mercredi 28 mai 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Jeff FINLIN

"Myth Of The Giver" 

Jeff Finlin fait toujours partie des trésors (trop bien) cachés de la musique américaine. Myth Of The Giver est paru il y a tout juste un an et voit enfin le jour sur notre continent grâce à nos amis néerlandais de Continental Record Services. Je vous avais présenté son album précédent (Soul On The Line) en ces colonnes en août 2022. Ce nouvel opus (treize chansons toutes signées du songwriter), a été enregistré et interprété par Jeff dans son studio de Fort Collins, Colorado. Par rapport à son prédécesseur, il démontre un souci d'économiser les moyens humains puisqu'on note juste l'apparition de trois musiciens: Eric Straumanis (guitare électrique sur Cowgirl In Forever), Phillip Broste (pedal steel sur Tears Roll By) et Jeff Coppage (mandoline sur Volunteer). Mais Jeff est un multi-instrumentiste plus que compétent qui démontre qu'il peut (occasionnellement en tout cas) se passer des autres. N'oublions pas qu'avant sa carrière solo, il était batteur du groupe The Thieves (avec Gwil Owen et Kelley Looney) qui avait publié l'album Seduced By Money en 1989. Mais qu'il soit seul (ou presque) ou accompagné de musiciens plus ou moins célèbres, la qualité des chansons est là, les mélodies presque aussi paresseuses que celles de J.J. Cale parviennent vite à envoûter l'auditeur et, dès le deuxième titre (All Dolled Up Like Michigan), on sait que l'on écoutera l'album jusqu'au bout (voir plus si affinités) car les titres s'enchaînent comme les chapitres d'un livre qui nous transporte sur un chemin où l'on rencontre l'amour (Valentines Day, Love Is The Last Word, Lovers Day), la vie, le désir la nostalgie (Lighting Days), où l'on croise des cowgirls et des anges (The Cowgirl In Forever). Les textes sont toujours poétiques, originaux, souvent empreints de symbolisme et très personnels. Hannah In The Air et Volunteer (où il est question de St. Germain et de Paris) en sont de parfaites illustrations. En plus de Myth Of The Giver, Jeff Finlin nous propose un album en public enregistré à la fin de 2024 avec The 89's (Transcending The Armory), disponible sur Bandcamp en "pay what you want". C'est un bon moyen, si on ne le connaît pas encore, de découvrir cet artiste et il serait dommage de s'en priver. 

 

Arlan FEILES

"Diaspora" 

Arlan Feiles est un songwriter américain avec des origines juives allemandes qui, avant Diaspora, avait publié six albums en studio plus un live et un EP de reprises de chansons du regretté Greg Trooper. Tout cela est excellent mais le nouvel opus prend une autre dimension dans la mesure ou Arlan affronte les réalités d'un passé horrible et d'un avenir peu réjouissant, et pas seulement aux USA. Le premier titre, I Know Your Number, nous parle d'amour éternel, un amour qui survit à la séparation et à la tragédie, quand l'être aimé se trouve privé de tout ce qu'il est, de la vie et même de son nom, ne conservant qu'un numéro. Oh, St. Louis évoque le sort des passagers du navire éponyme qui avait permis à certains de fuir le nazisme avant d'être refoulés par Cuba et les États-Unis et de faire retour vers les horreurs de l'holocauste. Vient ensuite Budapest 1936 et les murmures d'une guerre qui s'annonçait, après les Jeux Olympiques de Berlin. Broken World Order: l'ordre international vacille, hier comme aujourd'hui et l'énoncé du titre parle sans besoin de commentaires. Vient ensuite un fait divers qui remonte à 1915 où l'antisémitisme atteint des sommets d'horreur. Leo Frank (Hang 'im High) raconte l'histoire d'un jeune directeur d'usine juif condamné pour le viol et le meurtre d'une adolescente. Bien que sa culpabilité n'ait jamais été démontrée, Leo Frank fut condamné à mort avant que sa peine ne soit commuée en réclusion criminelle à perpétuité par le gouverneur de Georgie, convaincu de son innocence. Mais un commando armé et très organisé l'a extrait de la prison pour le lyncher et le pendre. Cette chanson, portée par une guitare acoustique lancinante sonne comme une murder ballad classique. Le dernier couplet est terrible: "The moral of the story is it doesnt matter who is who / As long as its a black man, a brown man or a Jew / It makes the people happy so give the peole what they want / Just a small price for admission and some popcorn while they watch" (La morale de cette histoire est que peu importe qui est qui / Du moment que c'est un homme noir, un homme brun ou un Juif / Cela rend les les gens heureux donc donnez aux gens ce qu'ils veulent / Juste un faible prix d'entrée et du pop-corn pendant qu'ils regardent). Vient ensuite The River Takes, chanson plus paisible avant une superbe reprise accompagnée au piano de la chanson de Leonard Cohen, Story Of Isaac. Les deux derniers titres, Diaspora et Ceasefire portent en elles l'espoir d'une vie meilleure. L'espoir déçu d'abord, avec la diaspora et l'émigration de Levi du Rhin jusqu'aux USA, une terre promise ou Arlan a vécu heureux mais ne se sent plus désormais vraiment chez lui en raison la montée des discriminations en tous genres. Quant à Ceasefire (Shalom Achsav), elle commence par ces mots: "I'm calling for peace / I call for a ceasefire" (J'appelle la paix / J'appelle un cesser-le feu) et se conclut ainsi: "Cause war knows no victors / It only knows defeat" (Car la guerre ne connaît pas de vainqueurs / Elle ne connaît que la défaite). C'est le déchirement d'un artiste tiraillé entre son amour pour Israël et le rejet des atrocités commises, des deux côtés. L'album a été une épreuve douloureuse pour Arlan Feiles qui dit avoir parfois pleuré pendant l'enregistrement. C'est un disque d'une grande et sombre beauté ou chaque mot, chaque note nous touchent et nous incitent à réfléchir. La voix d'Arlan Feiles est souvent bouleversante, les notes de sa guitare et, surtout, du piano renforcent encore la grave solennité des compositions. Peu de musiciens extérieurs sont présents, mais le violon de David Mansfield sur Broken World Order est particulièrement remarquable. Diaspora est pour moi un des plus beaux disques parus ces dernières années, mais on ne ressort pas intact de son écoute. 


 

 

C. Daniel BOLING featuring Tom PAXTON

"It Matters" 

Voici la deuxième collaboration discographique entre Daniel Boling et Tom Paxton, It Matters, soit seize titres coécrits par les deux amis. Je vous avais présenté la première dans ces colonnes (Du Côté de Chez Sam, août 2023); Cet album n'est peut-être pas le dernier en commun puisque Tom (87 ans révolus) écrit dans les notes de pochette que les deux hommes ont déjà écrit soixante chansons ensemble et que cela n'est pas fini. Aux côtés de Daniel (guitare et voix, banjo sur God Is Too Big), Tom chante sur neuf titres. Il y en a même deux où ilchante seul (Something Missing In Your Smile et Goodnight). Jono Manson co-produit l'album avec Daniel, ajoutant une guitare tenor sur Mama Sing It Too Me et des harmonies sur ce même titre et Complain. Parmi les autres musiciens, je me contenterai de citer le fidèle Kelly Mulhollan présent sur quelques titres: Sgt. Reckless (mandoline, ukulele et harmonies), Hidey-Ho et Old Red Barn (banjo), ainsi que Char Rothchild à l'accordéon (It Matters et She's A Witch) et au tin whistle (Sgt. Reckless). Le fiddle de Gina Forsyth est aussi particulièrement en valeur dans Old Red Barn. Si vous connaissez bien l'œuvre de Tom, It Matters vous sera familier et, si vous vous plongez dans celle de Daniel (déjà onze album à son actif dont deux live, sans parler de ce qu'il a enregistré avec The Limeliters), vous noterez évidemment les similitudes presque fraternelles entre les mélodies et les thèmes abordés. Les chansons sont toujours pleines d'humanité, qu'elles évoquent ceux qui travaillent dans l'ombre (It Matters) mais dont le rôle est indispensable (y compris ceux qu'on a qualifiés de non-essentiels) ou une jument élevée au grade de sergent dans les marines (Sgt. Reckless). Il y aussi des chansons plus légères (We're not Happy, Whistlin' Our Songs, Old Red Barn), plus sérieuses (God Is Too Big, What Could Possibly Go Wrong?, Something Missing In Your Smile) ou plus nostalgiques (Mama Singin' To Me, Goodnight). Et puis il a ce titre, Complain qui sonne comme la profession de foi de songwriters qui ne veulent pas rendre les armes, même si elles ne sont que voix et guitares: "My body keeps betraying me a little more each day / But I still have this guitar and I still know how to play / And there’s nothing much the matter with my brain So, I’ll continue to complain – Yes, yes, yes / We really must complain – Yes, yes, yes / Complain, complain, complain". ("Mon corps me trahit un peu plus chaque jour / Mais j'ai toujours cette guitare et je sais toujours jouer / Et il n'y a pas grand-chose qui ne va pas avec mon cerveau / Alors, je vais continuer à me plaindre – Oui, oui, oui / Il faut vraiment se plaindre – Oui, oui, oui / Se plaindre, se plaindre, se plaindre")


 

Sorrel NATION

"Lost En Route" 

Voici une jeune artiste originaire du Kent qui apporte un doux vent de fraîcheur au folk-rock britannique. Elle puise son inspiration chez Gillian Welch, Stevie Nicks ou Sandy Denny. Elle a d'ailleurs publié en 2024 un disque live, Thirty Summers, enregistré le jour de ses trente ans, où à côté de quatre de ses compositions, elle reprenait, seule avec sa guitare, Hard Times de Gillian and Who Knows Where The Time Goes de Sandy. Lost En Route est son premier LP qui ne comporte que neuf titres mais dont la richesse musicale est remarquable avec une inventivité qui tient à la fois à la qualité des compositions et au talent des musiciens. De l'entraînant Crazy For You au mélancolique Lost En Route, on passe par toutes sortes d'émotions musicales avec Old Man qui tire vers la country music, Living Free avec son incitation au rêve, The Way The Wind Blows, plein de délicatesse avec un piano lumineux. La voix de Sorrel, très soul, nous arrache des larmes dans la ballade Eggshells, avant Troubled Again où le banjo nous redonne le sourire. Dead Man's Road se risque à quelques explorations soniques, et démontre que Sorrel est à l'aise dans un registre rock, éloigné de ses racines folk. Le calme revient avec Wild Solitude et des arrangements de cordes de toute beauté. Si Sorrel a composé toutes les chansons et chante en s'accompagnant d'une guitare, elle n'est pas seule à bord du navire qu'elle pilote. Sam Anderson (guitare électrique, dobro et voix), Simon Browne (batterie), Rihan Baroche (claviers et voix), Stefan Croot (basse), Bea Everett (voix), Theo Holder (violoncelle et voix), Caelia Luniss (violon), Nathan Lewis Williams (cittern) et Kirk Bowman (banjo) méritent tous d'être cités. 


 

 

Jim STANARD

"Magical" 

Après Bucket List (Le Cri du Coyote n° 161) et Color Outside The Lines (Le Cri du Coyote n° 167), Jim Stanard nous propose son troisième album, Magical. Comme d'habitude, Jim a tout écrit, paroles et musiques, s'est entouré d'un bande de musiciens plus que compétents parmi lesquels les fidèles John Skibic (guitares électriques), Kip Winger (basse, guitares acoustiques), Steve Postell et Bobby Terry (guitares acoustiques), Mike Rojas (claviers), Wanda Vick (fiddle, dobro, banjo, mandoline). Certains ont évoqué Johnny Cash, Kris Kristofferson ou Tom Paxton pour définir le songwriting de Jim Stanard mais, à l'exception d'un conscience sociale et politique commune, ces référence ne sautent pas aux oreilles, car notre homme apparaît davantage comme un artisan de la chanson, modeste mais talentueux, que comme un géant du niveau des trois précités. N'oublions pas que Jim n'a pas la même carrière et qu'il n'a publié son premier LP qu'en 2018, à un âge où d'autres ne songent qu'à la retraite. C'est pour cela, sans doute, que l'on sent qu'il évolue constamment, qu'il maîtrise de mieux en mieux son art à chaque album. Ses textes démontrent un sens de l'observation, à la fois des sentiments humains et du contexte, politique, notamment. Lookin' Back est une chanson optimiste qui nous dit que l'on peut envisager l'avenir et profiter de la vie, même si un regard dans le miroir nous rappelle que la plus grande partie en est dernière nous. You Turned Red (That Made Me Blue) a une connotation politique évidente. Wanda Vick y brille, au violon et au dobro, et la première ligne à elle seule vaut son pesant d'or: "You've been awarded four Pinocchios" ("Tu as remporté quatre Pinocchios", l'oscar du mensonge sans doute). Hard Of Hearing Heart et, plus loin, Too Much Fun sonnent comme des rocks classiques, alors que Kansas a une ambiance presque cinématographique, celle d'un bon vieux western, avant un Waking Up Dead porté par des arrangements de cordes. Je citerai encore Magical, ou l'art de gâcher les choses qui vont bien, et The Minotaur avec cette question fondamentale: "Did Eve give you an apple Mr. Minotaur?" ("Est-ce que Ève t'a donné une pommme, M. Minotaure?". Après Hard To Keep, chantant un amour perdu, l'album se conclut avec l'émouvant When The West Was Won et ce refrain: "Their names are gone, but memories / Of their pain and fear / Reflect in a salty stream / Flowing from the Trail of Tears / They had anywhere to run / When the west was won" ("Leurs noms sont partis, mais les souvenirs / De leur peine et de leur peur / Se reflètent dans un courant salé / Qui coule de la Piste des Larmes / Ils n'avaient nulle part où aller / Quand l'Ouest a été conquis"). Magical confirme, à tous points de vue, que Jim Stanard, s'il n'a pas la prétention de s'assoir à la table des grands, fait partie de ces voix que l'on a besoin d'entendre pour couvrir le silence criminellement complice et assourdissant de l'Amérique trumpiste


 

Kris DELMHORST

"Ghosts In My Garden" 

Depuis Appetite en 1998, Kris Delmhorst nous envoie régulièrement des cartes postales musicales. Elle a désormais dix LP et deux EP à son actif, sans compter des participations à des projets parallèles (Session Americana, Redbird…). Pour Ghost In The Garden, elle s'est entourée d'une équipe réduite d'amis qui l'accompagnent aussi sur scène: Ray Rizzo (batterie, etc.), Jeremy Moses Curtis (basses électrique et acoustique) et Erik Koskinen (guitares électrique et acoustique, orgue), auxquels s'ajoutent Rich Hinman (pedal steel et guitare électrique) et Sam Kassirer (claviers, autoharpe). La liste de celles et ceux qui viennent prêter leurs voix pour un ou plusieurs titres en dit long sur l'estime dont jouit Kris: Rose Cousins, Jabe Beyer, Rachel Baiman, Anna Tivel, Jeffrey Foucault, Ana Egge, Anaïs Mitchell, Taylor Ashton. Pour en revenir au disque, il comporte dix titres écrits par Kris seule, le onzième, Beyond The Boundaries étant coécrit avec Matthew Sanborn. À côté de titres aux orchestrations plutôt classiques (que je qualifierais de country-folk) comme Wolves ou Age Of Innocence, Kris nous gratifie d'arrangements plus complexes, bien en rapport avec les sentiments, souvents teintés d'introspection, exprimés par les textes qu'ils habillent, comme la chanson titre, Summer's Growing Old, Detour (avec Jeffrey Foucault), Lucky River ou Something To Show. Ce ne sont pas des titres que l'on écoute d'une oreille distraite. J'ai aussi un faible pour Beyond The Boundaries avec la voix de Taylor Ashton et la pedal steel de Rich Hinman, ou encore Won't Be Long et Dematerialized, plus rock et d'abord plus immédiat et qui contribuent à l'équilibre de l'ensemble. Quoi qu'il en soit, Kris démontre encore une fois qu'elle fait partie des ces artistes rares, capables de se renouveler à chaque album, sans pour autant galvauder son âme ni son identité. 


 

mardi 20 mai 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Grey DeLISLE

"The Grey Album" 

Un double 33 tours à la pochette immaculée, sans titre, avec juste le nom de l'artiste, cela ne vous rappelle rien? Joli clin d'œil de la part de Grey DeLisle à ses illustres prédécesseurs de Liverpool. Cet album (qui tient sur un CD simple) prend son envol, comme une évidence, sous l'appellation The Grey Album. Au menu, vingt titres qui explorent toutes les facettes du talent de songwriter de la dame qui, depuis trois ans et après une absence discographique de dix-huit ans, fait preuve d'une belle créativité. La production est assurée par Marvin Etzioni (ex Lone Justice) et au premier rangs des musiciens figure Murry Hammond (ex Old 97's), complice de longue date (pas seulement musical puisqu'ils ont un fils ensemble). Le talent vocal de Grey explose dans tous les registres. Des titres aux accents country comme le morceau d'ouverture Hello I'm Lonesome ou Daddy, Can You Fix A Broken Heart, des chansons plus rock et blues comme Sister Shook, 40 Something Runaway (avec Cherrie Currie des Runaways), Didn't We Try (avec la présence vocale de Stephen McCarthy des Long Ryders), The Last, Last Time ou I Can't Be Kind, des ballades pleines de tendresse comme Who To Love, A Promise I Can't Keep, Don't Let Go Of My Hand ou Take Me Dancing Again. Je ne peux citer tous les titres mais aucun n'est faible ni même simplement moyen, comme en témoignent Reach For The Sky, Convince Me ou encore My Darlin' Vivian. Parmi les musiciens qui donnent des couleurs lumineuses à ce Grey Album, je retiendrai particulièrement Tammy Rogers (violon, alto et arrangements de cordes) et Greg Leisz (steel guitar, Rickenbacker 12 cordes). À l'exception de Convince Me (écrit à l'origine pour Roy Orbison par Marvin Etzioni) et A Coastal Town, coécrit avec Joey Simeone, a écrit toutes les parole et musiques du disque. Cependant, si vous écoutez le dernier titre, l'émouvant Red Dress, vous reconnaitrez certainement une mélodie connue depuis la Carter Family (I'm Thinking Tonight Of My Blue Eyes). Dire que The Grey Album est une réussite est un euphémisme, c'est un véritable moment de bonheur musical qui dure près d'une heure


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Jefferson ROSS

"Backstage Balladeer"

 J'ai découvert Jefferson Ross vers 2012 pour sa participation à la trilogie The 1861 Project de Thomm Jutz. J'ai ensuite présenté ses albums dans les colonnes du Cri du Coyote à de nombreuses reprises. Notre homme, accompagné du producteur et multi-instrumentiste Thomm Jutz, a démontré au cours de la dernière décennie qu'il était un auteur-compositeur interprète de haute volée dont on peut simplement se demander pourquoi il n'est pas plus célèbre en dehors de sa Georgie. Avec Backstage Balladeer, Jefferson a choisi de se passer de toute aide, de privilégier le côté artisanal de son œuvre. Écriture, interprétation, enregistrement, mixage: il a tout fait, à la matière de Paul McCartney pour son premier album solo. Le son est plus brut que dans les disques précédents mais cela ne fait qu'ajouter au charme de l'ensemble. Les thèmes abordé sont variés et si Power a des connotations politiques et House Of The Lord religieuses, Lion In Zion sonne comme un gospel teinté de reggae, alors que The Blues And The Blood a des accents blues-rock lancinants, presque inquiétants. Travel, un des sommets du disque, honore une des nombreuses passions de Jefferson, le voyage. Son dernier en date, en Europe, en 2022, l'a amené à passer par la France, de la Provence à l'Alsace en passant par Paris, et les clichés qu'il a pris à cette occasion démontrent un autre de ses talents, la photographie qu'il pratique avec un œil de peintre (il excelle aussi dans ce domaine). Tout cela pour vous dire que chacun des textes est un véritable portrait, ou un paysage, avec une dimension qui dépasse celle de la simple chanson. Il peut évoquer Jerry Lee Lewis ou Mary Magdalene (deux titres de chansons) ou s'aventurer davantage musicalement avec Serpent, il sait nous régaler avec Brimstone Blues ou le superbe Backstreet Balladeer qui justifient à eux seuls l'acquisition de l'album. DIY peut-être, excellent certainement, Backstreet Balladeer a tout ce qu'il faut pour être aimé, sans condition. 


 

 

Martha FIELDS

"Live!" 

Martha Fields, alias Marty Fields Galloway, avait prévu d'enregistrer un album live (CD + DVD), il y a quelques années, du côté de Bordeaux mais COVID et confinement en ont décidé autrement. C'est donc en novembre 2023 que Martha, accompagnée de ses French boys, s'est retrouvée à Lanton, au Baryton, pour réaliser enfin son projet qui permet à celles et ceux qui n'ont pas eu la chance de voir le groupe en concert de mesurer l'énergie déployée sur scène. Martha (guitare acoustique et chant) est accompagnée par Manu Bertrand (dobro, banjo, mandoline, lap steel et harmonies), Urbain Lambert (guitare électrique et harmonies), Serge Samyn, (contrebasse, basse électrique et harmonies), Olivier Leclerc (violon) et Denis Bielsa (batterie). Un concentré de haut niveau au service d'un répertoire partagé entre compositions de Martha et reprises choisies. Les premiers titres évoque la double appartenance de Martha, qui  se partage entre USA et France. Il y a d'abord Paris To Austin où la Seine ressemble au Colorado, puis Country Roads Of France avec ce pont entre deux continents: "Yes the bridge is long and wide / Faire un pont pour de bon". Dans le traditionnel Lonesome Road Blues, Martha évoque la douleur du partir: "My momma, she said don't go to France / I got ants in my pants so I went to France" (Maman m'a dit ne va pas en France / J'avais des fourmis dans les jambes donc je suis parti en France). Biscay Bay, Headin' South et Demona évoquent des souvenirs personnels avec, intercalée, une belle et dynamique reprise de Honky Tonk Blues de Hank, Sr. C'est ensuite la chanson bilingue que tout le monde connaît et chante en chœur, J'entends Siffler le Train / 500 Miles et Johanna, chanson pleine d'émotion pour celle qui "Ressemblait à Mata-Hari / S'habillait comme Marlene Dietrich / Dansait au Moulin Rouge / Pour les soldats du Troisième Reich". Changement de décor avec le Kokomo Blues de Mississippi Fred McDowell où le Chicago blues est mis à l'honneur, prétexte à une jam magnifique où le talent d'Urbain, Olivier et Manu expose littéralement, avec le soutien sans faille de Serge et Denis. Vient ensuite un moment de calme avec Wayfaring Stranger qui permet au six amis de mieux déployer une dernière fois leur énergie, au couleurs du bluegrass, avec le célèbre Orange Blossom Special qui laisse tout le monde sur les rotules. J'aurais aiméêtre là, c'est ce que chacun se dit au bout de ces soixante-dix-huit minutes de partage musical. Pour ma part, j'avais prévu d'assister à l'enregistrement prévu initialement, mais le destin en a décidé autrement


 

Guy CLARK

"Looking For The Words: Live at the U of H Coffee House – October 30,1970" 

Si l'on m'avait dit qu'en 2025 je chroniquerais un album de Guy Clark, décédé il y a tout juste neuf ans, j'aurais doucement souri! Quelques chutes de studio ou maquettes ont bien été publiées, mais cela ne suffisait à donner matière à un texte. Mais lorsque j'ai vu ce Looking For The Words, enregistré en public en 1970 (je rappelle que Old No. 1, le premier LP de Guy n'est paru qu'en 1975), j'ai été intrigué et ma curiosité a été bien récompensée. Pour ce qui est de la qualité sonore, elle est excellente et cela malgré les vicissitudes survenues à l'enregistrement réalisé par John Kuntz ainsi qu'il le narre dans les notes du livret (seize pages richement documentées et illustrées). Pour ce qui est du contenu, la surprise est aussi grande qu'agréable. À côté des traditionnels Frankie And Johnnie et Rye Whiskey, des blues Corina Corina et San Francisco Bay Blues, des standards que sont Just Like Tom Thumb's Blues de Bob Dylan (qui avait lui aussi à son répertoire de jeunesse les deux blues précités) et These Days de Jackson Browne, le CD propose douze compositions du jeune Guy Clark. Œuvres d'un auteur-compositeur qui se cherche encore ou titres déjà mûrs, ces chansons présentent un point commun: elles n'ont jamais été enregistrées par Guy sur un de ses albums studio. On connaît juste Step Inside My House devenue Step Inside This House pour donner le titre à un double album de Lyle Lovett en 1998. Looking For The Words se déguste comme un tout, d'un seul trait. Qu'il s'agisse d'un Susanna à l'état d'ébauche (y compris pour le jeu de guitare) ou d'un Frankie And Johnnie survitaminé, de chansons plus abouties comme Raggedy Ann, Spring Thing ou Step Inside My House où l'on trouve déjà le Guy Clark que l'on aimera plus tard, on reste captivé tout au long de ce concert où l'authenticité domine. Et puis, découvrir des titres de la qualité de The Gypsy Boy, Wine And Cigarettes et surtout Looking For The Words, plus d'un demi-siècle après, c'est un plaisir dont il serait dommage de se priver. Guy finit ce show par Headed Back To California, une chanson qui n'est en rien prophétique puisque, dès l'année suivante, Guy et Susanna Clark allaient quitter le Texas pour Nashville où s'écrirait leur brillant destin. 


 

 

Barry ORECK and Friends

"We Were Wood" 

L'espèce des songwriters n'est pas en voie d'extinction aux États-Unis d'Amérique. Beaucoup d'entre eux émergent sur le tard après une vie passée à travailler pour vivre, laissant en sommeil une passion toujours vivante. Il est bien dommage que certains ne se fassent jamais entendre en dehors d'un cercle restreint. Barry Oreck est de ceux-là. Originaire de Chicago et établi à Brooklyn, il a fréquenté Steve Goodman et Frank Hamilton dans sa jeunesse et à mené une carrière de chorégraphe dans la danse et le théâtre tout en continuant à écrire et chanter ses chansons dans un style qui défie les étiquettes. Il revendique comme influences Stephen Sondheim, Odetta, Steve Goodman, Tom Waits et Tim O'Brien. Il aborde des thèmes variés, personnels ou politiques, parle de l'amour et du vieillissement, de questions sociales et écologiques. Il a publié son premier album en 2016 et We Were Wood est son cinquième. Le groupe d'ami(e)s autour de Barry (guitares et chant), se compose de Jesse Miller (guitares et harmonies), Rima Fand (violon et harmonies) et Adam Armstrong (basse). Les dix chansons sont de la plume de Barry, trois ayantété coécrites avec Rob Meador. Elle sont toutes sur un même tempo calme et la voix riche et sensible de Barry vogue tranquillement sur des arrangements pleins de trouvailles où chaque musicien apporte sa pierre à l'édifice. C'est véritable travail de groupe dont la production est assurée par Barry Oreck et Bob Harris qui ajoute quelques touches de mandoline, percussion et claviers. Parmi les titres qui ressortent du lot, je citerai Build Me A City: The Ballad Of Robert Moses (Robert Moses est un peu à New York ce que le Baron Haussmann est à Paris), The Crabbit Wee Tailors Of Forfar, et surtout The Norris Dam qui évoque la construction d'un barrage dans le Tennessee avec le drame vécu par les familles qui ont été obligées de tout quitter pour laisser la place au progrès, l'eau noyant l'histoire et les souvenirs d'une région entière (le Lac du Der ou celui de Serre-Ponçon, chez nous, auraient aussi pu inspirer des chansons). We Were Wood se termine sur She Calms Me, une tendre chanson d'amour, belle conclusion pour un disque attachant


 

Gordie TENTREES & Jaxon HALDANE

"Double Takes" 

Gordie Tentrees vient du Yukon et Jaxon Haldane du manitoba et ont longtemps mené des carrières parallèles, Gordie était davantage connu comme songwriter et Jaxon comme multi-instrumentiste (aux côtés des Sadies, de Romi Mayes ou de Jon Spencer). Ils ne se sont rencontrés qu'en 2005 lors d'un pique-nique chez Fred Eaglesmith dans l'Ontario. C'était d'ailleurs leur dénominateur commun puisque Gordie a souvent assuré les premières parties de Fred alors que Jaxon était un ami de longue date et protégé de Willie P. Bennett, fidèle second de Fred, sur disque et sur scène. Les deux nouveaux amis ont tout naturellement eu envie de se produire ensemble, assurant plus de 1100 show ensemble lors de la dernière décennie (j'avais eu la chance de les voir à Nancy en novembre 2015), dans le même esprit de camaraderie et de qualité qui a uni Fred et Willie pendant leurs vingt-cinq années de vie musicale commune. S'ils avaient publié un album en public, intitulé Grit (voir Le Cri du Coyote n° 157 en juin 2018), Double Takes est leur premier disque commun en studio. Jaxon a écrit et chante en s'accompagnant à la guitare acoustique Franklin, Crystal, Drive Or Push, Bobbi & Gus et Nowhere Fast. Gordie a écrit et chante en s'accompagnant à la guitare acoustique Arcata, Time, Gratitude, Tinkering et Bygone Days. Jaxon y ajoute toute une palette d'instruments, comme guitare électrique, la lap steel, mandoline, scie musicale et banjo (ainsi que des harmonies vocales) alors que Gordie se contente d'ajouter harmonica et dobro sur Bobbi & Gus. Cela étant, et contrairement à ce que cette énumération pourrait laisser croire, il s'agit bien d'un disque commun dont l'unité n'est jamais mise en doute. Parmi les musiciens invités ou associés (et je n'omettrai pas de citer Shawn Fichter à la batterie et Steve Mackey à la basse), on trouve quelques noms légendaires comme Charlie McCoy à l'harmonica sur le bluesy Drive Or Push et sur Gratitude, Lucky Oceans (Asleep At The Wheel) à la pedal steel sur Time. Il y a aussi Tania Elizabeth au fiddle sur Bygone Days et Crystal. Bill Chambers (moins célèbre que sa fille Casey) est à la lap steel sur Franklin et son fils Nash produit le disque, ajoutant quelques percussions et un peu de melodica. C'est un album plein de musicienneté (ne cherchez pas dans le dictionnaire, c'est ma version française de musicianship), de talent, d'amitié, de mélodies et de voix qui touchent. Si jamais ces deux-là passent près de chez vous, n'hésitez pas, il en valent le plaisir. Et puis Jaxon, entre sa scie à archet et ses boîtes de cigares transformée en guitares, c'est un spectacle à lui tout seul. 


 

lundi 12 mai 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Alison KRAUSS & UNION STATION

"Arcadia" 

Cri du 💚 


La voix de l’ange est de retour. Notre ange à nous, les bluegrasseux. Alison Krauss revient au bluegrass, quatorze ans après Paper Airplane, son dernier album avec Union Station (Le Cri du Coyote 123). Dans l’intermède, elle ne nous guère offert que le très dispensable disque country Windy City en 2017 et le deuxième album avec Robert Plant en 2021. Looks Like the End of the Road, le premier titre d’Arcadia, est une valse qui débute par une rythmique de guitare toute simple. Pourtant, dès les premières notes, on sait que la magie va fonctionner. Il y a un son Union Station qui magnifie la voix d’Alison (à moins que ce soit l’inverse)… Toutes les rythmiques, tous les arrangements sont délicats et somptueux. Je ne vous épargnerai pas la comptabilité dressée par tous les amateurs de bluegrass depuis la sortie de So Long So Wrong en 1997. Oui, cette fois encore, il n’y a qu’un seul titre chanté par Alison avec Ron Block au banjo. Dans la mesure où les chansons sont plutôt graves, les thèmes douloureux, le dobro de Jerry Douglas et la guitare de Ron Block dominent logiquement les arrangements. Adam Steffey (un ancien Union Station) est en renfort à la mandoline sur deux titres. Alison est plutôt discrète au violon. Elle a habilement sélectionné le répertoire, de très jolies mélodies idéales pour sa voix, pour la plupart œuvres de compositeurs avec lesquels elle a déjà travaillé (Robert Lee Castleman, Jeremy Lister, son frère Viktor, Dan Tyminski). One Ray of Shine a une très jolie mélodie. Le chant est tour à tour délicat et puissant dans The Wrong Way, magnifiquement souligné par le dobro. La voix est d’une pureté incomparable dans There’s A Light Up Ahead. Et Alison chante évidemment tout aussi bien quand la chanson est menée par le banjo (Richmond on the James). Il y a un changement notable dans Union Station (le premier depuis plus d’un quart de siècle). Russell Moore remplace Dan Tyminski, occupé par sa propre carrière solo, comme second chanteur. Tout le monde connait Russell Moore, une des grandes voix du bluegrass, élu 7 fois de suite chanteur de l’année par IBMA, à la tête du groupe IIIrd Tyme Out depuis plus de 30 ans (qu’il n’a apparemment pas l’intention de quitter), après avoir fait ses classes auprès de Doyle Lawson. Il a été le premier choix d’Alison Krauss quand il a fallu remplacer Tyminski. Il a le même genre de voix, un peu moins de puissance et d’agressivité peut-être. Alison lui a fait de la place puisqu’il interprète quatre des dix chansons. Ma préférence va aux deux titres avec banjo. Snow est une composition bien rythmée de Bob Lucas (dont AKUS a déjà enregistré plusieurs titres et chez qui New Grass Revival avait fait son marché dans les années 70). North Side Gal est un blues entrainant repris du chanteur rockabilly revivaliste JD McPherson avec un solo de banjo boogie. Granite Mills est une bonne chanson plus sombre qui rejoint davantage l’esprit des titres interprétés par Alison. On glisse encore plus dans la noirceur avec The Hangman et, pour tout dire, j’aurais préféré à la place une troisième chanson avec banjo. Malgré le remplacement (peut-être temporaire) de Tyminski par Moore, Arcadia est tout à fait dans la lignée des précédents albums d’Alison Krauss & Union Station. Pas de surprise, mais après avoir attendu quatorze années, c’est exactement ce qu’il nous fallait.


 

 

Sierra HULL

"A Tip Toe High Wire" *

Cri du 💚 

25 Trips, le précédent album de la mandoliniste et chanteuse Sierra Hull qui date de 2020 (Le Cri du Coyote 165) ayant été Cri du Cœur, A Tip Toe High Wire l’est aussi puisqu’en gros, c’est le même en mieux. En plus cohérent au moins avec des arrangements servis par une équipe réduite (Shaun Richardson - guitare, Avery Merritt - fiddle, Erik Coveney - basse, Mark Raudabaugh - batterie), de jeunes et talentueux musiciens encore peu connus bien que certains aient déjà accompagné des artistes comme Béla Fleck, Missy Raines, Dailey & Vincent, Tony Trischka ou Front Country. Pas de pedal steel, de claviers ni de violoncelle comme dans 25 Trips, et peu de guitare électrique (jouée par Sierra elle-même). Sierra a juste ajouté du banjo (Béla Fleck) sur un instrumental et son mari, Justin Moses (dobro) sur trois chansons. Il y a moins de digressions instrumentales également, ce qui n’empêche pas de brillantes interventions des différents musiciens. Les rythmiques sont très originales mais toujours efficaces. Le son de la mandoline de Sierra est magnifique, son jeu virtuose. Les sommets de l’album sont Muddy Water, à la fois rythmé et délicat et Spitfire, superbement chanté, un des deux titres que Sierra accompagne (très bien) à la guitare. Let’s Go a des influences Nickel Creek / newgrass alors que la ballade Redbird et Truth To Be Told nous rapprochent davantage de l’univers d’Alison Krauss (sans doute en partie à cause de la présence du dobro). Come Out of My Blues avec sa délicate rythmique en arpèges de mandoline et Boom ont de fortes influences blues. Parmi les deux instrumentaux, malgré la présence de Béla Fleck en duo avec la guitare électrique de Sierra dans E Tune, ma préférence va à Lord That’s A Long Way, original, virtuose et musical à la fois. Tous les morceaux ont été écrits ou coécrits par Sierra. Pas un titre faible dans ce très bel album, au point de rendre presque anecdotique la présence de chanteurs comme Tim O’Brien, Ronnie Bowman, Aoife O’Donovan et Lindsey Lou en harmonie vocale. 


 

 

Becky BULLER

"Jubilee" 

Jubilee a été inspiré à Becky Buller par la dépression qu’elle a vécu pendant le confinement. L’album contient dix titres mais dure moins de 25 minutes car cinq morceaux font moins de deux minutes, Prelude et Interlude plafonnant à une trentaine de secondes. C’est un album parfois grave mais jamais triste ni pessimiste. Mon titre préféré, Kismet, est même un instrumental entrainant, voire joyeux. Spiral, autre instrumental, est plus romantique. Aucune des quatre chansons n’est réellement marquante mais aucune n’est banale. Jubilee a été coécrit par Becky avec Aoife O’Donovan (elle a composé seule les autres morceaux) qui chante avec elle les refrains. Dans Woman, Becky s’accompagne avec un banjo old-time baryton qui amène de la gravité. Alone est construit sur une rythmique de mandoline newgrass (Wes Lee) et laisse de grands espaces aux solistes du groupe de Becky (Ned Lubercki - banjo; Becky - fiddle; Jacob Groopman guitare). Whale est un blues bien rythmé qui permet un des nombreux duos banjo-fiddle de l’album. Jubilee est un album atypique dans la discographie de Becky Buller et sans doute à conseiller en priorité à ses fans.


 

 

Various Artists

"Bluegrass Sings Paxton" 

À l’initiative de Cathy Fink (qui a souvent composé avec Tom Paxton) et du songwriter Jon Weisberger, Bluegrass Sings Paxton propose douze chansons de Tom Paxton en version bluegrass par douze interprètes différents. La partie protest song du répertoire de Paxton n’est malheureusement pas reprise ici (ses chansons contre la guerre du Vietnam, le formidable Johnny Got A Gun sur la prolifération des armes) mais ce n’est sans doute pas celle qui s’adapte le plus facilement au bluegrass. Huit chanteurs sont accompagnés par une formation 5 étoiles réunie pour la circonstance: Kristin Scott Benson (banjo), Deanie Richardson (fiddle), Darren Nicholson (mandoline), Chris Jones (guitare) et Nelson Williams (contrebasse). Ils déploient tout leur talent pour donner des arrangements vraiment bluegrass à des chansons qui ne le sont pas. Les interprétations les plus remarquables à mon goût sont celles de Claire Lynch (I Give You The Morning) et Laurie Lewis (Central Square) grâce à la douceur de leurs voix qui convient bien à des titres qui sont, à l’origine, des ballades folk. On notera également l’interprétation remarquable du blues The Things I Notice Now par Alice Gerrard qui ne devait pas avoir loin de 90 ans au moment de l’enregistrement (c’est son âge aujourd’hui). The Last Hobo par Chris Jones n’est pas mal non plus. Leaving London (Greg Blake), The Same River Twice (Aaron Burdett, nouveau chanteur de Steep Canyon Rangers), Looking for the Moon (Sav Sankaran, bassiste de Unspoken Tradition) et Ramblin’ Boy (Danny Paisley) sont plus ordinaires. Trois titres sont interprétés par des groupes constitués. Sister Sadie reprend sans grand brio The Last Thing On My Mind, la composition de Tom Paxton la plus populaire dans le milieu bluegrass (la version de Tony Rice est la plus célèbre). Depuis quelque temps, Tim O’Brien et son épouse Jan Fabricius composent régulièrement avec Tom Paxton (un album entier de leurs chansons devrait sortir courant 2025). Tim et son groupe interprètent ici une de leurs œuvres communes, le gospel You Took Me In, arrangé à la manière de Flatt & Scruggs avec la guitare en fingerpicking, mais avec le swing propre à O’Brien et une belle partie de fiddle de Shad Cobb. Autre chanson de Paxton parfois reprise par les formations bluegrass, I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound est chanté en duo par Tom Paxton lui-même et Celia Woodsmith, accompagné par Della Mae, le groupe de Celia qu’on pourra entendre à Bluegrass In La Roche l’été prochain. La voix de Celia est magnifique sur ce titre. Della Mae accompagne également Cathy Fink (banjo clawhammer) et Marcy Marxer (mandoline) dans All I Want, une compo de Tom et Cathy, intégralement chantée en duo par Cathy et Marcy. C’est un des tout meilleurs titres de l’album avec son tempo rapide et un joli solo de Kimber Ludiker (fiddle). 


 

 

SHADES OF NIGHT 

 

Après Bluegrass 43, les Cactus Pickers, Turquoise, les Banjomaniacs, Sanseverino (j’en oublie certainement), Shades of Night est la nouvelle aventure musicale de Jean-Marc Delon. Shades of Night est un duo formé de Jean-Marc (guitare, banjo) et Marie Sheid (contrebasse). Tous deux chantent. Pour ce premier EP (7 titres), ils ont décidé d’enregistrer dans les conditions de la scène, c’est-à-dire que Jean-Marc ne double pas banjo et guitare sur un même titre. Le répertoire est très orienté bluegrass puisqu’il y a trois compositions de Bill Monroe et deux traditionnels qui sont des classiques du genre. Les arrangements le sont moins parce que Jean-Marc ne joue du banjo que sur un titre. Ma préférence va aux deux morceaux les moins liés au bluegrass, très bien chantés par Marie. Pour Song for a Winter’s Night de Gordon Lightfoot, Jean-Marc, à la guitare, s’est inspiré de l’arrangement de Tony Rice. When You Come Back Down sonne folk, très différemment de la version originale qui est un des rares titres de la discographie de Tim O’Brien où on peut entendre un saxophone. Marie chante également Rocky Road Blues. Avec Jean-Marc elle interprète intégralement en duo I’m Blue I’m Lonesome et Rabbit in the Log. De son côté, Jean-Marc chante When the Golden Leaves Begin to Fall et Ain’t Gonna Work Tomorrow. Cette dernière chanson est la seule sur laquelle Jean-Marc joue du banjo et, personnellement, j’en aurais voulu un peu plus… 


 

samedi 3 mai 2025

Disqu'Airs, par Jacques Brémond

 



Malgré les innombrables propositions d’internet, les clips et la consommation musicale en ligne, il reste heureusement des amateurs de disques exigeants et cela permet la continuation d’une production de CD de qualité, comme ceux du label Bear Family, désormais promus directement en France, comme ces exemples récents:

"The Elvis Presley Connection Vol. 4"

(Sous-titre: 28 Roots and Covers of Elvis Presley)

Pas un jour sans Elvis, pas un mois sans une nouvelle sortie depuis son envol céleste en 1977 ! La réserve semble fantastique et inépuisable, avec un sens du marketing qui n’en finit plus de proposer “l’indispensable” version que tout fana a envie de posséder. Mais, à côté des reprises de concerts et les montages à thèmes, et en attendant une éventuelle résurrection du King (?) on exploite aussi l’entourage esthétique, comme ici avec des versions peu connues de chansons dont il a fait des succès. Comme toujours avec Bear Family, le livret et la mise en sons possèdent les qualités qui réjouissent tout collectionneur. Reste à savoir qui a envie d’écouter les 28 pistes qui ont inspiré le King. Je parie que les fans préféreront souvent la version d’Elvis, mais l’écoute des originaux, ou des interprétations diverses, apporte un intérêt à la fois esthétique (une majorité de belles plages sonores) et historique (ce qu’on écoutait en cette époque souvent mythifiée par l’histoire musicale). Avec, entre autres, les qualités de Jerry Reed, Charlie Rich, Don Gibson, Ray Charles, Conway Twitty, Mac Davis, Bob Luman, Bobby Bare, Mark James, Johnny Tillotson, Neil Diamond etc. Bref, une belle collection de voix et d’artistes majeurs, qui forme un album de fan pour les fans et musicologues curieux, ce qui englobe sans doute une bonne partie de nos amis coyotesques 😏
(Bear Family BCD 17760, 2025) www.bear-family.com


 

 

"On The Prowl With The Wolf"

(Sous-titre: 32 Growling and Howling Tracks with the Wolf, about the Wolf and How to get along with the Wolf! Happy Prowling Everybody).

Le loup porte en soi toute une mystique, de la peur à la fascination, et l’animal (réel ou symbolique) a inspiré bien des auteurs de chansons, et pas seulement pour les enfants. D’ailleurs le “loup est à notre porte” -chanté par Howlin’ Wolf (sic)  aux côtés de Leon Payne, les Maddox Brothers (excellents) Amos Milburn, Ray Harris, Sam The Sham (bien aussi), Bunker Hill, The Anderson Sisters, Elvis Presley (ici avec le moins courant Wolf Call) et bien d’autres artistes, encore connus ou non de nos jours. Trente-deux titres réunis par ce thème (le mot Wolf faisant le lien en étant inclus dans le titre des chansons) qui passent de la séduction de l’animal à la métaphore et servent aussi bien les sentiments de crainte que l’état psychologique des transis d’amour. Une belle idée de thème pour réunir des enregistrements issus de divers labels parfois restés obscurs, mêlant un peu tous les styles (country, blues, rock ’n’ roll des années 50 et 60). Un livret de 26 pages joliment illustrées permet d’apprivoiser les divers aspects esthétiques de l’animal, sans oublier des figurations humoristiques (Tex Avery a marqué plus d’une génération!). Ainsi plus personne n’a peur du grand (gentil) loup quand il pousse son chant, et grands et petits peuvent profiter pleinement de ses échos musicaux! (Bear Family BCD17762, 2025) 

 

"That’ll Flat… Git It! Vol. 49"

(Sous-titre: Rockabilly & Rock’n’Roll from the Vaults of Columbia & Epic Records)

Bear Family n’en finit pas de piocher dans les archives, et de proposer des enregistrements quasi inconnus, comme ici de Bill Craddock, Ronnie Self, Onie Wheeler, Werly Fairburn, Johnny Hicks, ou Charlie Adams et Jim Burgett, des noms qui ne parleront peut-être qu’aux mordus du genre. Certes tout n’est pas aussi prestigieux que les grands aînés restés dans les archétypes du rockabilly, mais cette profusion témoigne d’une belle énergie auprès d’un public qui se déhanche avec une délectation parfois juvénile ou, de nos jours, la nostalgie de son adolescence avec les différents “revivals” qui émergent plus ou moins régulièrement au cours des ans. Ce disque de rockabilly ravivé propose des petites perles moins connues de David Frizzell, Johnny Bond ou Little Jimmy Dickens, à côté des grandes stars comme Johnny Horton, les Collins Kids et bien sûr Carl Perkins. Au total 26 titres dont une majorité mérite une attention bienveillante. Un petit morceau d’histoire sans rides, qui semble hors du temps et qui bouge agréablement. (Bear Family BCD17751, 2024)

"Randy Starr - Presley Style Vol. 1" (35 titres) et "Randy Starr - Presley Style Vol. 2" (31 titres)

(Sous-titre : Lost Elvis Songwriter Demos).

J’avoue qu’à part deux ou trois (très) rares exceptions captées sur des sites spécialisés, je ne connaissais pas ces enregistrements de démos. Là encore, le nom d’Elvis permet de réunir des enregistrements réalisés par d’autres artistes. Si Randy Starr est l’auteur d’une douzaine de compositions utilisées dans les bandes sonores des films du King, et capte légitimement l’attention, ainsi que la majorité des titres répartis sur les deux volumes, on découvre aussi Malcom Dodds, Kenny Karen, Bernie Knee, en compagnie de Mimi Roman, sans doute la plus connue encore aujourd’hui. Une compilation inégale, mais qui ouvre les oreilles sur tout un champ musical moins porté sur le devant de la scène à l’époque de sa création et que les fouilleurs du passé aiment parfois raviver avec bonheur.
(Bear Family BCD 17703, 2024 et BCD 17748, 2025)

 

Quelques disques pour ne pas oublier que la scène est principalement alimentée par des artistes “de chez nous”. En dehors des quelques festivals encore actifs, ils sont la principale source de “musique vivante” en concerts. Il faut donc ne pas les négliger:

WISE GUYS

"Terlingua" 

Ces petits malins (ou mafieux, selon les traductions et le contexte ;-) sont bien de chez nous, et plus particulièrement de Lyon : Phil Tardy (basse) JP Gouillon (guitare électrique) Jack Spiry (guitare, voix) Pierre Bissuel (batterie) Jaco Petot (guitare électrique, voix). Jacques “Spring” Spiry est connu depuis longtemps pour son apport à la radio, ses conseils judicieux de programmation de concerts (on se souvient des rendez-vous Navajo!) et avec Georges Carrier pour quelques années de festivals de Craponne au début du siècle. Avec ses complices musiciens, l’inspiration commune qu’ils ont affichée est celle de Buffalo Springfield, Alejandro Escovedo, Tom Petty, Steve Earle, Jerry Jeff Walker, Nick Lowe, Waco Brothers (sic). Belle brochette d’une sorte d’americana, un temps qualifiée d’insurgent. Les compositions, signées Jacques Spiry, ont le tempo et les thèmes dominants d’une marche dans l’univers d’une Amérique sublimée (rêvée ? en tout cas hors de ses scories actuelles). On a envie de chausser les bottes et saisir sa guitare pour les suivre. Un peu comme le voyage permanent d’une vie régénérée à Austin ou dans quelque chemin désertique menant enfin au patelin paumé qu’est Terlingua. Les images de Paris Texas se mêlent à nos propres errances, entre fantômes et redécouvertes de ces ambiances à fleur de peau. Une évidence partagée qui s’impose avec ses coups de guitares acoustiques dominantes, scandées comme un battement de cœur qu’on retrouve au générique d’émotions simples, claires et vibrantes, comme une poésie populaire. NB: bonus sur le net : The Litany Of Heroes. (soundcloud.com/jswiseguys) 


 

 

Eddy Ray COOPER and THE TRAVELERS

"Live à l’Espass Rognac" 

Pas simple de mener une carrière sur un créneau emprunté par une foultitude de chanteurs et de groupes ! Pour-tant, depuis qu’il participa à Sweet Nashville et sortit son premier album en 1996, Eddy tient toujours le coup, et son public et la scène ! Car il a réussi à maitriser l’essentiel de ces musiques entre rock’n’roll, blues et country, que ce soit en solo ou avec des complices comme ici avec Gil Zerbib (basse, voix) et Roberto Ferrero (batterie, voix). Le combo de base en trio - parangon par excellence du rockabilly - est alors exploité à partir de plusieurs sources: Hank Williams, les Cochran Brothers, Chuck Berry, Johnny Cash et Joe Shelton, à qui Eddy ajoute sa propre signature, son célèbre Limoncello Blues. Bref, un mélange de classiques et de réinterprétations, lancé avec fougue et en public (ce qui, encore une fois, nécessite un bonne tenue face aux amateurs). Un peu de nostalgie, mais sans toile d’araignée, pas mal d’action contemporaine, une fidélité incarnée, de quoi faire résonner longtemps encore des classiques auxquels Eddy s’est fort bien intégré avec la complicité d’un auditoire affectueux. (www.eddyraycooper.com)

 

Dallas KINCAID & DYL

"Surging Out Of The Blue" 

Un album indirectement coyotesque, si l’on considère les critères majoritaires de nos plus de trente ans de publications de chroniques (à l’époque du papier !). Cependant, s’ils ont grandi un peu après nous (moi en tout cas ;-) ces deux musiciens ont écouté plein de choses que nous n’avons peut-être pas détaillées à l’époque. En particulier, il existe toute une frange du rock’n’roll que le magazine Abus Dangereux (“Indie Rock, Pop, punk, hardcore, noise, folk le meilleur de la musique indépendante” (sic) a présentée des années durant et dont nous avions quelques échos parfois grâce à la rubrique des Lone Riders (clin d’œil aux anciens lecteurs du Cri du Coyote). Mais comme c’est parfois “en marge” qu’on affine les paragraphes, le “détour découverte” devrait tenter certains de nos lecteurs les plus ouverts. Les deux amis avouent leurs sources musicales communes : “la maladie (!) Cohen, Bowie et Puccini” ! Les compositions sont de Dallas Kincaid, le reste (arrangements et mixage) a été maîtrisé par Dyl. Jetez une oreille et testez cette réalisation, même si aucun projet de concert n’est annoncé. Et amusez-vous à chercher les noms des “bons gars” derrière leurs pseudonymes, vous ne serez pas dépaysé(e)s. (Masters At Paradise 3/1).  


 

 

Finissons avec un nouvel épisode des grands classiques de notre univers sonore:

 

Les Nocturnes – Georges Lang

(Sous-titre : Best Of Cool & Soft Rock)

Le coffret de 5 CD propose un livret intéressant sur la destinée de la radio des années 70 (les pirates, Europe n°1, Pop Club, Radio-France et bien sûr RTL, l’influence anglo-saxonne jusqu’à la (re)découverte des productions hégémoniques américaines). Il accompagne cette riche compilation. On revisite l’enfance musicale et les moments de vie de Georges, son apprentissage comme animateur, sa voix de confesseur amical, proche de nous, avec une science des enchaînements qui nourrit une expérience toujours enrichie par des nouveautés. Georges a interviewé et fréquenté les plus grand(es) mais ici il s’agit d’écouter une partie de sa richissime discothèque lancée à l’antenne dans “la chaleur de la nuit”. L’appellation Soft Rock est suffisamment souple pour que chacun y accroche sa préférence. On peut consulter sur Internet la liste des auteurs et titres (trop longue à citer ici, 92 pistes !). Même si on n’est plus familier de certains titres historiques, le temps passant, notre mémoire rejoint un forme de patrimoine collectif qui résonne encore, comme une sorte d’inconscient réveillé par cette écoute. On a tous entendu l’essentiel de ces titres et on peut maintenant vraiment les écouter ! Un petit coup de jouvence qui garde sa force d’émotion et donne envie de prendre la route des vacances avec la "radio plein les oreilles”. (Universal/ Panthéon/ RTL). 

© Jacques Brémond