dimanche 26 février 2023

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Sam BUSH

"Radio John: Songs of John Hartford" 

L’admiration de Sam Bush pour John Hartford, décédé en 2001, n’est pas nouvelle. Sam Bush a déclaré à plusieurs reprises que, sans l’album Aereo-Plain de Hartford, le newgrass n’aurait sans doute jamais vu le jour. Dans les années 70, avec la première formation de New Grass Revival, il a enregistré trois compositions de Hartford (votre mission consiste à retrouver les titres). Ils ont souvent joué ensemble sur scène (Hartford joue du violon dans Lonesome & A Long Way From Home dans un album en public de NGR), Sam Bush a accompagné Hartford sur plusieurs albums à la fin des années 70 et c’est lui qui a rédigé les notes du livret de la réédition de Aereo-Plain en 1997. Pour cet album hommage à John Hartford, Sam Bush a composé un titre (Radio John) qu’il a enregistré avec son groupe et repris neuf compositions de Hartford pour lesquelles il joue de tous les instruments: guitare, mandoline et fiddle, ce qui est habituel chez lui mais aussi banjo et basse, ce qui est inédit. Ce qui m’a plu dans cet album, c’est que Sam Bush parvient à associer de nombreux éléments du style de JohnHartford à sa propre personnalité musicale. Je ne sais pas sur quel banjo il joue mais soit il utilise un banjo long neck comme Hartford soit un low banjo, il a en tout cas un magnifique son grave typique de Hartford dans California Earthquake et No End Of Love (et il joue bien). De même, il a tendance à chanter plus grave qu’à son habitude (Morning Bugle), dans une tessiture proche de celle de Hartford. Il respecte également son phrasé particulier dans plusieurs chansons. Côté touche personnelle, le chant de Sam est plus dynamique que celui de Hartford, ce qui ne l’empêche pas de rendre toutes les subtilités de la mélodie de California Earthquake. In Tall Buildings est mélancolique à souhait. Les arrangements sont très travaillés. La mandoline, la guitare, le banjo, le fiddle plus rarement, se répondent et se mélangent savamment dans plusieurs arrangements, notamment les deux instrumentaux (Down et John McLaughlin). Le Sam Bush mandoliniste donne sa pleine mesure dans l’excellent et dynamique accompagnement de I’m Still Here, une très bonne chanson de John Hartford qui n’est pas parmi les plus connues (et que Billy Strings reprend également parfois sur scène). Un très bel hommage qui vous donnera certainement envie de replonger dans la discographie de John Hartford

 

Jim HURST

"From the Ground Up" 

Depuis plus de vingt ans, Jim Hurst n’avait sorti que des CD autoproduits. From The Ground Up sort sur le label Pinecastle. Peut-être la raison pour laquelle il est l’album le plus bluegrass de sa carrière solo. Celui qui fut élu guitariste de l’année en 2001 et 2002 (IBMA) est accompagné par une bonne quinzaine de musiciens talentueux parmi lesquels Shawn Lane, Wayne Benson, Kristin Scott Benson, Alan Bibey, Scott Vestal, Jason Carter et Michael Cleveland. L’album n’est cependant pas à la hauteur de ce casting prestigieux car Jim Hurst n’est pas un chanteur extraordinaire. Surtout, sa voix ne convient pas vraiment au bluegrass. Il a interprété dans ses albums précédents, et de manière épatante, des swings et des titres de Jerry Reed. Dans From The Ground Up, il n’y a malheureusement que le swing Train Of Trouble qui soit dans cette veine, formidablement interprété en format réduit avec Shawn Lane à la mandoline et un bassiste. Parmi les titres bluegrass, il y a cependant des titres intéressants, en premier lieu une très jolie chanson intitulée John Williams, accompagnée par Lane, Steve Wilson (banjo) et Michael Witcher (dobro). Fifteen Miles To Birmingham en duo avec Don Rigsby est très bien joué et ne souffre guère des limites vocales de Hurst qu’à la fin du refrain. Le seul titre vraiment connu est Oh Lonesome Me de Don Gibson, joué avec Kati Penn (fiddle) et Danny Roberts (mandoline), plus dynamique que les autres chansons de l’album, interprétées avec une intensité insuffisante malgré le bon soutien de Darin et Brooke Aldridge sur plusieurs titres et quelques solos bien sentis (Weary Old Highway notamment). 

 

The MOUNTAIN GRASS UNIT

"Places I’ve Been" 

Cri du 💚

Quand un groupe associe les mots "mountain" et "grass" dans le nom qu’il se choisit, il y a fort à parier qu’il s’agit d’un groupe de bluegrass traditionnel. Ce n’est pourtant pas le cas de The Mountain Grass Unit qui ne compte même ni banjoïste ni fiddler dans ses rangs. Cette formation originaire de l’Alabama est constituée d’un trio d’adolescents au talent fou. Le répertoire de ce premier album comprend sept très bonnes chansons originales et un instrumental d’inspiration grismanienne intitulé Boundary Waters. Le mandoliniste Drury Anderson chante avec l’assurance des vieux routiers. La formule en trio peut paraître pauvre pour un groupe bluegrass. The Mountain Grass Unit parvient néanmoins à nous offrir des arrangements riches grâce aux rythmiques façon Sam Bush de Anderson (Jericho), la contrebasse solide de Sam Wilson et au jeu fourni de l’excellent guitariste Luke Black qui rajoute des notes dans tous les coins (Same Old Moon notamment). C’est dynamique (Shoot The Gun) et bien arrangé (Another Day In Disguise chanté entièrement en duo). Il y a une intro jazzy sur le blues chaloupé Either End. Tate’s Hell est joliment accompagné en fingerpicking. L’énergique Shay’s Rebellion est dynamisé par des duos guitare-mandoline qui reviennent en motif. Un pur bonheur. 

 

AUTHENTIC UNLIMITED

(self-titled) 

Plusieurs groupes bluegrass sont nés du départ de musiciens de Doyle Lawson & Quicksilver: Blueridge (qui s’est appelé dans un premier temps New Quicksilver), IIIrd Tyme Out, Mountain Heart. Il s’agissait pour ces musiciens de trouver leur propre voie et les deux derniers au moins ont marqué l’histoire du bluegrass de leur empreinte. Le cas de Authentic Unlimited est différent. Pour Jerry Cole (banjo), Eli Johnstone (bassa) et Stephen Burwell (fiddle), créer ce groupe n’a pas été un choix mais une nécessité, Doyle Lawson ayant décidé de prendre sa retraite à 78 ans après 42 années passées à la tête de Quicksilver (et quelques autres comme membre du groupe de JD Crowe puis des Country Gentlemen). Pour compléter la formation, ils se sont adjoint un mandoliniste qui a pour le moins fait ses preuves, Jesse Brock (il a joué avec Chris Jones, Lynn Morris, Dale Ann Bradley, Michael Cleveland, les Gibson Brothers et a été élu deux fois mandoliniste de l’année par IBMA) et John Meador, un guitariste beaucoup moins connu mais qui se révèle être un excellent chanteur. Quicksilver a été une formidable école de chant pour la plupart des musiciens qui sont passés dans ses rangs. Cole et Johnstone ont bien retenu les leçons de Lawson et les harmonies de Authentic Unlimited (avec Meador et Brock) sont top niveau, parfois plus proches du style de Blue Highway que de Quicksilver (Long Gone). Meador a une voix haut perchée et un joli timbre délicat qui colle très bien à la finesse de l’arrangement de Hannah et à la balade Autumn Fell. Cole a également un registre de tenor mais avec plus de puissance. Il chante notamment le boogie Before You Miss Me (une de ses sept compositions sur l’album) et Long Gone de Neil Diamond, seule chanson qui n’ait pas été écrite par un membre du groupe. Eli Johnstone se montre également très bon chanteur dans Leavin’ Chicago à la rythmique tout en légèreté. En plus de leurs qualités de chanteurs et songwriters, les membres de Authentic Unlimited sont tous de bons musiciens, Jesse Brock se distinguant particulièrement par la finesse de ses interventions. 

 

BREAKING GRASS

"Somewhere Beyond" 

Cri du 💚

L’objet même d’une formation réunissant un guitariste, un banjoïste, un mandoliniste, un fiddler et un contrebassiste est habituellement de jouer de la musique bluegrass. Le cas de Breaking Grass est un peu différent. Ce quintet du Mississippi est certes un groupe bluegrass mais il existe essentiellement pour jouer les compositions de son guitariste chanteur Cody Farrar, qu’elles soient bluegrass ou pas. Les arrangements s’organisent autour de son accompagnement à la guitare, quelquefois typique du bluegrass (Pauline, les couplets de Let The Good Times Go), souvent plus complexe (The Boy On The Black Horse) et parfois très éloigné de la musique de Bill Monroe (Free, It Ain’t Enough). Pour ce sixième album de Breaking Grass, Cody Farrar a encore écrit les dix chansons, The Gift avec Ronnie Bowman, les autres seul. Cody est un formidable chanteur à la voix claire, intense, puissante et expressive. Les musiciens de Breaking Grass s’adaptent bien à ses chansons, avec beaucoup de sensibilité et de naturel. Le banjo est rarement en avant, même sur un titre où il pourrait davantage tirer la couverture à lui (Money Can’t Buy You). Le musicien le mieux mis en valeur est le fiddler Tyler White, notamment sur l’excellent blues 100 Degrees In The Shade. C’est l’un des deux joyaux de Somewhere Beyond avec It Ain’t Enough qui est dans la même veine blues et tout aussi bon. Farrar aborde avec le même talent la pop (Free), une ballade swing (Money Can’t Buy You) ou un refrain newgrass (Let The Good Times Go). Après Warning Signs (2017) et Cold (2019), Somewhere Beyond confirme que Breaking Grass est un des groupes bluegrass les plus intéressants de ces dernières années. 

 

MAD MEADOWS

"That Day" 

Mad Meadows est un duo basé en Allemagne, formé du guitariste Beni Feldmann et du mandoliniste californien Edward Fernbach. Pour ce premier album, ils interprètent quatre titres en duo mais ont choisi pour les six autres une instrumentation bluegrass complète avec le concours de Susanne Sievers (fiddle), Steffen Thede (banjo) et Alain Kempf (contrebasse) (oui, le Alain Kempf de L’Avis d’Alain). Les "folles pâtures" sont sans doute celles où pousse l’herbe bleue puisque, parmi les quatre titres en duo, trois sont des classiques bluegrass. J’aime surtout leur approche très originale de Rock, Salt & Nails avec Edward à la mandole (il joue aussi Footprints In The Snow et Spanish Pipedream de John Prine au mandoloncelle). Parmi les titres en formation bluegrass, se détache l’instrumental Peacock’s Perch, composé par Edward, un fiddle tune moderne, dynamique et mélodique où chaque soliste a l’espace pour s’exprimer. Il n’y a qu’une seule chanson originale, That Day, et c’est dommage car c’est une bonne composition de Beni. Les chants sont plutôt d’inspiration hillbilly même quand il s’agit d’une reprise de Travis Tritt (Here’s A Quarter). Le duo vocal de Beni et Edward fonctionne même si le phrasé est parfois trop haché ou le chant trop appliqué (That’s How I Can Count On You). C’est mieux quand Susanne Sievers vient apporter une troisième voix (Just Think I’ll Go Away des Stanley Brothers). Grâce à Alain, il est possible qu’on puisse les apprécier sur scène en France cette année.

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