Il est difficile de parler du disque d'un ami en restant objectif. Indio Saravanja, Canadien d'origine argentine, admirateur de Georges Moustaki et protégé de Jeff Buckley lorsqu'il a débarqué à New York à vingt ans, est sans doute l'un des plus purs talents de son continent. Tous ceux qui ont eu la chance de l'approcher et de le voir ou l'entendre le savent. Mais les autres? Longtemps considéré comme un Dylan canadien, il a fini par être lassé de sa chanson Northern Town qui lui avait particulièrement valu cette comparaison. Ses six premiers albums ont reçu des critiques élogieuses mais sans rencontrer le succès commercial. You, son septième opus est, un peu à l'image de la carrière et de la vie d'Indio, placé sous les signe de la poisse. Le projet avait été lancé fin janvier 2020, ambitieux, et devait en résulter un double album vinyle. Les évènements que tout le monde connaît, ont plongé notre ami dans de nouvelles galères. Si le matériel a bien été enregistré a peu près comme prévu, l'augmentation des délais et des coûts liés au vinyle ont considérablement ralenti le processus. Si les fichiers digitaux ont été disponibles début avril 2021, le vinyle (transparent) n'a pu être expédié qu'environ sept mois plus tard, sous forme d'album simple de dix titres. Un CD, avec un titre bonus a également été produit. Voilà pour les mésaventures d'Indio, que d'autres ont d'ailleurs connues.
Pour ce qui est de la musique,
Indio poursuit le virage amorcé en 2014 avec
Hotel Kiss Me, en s'éloignant du registre roots et folk-rock qui avait caractérisé ses œuvres précédentes. Il va même un peu plus loin puisqu'il abandonne ici son instrument de prédilection, la guitare, pour se concentrer sur les claviers, en particulier le piano dont il est un praticien autodidacte et inspiré. Le disque, qu'il a produit, a été enregistré entre Buenos Aires et Toronto. Il y a des cordes et des instruments à vent, les guitares (plutôt discrètes) sont tenues, y compris la pedal steel, par
Scott Smith. Les amis fidèles sont là, d'Argentine (
Pablo Grinjot) ou du Canada (
Daniel Lapp), l'actrice et chanteuse
Rebecca Pidgeon fait une apparition vocale sur
Stay At Home. Si le son et la tonalité générale marquent (ou confirment) une nette évolution par rapport aux débuts de l'artiste, la qualité intrinsèque de l'ensemble, aux couleurs plutôt sombres, comme la pochette du disque, n'en est en rien affectée, bien au contraire.
Indio est meilleur que jamais, ambitieux dans ses intentions mais totalement maître de son sujet. Il serait dommage de passer à côté de cet album majestueux, qui fascine d'une manière presque hypnotique, avec une qualité d'écriture qui n'appartient qu'aux meilleurs. En témoignent notamment le bouleversant et autobiographique
Daddy's Tune,
Grey Day In Spring,
That's For Me ou encore la dernière chanson
In My Time (To Live) qui ce conclut par ces mots "vivre et mourir / et ne plus jamais dire au revoir / et essayer encore", entre espoir et découragement.
"Blue Blue Blue"
Ce troisième album (solo) de
Noel McKay confirme tout le bien que
Guy Clark pensait de lui à l'époque (1993) où il se produisait encore avec son frère
Hollin, d'abord au sein de
Laughing Dogs puis des
McKay Brothers. Depuis,
Noel a fait son chemin seul ou aux côtés de l'excellente
Brennen Leigh, aussi bien comme songwriter que comme interprète. Il se partage entre Austin et Nashville (comme ce disque enregistré pour deux tiers dans le Texas et pour un tiers dans le Tennessee). Il a grandi à Lubbock, patrie de
Buddy Holly mais aussi des
Flatlanders dont il se rapproche. C'est un artisan, mais pas seulement pour l'écriture musicale puisqu'il est aussi sculpteur et qu'il fabrique des guitares (encore un point commun avec
Guy). C'est un raconteur d'histoires de premier ordre qui fait vivre ses personnages et sait en trois minutes dessiner un véritable petit scénario. De
The 50 Loneliest Places In The Nation à
You Oughta Write A Song About That (qui fait irrésistiblement penser à
Guy Clark), il nous offre douze petits bijoux. Parmi ceux-ci, il y a
Flying And Falling (coécrit avec ce même
Guy),
Real Cowboy (coécrit avec
Brennen Leigh) ou encore
Somebody, Someway, Somewhere et
Pawnee Waltz qui nous caressent agréablement le conduit auditif, avec renfort de pedal steel (
Gary Newcomb ou
Josh Shelton), d'accordéon (
Josh Baca), de lap steel (
Chris Scruggs) ou de fiddle (
Jeneé Fleenor). On croise aussi un piano à la
Jerry Lee Lewis, joué par
Kat Marx, qui nous donne envie de taper du pied (
Lurlene). Un beau disque? Le mot est faible car
Noel McKay appartient à la catégorie des plus grands et cela finira par se savoir.
The REMITTANCE MEN
"Scoundrels, Dreamers & Second Sons"
Voici un groupe qui n'en est pas vraiment un au sens strict du mot, mais plutôt un bouquet de musiciens de la région de Boston, associés pour le meilleur autour du chanteur et songwriter Tom Robertson et du guitariste et producteur Andy Santospago. C'est encore un effet collatéral bénéfique de la pandémie. C'est ainsi qu'on découvre au détour des dix titres Mark Erelli, Kris Delmhorst, Zach Hickman, Eileen Jewel (A Room In Birmingham
England, 1919), Chris Anzalone ou Joe Kessler. Huit compositions sont de Tom, s'y ajoutent Downsouth de Tom Petty et Nobody de Tim Gearan. Des premières notes de 1973 (Life On The High Seas) aux dernières de Nobody, la voix un peu paresseuse de Tom Robertson, éraillée mais sans excès, nous convie à un voyage en première classe qui parcourt des paysages aux couleurs country, folk, tex-mex (Hacienda Santa Rosa) ou country-rock au parfum des seventies.
Quelque part en Bretagne, il y une bande d'irréductibles Gaulois qui résistent encore et toujours à l'invasion de la musique de mauvais goût. Mary-Lou se compose de Mary alias Félicie Garric (chant, guitares, violon, washboard, percussions), Jean-Luc Brosse (chant, dobro, guitares, basse, harmonica), Stéphane Dhondt (claviers, chœurs) et Benoît Perset (batterie, basse, chœurs). Les chansons (quatorze pour ce riche album) sont toutes écrites (en français) par Félicie et Jean-Luc, ensemble ou séparément. Les sonorités évoluent harmonieusement entre folklore de nos provinces (Nuit d'automne) et folk américain. Les ballades acoustiques sont majoritaires, avec parfois des titres plus rythmés, entre rockabilly et swing (Hey Hey Hey, Ça va être bon), des accents blues pour Tu es passée ou des morceaux franchement country comme Passer le temps où brille la pedal steel de Tommy Detamore. Ce dernier, qui a également réalisé le mixage et la mastérisation, est une sacrée référence, à la carte de visite impressionnante. Vocalement, Mary et Jean-Luc se partagent les parties lead, mais quand ils se rejoignent en duo pour Qui je suis, ils sont tout simplement irrésistibles. Le groupe a plus d'un quart de siècle d'existence (à noter que Mary et Jean-Luc se produisent aussi en duo sous le nom de Hoboes) mais n'a pas encore la notoriété qu'il mérite. Il n'est pas trop tard pour le découvrir et l'apprécier. J'en suis la preuve.
Phil LEE
"Phil Lee & Other Old Time Favorites"
On ne présente plus Phil Lee, personnage atypique, sorte de Zébulon musical qui se surnomme lui-même The Mighty King Of Love. Après Phil Lee & The Horse He Rode In On, enregistré avec Ralph Molina et Billy Talbot de Crazy Horse, il nous revient avec pour seul partenaire David West, déjà présent sur le disque précédent. Phil chante et joue de guitare rythmique (avec occasionnellement un harmonica ou une batterie). David fait tout le reste: dobro, mandoline, contrebasse, basse électrique, guitares, lap steel, piano, banjo, mandoline, orgue, harmonies vocales. Ce nouvel opus est à l'image de Phil. Concis et percutant, drôle et tendre, inattendu et remarquablement interprété. Deux multi-instrumentalistes de haut niveau, au service de la voix et du talent de songwriter de Phillip Pearson (véritable patronyme de l'artiste), ne pouvaient en tout état de cause que faire quelque chose de bien. Autre élément, la pandémie a incité l'hyperactif Phil Lee à ne pas rester les deux pieds dans le même sabot et a aiguisé son inspiration. Le ton est donné dès le premier titre, Did You Ever Miss Someone? En moins de deux minutes, tout le disque est résumé, le style doux-amer de Phil Lee est au sommet. Un peu plus loin, I Like Women, aux accents de western-swing, démontre si besoin le sens de l'humour et la fantaisie de notre ami. Le Mighty King of Love est de retour! Il aime toutes les femmes, et elles le lui rendent (c'est sa conclusion). Phil montre ses qualités de raconteur d'histoires dans Where Is The Family Today?, ajoute une touche plus personnelle dans Daddy's Jail. En plus de ses huit compositions originales (dont la moitié en partenariat), Phil reprend à sa sauce deux traditionnels: The Devil And The Farmer's Wife et Just A Closer Walk With Thee. La façon dont il fait siens ces titres connus, en particulier le second que tellement d'artistes prestigieux ont interprété, est tout simplement bluffante. En un peu plus de trente-trois minutes, Phil Lee nous a mitonné l'un des meilleurs et des plus réjouissants disques de l'année. On en redemande!
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