"This Far South"
Que faire quand on s'appelle Prine et que John, le père disparu trois ans plus tôt, était un des artistes les plus révérés et aimés de la scène musicale de Nashville et d'ailleurs? Simplement, assumer son nom et se faire un prénom. C'est en tout cas le choix fait par Tommy Prine qui publie son premier disque, This Far South, dans un style qui n'appartient qu'à lui. Elohim ouvre le bal. C'est un nom hébreu pour désigner Dieu et, sans ambage, Tommy l'annonce: "Et je déteste cette partie de moi / Mais je ne crois pas en ce que je ne peux pas voir", comme un façon d'avouer ses faiblesses, les addictions qu'il a eu à surmonter. Il affirme ensuite: "Je ne crois pas en Dieu ou en Elohim / Parce que ce sont ceux que je n'ai jamais vus", comme pour exprimer la colère d'avoir perdu son père, mais aussi des amis, à cause du COVID, mais aussi de certaines dépendances. L'approche de ce titre est très rock, avec notamment la guitare électrique de l'excellent Sadler Vaden, brillant à chaque intervention. Il est à nouveau question des démons passés dans la chanson This Far South: "J'ai choisi, l'habitude que j'abandonne / La descente est épuisante / Je pense que j'ai besoin d'aide… Je pense que je mérite un peu de repos". By The Way est un hommage manifeste au père perdu avec cette conclusion: "Au fait, les gens disent que je te ressemble". Tommy évoque aussi les rendez-vous manqués: "J'aurais aimé rester et déballer tous mes sacs / Tous les moments qui me manqueront toujours / Sont les moments que nous n'avons jamais eus". Letter to My Brother est un hommage acoustique à un ami perdu à cause de la dépendance, mais aussi à la famille et aux amis qui soutiennent les toxicomanes lors de leurs pires moments. On rencontre ici également une référence à Sam Stone. Toutes les chansons ne sont cependant pas sombres, et à côté de Crashing Again, il y a Reach The Sun, le réjouissant Mirror And A Kitchen Sink (où Juliette et Roméo se rencontrent à un rodéo), Cash Carter Hill, et I Love You, Always, chanson d'amour à son épouse Savannah, qui clôture l'album. This Far South, après une ou deux écoutes pour oublier que Tommy n'est pas la réincarnation de John Prine, apparaît comme un disque brillant, avec des mélodies qui s'incrustent vite en nous. Les textes font réfléchir et la voix de Tommy, un peu plaintive, révèle beaucoup de qualités. Une équipe d'amis entoure avec bienveillance le jeune Prine. Gena Johnson et Ruston Kelly sont à la production. Le second nommé a coécrit Crashing Again et Some Things et joue par ailleurs de la guitare acoustique et du banjo. Outre Sadler Vaden, déjà cité, et ses guitares, on trouve également Fred Eltringham (batterie), Jarrad K (claviers), Tim Kelly (pedal steel) et Zach Casebolt (cordes). Avec l'oncle Billy (petit frère, grand par la taille, de John) et Tommy, le nom de Prine n'a pas fini de résonner du côté de Nashville.
"Weeds"
Derrière The Pawn Shop Saints se cache le prolifique songwriter Jeb Barry qui nous envoie régulièrement une carte postale de Nouvelle Angleterre. Après Texas, etc… (double CD, 2018), Ordinary Folks (2020), Ride My Galaxy (2022), voici Weeds que Jeb définit comme l'album folk du groupe. C'est un disque de treize chansons, marquées (comme pour les deux albums précédents) par la pandémie, qui parlent de faits et de personnes avec beaucoup d'émotion sans pour autant sombrer dans la tristesse gratuite. Plusieurs chansons ont été écrits en hommage à John Prine comme Twine, rédigée le lendemain de la mort de John. Quelques titres évoquent clairement cette période de confinement si durement ressentie: Generation Lockdown, The Covid Unit, Miss June. D'autres chansons évoquent simplement les amours perdues (Preacher, All Girls Break Heart), alors que James est une critique de l'attitude égocentrée, le moi d'abord, si fréquent dans la société actuelle. The War et Memorial Day sont à l'évidence des titres liés (écrits d'ailleurs à vingt-quatre heures d'intervalle) qui décrivent le traumatisme des guerres pour ceux qui ont survécu tout en s'interrogeant sur ce qu'aurait été l'avenir de ceux qui n'ont pas eu la chance d'en avoir. Pour un peu plus de légèreté, Jeb a ressorti un vieux titre (Baby Got Drunk) et un autre (Chelsea Off My Mind, le premier du disque) influencé par Big Star et le power pop. Cet album, à la tonalité majoritairement acoustique, est une belle réussite, où spontanéité et émotion dominent. Jeb (voix, guitares, basse, banjo, harmonica, orgue) est accompagné par Josh Pisano (batterie, percussions, voix), Michael O'Neill (guitares, voix), Amy Attias (fiddle) et Tony Pisano (accordéon).
"Ain't Through Honky Tonkin' Yet"
S'il fallait citer tous les disques auxquels Brennen Leigh a participé, cette rubrique ne suffirait pas. Que soit en solo, en duo, au sein d'un groupe ou en simple invitée elle a exploré tous les recoins de la musique américaine aux racines traditionnelles: old-time, folk, bluegrass, country, aucun domaine ne lui est étranger. Elle a chanté la Carter Family avec Antique Persuasion, Lefty Frizzell en solo, a joué un rôle important auprès de la Carper Family et de Melissa Carper, de Charley Crockett, a fait un disque de duos country avec Jesse Dayton, a enregistré des disques en duo avec Noel McKay, a prêté sa voix à Rodney Crowell, James Hand, Robbie Fulks, Jim Lauderdale, John Lilly. Son dernier opus, Obsessed With The West, dédié au western swing faisait appel à Asleep At The Wheel. Ain't Through Honky Tonkin' Yet, le titre de son nouvel album, dit tout sur son contenu. Tout? Pas tout à fait parce qu'il n'est en rien révélateur de la qualité du contenu. C'est un disque hors du temps, qui nous ramène aux racines du genre et qui aurait aussi bien pu être enregistré il y a cinquante ou soixante ans. Merle, George, Lefty, Buck, George et quelques autres doivent se retourner de plaisir dans leurs tombes en entendant Mississippi Rendezvous, The Bar Should Say Things, I Ain't Through Honky Tonkin' Yet, When Lonely Came To Town, Every Time I Do, ou encore Somebody's Drinking About You. Rien que l'énoncé des titres fait rêver les amateurs du style honky-tonk, les ballades évoquant les cœurs bisés alternent avec des morceaux plus enlevés, et il y a même un truck song, Carole With An E. Cet album est parfait de bout en bout et se place tout en haut de l'œuvre de Brennen qui a su, comme d'habitude, parfaitement s'entourer. Chris Scruggs est à la production et aux guitares et de grands noms viennent prêter leurs talents, parmi les lesquels Marty Stuart (mandoline), Aaron Till (fiddle et guitare), Tommy Hannum (excellent à la pedal steel et au dobro), Micah Hulscher (piano). Côté voix, il faut noter la présence de Rodney Crowell. Ain't Through Honky Tonkin' Yet nous offre douze pépites à garder précieusement du côté du cœur, y compris Throwing Away Precious Jewels, ce qu'il faut évidemment se garder de faire. À noter également que pour l'écriture, Brennen a travaillé avec Silas Lowe, Tessy Lou Williams, John Scott Sherill, Mary Bragg, Mallory Eagle, Seth Hulbert (le partenaire de ses débuts), Noel McKay, Erin Enderlin et Thom Schuyler. Excusez du peu.
"New Old Friends"
J'ai découvert Daniel Boling il y a dix ans avec Sleeping Dogs, chroniqué dans le n° 137/138 du Cri du Coyote. Depuis, je n'ai manqué aucune de ses aventures musicales entamées en 1999 avec Perfectly Stable. Pour sa dernière publication, Live At The Kitchen Sink, j'avais écrit (Le Cri du Coyote n° 158) à propos de la chanson Leadbelly, Woody & Pete: "Daniel aurait pu ajouter Tom Paxton à la liste car c'est sans doute de lui qu'il se rapproche le plus". Prémonition? Daniel et Tom se sont en effet rencontrés à un séminaire de songwriters dans le Colorado en 2022 et le courant est tellement bien passé entre eux qu'ils ont décidé d'écrire des chansons ensemble (à distance, par Zoom). Le résultat est le bien nommé New Old Friends (Daniel écoutait déjà Tom avec sa mère et ses sœurs quand il était encore un petit garçon), fort de quinze titres coécrits par les deux hommes (dont un, We Can Still Waltz, avec Noel Paul Stookey). La collaboration ne s'arrête pas là car Tom Vient chanter sur cinq titres: Get A Life!, Old Friends, This Town Has No Café, Red White And Blue et Turn The Corner. Get A Life!, premier titre de l'album, cite John Prine (à deux reprises, Spanish Pipedream et In Spite Of Ourselves) et A.P. Carter (Keep On The Sunny Side) et nous invite à ne pas oublier de vivre. Old Friends évoque un ami ancien prénommé Red. How Did You You Know? évoque en filigrane la rencontre de Tom et Midge Paxton (comment savais-tu que c'était moi?) mais peut aussi décrire ce qui est arrivé à chacun d'entre nous. À propos d'amour durable, Daniel adresse à son épouse Ellen une lettre pleine de tendresse, Of You And Me. Ailleurs, il est question du vieillissement avec We Can Still Waltz (mais plus question de danser le Jitterburg). Il y a aussi les chansons qui invitent à réfléchir comme The Quiet Ones (ce ne sont pas ceux qui parlent le plus fort qui ont le plus à dire) et Leaving Afghanistan (personne n'avait envie d'y aller, pas plus que de rendre le pays aux talibans). Ce titre prend une couleur particulière avec l'accordéon et le tin whistle de Char Rothschild. Ailleurs, c'est le banjo de Jeff Scroggins (Get A Life!, My Hick Pickup, This Town Has No Café) ou le piano de Jason Crosby (How Did You Know?, Red White And Blue) qui donnent le ton. The Missing Years (rien à voir avec l'album de John Prine, c'est une une évocation de la pandémie que toute le monde n'a pas traversée de la même manière) a une facture folk plus classique comme The Quiet Ones (avec la participation de Jono Manson qui coproduit l'album avec Daniel) et plus encore Turn The Corner, enrichi par l'harmonica de Michael Handler: "Lotta folks have been ramblin' / Gotta wonder where they've gone / And I feel like I wanna ramble on". Cette nouvelle parution du label Berkalin Records est encore une belle surprise, une invitation à découvrir ou redécouvrir un folk mélodique produit sous le sceau de la simplicité, de celle que l'on n'atteint qu'à force de travail et de talent.
"Stars Enough To Guide Me"
On connaît davantage Jono Manson comme producteur et musicien, à l'image d'Eric "Roscoe" Ambel d'ailleurs présent ici sur deux titres. Mais, comme lui, il est aussi un songwriter et un chanteur et il le démontre de belle façon au long des onze titres de Stars Enough To Guide Me. Pour l'écriture, Jono s'est associé à Caline Welles (No New Kind Of Blue, Alone), Kevin Trainor (The Last Man Shot In The War, Before We Get Stupid, Late Bloomer) et George Bacon (Make It Through To Spring) et s'est débrouillé seul pour les cinq autres titres. Excellent aux guitares, Jono se tire bien d'affaire vocalement, parfois en duo avec John Popper (pour l'excellent et entraînant No New Kind Of Blue), Trevor Bahnson (Timberline), David Berkeley (Alone) et Crystal Bowersox (Before We Get Stupid). Eliza Gilkyson vient chanter quelques harmonies sur The Last Man Shot In The War et Late Bloomer. Parmi les musiciens présents, Jon Graboff (pedal steel, guitares, mandoline) et Jason Crosby (claviers) sont les plus notables, ainsi que Paul Pearcy et Mark Clark (batterie), Sally Van Meter (dobro), alors que Ronnie Johnson assure les parties de basse. Avec Stars Enough To Guide Me, Jono Manson, établi à Santa Fe, a voulu faire un disque qui soit un peu un résumé d'une carrière qui dure depuis quatre décennies. Les étoiles se sont parfaitement alignées et permettent à Jono de parcourir avec succès de vastes territoires qui on ont pour nom blues, folk, country, soul et rock, sans un instant de faiblesse, avec beaucoup de musicalité et une passion intacte.
"Sweethearts: A Tribute To The Byrds Sweetheart Of The Rodeo"
Si mon regretté ami Joe Phillips ne m'avait pas fait connaître Christian Parker dont il avait publié un album live sur son label WildCat Recordings, je n'aurais jamais entendu parler de cet Américain qui a déjà pourtant une belle carrière derrière lui, avec notamment six albums en studio à son actif. Pour Sweethearts, Christian a laissé de côté son activité de songwriter pour rendre hommage aux Byrds et à leur légendaire album Sweetheart Of The Rodeo. Au départ, son idée était d'enregistrer un disque hommage couvrant l'ensemble du répertoire du groupe. Une rencontre avec Earl Poole Ball, l'enregistrement de Life In Prison avec lui, et l'idée est venue aux deux hommes d'enregistrer l'ensemble de Sweetheart Of The Rodeo (auquel Earl Poole avait contribué). Par l'intermédiaire du pedal steel gutariste Gary Jacob, très impliqué sur le projet, JayDee Maness (autre ancien partenaire de Gram Parsons) est venu participer pour quelques titres. Un troisième as de l'instrument, Tracer James, jouant sur cinq titres, il est inutile de préciser que la pedal steel se tire la part du lion sur ce remake. Le violon de Jennifer Kessler, le fiddle de Liesl Doty, la mandoline de Danny Gotham répondent aussi parfaitement au piano d'Earl Poole Ball et à la guitare et la voix de Christian Parker. L'album aurait déjà été excellent s'il s'était contenté de reprendre les titres originaux, de You Ain't Goin' Nowhere à Nothing Was Delivered, mais les co-producteurs, Parker & Ball, ont eu la bonne idée d'ajouter trois titres qui collent parfaitement à l'ensemble: I Still Miss Someone, placé entre Pretty Boy Floyd et Hickory Wind, ainsi que Satisfied Mind et Drugstore Truck Driving Man, en fin de disque. La surprise est belle et inattendue et ce n'est pas tout car le disque hommage à l'ensemble de l'œuvre des Byrds est quasiment prêt et devrait paraître au printemps prochain.
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