dimanche 24 avril 2022

Bluegrass & C° par Dominique Fosse

 

The Del McCOURY BAND

"...Almost Proud" 

La plupart des chanteurs bluegrass actuels ont des timbres plaisants dès la première écoute. Par le passé, ils avaient des voix souvent plus difficiles à apprécier au premier abord (pour des oreilles d’autres états que ceux du Sud-Est des Etats-Unis tout au moins) et ne semblaient faites que pour chanter du bluegrass. Si la voix de Lester Flatt était assez consensuelle, celles de Bill Monroe et Ralph Stanley nécessitaient, pour les apprécier, un apprentissage, une éducation de l’oreille. Ce fut aussi pour moi, à une époque, le cas de la voix de Del McCoury. Cette voix haut perchée et nasillarde à souhait m’a rebuté dans les premiers temps. Ensuite, je m’y suis fait, au point de m’enthousiasmer pour des albums tels que Del & The Boys, It’s Just The Night ou Streets Of Baltimore, et de considérer Del McCoury parmi les plus grands chanteurs bluegrass (je ne suis pas le seul). Aussi ai-je été surpris d’une sorte de régression dans mon appréciation de sa voix à l’écoute des premières chansons de …Almost Proud. J’ai réécouté d’anciens albums de The Del McCoury Band pour en avoir le cœur net et j’ai vraiment l’impression que le timbre de Del (qui a 83 ans) s’est durci. C’est, curieusement, encore plus sensible quand il chante en duo avec son fils Ronnie. Cela m’a donc gâché les premiers titres de …Almost Proud: une reprise de Love Don’t Live Here Anymore de Kris Kristofferson, une composition de Eric Gibson et Mike Barber (des Gibson Brothers) dont le couplet a un léger rythme de rumba, et deux compositions de Del. La plupart de ces titres sont néanmoins marqués par le banjo d’un Rob McCoury en grande forme. La voix passe mieux sur Rainbow Of My Dreams tiré du répertoire de Flatt & Scruggs, que j’aurais néanmoins aimée plus dynamique. La deuxième moitié du disque est bien meilleure. Honky Tonk Nights est un titre bien rythmé, chanté en duo par Del et Vince Gill. Le piano de Josh Shilling est très bien intégré dans deux morceaux, Once Again - une marche blues qu’il a composée et qui est typique du style de Del - et le swingant Other Shore. Working Man’s Wage est une bonne adaptation bluegrass d’un succès de Trace Adkins. Ma chanson préférée est Sid, superbe train song chantée en solo par Del, avec de belles interventions de Rob et de Jason Carter (fiddle). Del interprète ce titre et plusieurs autres dans une tessiture moins aiguë que les premiers morceaux de l’album et c’est aujourd’hui là que sa voix est la plus belle.

 

The PUNCH BROTHERS

"Hell On Church Street" 

Les Punch Brothers rendent hommage à Tony Rice en reprenant les douze titres de son album Church Street Blues. Un hommage qui n’est pas lié au décès de Tony le jour de Noël 2020 puisqu’il avait été enregistré avant sa mort. Les Punch Brothers ont d’ailleurs été très peinés de ne pouvoir présenter leur album à celui qui les a tant influencés, Chris Eldridge en tête, pas seulement parce qu’il est le guitariste du groupe, mais aussi parce qu’il l’avait fréquenté tout jeune grâce à son père, banjoïste de Seldom Scene. Noam Pikelny, banjoïste des Punch Brothers, avait, sur le même concept, réenregistré en 2013 tout l’album Kenny Baker Plays Bill Monroe (savamment intitulé Noam Pikelny Plays Kenny Baker Plays Bill Monroe) en jouant note à note tous les solos du célèbre fiddler. Les Punch Brothers ne peuvent bien entendu pas reprendre la même formule, Tony Rice ayant enregistré Church Street Blues pratiquement seul à la guitare (juste un petit coup de main du frangin Wyatt à la guitare rythmique). Ces douze titres existaient avant que Rice ne les reprenne et les Punch Brothers en font des versions très personnelles. Ils vont beaucoup trop loin pour moi avec l’instrumental The Gold Rush de Bill Monroe, suite de grattouillis et de tremolos qui ressemble à une longue intro. On attend en vain que le morceau démarre. Je n’ai pas non plus aimé Streets Of London chanté dans son style maniéré par Chris Thile sur un tempo ralenti et un accompagnement qui affectionne les dissonances. Mais je conçois qu’il y a un parti-pris esthétique qui peut plaire aux fans des Punch Brothers (ils sont nombreux et le groupe a déjà enregistré des chansons avec ce type d’arrangement). Last Thing On My Mind avec un chant murmuré et un accompagnement minimaliste n’est pas mon truc non plus mais tous les autres morceaux sont bien, voire très bien. J’ai particulièrement aimé la version joyeuse de Any Old Time (Jimmie Rodgers) chantée entièrement en duo par Eldridge et Thile. One More Time (Dylan) est également interprété en duo (par Thile et Gabe Witcher, je pense) avec la guitare d’Eldrige en vedette sur un arpège combiné de banjo et de mandoline. Toujours un duo vocal pour Orphan Annie (Norman Blake), cette fois sur un groove de contrebasse (Paul Kowert) relayé par le banjo. Chris Thile chante Church Street Blues dans son style particulier mais sans trop en faire. House Carpenter a un début trop calme et une suite bordélique mais j’aime bien la fin avec l’arrivée du banjo. J’ai beaucoup aimé Pride Of Man, bien rythmé, très bien chanté par Chris Thile et superbement arrangé, du chant des baleines joué à la contrebasse par Kowert aux solos des quatre autres musiciens. Bonne interprétation également de Wreck Of The Edmund Fitzgerald (titre signé Gordon Lightfoot, songwriter favori de Tony Rice) sur un arrangement aux sonorités celtiques avec une belle progression dramatique. Du côté des instrumentaux, Jerusalem Ridge (Monroe) est joué de manière speedée par Pikelny sur un accompagnement non conventionnel avant de basculer sur un solo de fiddle beaucoup plus classique. Cattle In The Cane est encore plus original, dans une interprétation très libre qui rappelle les premiers albums de Tony Trischka dans les années 70. Bref, selon votre appétence pour les audaces artistiques des Punch Brothers, il y a peut-être un à trois titres à mettre de côté mais Hell On Church Street est un bel hommage créatif à Tony Rice, guitariste et chanteur.

 

Kristy COX

"Shades Of Blue"

 Shades Of Blue est, je crois, le septième album enregistré par la chanteuse australienne Kristy Cox, le sixième aux Etats-Unis, et vous aurez beaucoup de mal à le différencier des trois précédents. Kristy a renouvelé sa confiance à Jerry Salley, producteur et songwriter (il signe neuf des douze chansons) et aux musiciens des précédents albums : Jason Roller (guitare, fiddle), Justin Moses (mandoline, dobro), Mike Bub (contrebasse), la seule nouveauté est la présence de Gaven Largent qui remplace Aaron McDaris au banjo. Mêmes types de chansons également : une moitié de titres rythmés typiques du bluegrass, quatre chansons dans un esprit country, deux slows, un blues. Pas très original mais tellement bien chanté, arrangé et accompagné. Appalachian Blue et Person Of The Year sont sortis en single pour les radios mais je trouve que ce sont loin d’être les meilleurs titres. Appalachian Blue est même très quelconque et ne vaut que par la maîtrise vocale de Kristy et le talent des musiciens. Person Of The Year a sans doute été choisi parce que la chanson évoque les héros du quotidien de la période de confinement total et qu’il y a un public pour ce genre de chansons. Je leur préfère le blues The Devil Was An Angel Too à l’interprétation intense, le countrygrass If Heaven Was A House, le slow An Old Abandoned Church et des titres plus rythmés comme Good Morning Moon et Moonshine, Moonlight & Blue Moon Of Kentucky. On pourra reprocher à Kristy un spectre de chansons moins varié que sur les albums précédents mais Shades Of Blue est un bon disque de bluegrass contemporain, très bien joué et chanté. 

 

 

The PO’ RAMBLIN’ BOYS

"Never Slow Down" 

Never Slow Down est le cinquième album des Po’ Ramblin’ Boys, un groupe formé en 2014 et qui est rapidement devenu très populaire (révélation de l’année en 2018 pour IBMA) grâce à une musique bien ancrée dans la tradition. Il y a d’ailleurs deux chansons des Stanley Brothers dans le répertoire de Never Slow Down (le classique Little Glass Of Wine et Lonesome). Le banjo de Jereme Brown crépite comme celui de Scruggs (excellent son). CJ Lewandowski joue parfois dans le style de Bill Monroe (Lonesome). Depuis que le quartette initial a intégré la violoniste Laura Orshaw (qui avait participé aux deux albums précédents et dont la notoriété personnelle grandit rapidement), il y a quatre chanteurs lead dans le groupe. Mon favori est Lewandowski qui interprète deux titres bien rythmés, Woke Up With Tears In My Eyes et Take My Ashes To The River de Mark Erelli. Laura Orshaw fait de bons débuts dans le groupe avec une ballade country de George Jones (Where Grass Won’t Grow), une valse d’Hazel Dickens (Ramblin’ Woman – il n’y a pas que les pauv’ garçons qui sont des baroudeurs) et une composition de Jim Lauderdale qui brode sur le traditionnel Little Maggie. Josh Rinkel interprète deux de ses compositions dont Missing Her Has Never Slowed Me Down qui a donné son titre à l’album. Jereme Brown chante Mason’s Lament, le titre le plus traditionnel du disque. C’est carré, efficace. Les Po’ Ramblin’ Boys n’en rajoutent pas pour sonner plus trad que trad. Ça leur est naturel. A mon goût, ça manque juste d’un peu de personnalité. 

 

 

Larry CORDLE

"Where The Trees Know My Name" 

Sorti en 2021, Where The Trees Know My Name est loin d’être le meilleur album de Larry Cordle mais la chanson qui lui a donné son nom pourrait sans problème figurer sur une compilation de ses meilleures compositions. Le texte n’a rien d’extraordinaire (Cordle semble à court d’inspiration de ce côté) mais c’est une jolie chanson blues, bien chantée et très bien accompagnée (comme plusieurs autres titres) par la guitare slide de Rob Ickes. L’autre très bonne composition de Cord sur ce disque est The Devil & Shade Wallen, story song sans refrain, bien arrangée avec Clay Hess à la guitare et toujours Ickes à la slide. J’aime aussi le swing Love Will Make You Crazy Sometimes (avec Ickes et Cody Kilby). La berceuse Sleepy Time est bien chantée. Where The Trees Have No Names associe compos de Cordle et reprises à parts égales. Parmi ces dernières, il y a deux compositions de Johnny Williams jouées dans un style très classique sur des tempos enlevés et Cherokee Fiddle de Michael Martin Murphey, jolie chanson devenue un quasi standard bluegrass. Le reste est moins intéressant mais pas déplaisant grâce au talent des musiciens déjà cités auxquels il faut ajouter Scott Vestal (banjo), Jenee Fleenor (fiddle), Kim Gardner (dobro), Aubrey Haynie (fiddle) et Chris Davis (mandoline).

 

 

Chris JONES & The NIGHT DRIVERS

"Make Each Second Last" 

Deux changements parmi les Night Drivers depuis The Choosing Road (Cri 162). Grace van’t Hof (banjo) et Marshall Wilborn (contrebasse) ont remplacé Gina Clowes et Jon Weisberger. Ce dernier signe néanmoins deux titres avec Chris Jones dont le uptempo Leave It At The Gate. Chris Jones a écrit ou coécrit tous les titres, y compris l’instrumental Groundhog’s Retreat avec Mark Stoffel. Le jeu de mandoline de ce dernier est le principal intérêt de cet album. Il est excellent partout. J’adore la note qui s’envole dans Whither You Roam, ses deux interventions dans Silver City et son long solo dans Everybody’s Got A Line. Grace van’t Hof est beaucoup plus discrète mais elle joue un bon style Scruggs. Elle est également moins présente en harmonie vocale que ne l’était Gina Clowes qui donnait un peu plus de brillant derrière la voix de baryton de Chris Jones, trop monocorde (le groupe gagnerait à avoir un second chanteur lead). Make Each Second Last m’a semblé moins varié que les disques précédents mais recèle plusieurs bonnes chansons, notamment We Needed This Ride, le gospel They’re Lost Too et le swing Riding The Chief.

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