jeudi 21 avril 2022

Du côté de chez Sam

 

SURRENDER HILL 

"Just Another Honky Tonk in a Quiet Western Town" 

Les disques de Surrender Hill, depuis leur premier album éponyme en 2015, ont régulièrement eu les honneurs des chroniques du Cri du Coyote. Le plus récent, A Whole Lot Of Freedom, date de 2020. L'année précédente, le duo, composé de Robin Dean Salmon et son épouse Afton Seekins, avait publié Honky Tonk. Surrender Hill passait alors environ deux cents jours par an sur la scène. La pandémie a brisé cette dynamique mais pas l'inspiration du couple qui a eu envie de creuser davantage le sillon de la musique Country & Western. Vingt-quatre titres sont nés, enregistrés dans le studio Blue Betty du groupe, à Ellijay, Georgia. Ils sont répartis en deux CD, le premier étant titré Just Another Honky Tonk et le second Quiet Western Town. Je ne chercherai pas les différences subtiles qui peuvent exister entre les deux disques car ils constituent un ensemble copieux, riche et cohérent. On peut simplement constater que Surrender Hill a quelque peu laissé de côté ses influences rock ou soul, pour se concentrer sur l'aspect honky tonk et western. Les titres parlent d'eux-mêmes: Cowboy Campfire Song, If This Ain't My Rodeo, Heart Of Texas, Tumbleweed, Sunshine & Silver Linings, Arizona Morning, Dusty Horse… L'imagerie du genre est là, omniprésente. Les deux voix se complètent parfaitement, celle de Robin, chaude, évoque celle de Tom Russell. Quant à Afton, ses interventions en solo sont pleines de lumière et tantôt d'énergie, tantôt de tendresse. Il y a de bien belles ballades (Call Upon My Friend, Heartache Goodbye, Old Chair), mais aussi des titres plus enlevés, portés par une Telecaster vibrante, (Just Stay), des titres typiquement country faits pour arracher des larmes, d'autres inspirés par le western-swing. Parmi les musiciens les plus remarquables figurent Mike Daly (pedal steel et dobro), Mike Waldron (guitares), Kevin Arrowsmith et Wyatt Espalin (fiddles). Ce disque est recommandé à tous les amateurs de bonne country music mais pas seulement à eux. La qualité de l'écriture, très cinématique (sans parler de celle des voix), qui ne faiblit pas un instant au long des vingt-quatre plages séduira tous les amateurs de bonnes chansons.

 

Anaïs MITCHELL 

(self-titled) 

Cela fait une décennie qu'Anaïs Mitchell n'avait pas publié de véritable album solo, sous son nom, en fait depuis Young Man In America (cf. Le Cri #127). Produit par Josh Kaufman, l'album a été enregistré avec des musiciens de talent tels que Kaufman, Michael Lewis, JT Bates, Thomas Bartlett, Aaron Dessner, Nathan Schram, Nadia Sirota et Alex Sopp avec des arrangements de cordes et de flûtes par Nico Muhly. Après s'être pleinement consacrée ces dernières années à sa comédie musicale Hadestown, Anaïs a quitté New York au début de la pandémie pour s'établir dans dans son Vermont natal, et reprendre le cours de son histoire personnelle, et de ses petites histoires. Le thème de l'enfance est très présent (Revenant, Little Big Girl), les souvenirs sont un peu le fil rouge de l'album. Le moment fort est On Your Way (Felix Song) dédié à son ami songwriter et producteur Edward "Felix" McTeigue décédé il y a un peu moins de deux ans. Dans Backroads, elle se retourne vers le moment où elle a dit au revoir à l'enfance. Dans plusieurs titres, elle évoque la route du succès, comme dans Bright Star, une ascension escarpée et pas sans danger, mais qui n'est pas infinie ainsi qu'elle l'explique dans la chanson finale, Watershed. Sur le plan musical et vocal, Anaïs est toujours aussi difficile à ranger dans une case. Jazz? Folk? Torch singer? Peu importe, elle peut dérouter, elle peut ne pas correspondre à ce qu'on préfère, mais nul ne niera le fait que l'artiste est sensible et talentueuse et qu'elle sait faire partager de belles émotions. 

 

Jefferson ROSS 

"Southern Currency" 

Pour son cinquième album solo en studio (auxquels il faut ajouter un live et un disque en duo avec Thomm Jutz), Jefferson Ross, songwriter de Savannah, Georgia, continue à chanter le Sud, comme il le fait si bien. Southern Currency comporte onze titres, chacun consacré à un des états du quart sud-est du pays, entre Atlantique à l'est et au sud, Virginie et Kentucky au nord, Arkansas et Louisiane à l'ouest. Le voyage commence en Alabama (Alabama Is A Winding Road) pour se terminer en Virginie (Southern Currency). Jefferson ne se contente pas d'être un songwriter dans la veine de Guy Clark et Townes Van Zandt, il est aussi un artiste complet dont les peintures et les photographies révèlent l'acuité du regard. Il voit son sud tel qu'il est, avec sa beauté et sa culture (musicale et littéraire), mais aussi avec ses défauts et ses fractures. Il sait parfaitement traduire tout cela en mots, mais aussi en musique, épousant le style adapté à la chanson et au sujet, comme dans Baptize The Gumbo (Louisiane) et The Nashville Neon Waltz (Tennessee). D'autres moments forts sont Turquoise And Tangerine (Floride) et High Tides In the Low Country (Caroline du Sud), alors que Two Kentucky Brothers (Kentucky) évoque les fractures qui ont souvent divisé les familles, hier (ici il s'agit de la guerre de Sécession) comme aujourd'hui. Jefferson présente ce qui a guidé ce projet ambitieux: "Je voulais raconter toute l'histoire, sans complaisance, pas seulement les clairs de lune et les magnolias, mais aussi les péchés, les dures luttes et les batailles entre ceux d'entre nous qui vivent là-bas. C'est une terre de contradictions. Fierté et honte. Pénitence et célébration. Sagesse et ignorance. Jugement et miséricorde". Le but est parfaitement atteint et pour cela, Jefferson, armé de sa voix chaude et de sa guitare a pu compter sur ses partenaires habituels: Thomm Jutz (production, guitares et harmonies), Mark Fain (contrebasse), Lynn Williams (batterie et percussion) mais aussi Mike Compton (mandoline) et Tammy Rogers-King (fiddle et harmonies) qui apportent, avec leurs notes, cette lumière du sud qui réchauffe même la musique.

 

Emily Scott ROBINSON 

"American Siren" 

Originaire de Caroline du Nord et établie à Telluride (Colorado) Emily mène sa barque avec détermination depuis son premier album, Magnolia Queen, paru en 2016. Avec le deuxième, Traveling Mercies publié en 2019, elle a atteint une certaine notoriété, notamment grâce aux millions de streamings de son single Better With Time. C'est avec un autre titre (qui ne figure sur aucun album), The Time For The Flowers, qu'elle a attiré l'attention de Jody Prine, ému par cette chanson qui représentait beaucoup pour lui est sa famille après la disparition de son père John. Voici donc American Siren, troisième album de la demoiselle, sur Oh Boy Records. Dès le premier titre, Old Gods, on est frappé par la qualité de ce qui nous est proposé. Un voix très belle (qui plaira aux fans d'Emmylou Harris), une qualité d'écriture qui ne se démentira pas au long des dix titres. Et puis les arrangements sont originaux. Pour la chanson d'ouverture, il y simplement trois voix, un violoncelle (joué sans archet) et un orgue. Un peu plus loin, pour Let 'Em Burn, il y a simplement la voix et le piano d'Emily et pour Lighting In A Bottle, la guitare d'Emily et le violoncelle de Duncan Wickel sont les seuls supports de la voix de l'artiste, avec les harmonies de Robbie Hecht. D'autres titres sont plus orchestrés, avec basse (Ethan Jodziewicz), guitares (Keith Ganz), pedal steel (Allyn Love), percussion (Austin McCall), fiddle (Duncan Wickel), claviers (Joe MacPhail). On note aussi sur deux titres la participation de deux membres des Steep Canyon Rangers: Graham Sharp (banjo) et Mike Guggino (mandoline). Mais ce sont toujours les voix, d'une grande pureté, qui sont en avant. Quant aux textes, ils sont parfois autobiographiques, parfois plus ésotériques, mais ce sont toujours ceux de quelqu'un qui sait raconter des histoires. Ce sont les chants des sirènes que l'on entend au long de sa vie. Une mention particulière peut être décernée à Hometown Hero (sorte d'héritier lointain du Sam Stone de John Prine), un jeune homme parti en Afghanistan à 19 ans, de retour chez lui, pour une nouvelle vie, avec deux enfants, qui se finira tragiquement, par un suicide: "Notre héros local est dans les faits divers aujourd'hui / Les drapeaux flottent à mi-mât / Nous t'avons enterré en un clair et bleu jour de Toussaint / Au son solitaire d'une trompette jouant des claquettes". 

 

Dean OWENS 

"Sinner's Shrine" 

L'itinéraire de Dean Owens est particulièrement riche, depuis ses premiers groupes Smile et The Felsons (années 1990) jusqu'à Sinner's Shrine, depuis les Highlands de son Écosse natale jusqu'à Tucson, Arizona, depuis une musique post-punk jusqu'à celle des déserts d'Amérique. Son œuvre en solo, démarrée en 2001 avec The Droma Tapes, a été variée et souvent tournée vers les USA, jalonnée aussi de projets parallèles qui avaient pour noms Redwood Mountain et Buffalo Blood. En 2021, il a produit trois EP (The Desert Trilogy, en édition physique limitée), douze titres en tout sur lesquels il était notamment accompagné par les membres de Calexico (Joey Burns, John Convertino, Jacob Valenzuela et Sergio Mendoza). Cette même équipe est réunie pour le nouveau LP, qui reprend quatre titres de la trilogie. C'est en fait le désert qui est la vedette de l'album, depuis Arizona jusquà After The Rain, en passant par Here Comes Paul Newman, sifflé par Dean et inspiré par les musiques de films d'Ennio Morricone, ou La Lomita. Grant-Lee Phillips vient prêter sa voix à The Hopeless Ghosts, et la chanteuse guatémaltèque Gaby Moreno en fait de même (en espagnol) sur Land Of Of The Hmmingbird, contibuant de ce fait grandement à l'ambiance générale du disque au même titre que les trompettes de Jacob Valenzuela. À noter également la pedal steel de Paul Niehaus sur cinq titres. Enregistré pour l'essentiel en janvier 2020, Sinner's Shrine n'a vu le jour que deux ans plus tard pour les raisons que l'on devine. Pour ceux qui savaient et attendaient, la patience n'a pas été vaine.

 

Baptiste W. HAMON 

"Jusqu'à la lumière" 

Baptiste Hamon est l'un des représentants les plus intéressants de la nouvelle chanson française, de celle qui sait se teinter de musiques américaines. Après Soleil, soleil bleu paru en 2019, pour lequel notre homme s'éloignait un peu des influences puisées au Texas ou dans le Tennessee, il est revenu en 2021 pour un EP, Barbaghamon, enregistré à distance (confinement et éloignement obligent) avec Julien Barbagallo. Pour Jusqu'à la lumière, Baptiste révèle d'autres influences et montre l'étendue de ses goûts musicaux qui ont pour point commun une réelle exigence de qualité. Il s'est associé pour l'occasion avec John Parish, connu notamment pour son travail avec P.J. Harvey. En l'occurrence, en plus de la production, à côté de la voix et la guitare acoustique de Baptiste, John assure la majorité des instruments (batterie, basse, claviers, guitare électrique, percussions). Joe Harvey-White à la pedal steel et Pete Judge à la trompette sont les seuls apports additionnels avec les harmonies de Lonny Montem. L'album est difficile à enfermer dans une catégorie, on sent les influences country dans des titres comme Jusqu'à la lumière et la réjouissante chanson d'ouverture, Boire un coup, hymne à l'amitié, mais il n'y a pas que cela. Retrouvailles avec le froid ressemble à une chanson folk des années soixante, y compris pour le son. Ce qui est sûr, c'est que tout est remarquablement écrit et que Baptiste devient une référence, comme d'autres avant lui. Le meilleur exemple est peut-être le très épuré Les gens trompés, ballade folk nostalgique (sentiment qui domine dans l'ensemble de l'album). Le disque se termine par une reprise, Revoilà le soleil de Jacques Bertin, sans doute pour Baptiste une façon de nous dire ce qui l'a nourri et pourquoi il aime la belle langue française. Comme souvent, on trouve aussi une chanson en duo et en anglais, juste une guitare et deux voix, Laughter Beyond The Flames avec la norvégienne Ane Brun. Patiemment, Baptiste W. Hamon se constitue une œuvre qui prend de plus en plus de consistance.

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