"Landmarks"
Le précédent album, Old Ghosts & Lost Causes, d'Helene Cronin avait été présenté dans Le Cri du Coyote n°163. Elle considère Landmarks comme son deuxième album, même si elle avait déjà enregistré auparavant deux LP d'inspiration religieuse et deux EP. L'équipe qu'elle avait réunie pour son premier album (Bobby Terry: guitares acoustiques, banjo, steel et mandoline; Kenny Vaughan: guitares; Byron House: basse) est toujours là, sous la direction du même Matt King, seule la batterie a changé de titulaires (Jerry Roe et Paul Eckberg se partagent le siège). Helene a écrit ou co-écrit l'ensemble des onze titres. Landmarks, la chanson, a une histoire particulière: elle a été écrite avec une jeune femme de 16 ans, Ava Paige, rencontrée dans une chambre d'hôpital, et évoque des souvenirs de pêche partagés avec leurs pères respectifs. Il y a des titres forts comme Just A Woman qui démarre tranquillement puis va crescendo vers un final porté par un bouquet final de voix féminines. J'ai personnellement une préférence pour le titre au son country-rock qu'est Halfway Back To Knoxville ou le mid-tempo You Do, mais le son globalement rock de l'album, car il s'agit bien d'un album cohérent, n'est pas pour me déplaire, bien au contraire. What They Didn't Build en est une belle illustration. Il se dégage de Landmarks une véritable force qui est comme une réponse aux problèmes de santé dont l'artiste a souffert récemment et l'on entend aussi la passion d'une femme dont la qualité de l'écriture se révèle à chaque titre et dont la voix sait se charger d'émotion comme dans le tranquille Bodies Of Water, seule chanson écrite entièrement par Helene.
"Valley Of Stars"
Pour ce qui est de son sixième album (les trois précédents ont été chroniqués par mes soins pour le Cri du Coyote, numéros 131, 149 et 159), Ben Bedford continue de surprendre et d'enchanter. Les premières notes de Leaping nous font penser au folk britannique des années 1960/70, avec un jeu de guitare tout en finesse (Ben et Chas Williams sont aux guitares acoustiques) et une voix qui évoque celle de David McWilliams ou Ralph McTell. Ben est pourtant originaire de Springfield, Illinois, et a enregistré Valley Of Stars à Shelbyville, Tennessee, avec l'aide de Dave Sinko. On pourrait penser que le songwriter a conçu ce disque comme un concept album alors qu'il a en fait enregistré une trentaine de titres pendant le confinement pour en retenir onze (dont cinq instrumentaux) et se rendre compte du fait que certaines chansons étaient connectées entre elles. Dans son disque précédent, Hermit's Spyglass, Ben nous laissait guider par Darwin le chat. Ici, ce sont les aventures de Hare (dont la silhouette se dessine fièrement sur la pochette) que nous sommes invités à partager au travers de rencontres parfois inattendues (Leopard & Hare, In The Court Of The Bear). Ben Bedford n'a pas choisi la facilité, et ceux qui savent déjà qu'il est un songwriter essentiel, à l'écriture littéraire et au sens de la mélodie imparable le suivront les yeux fermés (et les oreilles grandes ouvertes) au long de ce magnifique opus, interprété par une équipe aussi réduite que talentueuse. Aux côtés de Ben et Chas, qui joue également de la guitare électrique et du dobro, on ne trouve en effet que Kari Floyd (harmonies) et Ethan Jodziewicz (basses et percussions). Valley Of Stars, qui se clôt par l'instrumental au titre improbable In The Shelter Of Indomitable Momma Badger, est un album tout en légèreté et en beauté qui confirme que Ben est un digne héritier de ses glorieux aînés, au premier rang desquels figure Townes Van Zandt dont il se revendique.
"On The Run"
Ce groupe basé à Detroit repose sur le talent de Carrie Shepard (voix et guitare acoustique) qui a écrit les dix titres ici présentés, et de son compagnon Lawrence Daversa (guitares électrique et steel, harmonies). À leurs côtés, on trouve Brian Ferriby (batterie et percussion), Daniel "Ozzie" Andrews (basse) et David Roof (claviers). On The Run est le quatrième LP du combo et il confirme ce que les trois précédents avaient laissé entendre. Nous avons affaire à un soft-rock teinté de folk et de country qui repose sur la voix claire et les compositions inspirées de Carrie ainsi que sur des arrangements où les guitares de Lawrence brillent. De Nobody Cares à Wrinkle, en passant par les moments magiques de Water, Gold ou Stop Running Your Mouth, on est sous le charme des Whiskey Charmers qui ont atteint ici une dimension qui devrait leur permettre de démontrer que Detroit a désormais d'autres porte-drapeaux que Motown, les Stooges, MC5 ou Alice Cooper et que MC signifie aussi bien Music City que Motor City.
"Outpourings"
J'avais découvert Craig Bickhardt il y a environ trente-cinq ans avec l'album No Easy Horses de Schuyler, Knobloch and Bickhardt. J'ai eu le plaisir de découvrir ensuite son œuvre en solo (cinq albums dont un live entre 2001 et 2018) ou au sein du duo Idlewheel qu'il forme avec Jack Sundrud. L'homme se définit ainsi: "Father, husband, poet, prognosticator of insignificant events, guitar alchemist and singer-songwriter" (Père, mari, poète, pronostiqueur d'événements insignifiants, alchimiste de la guitare et auteur-compositeur-interprète). Outpourings se présente sous la forme d'un double CD de vingt-six titres (limité à 350 exemplaires, mais il existe aussi une version simple de treize titres) tous de sa plume avec neuf coécritures. Deux ans de création, une vie de préparation, c'est un cadeau pour les nombreux amis, famille, fans et followers de Craig. C'est un cadeau car l'album est aussi riche que l'homme est généreux et tourné vers les autres. Le disque a été enregistré principalement dans les studios de John Mock qui l'a coproduit avec Craig tout en jouant de la guitare classique, du pennywhistle et de l'harmonium. La liste des musiciens est trop longue pour être reproduite mais constitue un véritable who's who de Nashville et des environs. Breaking The Bread, qui ouvre l'album, en donne le ton avec des arpèges de guitare acoustique, une voix claire et touchante, une mélodie prenante et des textes pleins d'humanisme. Jamais l'impression ressentie ne se démentira au long des vingt-six titres qui raviront les amateurs, par exemple, de James Taylor ou de Dan Seals, s'il faut citer des références. C'est parfois le piano de Pete Wasner qui est en vedette comme sur She Won't Be Yours Alone ou I Don't Know Much About Love sans altérer la tonalité générale de l'ensemble. L'apport du violoncelle de Michael G. Ronstadt est aussi fort appréciable. Écoutez, à cet égard, Trees où l'instrument répond à la guitare classique avec en complément, une voix féminine qui vient compléter celle de Craig. Ce double album, simple en apparence, avec une recette rodée par un demi-siècle de pratique, révèle en fait des richesses qui se laissent découvrir à chaque écoute. C'est le fruit du travail d'un artisan passé maître en son domaine et qui nous livre ici ce qui est sans doute son chef d'œuvre. Ce dernier se referme sur A Family Quartet quatre titres qui nous montrent à quel point Craig Bickhardt porte haut les valeurs de la famille.
"Back On The Road To You"
En écoutant Back On The Road To You, son dixième album studio, on a du mal à imaginer que le premier LP de Freedy Johnston a été publié trente-deux ans plus tôt. L'homme a toujours la même fraîcheur et, huit ans après Neon Repairman, il nous délivre dix titres d'un excellent tonneau, avec cette capacité qu'ont ou avaient d'autres songwriters comme Ron Sexsmith ou Moon Martin, de nous offrir des mélodies entraînantes sur fond de guitares qui qui brillent, la rythmque de Freedy et la lead (ainsi que la steel) de Doug Pettibone. La voix n'a pas changé au cours des années et se montre à l'aise sur de véritables petits hymnes pop-rock, parfois rejointe par celle de consœurs prestigieuses comme Aimee Mann (Darlin'), Susan Cowsill (The Power Of Love) ou Susanna Hoffs (That's Life). Freedy Johnston a toujours bénéficié de la reconnaissance des critiques rock et des ses pairs, il n'est pas trop tard pour que celle du public suive et que chacun chante avec lui le surperbe titre de clôture, The I Really Miss You Blues.
"Lay Your Darkness Down"
Le précédent album de Mark Erelli paru en 2020 s'appelait Blindsided. Il ne se doutait alors pas qu'une atteinte de la rétine allait le condamner à perdre progressivement la vue. Le nouveau disque dont le titre, Lay Your Darkness Down, n'est nullement dû au hasard est l'œuvre de quelqu'un qui a décider de ne pas baisser les bras et de combattre à sa manière l'inéluctable en s'appuyant sur tout ce qui est positif dans sa vie. Il se dresse Up Against The Night, armé d'une guitare électrique sur ce titre, dans l'attente du crépuscule. Pour l'occasion, Mark s'est appuyé sur une équipe réduite: le fidèle Zachariah Hickman (basse, Mellotron, Omnichord), Dave Brophy (batterie et percussions), Charlie Rose (pedal steel sur Love Wins In The Long Run), Anthony Da Costa (guitare électrique sur Fuel For The Fire qu'il a co-composé) et Lori McKenna (voix sur Lay Your Darkness Down et co-composition de You're Gonna Remember This. Pour le reste, à l'exception des chœurs sur Love Wins In The Long Run, Mark a tout fait, de l'enregistrement à la production. Et, bien sûr, il chante et joue (en particulier des guitares) toujours aussi bien, sur ses compositions inspirées, avec une énergie jamais prise en défaut. Mark Erelli avait chanté à Paris il y a tout juste quinze ans grâce à Hervé Oudet et Acoustic in pAris. Les trops rares spectateurs avaient découvert un artiste de grand talent mais aussi un être humain d'une qualité rare. Lay Your Darkness Down est une superbe confirmation, un album qui est aussi une leçon de vie, à l'image de ce couplet de la chanson titre: "Rest easy, brother, and travel light / You had your mama’s eyes / But you were your father’s son / Lay your darkness down / Shadows lie upon the ground / To show us where the light is coming from" (Repose-toi tranquillement, mon frère, et voyage léger / Tu avais les yeux de ta maman / Mais tu étais le fils de ton père / Repose ton obscurité / Les ombres se couchent sur le sol / Pour nous montrer d'où vient la lumière).
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