samedi 30 septembre 2023

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Molly TUTTLE

"City of Gold" 

Cri du 💚

Si Molly Tuttle s’est fait connaître, toute jeune, au sein d’un groupe bluegrass familial (The Tuttles), elle s’est ensuite démarquée du bluegrass avec ses trois premiers albums en solo, comme d’autres talents précoces avant elle (Marty Stuart, Ricky Skaggs, Sarah Jarosz pour n’en citer que quelques-uns). Au point de faire craindre aux amateurs de bluegrass qu’elle ait la volonté de rompre avec la musique de ses débuts. En fondant le groupe Golden Highway avec Bronwyn Keith-Hynes (fiddle), Dominick Leslie (mandoline), Kyle Tuttle (banjo) et Shelby Means (contrebasse), elle a fait plus que les rassurer et ils lui ont d’ailleurs fait un triomphe : elle a été élue chanteuse de l’année 2022 par IBMA et Crooked Tree a remporté le Grammy Award du meilleur album bluegrass la même année. Ce succès ne devrait pas faiblir avec les treize chansons de City of Gold, toutes coécrites par Molly et Ketch Secor (Old Crow Medicine Show). A part le gospel, elles couvrent tout le spectre de la chanson bluegrass, du pur classique (San Joaquin) au newgrass (Where Did All The Things Go) en passant par du plus country (Next Rodeo), du plus blues (When My Race Is Run avec Jerry Douglas au dobro), du quasi folk (Stranger Things) ou une valse chantée en duo avec Dave Matthews (Yosemite). La jolie ballade More Like A River semble inspirée par Bottle of Wine (Tom Paxton), il y a des réminiscences de Mr. Bojangles dans The First Time I Fell In Love et El Dorado aurait pu être écrit par Peter Rowan. Alice In The Bluegrass est une bonne idée de transposition d’Alice au Pays des Merveilles dans celui du bluegrass. Les arrangements sont travaillés, bien équilibrés, inventifs (le swing/rag Down Home Dispensary). Il y a bien évidemment de très jolis solos et intros de guitare mais également d’excellentes interventions de Brownyn (Alice In The Bluegrass, Next Rodeo) et de Kyle (Yosemite). Molly chante bien mais elle n’est pas l’interprète idéale de tous les titres. Elle manque parfois un peu de coffre (El Dorado) ou de puissance (Where Did All The Things Go) mais son interprétation sensible est remarquable sur toutes les ballades (mention spéciale à The First Time I Fell In Love) et le duo avec Shelby Means (Down Home Dispensary) est impeccable. Un des très bons albums de l’année 2023. 

 

Rachel BAIMAN

"Common Nation of Sorrow" 

Cri du 💚

Rachel Baiman est venue deux fois au festival bluegrass de La Roche-sur-Foron, d’abord avec Oh My Darling (elle remplaçait la violoniste de ce groupe canadien) puis avec le duo 10 String Symphony dans lequel elle joue du fiddle et du banjo avec Christian Sedlemeyer. C’est aussi une chanteuse et une auteure-compositrice douée et engagée. Elle a notamment créé Folk Fights Back, une association qui a organisé des concerts pour s’opposer au gouvernement Trump. Some Strange Notion, la première chanson de Common Nation of Sorrow, est un appel (très musical) à la lutte anticapitaliste sur plusieurs générations. Dans le même ordre d’idées (révolutionnaires), Rachel reprend Self Made Man de John Hartford avec des paroles additionnelles bien dans l’esprit de la chanson. Riley Calcagno, principal accompagnateur de Rachel, joue sur le banjo de John Hartford mais dans un arrangement plus punchy que l’original et avec un coup de jeune dans la mélodie grâce à la voix et au phrasé de la chanteuse. Les autres chansons sont moins politisées, pas vraiment optimistes (sauf Ways of the World, la chanson d’amour qui clôt le disque) mais très agréables à écouter grâce aux jolies mélodies et l’originalité des arrangements. On pense à Gillian Welch pour la voix doublée de Lovers and Leavers, pour le début d’Annie et surtout pour la guitare de Bitter jouée dans le style de David Rawlings. Tristan Scroggins apporte son talent à la mandoline sur trois titres dont Old Songs Never Die (l’arrangement le plus old time/bluegrass) et le mélancolique She Don’t Know What To Sing About. La batterie jouée avec tact, le mélange des instruments acoustiques (guitare, banjo, fiddle, mandoline) et des guitares électriques proposent des arrangements vraiment séduisants. 

 

Larry SPARKS

"It’s Just Me" 

Le nouvel album de Larry Sparks s’intitule It’s Just Me et, effectivement, ce n’est que lui et rien que lui puisqu’il est pratiquement seul, guitare et voix, sur les dix chansons de ce disque. Juste en plus la contrebasse de son fils sur une poignée de titres (et comme son fils s’appelle également Larry, on peut bien affirmer sans mentir qu’il n’y a que du Larry Sparks dans cet album). Après presque 60 ans de carrière, l’expérience est sans doute un peu tardive. A 75 ans, la voix est un peu moins belle qu’autrefois. Mom & Dad’s Waltz et The Scarlet Red Lines sont les titres où c’est le plus audible. Par contre, dans Bring Em On Back, le chant de Larry Sparks insuffle une dynamique qui vaut celle de l’arrangement bluegrass de l’album Almost Home en 2011 (la moitié des chansons ont déjà été enregistrées sur de précédents disques). Long Way To Denver est une autre réussite. Great High Mountain est en fait la même chanson que ce que Hot Rize, Nickel Creek ou Trisha Yearwood ont enregistré sous le titre You Don’ Have To Move That Mountain. L’avantage d’un tel concept est qu’on apprécie parfaitement la rythmique (et quelques solos) de guitare de Larry Sparks qui reste un modèle du genre. 

 

 

Tim STAFFORD

"Guitar Melodies" 

Tim Stafford a une importante discographie comme chanteur et songwriter (souvent en duo) et avec le groupe Blue Highway. C’est aussi un excellent guitariste qui se distingue par la douceur de son toucher. Guitar Melodies est son second album instrumental et il est dans la continuité du premier, Acoustic Guitar (le moins qu’on puisse dire est qu’il ne se casse pas la tête pour trouver un titre à ses albums), paru en 2017. La majorité de titres sont joués en solo, les autres en duo ou avec un groupe bluegrass complet. Il y a douze compositions de Stafford, un traditionnel et deux reprises, toutes deux jouées en solo. Je préfère nettement celle de While My Guitar Gently Weeps (The Beatles) avec une mélodie légèrement modifiée à celle de Both Sides Now (Joni Mitchell) qui ne se prête que moyennement à une interprétation instrumentale. Parmi les autres titres joués en solo, j’aime bien la jolie mélodie mélancolique de Down The Edgepath, Sirocco en fingerpicking et Hecate Strait qui mêle subtilement accords et arpèges. Je me serais bien passé du duo avec un violoncelle. Parmi les trois duos avec Jacob Burleson (mandoline), Old Forge et Kingfisher Creek, bien rythmés, sont mes favoris. Les trois arrangements bluegrass sont joués avec Burleson, Kameron Keller (contrebasse) et Ron Stewart (fiddle, banjo). Le traditionnel Cluck Old Hen (trop souvent repris) est joué dans une atmosphère old time. Alexander Mill est un bluegrass rapide typique mais loin d’être standard grâce à sa mélodie travaillée. Margarette Falls est une jolie composition très bien jouée par tous les musiciens. Mon titre préféré de cet album qui intéressera tous ceux qui aiment le style de Tim Stafford

 

LEFTOVER SALMON

"Grass Roots" 

Il y a deux ans, avec Brand New Old Days, Leftover Salmon avait sorti un de ses meilleurs albums en plus de 30 années d’existence. Cette réussite était en grande partie due à la combinaison réussie des instruments bluegrass et des claviers d’Erik Deutsch. Le départ de ce dernier n’entame pas le potentiel du groupe puisque Leftover Salmon l’a remplacé par Jay Starling qui joue moins de claviers mais est aussi un très bon dobroïste et steeliste. Il est sans doute aussi le meilleur trait d’union entre le groupe et le titre du nouvel album, Grass Roots, puisque Jay est le fils de John Starling, mythique chanteur et guitariste originel de Seldom Scene, et qu’il reprend ici (très bien) California Cottonfields que son père avait enregistré sur l’album Live At Cellar Door. Le répertoire est moins bluegrass que ne le laisse supposer le titre de l’album. Seul Riding The L & N des Bluegrass Cardinals a une origine strictement bluegrass mais deux autres titres sont interprétés sur un tempo rapide typiquement bluegrass, Black Peter de Grateful Dead et Fireline d’un éphémère groupe newgrass des années 90, Magraw Gap (dont l’unique album avait été chroniqué par le Cri du Coyote en … 1996). On se serait bien passé de la batterie (rarement subtile chez Leftover Salmon) sur ces morceaux mais il y a de très jolis solos, comme dans l’instrumental Nashville Skyline Rag de Dylan, très bien arrangé, et qui bénéficie de la participation de Billy Strings à la guitare. On retrouve ce dernier dans le classique des Delmore Brothers, Blue Railroad Train, qu’il chante en duo avec le mandoliniste Drew Emmitt. Mon titre favori est, de loin, Fire & Brimstone, un blues de Link Wray vieux de plus de 50 ans et magnifiquement réorchestré par Leftover Salmon avec un bel équilibre entre instruments acoustiques, orgue et lap steel. En guest, Darol Anger (fiddle) imprime sa patte à Country Blues, chanson qui date de plus d’un siècle (bien avant le bluegrass) et à New Lee Highway Blues de David Bromberg. Une seconde reprise de Dylan, Simple Twist of Fate, chantée par Vince Herman (guitare), bien mise en valeur par Andy Thorn (banjo) et Starling (dobro et piano) fait également partie des bons moments de Grass Roots

 

Alan MUNDE

"Excelsior" 

Alan Munde a enregistré Excelsior grâce au prix que décerne chaque année l’acteur (et banjoïste) Steve Martin à un banjoïste et qu’il a remporté en 2021. A 76 ans, Alan Munde joue toujours aussi bien. Ses compositions sont cependant sur des tempos moins rapides qu’à l’époque où il était une des attractions du groupe Country Gazette. Il affectionne toujours autant de jouer avec des mandolinistes. Au cours de sa carrière, il a enregistré des albums en duo avec, successivement, Sam Bush, Joe Carr et plus récemment (en 2015 et 2018) Billy Bright. Il y a dix mandolinistes différents sur Excelsior. On retrouve Bush en duo sur une composition classique de Munde, Byron’ Buddies en hommage à Byron Berline. Don Stiernberg joue sur la valse mélancolique Untitled Waltz. Rare sur les albums bluegrass, le mandoliniste de jazz Paul Glasse interprète Stay With Me Waltz avec deux autres mandolinistes, Billy Bright et Kym Warner. Munde joue un bon solo jazzy dans Rabbit In A Watermelon Patch. Il me semble entendre l’influence de Tony Trischka dans Bo Knows et la ballade Rodrigo & Johnson, jouée dans le style melodic cher à Munde. J’aime aussi ses deux valses jouées en solo avec de nombreux passages joués en accords, une technique devenue rare chez les banjoïstes d’aujourd’hui. Il y a quinze titres en tout dont treize compos de Munde. Il varie les arrangements avec deux plages arrangées avec un percussionniste et Lloyd Maines à la steel mais aussi des morceaux joués avec un groupe bluegrass complet comme Holler Up A Possum et Fire Fall Down.

mardi 26 septembre 2023

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Josh GRAY

"Walk Alone" 

Après un EP sans titre en 2015 et Songs Of The Highway en 2019, Josh Gray nous propose un album de dix chansons, Walk Alone. Le titre reflète mal le son du disque qui apparaît dès Radio Stations comme un bel effort collectif. "On m'a dit / D'innombrables fois / Ne sais-tu pas / Que tu ne seras jamais connu / Mais je me connais très bien / Parfois on doit / Marcher seul" (Walk Alone, la chanson). Seul mais bien entouré par notamment Julio Matos (basse), Jason Munday (batterie), Sean Thompson (guitare), Brett Resnick (pedal steel), ou encore Ian Miller (claviers) et Kenzie Miracle (fiddle), Josh avance sans se retourner sûr de sa force et son art. À l'écoute, un nom me vient immédiatement à l'esprit, celui de Lee Clayton qui vient de nous quitter. Une chanson comme Money Or Blood (très rock) illustre particulièrement mon propos. Comme lui, il se situe à la croisée des chemins folk et rock, blues et country. Comme lui, il a une véritable qualité d'écriture qui en fait vite sa signature, alternant entre des ambiances un peu sombres (Cheyenne) et plus légères (She Thinks The World Of Me), avec un détour par New Orleans (Mystic Queen). Sur ces deux derniers titres, on peut entendre l'accordéon de Micah Hulscher. Lorsque s'égrènent les dernières notes de Building Paradise (chanté en duo avec Morgan Conners), on ne peut que se féliciter que nos amis néerlandais de Continental Record Services aient choisi de distribuer Walk Alone en Europe. Le songwriter de Nashville (qui est né à San Francisco et a grandi dans le Maryland) a un bel avenir devant lui et, s'il marche seul, je parie que nous serons nombreux à le suivre. 

 

Erin VIANCOURT

"Won't Die This Way" 

Née et élevée à Cleveland, Ohio, Erin Viancourt a grandi en écoutant Patsy Cline, Jerry Jeff Walker, Asleep At The Wheel, The Desert Rose Band, Eddy Arnold, John Denver, Dean Martin et situe elle-même sa musique comme faisant partie du monde de la country music à la fois traditionnelle et moderne. Il ne faut pas longtemps pour tomber sous le charme d'Erin et, dès les premières notes de Cheap Paradise, ode aux plaisirs simples de la vie et premier titre de Won't Die This Way, on est séduit et on ne va pas être déçu par la suite. Crazy In My Mind est un honky-tonk alors que Straight Down The Line a un côté country-funk revigorant. Des titres comme Old Time Melody et le très folk Mountain Boy sont plus paisibles et permettent d'apprécier le côté sensuel de la voix d'Erin. Le disque, produit par Kyle Dreaden et Erin Viancourt, a été enregistré à Nashville et publié sur Late August Records, label de Cody Jinks qui a participé à l'écriture du morceau-titre. Treize titres en tous constituent ce bel album, dix ont été écrits par Erin en collaboration alors qu'elle s'est chargée seule de Pray, Old Time Melody et Letters To Waylon (particulièrement touchant). On appréciera aussi B24 avec la pedal steel de Mike Daly, Should've Know Better, tout en retenue avec un solo de guitare (Jake Lenter) qui exprime une forme de colère. Won't Die This Way est un album plein d'énergie qui sait offrir à l'auditeur des moments de respiration, à l'image du dernier titre, Beautiful Night For Goodbye, un coup d'essai dont on sent qu'il a été mûri pendant longtemps avant de voir le jour et que l'on a envie d'écouter encore et encore. 

 

Les CHICS TYPES

"Comme Si" 

Voici Comme Si, sixième album du sympathique gang lyonnais Les Chics Types, composé de Christian Biral (chant, guitares), Éric Corbet (saxophone), Jean-Yves Demure (batterie), Pierre Nony (claviers) et Cédric Vernet (basse, harmonica). Si les racines du groupe se situent dans le territoire blues et rock (voir le morceau d'ouverture, Don't Let It Go), nos cinq amis ne cachent pas que la (bonne) chanson française fait aussi partie de leurs influences, comme le prouvent Les filles de l'aurore, reprise de William Sheller, et Quand la terre se dérobe, un moment très fort de l'album coécrit par Cédric Vernet et Christian Biral avec Kent. Ce dernier ajoute sa voix, avec Hélène Piris au violoncelle et aux chœurs. Le résultat fait penser aux meilleures productions de Claude Putterflam (Système Crapoutchik, Ilous & Decuyper). La nostalgie, jamais triste, comme un écho au phénomène vintage, a doit de cité avec En 504 aux accents sixties, Our Last Summer, bande-sonore d'une époque révolue, ou encore Ferme les yeux. Pour Ce qui se passe, avec un piano très rock 'n' roll, les Chics Types font sonner amplificateurs et guitares, gravant sur disque un titre qu'ils jouaient déjà sur scène. Dernier Western, dernier titre de l'album, trace un constat doux-amer sur une Amérique qui a perdu son âme et un monde qui se meurt lentement, c'est le scénario d'un film jamais tourné qui aurait parfaitement illustré la Dernière Séance d'Eddy Mitchell. La qualité de Comme Si tient bien sûr à celle des compositions et au talent plein de fraîcheur des musiciens, mais il ne faut pas oublier le sixième homme du groupe, le producteur et ingénieur du son québécois Frédéric Pellerin (alias They Call Me Rico) qui ajoute à l'ensemble quelques guitares, chœurs, percussions et claviers. 

 

Colline HILL

"In Between" 

Colline Hill (un pseudonyme, évidemment), est une Bretonne du Morbihan qui a posé ses valises et sa guitare du côté de Liège (Belgique) et qui s'exprime en Anglais. Après deux albums orchestrés (Wishes en 2012 et Skimmed en 2015), elle a publié Shelter, un EP de sept titres, en formule guitare-voix. L'accueil réservé à ce disque l'a sans doute convaincue qu'elle avait choisi la meilleure recette pour nous proposer son folk mélodieux et sensible tout au long des douze titres de In Between. Cette qualité est perceptible dans le jeu de guitare, mais aussi dans la voix, plus grave et mieux posée que jamais. La réalisation (enregistrement, mixage, mastering) a été confiée à Géraldine Capart qui réussit ici un véritable travail d'orfèvre. Colline cite parmi ses influences John Denver, Jim Croce, Patty Griffin, Karen Carpenter ou Eva Cassisy. S'il fallait se risquer au jeu hardi des comparaisons, je citerais Anne Vanderlove (une Néerlandaise adoptée par la Bretagne) pour les artistes de langue française et Tracy Chapman pour le folk anglophone. Elle partage avec ces deux-là un pouvoir émotionnel qui s'appuie sur ces deux piliers essentiels que sont la sincérité et l'authenticité. Le titre de l'album, In Between, est un peu le fil rouge de l'album. Cet état intermédiaire, cette sensation d'être entre deux mondes, entre deux personnes, suscite beaucoup de questions, souvent sans réponse, que l'on retrouve au long des douze chansons du disque. Dès le premier titre (premier extrait diffusé aussi), Make It Your Own, on en a un aperçu: "Resteras-tu ici ou vas-tu suivre ta voie? Resteras-tu ici ou vas-tu me suivre pour un autre jour? Et le présent est la réponse à beaucoup de questions que tu gardes ensevelies au plus profond de ton cœur". Comment réagir quand la vie bascule (Out Of The Blue), quand on ne sait pas exprimer ce que l'on ressent pour quelqu'un d'autre (Lonely, We Won't Be Friends)? Ne croyez cependant pas que ces questions que tout un chacun se pose confèrent une ambiance lourde à l'album. Si le pessimisme est l'envie de tout laisser tomber est parfois présent (Fare Thee Well), l'optimisme sait reprendre ses droits (Make It Your Own). De manière plus globale, il faut souligner la qualité de l'écriture, rare pour une francophone qui s'exprime en Anglais. Écoutez par exemple Winter, Kate, What If, Mary Jane. Et si Colline nous affirme que la vie est en permanence un forme d'aventure (Life's A Ride), elle termine In Between avec une mélodie d'un autre temps (An Outdated Song), pour montrer qu'elle n'oublie pas ses racines et, en même temps, remercier celles et ceux qui l'ont soutenue et apprécient sa musique. J'en fais désormais partie, au premier rang (avec un remerciement particulier à Tony Grieco qui m'a fait connaître Colline Hill). 

 

Hank WOJI

"Highways, Gamblers, Devils and Dreams" 

Hank Woji est à classer dans la catégorie des auteurs-compositeurs à l'ancienne, de ces troubadours qui chantent pour raconter des histoires et faire passer des messages. Jusqu'à présent, il avait cinq LP à son actif: Medallion (2005), American Dreams (2008), There Was A Time (2010), Holy Ghost Town (2013) et The Working Life (2014). S'il chante essentiellement ses propres compositions, les quelques reprises qu'il a enregistrées en disent long sur les idées qu'il défend. Il s'est ainsi fait l'interprète de Woody Guthrie (Deportee), Victor Jara (Plegaria A Un Labrador - Prière à un paysan), Tracy Champan (Talkin' Bout A Revolution), Bruce Springsteen (Factory). Cet expatrié du Jersey Shore a écumé pendant longtemps les scènes de l'Amérique du Nord, en qualité de bassiste pour divers groupes, de la Virginie à l'Ontario, avant de devenir un rat du désert basé désormais à Terlingua, Texas. Son nouvel album, Highways, Gamblers, Devils and Dreams, est double et comporte vingt-trois titres dont les reprises de I Ain't Got No Home (Woody Guthrie), I'll Be Here In The Morning (Townes Van Zandt), Sitting In Limbo (Jimmy Cliff) et Land Of Hopes And Dreams (Bruce Springsteen). Si l'on sent l'influence d'autres Texans (de souche ou d'adoption), tels que Townes ou Steve Earle, Hank nous offre ici un véritable panorama des musiques américaines, majoritairement folk et rock, avec des incursions vers le Tex-Mex, le Dixieland, le gospel ou le country & western traditionnel. L'album commence avec Don't Look Back et un autre titre de facture plutôt classique avant I Ain't Got No Home où viennent chanter Jimmie Dale Gilmore et Butch Hancock (Flatlanders). Avec I'm Gonna Hit The Number, les guitares s'électrifient pour le titre le plus rock de l'album où le piano de Radislav Lorkovic se fait entendre de belle façon. Pour I'll Be Here In The Morning, l'autoharpe et la mandoline de Karen Mueller viennent accompagner la guitare, le banjo et l'harmonica de Hank (sans oublier les harmonies de Jaimee Harris). Sitting In Limbo avec le sousaphone de Thomas Helton prend des accents Dixieland alors que I Don't Like The Rain évoque un certain Pete Seeger. Land Of Hopes And Dreams, avec la présence de cinq vocalistes et de riches orchestrations, devient un véritable hymne de plus de sept minutes où la voix pleine de conviction et l'harmonica de Hank, avant de laisser la vedette au fiddle de Jeff Duncan, sont soutenus par le rythme infernal de la batterie de Michael Mimza. Tous les titres cités jusque-là figurent sur le disque 1, assurément le plus fort. Ce ne signifie pas, loin de là, que le second CD soit mauvais, il est simplement plus varié avec parfois un ton plus léger, à l'image de la première chanson, le guilleret Runnin' With The Devil, très country, suivi de The Quid Pro Quo Rag, tout aussi joyeux avec le retour du sousaphone. Start Building Bridges sonne comme The Band de la belle époque et on retrouve des intonations de Pete Seeger dans Corporations Are People (avec la Telecaster de Bill Kirchen). Signalons encore le gospel Take Of Burden To The Lord And Leave It There pour refermer ce bien bel album avec Peace Unto You, une guitare, une autoharpe et trois voix, avec des harmonies à la Crosby, Stills & Nash.

 

Alex MILLER

"Country" 

Après un premier LP, Miller Time, présenté en ces colonnes en mars 2023, Alex Miller revient avec un EP de cinq titres dans lequel il déclare sa flamme à la musique qu'il aime et, tout simplement, intitulé Country. On commence avec Girl, I Know A Guy (coécrit par Walt Aldridge, Tim Rushlow et Danny Orton), chanson d'amour avec son lot de fiddle (Jenee Fleenor) et de pedal steel (Mike Johnson), tout ce qu'Alex aime dans la country music. Avec When God Made The South (C.Aaron Wilburn, Jerry Salley et Lee Black), on a un texte purement country que le producteur (Jerry Salley) a emmené dans une tout autre direction, très rock, quelque part entre George Strait et Kiss (?). Les trois autres titres ont été écrits par Alex et Jerry. Every Time I Reach For You nous ramène au temps des ballades à la Keith Whitley, alors que Puttin' Up Hay (écrit avec l'aide de Larry Cordle) raconte, avec renfort de fiddle et de guitare wah-wah (James Mitchell), la simple histoire d'un garçon qui ramasse le foin et récolte un peu de miel. Pour finir, Alex nous propose le plat de résistance de ce trop court festin, Gettin' Lucky In Kentucky, mélange de western swing et de guitar picking du Kentucky (sic), ode du chanteur à la country music traditionnelle. Encore trop peu connu par ici, Alex Miller symbolise plus que jamais le futur de la country music et l'on attend avec ce que ce grand jeune homme de tout juste vingt ans nous concocte pour demain.

vendredi 22 septembre 2023

L'Art (selon) Romain, par Romain Decoret

 

Various Artists

"Tell Everybody! 21st Century Juke Joint Blues from Easy Eye Sound" 

(Easy Eyes Records)

Dan Auerbach a produit ce nouveau disque lui-même dans plusieurs studios de Nashville et du Deep South. Il chante en solo sur Every Chance I Get (I Want You In The Flesh) et convoque les Black Keys avec No Lovin', deux titres qui vont bien au-dela du country-blues traditionnel. Mais il y a aussi Robert Finley, récente découverte d’Auerbach. Finley se charge de Tell Everybody, qui est une autre version du classique et monumental Catfish Blues de Robert Petway. Ensuite il y a du gospel avec Daughter Of Zion par Glen Schwartz accompagné par Joe Walsh. Cette compilation originale présente d’autres artistes du Sud,comme Leo Welch, Nat Myers, R.L. Boyce et les Moonrisers qui semblent être un groupe improvisé en studio spécifiquement pour ce disque qui restera une pièce spéciale dans la discographie des Black Keys. (Romain Decoret) 

 

Susan TEDESCHI

"Just Won’t Burn" (25th Anniversary Edition) 

(Fantasy Records)

Pour ce nouveau disque solo, Susan Tedeschi a laissé de côté Derek Trucks et se consacre à des titres qu’elle joue depuis longtemps , comme Voodoo Woman qui est une reprise rythmée de Koko Taylor. L’un de ses précédents albums solo portait également le titre Just Won’t Burn, ce qui explique la mention 25ème anniversaire. Ce disque est celui qui l’avait fait connaître mais cette nouvelle édition inclut des prises alternatives et des inédits; tels Voodoo Woman et Waste Of My Time. Son jeu de guitare est étonnant, souvent plus proche du heavy-metal que du blues, Elle reprend Angel From Montgomery de John Prine et excelle sur Little By Little de Junior Wells & Buddy Guy. Elle sait s’aventurer dans le répertoire de Ruth Brown et explose littéralement It Hurt So Bad. Chansons originales et remise à jour de hits classiques. À ne pas manquer. (Romain Decoret

 

Dom MARTIN

"Buried In The Hail" 

(Forty Below Zero / Distrib. Bertus)

Tout change et parfois s’éteint dramatiquement: disparition des grands festivals (Lolapalooza, Burning Man), diminution des ventes de guitares; savoir-faire poétique. Qui aujourd’hui sait faire la différence entre l’assonance et une allitération ? Heureusement des guitaristes et chanteurs comme Dom Martin se lèvent pour changer les choses. Martin vient de Belfast et son jeu évoque aussi bien Rory Gallagher que John Martyn ou Van Morrison. Il. a aussi cette flamme poétique irlandaise inimitable . Son troisième disque Buried In The Hail (Enterré sous la grêle) évoque des commentaires tout comme le second: prochaine grande star, rare talent. Voici enfin un vrai successeur de Rory Gallagher qu’il ne cherche jamais à imiter. Le disque a été enregistré par Chris O’Brien et Graham Murphy au Golden Egg Studio de Dublin.avec le bassiste Ben Graham et le batteur Jonny McIllroy. Les compositions de Dom Martin sont impeccables; Unhinged, Daylight I Will Find ou Howlin’. Il reprend adroitement Crazy de Patsy Cline via Willie Nelson. Depuis 2019 Dom Martin a été nommé Album de l’année et a créé la sensation au festival d’Omaha, présenté par Joe Bonamassa. Espérons avoir le privilège de le voir bientôt sur une scène française… (Romain Decoret

 

Kyle CULKIN

"Shotgun Ridge" 

(Tonebucker Records)

Kyle Culkin est un guitariste / chanteur acoustique et songwriter très apprécié à Nashville depuis ses premiers disques solo comme Porkchops et My Americana. Il s’est fait connaitre avant cela en ouvrant les shows de BB King qui l’adopta comme protégé en dépit de leur différence musicale, Culkin ne jouant que du country-roots plutôt que du blues comme le regretté BB King. Aujourd’hui, avec des années d’expérience derrière lui, Kyle Culkin joue avec un sens de l’humour sophistiqué que l’on n’attendrait pas forcément d’un songwriter country, rock ou folk. Pour ce nouveau Shotgun Ridge, il a réuni en studio les guitaristes Albert Lee dans Whole ’Nutha Thang et Johnny Hiland sur Two More Bottles Of Wine ainsi que son groupe avec Marty Rifkin à la pedal-steel. Culkin a ainsi créé dans les studios Tonebucker une collection de chansons roots parmi les meilleures du country et rock actuel. Des chanteurs de Nashville sont invités, tels Ted Russell Kamp, Max McLaury et Jade McRae. Bien qu’il joue aussi de la basse, le jeu de guitare acoustique de Kyle Culkin est exceptionnel. A l’heure où il faut choisir entre le Tweeter d’Elon Musk et Threads de Mark Zuckerberg, le problème ne se pose pas avec Kyle Culkin: il est le meilleur… (Romain Decoret

 

Daryl MOSLEY

"A Life Well Lived"

 (Pinecastle Records)

Daryl Mosley est de Waverly, Tennessee à quelques dizaines de miles de Nashville. Son style de country-gospel vient de loin. Il fut longtemps le vocaliste, contrebassiste et guitariste des Osborne Brothers qui, bien plus qu’un groupe, sont une institution du gospel-bluegrass. Avec eux, il joua au Grand Ole Opry, Bluebird Café ou les festivals Rocky Grass et Telluride. Il quitta les Osborne Bros - Bobby Osborne disparut récemment - et enregistra deux albums solo à succès, The Secret Of Life (2020) et Small Town Dreamer (2021). Sa préférence est de ne pas souligner l’aspect gospel de sa musique, tout en gardant la lumière intérieure , ce qui rend sa musique mémorable, mélodique et chargée de compassion. Son humanité et humilité fait de chaque chanson une leçon qui vaut d’être méditée. Ses influences extérieures sont Don Williams, Rodney Crowell ou Guy Clark, ce qui est perceptible sur ce nouveau disque dans les titres Working Man’s Prayer, Back When We Were Boys ou A Life Well Lived. Daryl Mosley obtint dix n°1, dont le dernier avec son single Transistor Radio. Il a été trois fois élu Songwriter Of The Year en 2016, 2017 et 2023. Un artiste que l’on aimerait voir en France…(Romain Decoret

 

Deb CALLAHAN

"Backbone" 

(Blue Pearl Records)

Deb Callahan est une chanteuse de soul-blues de Philadelphie. Son nouveau disque est produit par Chris Ames à Morningstar Studios PA. Deb Callahan y a réuni son groupe de tournée, avec le guitariste Allen James, Garry Lee et Tom Walling à la basse/batterie. Ils se connaissent bien et ont testé la plupart des titres sur scène, ce qui est très efficace sur Rogue, A Few New Tricks, Just What The Doctor Ordered et Crazy Ride, composés par Deb Callahan, avec son guitariste Allen James ou le producteur Chris Ames. Elle est relaxée mais concentrée sur l’évolution de sa musique soul-blues depuis son dernier disque, Sweet Soul (2015), abordant divers styles de soul, funk et blues. Son écriture révèle l’impact intense de l’évolution mondiale de ces dernières années. Elle se réfère mème brièvement au télescope spatial Euclide qui est à la recherche de la matière noire qui occupe une bonne partie de l’univers. Ce qui ne l’empêche pas de reprendre deux de ses titres préférés : Danger Zone du grand Percy Mayfield et Anytime You Want d’Elvis Costello. (Romain Decoret

 

Pat METHENY

"Dream Box" 

(Modern Recordings / BMG)

Pat Metheny a réuni sur ce nouveau disque solo neuf morceaux pour guitare électrique calme qui sonnent comme ses influences, rappelant John McLaughlin, Joe Pass, Wes Montgomery et même parfois Django Reinhardt. C’est le regretté contrebassiste Charlie Haden qui lui conseil-la d’enregistrer tout ce qu’il composait plutôt que de le mettre de côté et de n’y jamais revenir. Ce sont donc des pièces retrouvées et jouées entièrement en solo par Pat Metheny, sans accompagnement. Dès The Waves Are Not The Ocean et Ole & Gard c’est different : une sensibilité musicale complexe qui le mène vers de nouvelles directions. C’est loin du registre heavy évidemment mais c’est aussi une façon de redécouvrir la sensibilité virtuose d’un guitariste dans un registre inhabituel qu’il serait difficile de dupliquer artificiellement, avec l'intelligence artificielle . Pour imprimer sa griffe, Pat Metheny ajoute quelques reprises; tel ce Mornng Of The Carnival de Luis Bonfa, Never Was Love de Russ Long et I Fall In Love Too Easily de Sammy Cahn & Jules Styne. Pour ne pas oublier l’abc d’un certain style. Pat Metheny a tourné dans les grands festivals de l’Hexagone en juillet et sera de retour en France à partir de septembre avec le répertoire de Dream Box. (Romain Decoret

 

Eric HEIDEMAN

"Third Degree Gravity" 

(Blue View Records)

Ce jeune guitariste de Salt Lake City, Utah, réussit avec son premier disque la création d’un style nouveau, éloigné du blues traditionnel et influencé par le new hard rock avec une sensibilité spéciale venant de son entourage. N’oublions pas les Mormons de Salt Lake City et.leur appréciation de groupes comme Aerosmith. Eric Heideman a enregistré avec les producteurs Victor Wainwright et JW Jones en prenant soin de s’assurer que le guitariste Dave Gross serait l’ingé-son à la console de Fat Rabbit Studios. D’où un son de guitare avec des riffs neufs et rarement entendus comme Never Felt This Way Before où les harmonies aiguës sont réussies. Eric Heideman joue sur des guitares fabriquées par String King et Joe’s Guitars. Ce son nouveau est particulièrement remarquable sur Leavin' Today et Say You Mean It Baby. Eric Heideman excelle dans le metal-rock, la soul-funk avec une haute énergie ,des vocaux naturels jamais retravaillés artificiellement et un vrai son de guitare à découvrir. (Romain Decoret)

lundi 18 septembre 2023

Lone Riders, par Éric Supparo

 

Les hasards du calendrier… Trois artistes, passés maîtres dans l’écriture la plus élégante, la plus évocatrice de ce côté-ci du monde country-folk-blues, sortent à quelques semaines d’écart trois albums qui s’échappent du lot commun, trois opus qui forcent, une fois de plus, le respect et l’admiration. Sans doute pour des raisons très diverses, mais, sur le fond, pour cet art - si difficile - d’évoquer sans alourdir, d’enchanter sans esbroufe, et de charmer sans maquillage. Trois signatures, trois parcours qui ne datent pas de la dernière pluie de cendres, sans que les trompettes de la gloire ne sonnent. Allez comprendre…

Jesse DeNATALE

"The Hands Of Time" 

Le cas Jesse DeNatale est spécial. Seulement quatre albums en presque 25 ans, une discrétion qui frise l’absence. Alors que sort ce sublime The Hands Of Time, on se souvient avec émoi de sa fabuleuse version de I Hear Your Voice (un morceau de Peter Case, le prochain client sur la liste), sur A Case For Case en 2006. Un pur joyau, en équilibre sur un piano, des chœurs divins et la voix si particulière de Jesse. Une découverte pour moi alors, et pas une déception depuis. Californien, racines mexicano-italiennes, Jesse déroule sur cet album une sélection irréprochable de ballades, enregistrées avec le moins d’effets possibles, mais veloutées, charnues, et immédiatement délicieuses. Un album qui fait du bien, qui soigne tous les maux du moment, qui parle autant à l’âme qu’au corps, qui parle d’amour (The Hat Shop, Love Is) et de haine (Stop The World), des rêves, brisés ou pas, d’envies et de regrets, bref, qui parle tout court. C’est aussi la démonstration que le talent ne se décrète pas, ça se cultive avec patience et obstination. Cet homme porte en lui des rivières de sentiments, qu’il parvient à dompter, à diriger avec douceur, pour finalement inonder nos cœurs avec un sourire en prime. Écoutez Late September les yeux fermés. Vous m’en direz des nouvelles. Très très grande classe. Un maître, vous dis-je. 

 

Peter CASE

"Doctor Moan" 

Peter Case, donc. Quelque chose comme presque 40 ans d’activité. Un pote de Jesse, tiens… Une légitimité que personne ne viendrait mettre en doute. On s’est presque habitué à son cocktail folk, guitare/voix. Mais voilà Doctor Moan, un album épatant qui laisse la six-cordes au placard et met en avant un dialogue piano/basse/orgue totalement convaincant et rafraichissant. Have You Ever Been in Trouble, qui ouvre le bal, est une grande chanson tout simplement, écrite au cordeau, livrée avec fièvre et passion, où la voix de Peter renaît, forte, belle, abrasive et ample. Onze titres qui viennent tutoyer ses plus belles réalisations, des textes de très haute volée, des ambiances en apesanteur (That Gang Of Mine), des piano-gospel-blues comme on en fait plus (Downtown Nowhere’s Blues, Ancient Sunrise), et des quasi-pop-songs à faire pâlir d’envie Elvis Costello et Jeff Tweedy (Girl In Love With A Shadow). Ajoutez à cela un son d’une précision et d’une épaisseur idéales, et vous aurez un objet de collection, qui fera date, et pas seulement dans la discographie de Peter. On s’incline bien (bien) bas. Applaudissements, rideau. 

 

Maurice MATTEI

"Jungalingle" 

Et en rappel, Maurice Mattei, qu’on ne présente plus (le Cri ne rate jamais une occasion…). Jungalingle, nouvel opus enregistré en mode guitare/voix, compte vingt-cinq titres. Et là, je voudrais m’adresser à celles et ceux qui - heureuses/heureux - connaissent ce frisson et cette ivresse qui s’empare de vous (de nous) quand vous ouvrez un nouveau livre, ce plaisir unique de plonger dans l’univers d’un auteur, à en oublier les heures, le lever, le coucher et les contraintes du quotidien. Un album de Maurice Mattei se déguste comme de la grande littérature, avec l’esprit ouvert, en appétit, en confiance. Maurice n’a pas d’équivalent lorsqu’il s’agit de poser un décor, des costumes, et une action. Des mots filtrés, affinés, aiguisés, un habillage léger en country-blues. Et basta ! Il faudrait citer presque tous les couplets pour faire honneur à son art. 25 scènes, 25 photographies, 25 histoires. Un menu complet, et un résultat à la hauteur de toutes les espérances. On est transportés, chahutés, choyés, mine de rien. On repose le livre avec l’esprit en ébullition. Merci pour le voyage, Monsieur Mattei. On reviendra, soyez-en sûr.