"Your Pal Slim: The Songs Of James Hand"
Qui est plus légitime qu'Ags Connolly pour faire connaître les chansons de James Hand? Personne sans doute, du moins sur le continent européen. Alex "Ags" avait vu James "Slim" pour la première fois en concert à Londres après la sortie de l'album de ce dernier The Truth Will Set You Free! Au fil des années, Ags a revu James à Londres, puis à plusieurs reprises à Austin, à écrit la chanson I Saw James Hand et les deux hommes ont fini par devenir amis, se promettant même d'écrire ensemble. Hélas, James, né le 7 juillet 1952 (le même jour que Sammy Walker, pour ceux qui le connaissent) à Waco, Texas, est décédé dans cette même ville le 8 juin 2020 peu avant d'atteindre 68 ans. James Hand était un peu l'incarnation de ce qu'aurait pu devenir Hank Williams s'il avait atteint 45 ans, l'âge qu'avait Slim à la publication de son premier album. Six disques en studio plus un live parus entre 1997 et 2014 constituent l'œuvre de James Hand (Je vous avais présenté dans Le Cri du Coyote n°132 Mighty Lonesome Man et dans le n°143 Stormclouds In Heaven). Ags a donc puisé dans ces albums onze titres qui constituent Your Pal Slim: The Songs Of James Hand. La plupart des compositions sont des ballades vous tirent des larmes comme In The Corner, At The Table, By The Jukebox, The Pain Of Loving You, Lesson In Depression, My Witness, Over There, That's Frank, You Were With Me Then et My Heart's Been Cheatin' On You. Les chansons plus honky tonk s'appellent Baby Don't Tell Me That, Shadows Where The Magic Was, Midnight Run et Men Like Me Can Fly. Pour enregistrer, Ags a fait appel à une section rythmique britannique (Anna Robinson à la basse et Robert Pokorny à la batterie) et à des musiciens américains qui sont la garantie d'un son made in Texas. Chris McElrath, qui a été le dernier leader du groupe de James, est aux guitares électriques (écoutez son travail d'orfèvre sur Shadows Where The Magic Was ou Midnight Run), et Jake Penrod (James et lui se vouaient une admiration réciproque) à la pedal steel et à la lap steel. La touche féminine est assurée par Beth Chrisman (fiddle) et Bennen Leigh (voix sur Men Like Me Can Fly et mandoline). Toutes deux avaient participé aux derniers enregistrements de Slim et l'avaient accompagné sur scène. Et puis, il y a Ags Connolly avec sa guitare acoustique et surtout sa voix qui, loin de se contenter d'un simple travail d'imitation, parvient à capter et restituer l'émotion que James Hand insufflait dans ses interprétations. Pour conclure, Ags a ajouté un titre bonus, Corner Of My Street, qu'il avait commencé à écrire en pensant à en faire une collaboration avec James, et qui est loin de détonner dans l'ensemble. Si, après l'écoute de Your Pal Slim, vous n'avez pas envie de vous plonger dans la discographie de James Hand ni dans celle d'Ags Connolly (six LP et un EP en studio plus un album live), c'est que la country music authentique n'est pas pour vous.
"Country"
Faire un album country en français ressemble à une gageure. C'est le défi que s'est lancé Baptiste "Walker" Hamon, grand amateur du genre et qui avait pour références des artistes comme David Alan Coe, Johnny Paycheck ou Hank Williams Jr., ou encore Robert Earl Keen qui avait chanté en duo avec lui. Cela étant, depuis des titres comme Van Zandt ou Joséphine, on sait de quoi Baptiste est capable. Pour cet album, sobrement intitulé Country, il nous propose huit compositions originales et deux reprises: Superstar d'Eddy Mitchell et Stewball, version Hugues Aufray / Pierre Delanoë. Doté habituellement d'une écriture plutôt littéraire, notre ami s'est efforcé de coller à l'esprit du genre, avec des mots simples, comme en témoignent J'connais des gens, Oh que j'aime la musique country ou Mes envies de ne rien faire. Cela ne l'empêche évidemment pas d'envoyer parfois des messages assez forts. Le disque s'ouvre sur Fièvre honky tonk avec une guitare (Baptiste Dosdat) qui nous renvoie à Luther Perkins du Tennessee Two (ou Three) de Johnny Cash et une ambiance qui évoque celle des bars enfumés et alcoolisés d'Austin, sur un rythme de two-step. La pedal steel est tenue par Stew Crookes comme sur le titre suivant, J'connais des gens. Dans cette chanson, Baptiste règle des comptes, gentiment, avec des gens qui ne sont pas "pas les mêmes au dehors, au-dedans" et qui "f'raient bien d'se taire, on s'rait pas plus mal pour autant". Oh que j'aime la musique country, avec son allure de valse lente, cite Waylon et Willie, Loretta et Dolly, et constitue une déclaration d'amour à la fois à la musique mais aussi à quelqu'un qui partage ses goûts. Baptiste s'y fend d'un solo de Wurlitzer. Il faut noter noter qu'il parle de musique country et non de country music et prononce country à la française, comme un clin d'œil amusé aux line dancers de l'hexagone. Mes envies de ne rien faire est la dernière chanson avec pedal steel où les chœurs de Lonny Montem, Boris Boublil et Baptiste ajoutent la nonchalance nécessaire à cette invitation à la paresse. Viennent ensuite (Je ne deviendai jamais une) Superstar et Arrêter de faire semblant (mon titre favori du disque avec J'connais des gens) qui ont pour point commun la la recherche de l'authenticité et le refus des compromissions. Et tant pis pour la gloire facile et éphémère! Dans sa composition, Baptiste cite deux de ses modèles, son grand-père vigneron (à Chablis) et sa mère danseuse, qui ont su lui éviter la tentation de la grosse tête. Pour exprimer ce qu'est l'amour et Rabbit pâté sont différents du reste de l'album, avec un son plus folk-rock que country. Dans Je ne suis pas Georges Moustaki (et "je ne suis pas Clara Luciani"), les claviers jouent un rôle prépondérant. Mais les yodels auxquels Baptiste s'essaie avec succès à la fin nous ramènent au sujet du disque. À titre personnel, je reçois le choix du dernier titre, Stewball, comme un beau cadeau. Cette chanson m'avait ému quand j'étais gamin, il y a près de soixante ans, et me touche toujours autant. L'amour de la musique a guidé Baptiste Hamon tout au long de la genèse et de la réalisation de Country et lui a permis de faire un album de musique country français, sans faire appel (à part la pedal steel sur trois titres) aux instruments traditionnels du genre. Chaque note révèle le plaisir pris par l'artiste au cours de l'enregistrement.
"Borned In Ya"
Melissa a tiré le titre de son nouvel album, Borned In Ya, d'une citation de Ralph Stanley qui affirmait, à propos du bluegrass, "I don't think you can get this sound unless it's borned in ya". Ici, il n'est pas question de bluegrass, mais bien de la musique américaine de l'après-guerre (la deuxième guerre mondiale) jusqu'au début des années 1960. On rencontre le rock (Borned In Ya), la country music, le rhythm & blues, la grande variété (I Don't Love You Anymore) et toutes ces musiques qui ont influencé Melissa au cours de sa vie, avec cet aspect jazzy si caractéristique de l'époque. Sur les douze titres, il y a dix compositions de Melissa (parmi lesquelles cinq co-compositions, dont trois avec son amie Brennen Leigh). Les deux reprises sont tout à fait représentatives de l'esprit de l'album. That's My Desire a été interprété aussi bien par Frankie Laine qu'Eddie Cochran en passant par Patsy Cline et Louis Armstrong. Quant à Every Time We Say Goodbye (de Cole Porter), on n'en compte plus les versions: Ella Fitzgerald, Ray Charles, Sarah Vaughan, John Coltrane, et, plus récemment, Simply Red, Annie Lennox, Carly Simon, Diana Krall et Lady Gaga. Tout cela, combiné avec des compositions personnelles comme Evil Eva, There'll Be Another One, Somewhere Between Texas And Tennessee ou Let's Stay Single Together, aboutit à un album réjouissant où la voix acidulée de Melissa (qui a délaissé sa contrebasse au profit de Dennis Crouch) est particulièrement en valeur. Quand on sait que Miss Carper est ici accompagnée de musiciens (Jeff Taylor, Chris Scruggs, Chris Geld, Jenni Mori, Billy Contreras, Rory Hoffmann…) et de vocalistes (Kishona Armstrong, Nickie Conley, Maureen Murphy, Sierra Ferrell, Larry Marx) de haut niveau on ne peut nourrir aucune inquiétude quant au résultat. J'ajouterai une mention spéciale à Rebecca Patek, pour les arrangements de cordes, et à Doug Corcoran, pour les saxophones et la trompette, qui donnent à Borned In Ya sa couleur musicale, à la fois moderne et surannée, si particulière.
"River Of Tears"
Surrender Hill (n° 146), Tore Down Fences (n° 157), A Whole Lot Of Freedom (n° 167), Just Another Honky Town In A Quiet Western Town (Du Côté de Chez Sam, avril 2022) ont eu les honneurs du Cri du Coyote. Vous ajoutez Right Here Right Now (2018) et Honky Tonk (2019) et, avec River Of Tears, vous aurez la discographie compète du duo Surrender Hill, composé de Robin Dean Salmon et son épouse Afton Seekins. Comme son prédécesseur qui était un double album (24 titres), ce nouvel opus est copieux (16 titres) et toujours aussi inspiré. Robin et Afton ont co-composé l'ensemble et se partagent les vocaux. Surrender Hill est toujours dans la lignée d'un certain Tom Russell, tant pour le timbre de voix de Robin que pour la qualité et l'inspiration des compositions. L'ensemble peut être qualifié de country rock, teinté de soul (notamment grâce à la voix d'Afton). Après un détour vers le honky tonk et le western, Surrender Hill a remis un peu de rock dans ses ballades country, avec des guitares qui savent se faire plus électriques, celles de Mike Waldron (guitares lead et baryton), Jonathan Callicutt (guitare électrique) et Robin Salmon (guitares acoustique et électrique et dobro). Le groupe est complété par Matt Crouse (batterie et percussions), Drew Lawson (basse) et Mike Daly (pedal steel et dobro) avec quelques invités: Eric Fritsch et Kevin Thomas (Hammond B3), Kris Krunk (orgue) et Dwight Sanford (harmonies sur End Of The Line). Des titres comme Rent Is Due ou Palomino (chantés par Robin) ou Get Out Your Own Way et Unconditional Life (chantés par Afton) brillent particulièrement mais il est impossible de trouver un moment faible dans ce septième album du groupe. De River Of Tears à Angel, The Devil, And Me, en passant par In Our Time et That Kind Of Living, ou encore le plus sombre Cry Baby, on ne compte pas les moments de plaisir que nous procure le duo, qu'il nous conte des romances d'amour ou de petites histoires ordinaires, optimistes ou nostalgiques. Il le fait de telle manière qu'on est vite conquis. Pour ma part, je le suis depuis près de dix ans, et je suis près à signer pour une décennie supplémentaire.
"Maybe New Mexico"
Après deux disques en 2023, Landmarks et Beautiful December (un EP de saison), Helene Cronin nous offre un nouvel album, Maybe New Mexico (enregistré à Nashville). De sa voix chaude et sensible, elle interprète douze nouvelles compositions qui confirment qu'elle appartient bien à la catégorie fermée des songwriters de talent. Elle a écrit deux titres seule (Power Lines et Rifleman) et quatre avec Scott Sean White, un confrère et ami qui mériterait d'être lui aussi mis en lumière (Maybe New Mexico, People, Not The Year et Maker's Mark). Helene a ce talent de savoir mettre en chansons des histoires d'amour et de cœurs brisés, de guerre et de paix, de vie et de mort, de raconter des choses simples en les posant sur des mélodies, tout simplement. Qu'elle nous emmène du côté d'Albuquerque (Maybe New Mexico) ou de la Suisse (Switzerland), on la suit sans hésiter. Elle peut chanter la vie (Dear Life, avec un bel accompagnement de piano), évoquer Dieu (God Stopped By) ou l'homme (Ain't That Just Like A Man) en se posant comme quelqu'un qui sait observer ce qui l'entoure et le retranscrire avec des mots et des notes. Autour d'elle, les musiciens savent se mettre au diapason. Bobby Terry (guitares acoustiques, dobro, steel guitar, mandoline), Matt Pierson (basse), Paul Eckberg (batterie), Charlie Lowell (piano, claviers, Hammond B3), Melodie Chase (violoncelle), Caitlin Anselmo et Matt Singleton (voix), tous sont parfaitement à l'unisson avec, comme maître d'œuvre le producteur Mitch Dane (qui ajoute claviers additionnels, percussion et programmation).
"Rural Notes"
Il y a bien longtemps (depuis 2018) que je n'avais pas eu l'occasion de parler de Mark Brine, artiste originaire du Massachussetts et établi à Nashville, qui a déjà plus d'un demi-siècle de carrière derrère lui. Si sa renommée est restée relative, il a quand même quelques faits de gloire comme celui d'avoir chanté au Grand Ole Opry, introduit par Hank Snow. Surnommé le New Blue Yodeler, il revendique comme influences principales Jimmie Rodgers et Hank Williams dont il est un héritier légitime, toujours proche d'une tradition folk qu'il sait enrichir de jazz et de blues et continue à défendre sur scène alors qu'il vient de fêter ses soixante-seize ans. Dans les douze compositions (dont le délicieux et sautillant Bouncin' In The Buggy coécrit avec Douglas Atkin) de ce nouvel opus, Mark raconte ses petites histoires comme lui seul sait le faire. Il dresse des portraits pleins de tendresse, comme Farm Girl ou Jessica Blue. Il rend hommage à des artistes qui l'ont inspiré dans The Ballad Of Fiddlin' Sid Harkreader, un violoniste old-time qui a fréquenté lui aussi le Grand Ole Opry, ou encore The King Of Basin Street (A Tribute) qui évoque King Oliver et son Creole Jazz Band qui a compté en ses rangs Louis Armstrong et Lillian "Lil" Hardin, tous deux nommés dans la chanson. Je pourrais encore citer Everything's Gonna Be Alrite et Your World, Squirrel, aux textes personnels, ou encore Delta Moonlit Sky. Pour maintenir la tradition, il y a Moo-nlite Yodel (dont le titre se suffit à lui-même) et, pour clore l'album, une chanson à connotation religieuse, New Jerusalem. Mark est entouré pour Rural Notes par Brian Whaley (fiddle et violon), George Kost (steel guitar) et son fils Kev Brine (basse et claviers) avec en plus, pour King Of Basin Street, Gregory Thompkins (saxopone) et Jim Orr (piano).