lundi 10 juillet 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Ellis PAUL

"55" 

Quatre ans et une pandémie après The Storyteller's Suitcase (chroniqué dans Le Cri n° 162), Paul Plissey, plus (mais pas assez) connu sous le nom d'Ellis Paul, nous revient avec 55, allusion à l'âge qu'il a atteint quand il a commencé à écrire les chansons de l'album. Ellis continue une quête de beauté commencée vers la fin des années 1980. 55, la chanson titre de l'album, est une évocation de la condition des non-essentiels pendant cette dure période, mais nous parle aussi du vieillissement: "The virus don't care / If You got mouths to feed / Or about songs you're singing / While the world's bleeding / But you got to stay and John Prine's leaving / Who's in charge of the order?" ("Le virus se moque bien / des bouches que tu as à nourrir / ou des chansons que tu chantes / pendant que le monde saigne / mais tu dois rester et John Prine s'en va / qui est chargé de l'ordre?"). La voix tendrement éraillée d'Ellis se promène avec grâce sur des mélodies aériennes avec souvent les harmonies de sa partenaire Laurie MacAllister mais aussi, sur Who You Are, d'une autre Red Molly, Abbie Gardner qui y ajoute son dobro enchanté. Le disque est défini comme réfléchi, adulte et joyeux. La pandémie et les problèmes qui ont nécessité une opération de la main gauche (la droite suivra) ont ralenti Ellis mais ne l'ont pas arrêté. Il peut de nouveau jouer de la guitare et l'optimisme domine l'album. S'il évoque la violence des armes dans les écoles (When Angels Fall), il sait aussi rendre grâce à la vie qu'il vit et aux chansons qu'il chante (Cosmos), il évoque des lieux bénis des dieux (Gold In California) et chante l'amour, pour et avec Laurie MacAllister (Everyone Knows It Now). Il nous parle aussi d'un cadeau de Patty Griffin dans une boîte de chaussures (The Gift). Il faut citer les musiciens qui l'accompagnent au long du disque: Mark Dann (basse et guitare électrique lead), Radoslav Lorkovic (claviers), Erik Parker (batterie). Tous, plus quelques invités sont au top niveau, comme le sont les co-auteurs des douze compositions originales et inspirées (Abbie Gardner, Kristian Bush, John Mabe, Will Chapman et Clarence Easterday).

 

Rodney RICE

"Rodney Rice" 

Rodney Rice, tel est le nom de l'artiste et le titre de son troisième album dont les neuf chansons ont été écrites par Rodney (Little Pieces a été coécrit avec Dale Lewis et Wonder Where I Came From avec Katie Cahn). Comme à l'accoutumée, le songwriter originaire de Virginie occidentale est entouré d'une belle bande de musiciens, sous la direction du producteur Drew Carroll. Les sons sont variés, du piano et des cuivres du morceau d'ouverture, How You Told Me So, et de Set Em Up, à l'orgue de Micah Hulscher sur Little Pieces en passant par le fiddle de Billy Contreras et la mandoline d'Ethan Bollinger sur Roll River Roll. Malgré cela, l'album garde une belle unité, sans temps mort, avec la tonalité d'un country-rock qui sait se parer d'électricité comme dans Wonder Where I Came From, un titre sur lequel on ne peut s'empêcher de battre du pied. Rodney interprète tout cela avec une conviction réjouissante mais aussi un humour et un sens de la mélodie qui lui valent des comparaisons avec John Prine. J'avais déjà été emballé par se deux premiers albums, Empty Pockets And A Troubled Mind (2015) et Same Shirt, Different Day (2020), mais ce troisième LP fait plus que me convaincre que nous avons affaire à un artiste de premier plan comme le prouve le dernier titre, Every Passing Day, qui est en fait une belle porte ouverte sur l'avenir pour un auteur-compositeur dont j'espère que les lendemains chanteront longtemps. 

 

Spike FLYNN

"Lachlan River Blues" 

Après Postcards From The Heart, Lunchtime At La Cantina et Mostly Smokes And Mirrors publiés en 2021, Spike Flynn s'est accordé une petite pause puisque Lachlan River Blues, son nouvel opus, est paru le 25 mai 2023. Spike se réfugie régulièrement vers Lachlan River et dans les régions désertiques qui l'inspirent et dont il apprécie le "feeling", l'horizon, l'ancienneté, le mystère. L'album est imprégné de cette ambiance et, si l'on n'a pas totalement affaire à de la "desert music" (à la manière des Américains de 3hattrio), on sent quand même ce sentiment de solitude et d'isolement au travers des notes distillées par les fidèles Andrew Clermont (fiddle, mandoline, banjo) et Gary Brown (guitares slide). Ces deux-là donnent le ton et la direction musicale du disque dès les premières notes de Here We Go Again ou encore sur Lachlan River Blues Spike, quant à lui, assure les parties de guitare, d'harmonica et de basse électrique. L'aspect musique du désert est particulièrement sensible dans les ballades, longues et lentes, dont Spike s'est fait une spécialité: Dance Your Heart To Me, Jesus The Railway Man (le meilleur titre de l'album pour moi) ou Rocket Ship Blues. Parlons aussi des textes, car le songwriter australien sait raconter des histoires comme nul autre. Jesus The Railway Man ne souffre pas de la comparaison avec Jesus The Missing Years, de John Prine. Le parallèle avec ce dernier ne s'arrête pas là, car on rencontre chez Spike le même sens de l'humour, un humour souvent revêtu d'un blues mélodique et addictif, et un véritable sens de la formule. Dire que Lachlan River Blues, entre folk et pur blues comme le titre tutélaire, est un grand disque est un euphémisme et je vous invite à faire un tour sur le Bandcamp du songwriter originaire des Nouvelles Galles du Sud où vous pourrez découvrir l'ensemble de son œuvre (mais pas le prochain album, déjà enregistré et mixé, et qui est superbe). 

 

The MARSHALS

"Le Ptit Cham Session" 

On connaissait le Bourbonnais par les romans de René Fallet. On peut se demander aujourd'hui si Moulins (Allier), n'est pas en train de devenir la capitale française du blues par la grâce d'un trio qui se produit sous le nom de The Marshals. Thomas Duchézeau (batterie et percussions), Laurent Siguret (harmonica) et Julien Robalo (guitare, voix et écriture des chansons) sont les trois musiciens qui réussissent ce miracle de faire exister, et de quelle manière, le blues du Massif Central. Si l'on veut chercher des comparaisons, il faut se tourner du côté des maîtres du boogie qu'étaient John Lee Hooker et Canned Heat pour leur authenticité. Écoutez par exemple le rythme insufflé par l'harmonica dans Oh My, les premières mesures de Howl, la guitare lancinante sur le court Steal The Silence et vous serez convaincus par cet héritage parfaitement assumé. Rien de fabriqué dans les huit compositions de Julio Robalo (ni dans la seule reprise, Elements and Things de Tony Joe White), juste le pouvoir d'un trio dont les notes sont habitées d'une âme véritable, sans artifice. Après Les Bruyères Session, Les Courriers Session, AYMF Session, etc., le disque a été enregistré au Ptit Cham, au milieu des volcans d'Auvergne, non loin du Sancy, mais il pourrait aussi bien venir du Delta. La vie rude des montagnards, dans un environnement aride, est une inspiration permanente comme pouvait l'être la condition des descendants des esclaves dans le sud des USA. Comme le dit la bio du groupe: "Dans leurs textes, il est question de sorcellerie, d’oiseaux de nuit, des éléments, de la lumière qui apparaît après le désastre, d’une nouvelle aube. Les Marshals portent en eux le souffle épique du blues qui tape au cœur, au plus près de la vie des petites gens. Ils sont un groupe sincère. Ils sont sans doute la meilleure bande-son des temps à venir". On ne saurait mieux résumer l'œuvre des trois bluesmen de l'Allier. 

 

Zach AARON

"This Lovely War" 

Zach Aaron vient de Cleveland, Texas, et This Lovely War est son quatrième album, court et compact avec ses huit titres qu'il interprète de sa voix de ténor. Le premier morceau, May The Iron Horse Get Fed a été co-composé avec Kayla Ray (et déjà interprété par elle). C'est un train song de belle facture classique. Fall Down Drunk avec son rythme chaloupé donne envie de chanter le refrain dès la première écoute. Vient ensuite la reprise de Cowboy In The Continental Suit de Marty Robbins qui montre que Zach aime et maîtrise l'interprétation du genre. It's You est un duo (avec Meredith Crawford?) aux accents nostalgiques qui incite à penser, qui évoque la difficulté des choix à faire. C'est aussi une chanson d'amour avec cette phrase "Sunday morning when I'm coming down" qui est comme un clin d'œil à Kris Kristofferson. Songbird est une valse délicate qui se caractérise essentiellement par un dialogue entre la voix de Zach et la pedal steel. Avec Truth In The Mirror, Zach Aaron habille sa country music de rock et de soul, un peu comme Hayes Carll sait bien le faire. Someone’s Gotta Bleed est peut-être la chanson la plus marquante de l'album, avec ses arrangements qui lui donnent l'apparence de la bande-son d'un western imaginaire. Elle a même, au détour d'un couplet, inspiré le titre de l'album, elle évoque une histoire d'amour qui a mal tourné et non une véritable guerre: "Yesterday is gone / Though burning in your mind / Swimming in the embers of all you left behind / Here I am before you / I am not the enemy / Who is keeping score in this lovely war? / Someone’s gotta bleed” (Hier est parti / Bien que brûlant dans ton esprit / Nageant dans les braises de tout ce que tu as laissé derrière toi / Me voici devant toi / Je ne suis pas l'ennemi / Qui tient les comptes dans cette jolie guerre? / Quelqu'un doit saigner). Le disque se termine avec Latigo Joe (titre co-composé par Wayne Ballew), l'histoire d'un cowboy qui, une nuit d'ivresse, tue le fils d'un homme de loi et se trouve en conséquence condamné à la prison à vie. Il reprend goût à l'existence grâce à l'invitation que lui fait un maton de participer à un rodéo. La jument Graveside le désarçonnera au bout de moins de huit secondes et la chute lui sera fatale. Latigo Joe, mi-parlé, mi-chanté, est un titre qui démontre particulièrement le grand talent de raconteur d'histoires de Zach Aaron qui sait combiner textes intelligents et mélodies qui accrochent et confirme avec This Lonely War qu'il est un digne héritier de Guy Clark ou Kris Kristofferson

 

Bob MARTIN

"Seabrook" 

Le songwriter de Lowell, Massachussetts, nous a quittés à 80 ans, en septembre 2022, laissant derrière lui un héritage discographique placé sous le signe des pointillés. Quatre albums studio (Midwest Farm Disaster en 1972, Last Chance Rider en 1982, The River Turns The Wheel en 1997 et Next To Nothin' en 2000) ainsi qu'un disque en public (Live At The Bull Run en 2010, enregistré en 2008). Ce que l'on ne savait pas alors, c'est qu'il y avait aussi un album inachevé dont les chansons avaient été enregistrées à Seabrook, New Hampshire, un endroit plein de souvenirs pour Bob. C'est là que le 26 mai 2008 Bob avait signé un contrat rédigé à la main avec Jerry David DeCicca et Jake Hough afin d'enregistrer le matériel pour un nouveau LP. Ce qui fut fait en quelques jours. Des instruments furent ajoutés à l'automne suivant, la maquette de l'album proposée à quelques labels, sans suite acceptable, avant de tomber dans l'oubli, ou presque. En effet, Jerry réécoutait de temps en temps les bandes inachevées et, par ailleurs, il était resté en contact avec Tami, la fille de Bob, Lorsque cette dernière l'appela en 2021 pour lui parler de la santé déclinante du songwriter, il décidèrent que le temps était venu de ressortir l'enregistrement de 2008, après treize années. Quelques titres ont été retravaillés, un nouveau mix réalisé par Jake, et voici enfin Seabrook, riche de onze chansons dont quatre avaient déjà vu le jour en version live (My Fater Painted Houses, Stella, Kerouac, Two Half Sisters). Dans ce ce disque, Bob Martin fait du Bob Martin, il nous raconte des histoires ou nous peint des portraits d'une voix délivrée sur le ton de la confidence, accompagné de sa guitare et de son harmonica. Quelques musiciens l'accompagnent: Chris Forbes (guitare électrique), Cannan Faulkner (basses), Sven Kahns (pedal steel), Jovan Karcic (batterie et percussions), Jon Beard et Jake Hough (claviers) et le légendaire Gary Mallaber (vibraphone). Avec le temps, Bob a gagné en sagesse et des chansons comme Midway Motel (ma favorite du disque), Streetlight Moon ou Three Miles Beneath This Mountain font partie des meilleures d'une carrière qui s'est arrêtée il y a quinze ans mais qui grâce à quelques fidèles, trouve un prolongement aujourd'hui.

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