"Behind The Sky"
Tout démarre à l'été 2022, au moment où Chip ressent une gêne dans la gorge avant qu'en octobre une tumeur cancéreuse ne soit identifiée. Commence alors la période des rendez-vous avec des spécialistes et la litanie des soins, notamment une radiothérapie. Chip raconte dans le livret du CD toutes les étapes, du sens du goût perdu et retrouvé, parle de son épouse Joan, solide à ses côtés, de Kareem et George, devenus ses amis de thérapie mais aussi de musique, de la messe à laquelle il a assisté et qui lui a inspiré la chanson The Blessing. C'est une tranche de vie déclinée en trois pages et douze chansons, de Do Something Good à Hey Skip Along With Me. Behind The Sky, c'est le titre de l'album, a été enregistré avec un groupe complet (John Platania à la guitare électrique, Tony Mercadante à la basse, Tony Leone à la batterie et Goran Grini aux claviers) pour la première fois depuis Yonkers NY paru en 2009. Chip Taylor confirme qu'il reste un des meilleurs songwriters vivants, déroulant ses mélodies de son timbre voilé, de sa voix pleine d'émotion, introduisant parfois les chansons par des narrations comme dans Speaking Of Horses et Radiation Song. Ce dernier titre est une espèce de conversation entre Chip et Kareem à qui il demande: "Kareem, every time you strap me in, do me a favor / Just play me a little John Prine" (Kareem, chaque fois que tu m'attacheras, fais-moi une faveur, joue moi une peu de John Prine). John Prine, l'ami disparu, survivant du cancer mais pas du COVID, dont plusieurs titres sont évoqués (Lake Marie, Speed Of The Sound Of Loneliness, Glory Of True Love), avec cette conclusion: "Just thinking about you, John / We could use your message from above". Il est encore question des traitements dans George In Radiation, par exemple, mais Chip rend également hommage à sa mère (Momma Was The Queen), à son épouse (Nurse Joan), évoque des souvenirs (Speaking Of Horses), délivre aussi des messages de tolérance, de pardon et de résilience (If A Door Slams In Prison, Other Side Of The Moon, Without Hearing). Monsieur James Wesley Voight vient de fêter ses 84 ans mais il démontre que cinquante-huit ans après ses premiers succès en qualité d'auteur-compositeur (I Can't Let Go par The Hollies et Wild Thing par The Troggs), il n'a rien perdu de son inspiration qui s'exerce aujourd'hui dans un autre registre, plus personnel et confidentiel.
"Driftless Girl"
Décidément, on n'arrête plus Grey DeLisle. À peine a-t-on eu le temps de se régaler de She's An Angel qu'elle est de retour avec Driftless Girl, un album produit par Jolie Holland. Sa créativité, en sommeil pendant plus de quinze ans, ou plutôt orientée vers d'autres activités, s'est ravivée avec la frustration née du confinement en 2020, pour notre plus grand bonheur. Le mot traduit bien, ce que l'on ressent à l'écoute de ce nouvel opus. Après la douce ballade Where You're Coming From, Grey enchaîne avec un titre rock, My Two Feet, composé par Murry Hammond, son ex-mari, pour Old 97's. Puis vient Driftless Girl, dans la lignée de To Daddy de Dolly Parton, qui évoque aussi bien cette dernière que son amie Emmylou. Nouveau détour par le rock avec Little Ol'While (on appréciera le piano de Ben Boye et la guitare de Buck Meek) avant ce qui est pour moi le sommet du disque, The Ballad Of Ella Mae, en duo avec Jolie Holland, que l'on croirait sortie du répertoire de la Carter Family. La belle dame nous gratifie aussi de trois titres de tendance honky-tonk qui nous font voyager dans le temps: I Don't Wanna Want You (où Jolie Holland excelle à l'alto), le plus électrique Quick Draw et In The Living Room, entrecoupés par le trépidant Pretty Jolie. Le disque se termine avec Mama's Little Rose, avec la voix de Jolie Holland et le banjo de Gil Landry, et la seconde reprise du disque, Down From Dover de Dolly Parton. Avec Driftless Girl, Grey DeLisle, confirme qu'elle est une interprète de grand talent, quel que soit le registre qu'elle aborde. Elle est un parfait trait d'union entre la génération qui la précède, celle de Dolly, Linda et Emmylou, et celle qui est en train de s'installer avec, par exemple, Sierra Ferrell, Emily Nenni et Brennen Leigh.
"Wild Birds Warble"
Dix ans déjà que nous attendions le successeur de On A Dark Highway publié par Jubal Lee Young. Beaucoup de choses se sont passées depuis 2014 car, en plus de la pandémie qui a particulièrement frappé le monde artistique, Jubal Lee Young a eu la douleur de perdre ses deux parents, Steve Young et Terrye Newkirk (il reprenait My Oklahoma de la seconde et The White Trash Song du premier dans son précédent opus à côté de dix de ses compositions). Jubal s'était un peu éloigné du monde de la musique, d'un système auquel cet écorché vif n'a jamais voulu appartenir. Pour son retour, intitulé Wild Birds Warble, notre homme a voulu rendre hommage à quelques-uns des songwriters qu'il admire, tous aujourd'hui disparus. C'est ainsi qu'il commence par cinq compositions paternelles, auxquelles il donne une nouvelle jeunesse sans en trahir l'esprit originel: The White Trash Song, Jig, Seven Bridges Road, Long Way To Hollywood et Traveling Kind. Il interprète aussi Rock Salt & Nails d'Utah Phillips (morceau titre du premier album de Steve Young) et West Virginia, un traditionnel qu'il avait appris de son père et qu'il chantait en concert avec lui. Une seule composition de Jubal Lee Young: Angel With A Broken Heart dont on trouve une première version sur Take It Home et qui avait été écrit comme un hommage à Steve Young. Ce dernier interprétait en concert une autre reprise de l'album, Useful Girl du méconnu Richard Dobson. Townes Van Zandt est également présent avec No Place To Fall (morceau titre de l'album de Steve Young publié en 1978), comme l'est Warren Zevon avec le sublime Carmelita (que Steve chantait également en public). David Olney était un ami de la famille et l'on retrouve ici deux de ses plus belles compositions: Deeper Well et If My Eyes Were Blind. Pour terminer l'album sur une note plus légère que ce qui a précédé, Jubal a choisi Why You Been Gone So Long de Mickey Newbury, comme un clin d'œil qu'il se ferait à lui-même. Un mot sur les musiciens, pour dire qu'ils sont excellents et sont plus que de simples accompagnateurs. Jubal Lee Young (voix, guitare, harmonica), Markus Stadler (dobro, banjo, mandoline, guitare baryton, voix), Brian Zonn (basse), Charlie Pate (mandoline sur quatre titres), Christian Sedelmyer (fiddle) et Jeff Taylor (accordéon) apportent en effet à l'album les couleurs musicales que Jubal avait sans doute en tête, dans un esprit qui oscille entre la tendresse et la colère, avec une passion qui ne se dément jamais. Wild Birds Warble n'est pas seulement l'hommage d'un fils à son père. C'est le disque d'un artiste qui a choisi de se mettre au service d'un répertoire exceptionnel et de songwriters qui ne le sont l'étaient pas moins, sans jamais se cacher ni perdre son identité. Le Jubal Lee Young que l'on connaît et que l'on aime est toujours là, et bien là. Il ne connaît pas la compromission ni même le compromis et l'on pouvait être assuré avant de l'entendre qu'il ne nous offrirait pas un disque qui soit simplement moyen. Jubal Lee Young a mis toute son âme, tout son cœur dans ces quatorze titres, en attendant de nous offrir ses nouvelles compositions que l'on devine nombreuses.
"Wanderer"
Ce qui frappe d'abord, à l'écoute de Ruth Moody, c'est la qualité et la beauté de sa voix. C'est d'ailleurs en venant chanter sur les disques de Mark Knopfler (et à ses concerts) Privateering et Tracker qu'elle s'est fait connaître du grand public. Elle n'était pour autant pas une débutante puisqu'elle avait co-fondé The Wailin' Jennys en 2002 et démarré sa carrière solo en 2010 publiant The Garden puis These Wilder Things. Son nouvel opus, Wanderer, est comme un journal intime rédigé au cours des dix dernières années et qu'elle partage aujourd'hui. Cette Canadienne de Winnipeg, Manitoba, est venue à Nashville enregistrer dix chansons, toutes de sa plume, dont elle a partagé la production avec Dan Knobler. Elle s'est entourée de quelques amis musiciens parmi lesquels Sam Howard (basse), Anthony da Costa (guitares diverses), Jason Burger (batterie), Kai Welch et Will Honaker (claviers). Son compatriote Joey Landreth est venu chanter, accompagné de sa guitare à résonateur, sur The Spell Of The Lilac Broom. Dès le premier titre, Already Free, Ruth nous emmène dans un voyage où l'on se sent comme en apesanteur, portés par une voix aérienne et des harmonies dont la simplicité n'est qu'apparence. On imagine en effet la somme de travail qu'il a fallu pour parvenir à un tel résultat. Le duo avec Joey Landreth, un des grands moments de l'album, en est le parfait exemple. Les guitares et les claviers donnent en général le la, mais la pedal steel de Russ Pahl (Michigan, The Way Lovers Move, les violons de Christian Sedelmyer (Twilight, North Calling) ou de Richard Moody et Adrian Dolan (Comin' Round The Bend), la mandoline de Jacob Joliff (Coyotes) jouent également leur partition avec une élégance jamais en défaut. Dans ce disque presque parfait, il faut souligner l'omniprésence d'Anthony da Costa, qui fut un songwiter et interprète très précoce (il a débuté à treize ans) et qui est aujourd'hui également un musicien de session et producteur très demandé. Il brille, entre autres, dans les deux titres que je n'ai pas encore cités, Seventeen et Wanderer et, comme les autres musiciens présents, il fait resplendir Ruth Moody qui sait, et ce n'est pas le moindre de ses talents, s'entourer des meilleurs.
"Dusty Passports And Empty Beds"
Il nous vient de Dublin, Texas et est établi à Fort Worth, s'appelle Keegan McInroe et sa voix se situe quelque part entre celles de Guy Clark et Kris Kristofferson à leurs débuts. Dusty Passports And Empty Beds est son septième album, profondément marqué par la période traumatisante de la pandémie et du confinement, comme le suggère le titre. Comme beaucoup d'autres songwriters qui passaient le plus clair de leur temps sur la route, il a dû s'adapter à la situation qui a fini par lui inspirer de nouvelles compositions. Elles sont au nombre de huit, auxquelles s'ajoute la reprise d'une des dernières chansons de John Prine, Lonesome Friends Of Science. Keegan était un grand fan de John qui est évoqué dans plusieurs titres. Dans Dusty Passports And Empty Beds, Keegan dit: "Nous avons perdu John Prine et Paul English, Billy Joe et Jerry Jeff". Et puis il y a surtout John's Songs, qui sonne comme une leçon de vie, donnée par sa petite nièce lorsque Keegan apprit le mort de John Prine, à Dublin, TX, pendant la quarantaine. Le texte est émouvant et rappelle qu'il faut aimer les gens lorsqu'ils sont vivants. Dès le début de l'album, l'ombre de l'année 2020 plane, avec Big Year, mais bien vite, l'espoir et l'optimisme reprennent le dessus avec Thanksgiving Night, Only To Be Songs ou Eat Drink And Be Merry. Et c'est finalement l'appel de la route qui est le plus fort, avec Traveler's Wind, ce vent qui pousse les artistes vers de nouvelles aventures, de nouveaux concerts. Autour de Keegan, on trouve Clint Kirby (batterie et percussion), Aden Bubeck et Patrick Smith (basse), Matt Tedder (guitare), Chris Watson (claviers), Gary Grammer (harmonica), Dirk Stinnett (mandoline, fiddle et gut string), Jeff Dazey (saxophone), Hannah Owens et Morris Holdahl (voix). Il serait injuste de ne pas les citer, tellement Dusty Passports And Empty Beds apparaît comme un travail de groupe autour de compositions de haut niveau.
"There's Always A Song"
Quand elle se sent en manque d'inspiration ou de créativité, Kelsey Waldon pense souvent à ce qui l'a inspiré et lui a donné envie de se plonger dans la country music. "Sometimes the road seems weary and long / Traveling the highway home / But in my heart there's always a song / Traveling the highway home" ("Parfois la route semble fatigante et longue / Quand je voyage sur l'autoroute pour rentrer chez moi / Mais dans mon cœur il y a toujours une chanson / Quand je voyage sur l'autoroute pour rentrer chez moi"). Ces lignes sont extraites de Traveling The Highway Home (un standard écrit par Frankie et Walter Bailes, enregistré à l'origine par Mollie O'Day et Lynn Davis en 1951) et ont inspiré le titre du disque. C'est un album de huit titres publiés en vinyle sous la forme d'un 45 tours, chaque face commençant par un morceau a cappella (Keep Your Garden Clean de Jean Ritchie pour la face 1, Pretty Bird de Hazel Dickens pour la face 2). There's Always A Song doit être pris pour ce qu'il est, une récréation pour quelqu'un qui a l'habitude d'écrire ses propres chansons et dont les qualités lui ont permis d'être engagée par Oh Boy Records, le label de John Prine. Si Your Lone Journey, de Doc Watson, conclut en beauté cet EP , il est difficile de ne pas penser au duo d'Emmylou Harris et Nicolette Larson (sur Luxury Liner) pour le classique Hello Stranger que Kelsey chante ici avec S.G. Goodman. Autres invitées: Amanda Shires et son fiddle pour Uncle Pen et Margo Price pour Traveling The Highway Home. I Only Exist (Ralph Stanley & The Clinch Mountain Boys) permet d'entendre la voix d'Isaac Gibson, leader de 49 Winchester. Il y a enfin I've Endured d'Ola Belle Reed qui, comme d'autres morceaux de l'album, nous donne l'occasion d'apprécier le talent de Libby Weitnauer (fiddle) et Junior Tutwiler (guitares), ainsi que celui de Brett Resnick (pedal steel guitar).
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