"Snow White Memories"
Cri du 💚
Après avoir composé pour les autres (Ricky Skaggs, Alan Jackson, Trisha Yearwood, Loretta Lynn, Rhonda Vincent, Claire Lynch, …) et tenté une carrière solo dans la musique country, Irene Kelley a commencé à enregistrer des albums bluegrass il y a dix ans (Pennsylvania Coal, Le Cri du Coyote n° 140). Snow White Memories est son quatrième disque bluegrass et c’est le troisième à être Cri du Cœur. Irene a écrit dix des onze chansons, certaines avec d’autres songwriters de renom (Ronnie Bowman, Donna Ulisse), d’autres avec sa fille Justyna. Certains textes (Six Feet Down, Safe Travels My Friend) sont d’autant plus prenants que la voix d’Irene Kelley est naturellement émouvante. C’est une interprète délicate et elle s’est en plus entourée de chanteurs de choix pour les harmonies vocales: Trisha Yearwood, Ronnie Bowman, Darin & Brooke Aldridge, ses deux filles, ou tout simplement elle-même sur la ballade 4th of July In My Hometown (rien que le titre fleure bon le story telling country ou bluegrass). Pour couronner le tout, Irene est accompagnée d’une pléiade de musiciens tous meilleurs les uns que les autres. Les rythmiques sont excellentes. Les Krüger Brothers interviennent dans Come Some Winter Morning avec un son de banjo qui n’appartient qu’à Jens Krüger. On repère le banjo de Matt Menefee dans Wild Mountain Stream, la mandoline d’Adam Steffey dans Carolina Special, celle de Jesse Brock dans 4th of July … Scott Vestal adapte le son de son banjo aux chansons, plus doux sur une ballade, plus sec et métallique dans le très rythmé et entrainant Satan Get Behind Me. Irene Kelley pousse son style jusqu’au newgrass avec Can I Tell You, reprise du groupe Kansas, particulièrement percutante avec Vestal au banjo et le dobroïste Josh Methany. Rob Ickes, Aubrey Haynie, Billy Contreras, Mike Bub et Brownyn Keith-Hynes sont aussi de la fête. Snow White Memories, sorti fin janvier, postule d’ores et déjà au titre d’album bluegrass de l’année.
"The American Fiddler"
Cri du 💚
En 2001, Andy Leftwich est devenu à 20 ans le fiddler de Kentucky Thunder, le groupe de Ricky Skaggs. Il l’est resté pendant 15 années durant lesquelles il s’est affirmé comme un des meilleurs violonistes bluegrass de sa génération, a beaucoup enregistré pour d’autres artistes, mais n’a gravé qu’un album instrumental sous son nom (Ride en 2003) (deux autres avec le trio de jazz Three Ring Circle - Rob Ickes et Dave Pomeroy). En 2016, il a quitté Kentucky Thunder et s’est consacré à des activités religieuses, en continuant la musique de manière plus discrète. Il a enregistré un second album solo - passé inaperçu - combinant ses aspirations religieuses et musicales (Instrumental Hymns). On n’avait donc quasiment plus entendu Andy Leftwich depuis bientôt sept ans et c’est une demi-surprise de le voir réapparaître avec un album flambant neuf et pour tout dire enthousiasmant. The American Fiddler est un album 100 % instrumental dans lequel Andy nous propose de très bonnes compositions à dominante bluegrass (le fiddle tune Kimper County, l’incandescent Pikes Peak Breakdown) tout en abordant la musique irlandaise (The American Fiddler) et la musique new acoustic (Over Cincinnati, Back To The Garden). Il joue aussi du jazz gitan en reprenant Made In France de Bireli Lagrene et a inclus quelques classiques du bluegrass: Sally Goodin’ enregistré en public avec Ricky Skaggs & Kentucky Thunder, Big Mon et Liberty. Andy Leftwich joue magnifiquement du fiddle sur tous les titres mais aussi de la mandoline sur la plupart et même de la guitare dans Back To The Garden. Ses accompagnateurs jouent tout aussi superbement: pas une surprise de la part de Scott Vestal, Bryan Sutton ou Cody Kilby mais un musicien moins connu comme le banjoïste Matt Menefee réalise de très jolies choses, notamment en triolets dans Made In France. Il y a un joli duo de mandolines avec Sierra Hull dans Big Mon. Leftwich réussit l’alliance de l’ancien et du moderne dans Through The East Gate, illustrée par la présence de Mark Schatz au banjo clawhammer et celle de Scott Vestal en picking. L’accordéoniste Jeff Taylor apporte sa touche aux titres celtiques et manouche. Andy Leftwich est devenu un musicien rare, ne ratez pas The American Fiddler.
"The View from Home" (2022)
La plupart des amateurs français ont découvert le formidable chanteur et guitariste Greg Blake avec le groupe Jeff Scroggins & Colorado au festival bluegrass de La Roche-sur-Foron en 2017. On le retrouvera avec plaisir lors de la prochaine édition avec The Special Consensus. En attendant, il nous propose un disque avec sa propre formation, Hometown (Todd Davis - banjo, Brian McCarty - mandoline, Grant Cochran - basse). Les albums de Colorado ne rendaient pas vraiment toute la puissance que Greg Blake peut dégager sur scène et c’est à nouveau le cas avec Hometown. The View From Home rappelle par plusieurs aspects les années 60-70, la musique des Country Gentlemen ou de Seldom Scene. Pas tant parce qu’on trouve dans le répertoire de l’album des songwriters associés à ces groupes (Randall Hylton, Pete Goble, John Starling, Pete Kuykendall), plutôt pour la voix, le phrasé de Greg Blake et les harmonies vocales de McCarty et Davis, les rythmiques également. Parmi les titres qui évoquent le plus les Country Gentlemen, A Hundred Miles To Go est pourtant une composition de songwriters actuels, Terry Foust et Mark Brinkman. In The Wind, Livin’ In The Past, Since My Baby’s Gone et Georgia Girl sont selon moi les titres les plus réussis. Greg Blake chante avec beaucoup de chaleur Gardens And Memories mais ce n’est malheureusement pas la chanson la plus marquante du répertoire de Seldom Scene.
"Lost Voices"
Tim Stafford affectionne les albums en duo avec ses partenaires d’écriture. Il en a déjà publié deux en collaboration avec Steve Gulley (Le Cri du Coyote n° 120 et n° 169) et un autre avec Bobby Starnes (Le Cri n° 142). Cette fois, c’est au tour de Thomm Jutz, un des meilleurs songwriters bluegrass de ces dix dernières années, qui s’est affirmé depuis quelques temps comme un artiste à part entière, avec trois albums solo ainsi qu’un disque en duo avec la violoniste des Steeldrivers, Tammy Rogers. Tim et Thomm (oui, je sais, c’est rigolo) ont écrit ensemble les quatorze chansons de Lost Voices dans le style storytelling qu’ils affectionnent. Le meilleur exemple est The Ballad Of Kinnie Wagner au sujet d’un criminel spécialiste des évasions dans les années 20. C’est un des quatre titres arrangés avec une formation bluegrass complète - Tammy Rogers (fiddle), Ron Block (banjo), Shawn Richardson (mandoline) et Mark Fain (basse). Les autres sont Take That Shot, la chanson la plus punchy de l’album, une valse et Callie Lou, une ballade que Tim et Thomm ont eu l’intelligence de faire interpréter par Dale Ann Bradley (ils chantent bien mais Dale Ann Bradley, c’est la classe au-dessus). Les dix autres titres sont arrangés à deux voix / deux guitares (Stafford et Jutz sont tous deux d’excellents guitaristes). The Standing People sort du lot grâce à sa jolie mélodie et Enough To Keep You Going For A While par sa mélancolie. J’ai bien aimé la variété donnée par le fingerpicking de Thomm Jutz au trainsong The Queen & Crescent et au joli blues The Blue Grays. Vaudeville Blues a un petit côté Doc Watson agréable. Les autres titres sont moins marquants et auraient sans doute été mieux mis en valeur par des arrangements plus fournis.
"Darkest Hour"
Parmi les formations de premier plan, les Gibson Brothers sont aujourd’hui les seuls représentants des duos de frères, une tradition qui, des Delmore aux Osborne en passant par Bill & Charlie Monroe et Jim & Jesse, a marqué la musique hillbilly et le bluegrass. La notoriété de Leigh et Eric Gibson a été grandissante ces 30 dernières années mais je n’avais pas du tout aimé leur dernier album, Mockingbird, consacré à la musique country. Dans Darkest Hour, ils récidivent pour moitié puisque six chansons reçoivent des arrangements bluegrass et six autres un habillage country avec batterie, lap steel et guitare électrique. Je me suis surpris moi-même à aimer autant les premières que les secondes. Parmi les titres country, j’ai particulièrement apprécié le honky tonk Shut Up And Dance avec la guitare électrique incisive (c’est mieux que canine ou molaire) de Guthrie Trapp, la jolie mélodie (composée par Leigh) de Your Eyes Say His Name, bien mise en valeur par le fiddler Eamon McLoughlin (ex-Green Cards, excellent sur tout l’album) et la ballade musclée The Good Day. Parmi les chansons bluegrass, c’est surtout Heart’s Desire qui se distingue. Jolie mélodie (composée cette fois par Eric), bon duo vocal, le dobro de Jerry Douglas et toujours le fiddle créatif de McLoughlin. La valse Darkest Hour est très bien interprétée par Leigh. Les musiciens sont particulièrement en évidence dans Dust. What A Difference A Day Makes, So Long Mama et la ballade I Feel The Same Way As You sont d’autres chansons bluegrass où Eric, Leigh et leurs accompagnateurs montrent tout leur savoir-faire. Si comme moi vous avez été déçus par le précédent album, Darkest Hour a largement de quoi vous réconcilier avec la musique des Gibson Brothers, même quand ils font de la country.
"Your Love For Me Is Gold"
Your Love For Me Is Gold est le premier album solo de Shane McGeehan, habituellement contrebassiste de Serene Green, une formation de Pennsylvanie qui a déjà enregistré deux albums. Musiciens les plus discrets des groupes bluegrass, les contrebassistes enregistrent rarement sous leur nom. Ce que Your Love For Me Is Gold met essentiellement en valeur, ce sont les qualités de compositeur et de chanteur de McGeehan. Il n’y a aucun solo de contrebasse dans ce disque alors que, curieusement, Shane McGeehan a choisi d’inclure quatre instrumentaux dont trois compositions personnelles. Il accompagne à la guitare Alex Heargraves (fiddle - le musicien le plus brillant sur l’album) sur l’instrumental Wilted Lilly Waltz. J’aime bien le côté alerte, presque joyeux de The Lovesick Teenager. Monsac, un peu swing, est moins typique du bluegrass. Le quatrième instrumental est une composition classique (tempo rapide) de Brett Kretzer, mandoliniste de l’album. Le guitariste Chris Luquette (Frank Solivan & Dirty Kitchen), Ellery Marshall (banjo) et Jack Devereux (fiddler de Town Mountain) sont les autres musiciens présents sur l’album. Il y a presque un cinquième instrumental avec La Danse de Mardi-Gras (Balfa Brothers) puisque les chants (en cajun) sont réduits à la portion congrue. Le titre vaut surtout pour le fiddle d’Alex Heargraves. Shane McGeehan a aussi écrit cinq des huit chansons. Il interprète joliment seul à la guitare There’s Always Room In Hell. Le honky tonk Communication Blues a la même mélodie que T For Texas. McGeehan a une voix claire, un peu trainante qui va bien au très classique Your Love For Me Is Gold et à la ballade countrygrass The Farmer. Il fait également une bonne interprétation de Don’t Step Over An Old Love des Stanley Brothers avec une harmonie vocale féminine très agréable et reprend Stranger In This House qu’Elvis Costello avait écrit pour George Jones.
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