lundi 18 septembre 2023

Lone Riders, par Éric Supparo

 

Les hasards du calendrier… Trois artistes, passés maîtres dans l’écriture la plus élégante, la plus évocatrice de ce côté-ci du monde country-folk-blues, sortent à quelques semaines d’écart trois albums qui s’échappent du lot commun, trois opus qui forcent, une fois de plus, le respect et l’admiration. Sans doute pour des raisons très diverses, mais, sur le fond, pour cet art - si difficile - d’évoquer sans alourdir, d’enchanter sans esbroufe, et de charmer sans maquillage. Trois signatures, trois parcours qui ne datent pas de la dernière pluie de cendres, sans que les trompettes de la gloire ne sonnent. Allez comprendre…

Jesse DeNATALE

"The Hands Of Time" 

Le cas Jesse DeNatale est spécial. Seulement quatre albums en presque 25 ans, une discrétion qui frise l’absence. Alors que sort ce sublime The Hands Of Time, on se souvient avec émoi de sa fabuleuse version de I Hear Your Voice (un morceau de Peter Case, le prochain client sur la liste), sur A Case For Case en 2006. Un pur joyau, en équilibre sur un piano, des chœurs divins et la voix si particulière de Jesse. Une découverte pour moi alors, et pas une déception depuis. Californien, racines mexicano-italiennes, Jesse déroule sur cet album une sélection irréprochable de ballades, enregistrées avec le moins d’effets possibles, mais veloutées, charnues, et immédiatement délicieuses. Un album qui fait du bien, qui soigne tous les maux du moment, qui parle autant à l’âme qu’au corps, qui parle d’amour (The Hat Shop, Love Is) et de haine (Stop The World), des rêves, brisés ou pas, d’envies et de regrets, bref, qui parle tout court. C’est aussi la démonstration que le talent ne se décrète pas, ça se cultive avec patience et obstination. Cet homme porte en lui des rivières de sentiments, qu’il parvient à dompter, à diriger avec douceur, pour finalement inonder nos cœurs avec un sourire en prime. Écoutez Late September les yeux fermés. Vous m’en direz des nouvelles. Très très grande classe. Un maître, vous dis-je. 

 

Peter CASE

"Doctor Moan" 

Peter Case, donc. Quelque chose comme presque 40 ans d’activité. Un pote de Jesse, tiens… Une légitimité que personne ne viendrait mettre en doute. On s’est presque habitué à son cocktail folk, guitare/voix. Mais voilà Doctor Moan, un album épatant qui laisse la six-cordes au placard et met en avant un dialogue piano/basse/orgue totalement convaincant et rafraichissant. Have You Ever Been in Trouble, qui ouvre le bal, est une grande chanson tout simplement, écrite au cordeau, livrée avec fièvre et passion, où la voix de Peter renaît, forte, belle, abrasive et ample. Onze titres qui viennent tutoyer ses plus belles réalisations, des textes de très haute volée, des ambiances en apesanteur (That Gang Of Mine), des piano-gospel-blues comme on en fait plus (Downtown Nowhere’s Blues, Ancient Sunrise), et des quasi-pop-songs à faire pâlir d’envie Elvis Costello et Jeff Tweedy (Girl In Love With A Shadow). Ajoutez à cela un son d’une précision et d’une épaisseur idéales, et vous aurez un objet de collection, qui fera date, et pas seulement dans la discographie de Peter. On s’incline bien (bien) bas. Applaudissements, rideau. 

 

Maurice MATTEI

"Jungalingle" 

Et en rappel, Maurice Mattei, qu’on ne présente plus (le Cri ne rate jamais une occasion…). Jungalingle, nouvel opus enregistré en mode guitare/voix, compte vingt-cinq titres. Et là, je voudrais m’adresser à celles et ceux qui - heureuses/heureux - connaissent ce frisson et cette ivresse qui s’empare de vous (de nous) quand vous ouvrez un nouveau livre, ce plaisir unique de plonger dans l’univers d’un auteur, à en oublier les heures, le lever, le coucher et les contraintes du quotidien. Un album de Maurice Mattei se déguste comme de la grande littérature, avec l’esprit ouvert, en appétit, en confiance. Maurice n’a pas d’équivalent lorsqu’il s’agit de poser un décor, des costumes, et une action. Des mots filtrés, affinés, aiguisés, un habillage léger en country-blues. Et basta ! Il faudrait citer presque tous les couplets pour faire honneur à son art. 25 scènes, 25 photographies, 25 histoires. Un menu complet, et un résultat à la hauteur de toutes les espérances. On est transportés, chahutés, choyés, mine de rien. On repose le livre avec l’esprit en ébullition. Merci pour le voyage, Monsieur Mattei. On reviendra, soyez-en sûr.

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