"Living In A Song" (2023)
Ceux qui connaissent le superbe Yonder enregistré par Jerry Douglas et Peter Rowan en 1996, et qui se sont mangé comme votre serviteur le duo magique au festival country de Craponne sur Arzon, savent que la formule du duo dobro-guitare forme un combo très polyvalent, ancré dans la modernisation conjointe du country-blues et du hillbilly des années 1930. C’est cette plasticité impressionnante qui ressort de l’album. Si on avait pu mesurer le niveau instrumental cosmique du duo à La Roche sur Foron dans un idiome Bluegrass et Newgrass, ici, le répertoire explore avec succès une grande variété de styles, enrichis par la présence posée et pertinente de fiddle, de percussions, et même d’accordéon diatonique sur un titre zydeco. C’est l’album idéal à offrir aussi bien au novice qu’au compulsif. Il y a tout là-dedans. Une ballade où Trey Hensley évoque vocalement Merle Haggard, du blues rock, une version au drive dingue de Way Downtown, du country blues. Si on trouve du bluegrass et du hillbilly dans le panel, force est de constater que l’objet devrait séduire au-delà du "milieu" tant sa qualité est massive et subtile. Intemporel, personnel et accessible : la virtuosité n’écrase jamais par son exubérance les chansons. Si Trey Hensley n’est pas un chanteur lead spectaculaire, il a plus le timbre et les intonations d’un bon chanteur country actuel, le résultat est plus que convaincant. C’est chaud, attachant, diablement riche. Comme un goût d’indispensable. (Éric Allart)
"Glorieta" (2023)
Depuis la dissolution de Eleven Hundred Springs, le chanteur lead Matt Hillyer trace son chemin avec une intégrité qui force le respect. L’homme a réussi à combiner une forte personnalité, à savoir un style immédiatement reconnaissable, avec un sens de la modernité toujours appuyé sur une maitrise parfaite des fondamentaux. J’aime sa voix: haute, claire, puissante et sans artifices. Les mélodies sont riches et vont parfois taper dans le folk-rock des années 70. La formule orchestrale est dépouillée sans être minimaliste: on appréciera le mixage des back-ups de fiddle, instrument roi du CD avec la toujours réjouissante lead guitar de Matt, encore chargée de plans rockabilly qui twanguent comme il se doit. On se délectera des touches tex-mex, et de l’hommage à Buddy Holly sur Stolen Kisses. C’est bougrement roboratif et c’est le genre d’opus qui pourrait foutre définitivement la honte au mauvais pop-rock surproduit de Nashville. Mais pour cela il faudrait avoir du goût et des oreilles. Cet album ne contient pas que de la musique: il est plein d’images. Il réjouit aussi bien les oreilles que l’imaginaire. (Éric Allart)
Collectif de la Mellon/ACLS Community College Faculty Fellowship
"We are for Egypt" (2022)
Voici un drôle d’objet qui m’a été offert par Camille Moreddu dont nous avons ici même présenté le travail universitaire d’ethno- musicologie sur les pas de Sidney Robertson. Il s’agit d’un projet d’enregistrement dans le sud de l’état de I’Illinois de plusieurs artistes locaux investis dans les musiques traditionnelles. Pas un conservatoire folk au sens strict, mais un rassemblement de dix titres interprétés par des formations très diverses où le contemporain voisine le plus archaïque. Ces gens sont professionnels, semi-pros ou amateurs et l’on est bien forcé de reconnaitre le niveau élevé de l’ensemble: ça chante, ça joue et, cerise sur le gâteau, la qualité de l’enregistrement à Carbondale, université du sud Illinois, n’a rien à envier aux studios des majors. Le menu est constitué par des blues ruraux de Rip Lee Pryor, du old-time, de la country music de bonne facture (Miss Jenny and The Howdy Boys). On trouve une chanson hispanique chanté en espagnol (Somos Igual par Regina Zavala), mais le plus émouvant est la version en français de La Guillannnée l’héritage médiéval le plus fascinant des chansons de jour de l’an telles que pratiquées encore à l’instar du Mardi Gras cajun où les convives font le tour des maisons pour demander la charité. Camille Moreddu a retrouvé sur place des descendants de colons français qui la pratiquaient encore de façon phonétique sans en comprendre tout à fait les paroles. Camille a intégré le groupe et donne à ce petit bijou une saveur particulière. Hors des circuits commerciaux, mais illustrant ce qui se pratique à l’échelle locale, voici de quoi documenter de façon attachante le corpus actuel de ce qui constitue cet objet mal défini que l’on nomme parfois americana. (Éric Allart)
"Blues sur Paname" (Autoproduit, Kebra’s Records, 2021)
Nous sommes sûrement nombreux à avoir été émus, à l’aube des années 90, par les premières minutes de l’album Osez Joséphine, d’Alain Bashung qui, entre quelques splendeurs légitimement mises en lumière par les médias nationaux, débutait par J’écume, un blues épais sur lequel le chanteur mythique déroulait, de sa voix unique, un texte surréaliste et habité. C’est à peu de choses près le même frisson qui parcourt l’échine de l’auditeur qui pose sur sa platine le tout nouvel album de Fab Zoreil, Blues sur Paname, opus épais qui voit ce dernier, guitariste chanteur auteur compositeur, poser ses textes inimitables, souvent surréalistes sur un canevas tour à tour bluesy, rock et reggae. Pas de doute: la french touch est là, tatouée sur des vocaux écorchés et passionnés, et la guitare prolonge la voix de son maître, jamais dans la démonstration mais bien dans une sculpture sonore que ne renierait pas Neil Young servi par son Crazy Horse des dernières années. La signature sonore est d’autant plus personnelle que c’est en duo guitare électrique / batteur que le répertoire est ici défendu, ce qui laisse judicieusement beaucoup d’espace sonore pour orner le chant déclamatoire de ces textes rageurs volontiers subversifs, dont Higelin ou Bohringer ne renieraient sûrement pas la filiation. Cette "chanson rock et blues sans concession" ravira ceux qui préfèrent aux courants mainstreams le danger des chemins escarpés et exigeants, tel que ceux creusés ici par Fab Zoreil, guitariste chanteur vagabond, qui aura recueilli ses influences de Lyon à Paris, en passant par la Réunion, et son fidèle et exemplaire batteur Olivier Hurtu. Jetez une oreille au crescendo intense de The Devil, entrez dans la transe des Vieux Chicots, et pleurez sur Ma Chanson. Fab Zoreil sert ici admirablement un propos original, sur la fond comme sur la forme, dont la sincérité et l’exigence signe la marque des vrais artistes. (Jean-Christophe Pagnucco)
"L’inutile et l’agréable" (Autoproduit, L’inutile et l’Agréable, 2022)
Musicien depuis 20 ans, le chanteur guitariste auteur-compositeur parisien Hervé Lechâble publie ces jours-ci son tout premier album, L’inutile et L’agréable, dont le packaging est aussi élégant et chaleureux que son contenu. En 13 vignettes d’une chanson française acoustique et délicate, laquelle repose sur l’habile et harmonieux picking du maître de maison, Hervé Lechâble nous emmène doucement dans un univers personnel où un blues jazzy et chaleureux (Mon vieux veston, L’entendrez-vous?) habille une belle poésie surréaliste (Un éléphant dans la cuisine, Chats toujours), pour des compositions toujours surprenantes et rassurantes, comme les vignettes des jours passés dont la chaleur ressurgit pour gonfler le cœur dans les instants de doute (Rennes, je reviens et son accordéon enveloppant). Dans L’inutile et L’agréable, le blues et la chanson font bon ménage (Harmonica Blues, Susie Blues, L’entendrez-vous?) et convoquent avec élégance et révérence le fantôme de Nino Ferrer (J’ai tant rêvé de vous) et des heures tardives du duo Dutronc / Lanzmann (L’idiot) pour inaugurer une œuvre originale dont on attend avec impatience les prochains édifices. À écouter absolument. (Jean-Christophe Pagnucco)
"True" (WNL Production, Kebra Records, 2023)
Le timbre vocal unique de Justine Blue, de même que le cachet personnel et puissant ses compositions, saisissent dès les premiers instants de cet opus, True qui, après un EP et plusieurs singles, chacun très remarqués dans le microcosme bluesy français, fait paraître ces jours-ci ce premier album riche de 13 titres dont 11 compositions originales qui, fait suffisamment rare pour être remarqué dans le production dite blues en hexagone, le sont réellement. Comme son nom l’indique, True est placé sous le signe de la sincérité, et permet de saisir, en si peu de notes, davantage de la personnalité de cette chanteuse talentueuse et inclassable, même si l’on devine des influences qui l’ont marquée sans jamais la museler. Après avoir été remarqué au Tremplin Blues sur Seine, avoir foulé les scènes canadiennes, la chanteuse montpelliéraine, propose une œuvre d’un rare aboutissement, aux effluves blues (Bye Bye Big Blues), classic soul (Talk About It) et jazzy (What Am I To Do), New Orleans (Rock Me Baby) ou plus généralement americana (It Makes Me Feel All Right) au service de textes profonds et parfois engagés (comme le bouleversant Fallin, sur les accidents de vie entraînant vers le fond). Au rayon des reprises, elles-mêmes sont un manifeste au rythme, au métissage, au groove omniprésent des influences comme des créations, puisque se succèdent Willie and the Hand Jive, de Johnny Otis revu et délicieusement corrigé par le marqueur laid back du mythique album 461 Ocean Boulevard d’Eric Clapton, et Yellow Moon, l’hymne voodoo des apôtres louisianais que sont les Neville Brothers, évadés des Meters pour retrouver leur chemin dans la voix envoûtante de Justine Blue. Les arrangements sont inventifs, le jeu des musiciens époustouflants… Gageons que le train du succès est sur les rails pour une véritable artiste, dont ce bel album est le plus beau véhicule pour la révéler au monde. À écouter absolument. (Jean-Christophe Pagnucco)
"¡ Ocho !" (El Tio, La Fugitive, Kebra Records, 2023)
Le 8ème album de Tio Manuel, fièrement intitulé ¡ Ocho !, déboule dans les bacs (et sur ces maudites plates-formes) pour célébrer ce printemps 2023 en fanfare, et reprendre le propos exactement là où il l’avait laissé avec 7th Road, précédent effort remarqué et salué par la critique. Toujours très personnel, le répertoire ici proposé est au métissage, l’anglais percutant l’espagnol pour ce bouillant guitariste chanteur francophone mais qui, culturellement, a intégré le melting pot propre au courant americana dans ce qu’il offre de plus intéressant. Si la couleur musicale globale, baignée d’influences blues, n’est pas sans évoquer les dernières heures de Tom Petty & The Heartbreakers, la voix, détachée à souhait, la guitare saignante, l’orgue et les chœurs, nous rappelle que le plus beau véhicule d’un artiste interprète reste ses chansons, dont la qualité détermine beaucoup de choses. Le Voyage, au propos "kerouacain" en diable, évoque Neil Young, The Moment, le précité Tom Petty, Heading to Sorbas voit convoquer le fantôme de Link Wray, Box of Pictures ne serait pas renié par Van Morrison, tandis que Buckets of Rain est habilement emprunté à Bob Dylan, qui doit être étonné que ce petit titre enfoui à la fin du copieux Blood On The Tracks soit devenu un véritable standard folk blues. A l’évidence des influences répond néanmoins la réussite éclatante dans la construction de ce répertoire qui, justement, n’est ni évident, ni éculé, et demeure diaboliquement personnel. A se procurer, à écouter, à savourer et à applaudir en concert: Tio Manuel a bien des choses à dire et bien des routes caillouteuses à sillonner. (Jean-Christophe Pagnucco)
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