samedi 30 septembre 2023

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Molly TUTTLE

"City of Gold" 

Cri du 💚

Si Molly Tuttle s’est fait connaître, toute jeune, au sein d’un groupe bluegrass familial (The Tuttles), elle s’est ensuite démarquée du bluegrass avec ses trois premiers albums en solo, comme d’autres talents précoces avant elle (Marty Stuart, Ricky Skaggs, Sarah Jarosz pour n’en citer que quelques-uns). Au point de faire craindre aux amateurs de bluegrass qu’elle ait la volonté de rompre avec la musique de ses débuts. En fondant le groupe Golden Highway avec Bronwyn Keith-Hynes (fiddle), Dominick Leslie (mandoline), Kyle Tuttle (banjo) et Shelby Means (contrebasse), elle a fait plus que les rassurer et ils lui ont d’ailleurs fait un triomphe : elle a été élue chanteuse de l’année 2022 par IBMA et Crooked Tree a remporté le Grammy Award du meilleur album bluegrass la même année. Ce succès ne devrait pas faiblir avec les treize chansons de City of Gold, toutes coécrites par Molly et Ketch Secor (Old Crow Medicine Show). A part le gospel, elles couvrent tout le spectre de la chanson bluegrass, du pur classique (San Joaquin) au newgrass (Where Did All The Things Go) en passant par du plus country (Next Rodeo), du plus blues (When My Race Is Run avec Jerry Douglas au dobro), du quasi folk (Stranger Things) ou une valse chantée en duo avec Dave Matthews (Yosemite). La jolie ballade More Like A River semble inspirée par Bottle of Wine (Tom Paxton), il y a des réminiscences de Mr. Bojangles dans The First Time I Fell In Love et El Dorado aurait pu être écrit par Peter Rowan. Alice In The Bluegrass est une bonne idée de transposition d’Alice au Pays des Merveilles dans celui du bluegrass. Les arrangements sont travaillés, bien équilibrés, inventifs (le swing/rag Down Home Dispensary). Il y a bien évidemment de très jolis solos et intros de guitare mais également d’excellentes interventions de Brownyn (Alice In The Bluegrass, Next Rodeo) et de Kyle (Yosemite). Molly chante bien mais elle n’est pas l’interprète idéale de tous les titres. Elle manque parfois un peu de coffre (El Dorado) ou de puissance (Where Did All The Things Go) mais son interprétation sensible est remarquable sur toutes les ballades (mention spéciale à The First Time I Fell In Love) et le duo avec Shelby Means (Down Home Dispensary) est impeccable. Un des très bons albums de l’année 2023. 

 

Rachel BAIMAN

"Common Nation of Sorrow" 

Cri du 💚

Rachel Baiman est venue deux fois au festival bluegrass de La Roche-sur-Foron, d’abord avec Oh My Darling (elle remplaçait la violoniste de ce groupe canadien) puis avec le duo 10 String Symphony dans lequel elle joue du fiddle et du banjo avec Christian Sedlemeyer. C’est aussi une chanteuse et une auteure-compositrice douée et engagée. Elle a notamment créé Folk Fights Back, une association qui a organisé des concerts pour s’opposer au gouvernement Trump. Some Strange Notion, la première chanson de Common Nation of Sorrow, est un appel (très musical) à la lutte anticapitaliste sur plusieurs générations. Dans le même ordre d’idées (révolutionnaires), Rachel reprend Self Made Man de John Hartford avec des paroles additionnelles bien dans l’esprit de la chanson. Riley Calcagno, principal accompagnateur de Rachel, joue sur le banjo de John Hartford mais dans un arrangement plus punchy que l’original et avec un coup de jeune dans la mélodie grâce à la voix et au phrasé de la chanteuse. Les autres chansons sont moins politisées, pas vraiment optimistes (sauf Ways of the World, la chanson d’amour qui clôt le disque) mais très agréables à écouter grâce aux jolies mélodies et l’originalité des arrangements. On pense à Gillian Welch pour la voix doublée de Lovers and Leavers, pour le début d’Annie et surtout pour la guitare de Bitter jouée dans le style de David Rawlings. Tristan Scroggins apporte son talent à la mandoline sur trois titres dont Old Songs Never Die (l’arrangement le plus old time/bluegrass) et le mélancolique She Don’t Know What To Sing About. La batterie jouée avec tact, le mélange des instruments acoustiques (guitare, banjo, fiddle, mandoline) et des guitares électriques proposent des arrangements vraiment séduisants. 

 

Larry SPARKS

"It’s Just Me" 

Le nouvel album de Larry Sparks s’intitule It’s Just Me et, effectivement, ce n’est que lui et rien que lui puisqu’il est pratiquement seul, guitare et voix, sur les dix chansons de ce disque. Juste en plus la contrebasse de son fils sur une poignée de titres (et comme son fils s’appelle également Larry, on peut bien affirmer sans mentir qu’il n’y a que du Larry Sparks dans cet album). Après presque 60 ans de carrière, l’expérience est sans doute un peu tardive. A 75 ans, la voix est un peu moins belle qu’autrefois. Mom & Dad’s Waltz et The Scarlet Red Lines sont les titres où c’est le plus audible. Par contre, dans Bring Em On Back, le chant de Larry Sparks insuffle une dynamique qui vaut celle de l’arrangement bluegrass de l’album Almost Home en 2011 (la moitié des chansons ont déjà été enregistrées sur de précédents disques). Long Way To Denver est une autre réussite. Great High Mountain est en fait la même chanson que ce que Hot Rize, Nickel Creek ou Trisha Yearwood ont enregistré sous le titre You Don’ Have To Move That Mountain. L’avantage d’un tel concept est qu’on apprécie parfaitement la rythmique (et quelques solos) de guitare de Larry Sparks qui reste un modèle du genre. 

 

 

Tim STAFFORD

"Guitar Melodies" 

Tim Stafford a une importante discographie comme chanteur et songwriter (souvent en duo) et avec le groupe Blue Highway. C’est aussi un excellent guitariste qui se distingue par la douceur de son toucher. Guitar Melodies est son second album instrumental et il est dans la continuité du premier, Acoustic Guitar (le moins qu’on puisse dire est qu’il ne se casse pas la tête pour trouver un titre à ses albums), paru en 2017. La majorité de titres sont joués en solo, les autres en duo ou avec un groupe bluegrass complet. Il y a douze compositions de Stafford, un traditionnel et deux reprises, toutes deux jouées en solo. Je préfère nettement celle de While My Guitar Gently Weeps (The Beatles) avec une mélodie légèrement modifiée à celle de Both Sides Now (Joni Mitchell) qui ne se prête que moyennement à une interprétation instrumentale. Parmi les autres titres joués en solo, j’aime bien la jolie mélodie mélancolique de Down The Edgepath, Sirocco en fingerpicking et Hecate Strait qui mêle subtilement accords et arpèges. Je me serais bien passé du duo avec un violoncelle. Parmi les trois duos avec Jacob Burleson (mandoline), Old Forge et Kingfisher Creek, bien rythmés, sont mes favoris. Les trois arrangements bluegrass sont joués avec Burleson, Kameron Keller (contrebasse) et Ron Stewart (fiddle, banjo). Le traditionnel Cluck Old Hen (trop souvent repris) est joué dans une atmosphère old time. Alexander Mill est un bluegrass rapide typique mais loin d’être standard grâce à sa mélodie travaillée. Margarette Falls est une jolie composition très bien jouée par tous les musiciens. Mon titre préféré de cet album qui intéressera tous ceux qui aiment le style de Tim Stafford

 

LEFTOVER SALMON

"Grass Roots" 

Il y a deux ans, avec Brand New Old Days, Leftover Salmon avait sorti un de ses meilleurs albums en plus de 30 années d’existence. Cette réussite était en grande partie due à la combinaison réussie des instruments bluegrass et des claviers d’Erik Deutsch. Le départ de ce dernier n’entame pas le potentiel du groupe puisque Leftover Salmon l’a remplacé par Jay Starling qui joue moins de claviers mais est aussi un très bon dobroïste et steeliste. Il est sans doute aussi le meilleur trait d’union entre le groupe et le titre du nouvel album, Grass Roots, puisque Jay est le fils de John Starling, mythique chanteur et guitariste originel de Seldom Scene, et qu’il reprend ici (très bien) California Cottonfields que son père avait enregistré sur l’album Live At Cellar Door. Le répertoire est moins bluegrass que ne le laisse supposer le titre de l’album. Seul Riding The L & N des Bluegrass Cardinals a une origine strictement bluegrass mais deux autres titres sont interprétés sur un tempo rapide typiquement bluegrass, Black Peter de Grateful Dead et Fireline d’un éphémère groupe newgrass des années 90, Magraw Gap (dont l’unique album avait été chroniqué par le Cri du Coyote en … 1996). On se serait bien passé de la batterie (rarement subtile chez Leftover Salmon) sur ces morceaux mais il y a de très jolis solos, comme dans l’instrumental Nashville Skyline Rag de Dylan, très bien arrangé, et qui bénéficie de la participation de Billy Strings à la guitare. On retrouve ce dernier dans le classique des Delmore Brothers, Blue Railroad Train, qu’il chante en duo avec le mandoliniste Drew Emmitt. Mon titre favori est, de loin, Fire & Brimstone, un blues de Link Wray vieux de plus de 50 ans et magnifiquement réorchestré par Leftover Salmon avec un bel équilibre entre instruments acoustiques, orgue et lap steel. En guest, Darol Anger (fiddle) imprime sa patte à Country Blues, chanson qui date de plus d’un siècle (bien avant le bluegrass) et à New Lee Highway Blues de David Bromberg. Une seconde reprise de Dylan, Simple Twist of Fate, chantée par Vince Herman (guitare), bien mise en valeur par Andy Thorn (banjo) et Starling (dobro et piano) fait également partie des bons moments de Grass Roots

 

Alan MUNDE

"Excelsior" 

Alan Munde a enregistré Excelsior grâce au prix que décerne chaque année l’acteur (et banjoïste) Steve Martin à un banjoïste et qu’il a remporté en 2021. A 76 ans, Alan Munde joue toujours aussi bien. Ses compositions sont cependant sur des tempos moins rapides qu’à l’époque où il était une des attractions du groupe Country Gazette. Il affectionne toujours autant de jouer avec des mandolinistes. Au cours de sa carrière, il a enregistré des albums en duo avec, successivement, Sam Bush, Joe Carr et plus récemment (en 2015 et 2018) Billy Bright. Il y a dix mandolinistes différents sur Excelsior. On retrouve Bush en duo sur une composition classique de Munde, Byron’ Buddies en hommage à Byron Berline. Don Stiernberg joue sur la valse mélancolique Untitled Waltz. Rare sur les albums bluegrass, le mandoliniste de jazz Paul Glasse interprète Stay With Me Waltz avec deux autres mandolinistes, Billy Bright et Kym Warner. Munde joue un bon solo jazzy dans Rabbit In A Watermelon Patch. Il me semble entendre l’influence de Tony Trischka dans Bo Knows et la ballade Rodrigo & Johnson, jouée dans le style melodic cher à Munde. J’aime aussi ses deux valses jouées en solo avec de nombreux passages joués en accords, une technique devenue rare chez les banjoïstes d’aujourd’hui. Il y a quinze titres en tout dont treize compos de Munde. Il varie les arrangements avec deux plages arrangées avec un percussionniste et Lloyd Maines à la steel mais aussi des morceaux joués avec un groupe bluegrass complet comme Holler Up A Possum et Fire Fall Down.

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