce qu’il ne chante plus aussi bien qu’il y a dix ans. C’était déjà perceptible dans Almost Proud (cf. avril 2022). Sa voix est moins souple, sa tessiture s’est un peu réduite. Heureusement, sur des chansons comme Treat Me Kind et Evangeline (Charlie Daniels), son phrasé scandé est toujours un modèle du genre. Plus encore dans Legend of the Confederate Gold, une bonne chanson qui rappelle The Butler Boys (sur l’excellent album Streets of Baltimore en 2013 – Le Cri du Coyote 137). L’arrangement accentue le côté mystérieux de ce titre. De ce point de vue, c’est une des rares satisfactions de Songs of Love and Life. Jason Carter, Rob et Ronnie McCoury jouent très bien mais c’est souvent sans surprise, alors que Rob notamment s’était sorti les tripes dans Almost Proud. Le duo de Del et Molly Tuttle dans She’s Heavenly n’apporte pas non plus grand-chose. C’est sympa de les entendre ensemble mais l’association de leurs timbres ne provoque pas d’effet particulier. Plusieurs chansons me semblent des fautes de goût, Red Cajun Girl, Sweet Music Man (Kenny Rogers) et surtout Only the Lonely de Roy Orbison. Un peu tard pour que Del s’attaque à ce tube du Caruso du rock. La voix de Del montre également ses limites dans deux titres dynamiques, bien arrangés pour le coup, Working on the WPA (signé Mark Simos) et, à moindre titre, Just Because, une bonne chanson popularisée par les Stanley Brothers. Il s’en tire mieux avec la valse Sad Solemn Sorrow et If You Talk in Your Sleep, un titre de la fin de carrière d’Elvis. Les fans de Del McCoury achèteront cet album par fidélité et nostalgie. Les autres préféreront réécouter Del & the Boys, It’s Just the Night ou Streets of Baltimore. Trois chefs d’œuvre.