mardi 22 juillet 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Suzy THOMPSON

"Suzy Sings Siebel Volume 1" 

Il était temps que quelqu'un rende hommage à Paul Siebel, le songwriter de Buffalo, disparu en avril 2022. Certes, les reprises de ses titres abondent, de Bluegrass 43 à Jerry Jeff Walker, en passant par Iain Matthews (avec ou sans Plainsong), Emmylou Harris, Linda Ronstadt, Bonnie Raitt, The Flying Burrito Brothers, Eric Andersen, Ralph McTell & Wizz Jones, Kate Wolf, The Flatlanders, et tant d'autres, mais personne, à ma connaissance, n'avait enregistré un album entier de ses compositions. Ces dernières sont rares: vingt-et-une chansons réparties en deux albums, auxquelles s'ajoute Spanish Johnny, interprétée en duo par Emmylou Harris et Waylon Jennings mais jamais enregistrée par Paul lui-même. Suzy Thompson nous propose aujourd'hui Suzy Sings Siebel Volume 1, fort de dix titres dont un inédit, You Don't Need A Gun, que Paul avait enregistré mais jamais publié et que le producteur Peter Siegel a offert à Suzy pour cet album. Suzy est familière des chansons de Paul Siebel depuis les années 1970 et s'est replongée dedans lors de la crise liée à la pandémie, en interprétant quelques-unes dans des concerts en ligne, et même reprenant l'intégralité des titres de Woodsmoke And Oranges dans l'un d'entre eux. Paul Siebel, âgé et en piètre santé, a eu l'occasion de voir un de ces concerts par l'intermédiaire d'un de ses amis et en fut ravi. Un mail s'ensuivit: "Paul a aimé ton concert. Il a souri, pleuré, chanté tout au long. Il veut que tu l'appelles, donne ton numéro de téléphone, s'il te plaît". Suzy et Paul ont ainsi eu quatre conversations longues et intenses avant la mort du songwriter, le 5 avril 2022. Voilà pour l'histoire derrière le disque. Ce dernier est produit par l'ami Jody Stecher et nous offre un casting de première classe. En plus de Suzy (chant, guitare et fiddle) et de Jody (mandoline, guitare, voix), on rencontre Cindy Cashdollar (lap steel et dobro), John Sebastian (harmonica), Molly Mason et Mark Schatz (basse), Bill Evans (banjo), Kate Brislin (kazoo, voix), Eric Thompson (guitare National) et Michaelle Goerlitz (batterie). Quant aux chansons, elle trouvent une nouvelle vie, avec de nouveaux arrangements, et de Bride 1945 à Long Afternoons, en passant par LouiseNashville Again, ou Any Day Woman et sonnent comme des classiques intemporels qui permettront peut-être à Paul Siebel de connaître une gloire posthume, cette gloire pour laquelle il n'était pas fait et qu'il a rapidement fuie, nous léguant une œuvre inachevée, mais parfaite.


 

 

Ben de la COUR

"New Roses" 

Cela fait déjà quelques années que Ben de la Cour souffle son "americanoir" au creux de nos oreilles et qu'il suscite grand intérêt. Autant dire qu'après l'excellent Sweet Anhedonia paru en 2023, ce New Roses suscitait beaucoup d'attentes et d'espoirs. Ces derniers ne sont pas déçus, sauf peut-être pour ceux qui pensaient que Ben allait refaire le même album, encore et encore. Il y a en effet une approche totalement différente par rapport aux opus précédent. Tout d'abord, à l'exception du fiddle (Billy Contreras) et de la trompette (Josh Klein), Ben s'est chargé de toutes les parties instrumentales (guitare, basse, batterie, piano, clavier, synthétiseur, darkatron). Quelques harmonies ont été ajoutées par Gin Wife (I Must Be Lonely), Elizabeth Cook (The Devil Went Down To Silverlake), Emily Scott Robinson (Christina) et Misty Harlowe (New Roses). Ensuite, sur le plan de l'enregistrement et du son, tout a changé. Ben a écrit et enregistré l'album, seul chez lui, au cœur des nuits. Il a expérimenté et créé de nouveaux sons en partant souvent de couches de synthétiseurs sur lesquelles il a greffé des touches de guitare électrique ou acoustique, démontrant la qualité de son fingerpicking. Si certains titres sont toujours du domaine du folk (The Devil Went Down To Silverlake, Bad Star, We Were Young Together Once), d'autres prennent une tournure franchement rock (Beautiful Day, Stuart Little Killed God On 2nd Ave.). Avec Jukebox Heart, on croit presque à une résurrection de Jim Morrison et des Doors. Et que dire du traitement infligé à la seule reprise, le célébrissime Lost Highway de Leon Payne que notre ami torture pour en tirer la substantifique moelle au long de plus de six minutes, très loin de l'interprétation de Hank Williams. Juste après, le disque se referme sur New Roses, un moment de beauté calme, comme pour rassurer l'auditeur qui aurait pu être désorienté. Pour ceux qui en voudraient davantage, je les invite à écouter l'excellent album live … And The Crowd Went Wild publié par nos amis italiens de New Shot Records. C'est Ben de la Cour seul avec sa guitare acoustique, seize chansons enregistrées à Londres en juillet 2024, et c'est excellent. 


 

 

Clark PATERSON

"American Suburban" 

Clark Paterson, basé à Nashville est un songwriter dont l'inspiration, entre folk et country, lui vient, entre autres, de Johnny Cash, Charlie Daniels, Hank Williams Jr et Jim Croce. Si son nom ne vous est pas familier, c'est en partie parce que sa carrière a été mise en pause pendant huit ans pour des raisons personnelles, santé et famille, et notamment de sérieux problèmes cardiaques et un divorce douloureux. Le côté positif de cette situation est qu'il a eu le temps et l'inspiration pour composer et peaufiner American Suburban, paru à l'été 2024 et fort de dix titres dont deux coécrits avec Mark Cline Bates (S-10 et Service Dog) et un avec Simon Flory (The Deputy). Si sa voix, légèrement voilée et un peu monocorde, n'est pas ce que l'on remarque en premier chez Clark, les mélodies et les arrangement, souvent teintés de rock, sont remarquables. Il sait également raconter des histoires, oscillant entre une certaine forme de tristesse et un humour teinté de dérision. Clark Paterson, au chant et à la guitare acoustique est ici accompagné d'un casting cinq étoiles, avec en premier lieu Simon Cline Bates (harmonies, guitare acoustique, piano, orgue), John McTighe III (batterie et percussions) et Brian Zonn (contrebasse). Il suffit d'écouter le très vivifiant On The Road 2 Long, où Billy Contreras au fiddle et Pat Bergeson à l'harmonica se rendent coup pour coup, pour en être convaincu. Ajoutez-y la pedal steel de Paul Niehaus pour Love You Till The End ou Good Ole Boy et la voix de Sierra Ferrell pour Drink Till I Die, et vous aurez envie d'écouter l'album jusqu'au bout. Vous pourrez ainsi savourer le très beau (et auto-dérisoire) Man Of The Year et The Deputy qui clôture l'album sur un tempo modéré. American Suburban n'et peut-être pas le disque de l'année (dernière) mais il donne envie de mieux connaître Clark Paterson.


 

jeudi 17 juillet 2025

L'avis d'Alain, par Alain Kempf

 

L'Avis d'Alain 
 

Karoline and the Free Folks

"Bat Girl" 


Une fois n’est pas coutume, c’est d’un vidéoclip musical qu’il est question. Bat Girl est une chanson écrite par Caroline Penot (Karoline), musicienne et chanteuse lyonnaise qui présente ainsi son texte (écrit en anglais), inspiré par ses moments d'insomnie et d'anxiété: "des moments où l'on devient chauve-souris quand sonnent quatre heures du matin, et que tous les monstres de l'esprit attendent derrière la porte, tapis dans l'ombre". Cette ambiance est joliment rendue dans la vidéo. 

Musicalement, Karoline se revendique de l’americana; la rythmique et le son des guitares sont bien dans ce registre. Mais Bat Girl a également un côté pop, avec une mélodie accrocheuse et une structure harmonique riche. La voix et le phrasé de Caroline constituent une signature personnelle. Elle est également une instrumentiste confirmée, ici à la guitare acoustique. Les guitares électriques sont jouées par l’impeccable Jimmy Josse, qui nous régale tout au long du morceau. À la contrebasse, Noémie Charmetant, est très efficace, avec un beau passage à l’archet (Noémie est aussi partenaire de Caroline Penot dans Cow Comino Train, bien connu des amateurs de bluegrass). Enfin, Tommy Rizzitelli assure un jeu de batterie très country.

Bat Girl est aussi disponible en single sur les principales plateformes audio où il sera rejoint le 14 juillet par un nouveau morceau, Bluegrass Left to Share. Je l’ai entendu sous forme de maquette acoustique et on peut s’attendre à un beau résultat final. Le premier album du groupe, Reckless Dances (12 titres, sorti en 2022) est disponible également, avec déjà la même patte musicale bien identifiable. 

 En septembre dernier, Karoline and the Free Folks était en couverture du Country Web Bulletin : si vous voulez mieux connaître le groupe et les projets de Karoline, une interview et plusieurs articles lui sont consacrés : https://www.cwb-online.fr/CWB/144.pdf 

Je me permets d’ajouter un point de vue “backstage” car j’ai eu la chance d’accompagner Karoline sur scène (en compagnie du mandoliniste Philippe Colleu) pour un petit set acoustique lors du European Bluegrass Summit à Prague il y a quelques mois. Bat Girl et ses autres compositions, même en version acoustique très dépouillée, "tiennent la route" et sont des morceaux très intéressants à jouer. Et quelle aisance vocale et instrumentale, c’était vraiment une belle expérience ! Suivez Karoline and the Free Folks, et aussi Cow Comino Train sur les réseaux sociaux pour assister à leurs concerts.

Alain Kempf 


 

vendredi 4 juillet 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Depuis une bonne trentaine d’années, les femmes se sont de plus en plus affirmées sur les scènes bluegrass mais il me semble que leur importance s’est encore accentuée récemment. Après Alison Krauss et Sierra Hull, Cris du Cœur dans la rubrique du mois de mai, ce sont Shelby Means et Heather Mabe (avec son groupe Red Camel Collective) qui sont à l’honneur cette fois-ci. 

 

RED CAMEL COLLECTIVE 

Cri du 💚  

Que font les musiciens de Jr Sisk quand le patron n’est pas là? Ce qu’ils savent faire de mieux, c’est-à-dire un groupe de bluegrass. Leur nom est d’ailleurs tiré d’une chanson de Jr Sisk (The Man in Red Camels, enregistré à une époque où aucun d’entre eux ne faisait d’ailleurs partie du groupe). Red Camel Collective a une base solide puisque Tony (banjo) et Heather Mabe (guitare) jouent ensemble depuis 2011 et avaient leur propre formation avant de devenir les accompagnateurs de Sisk il y a six ans avec Jonathan Dillon (mandoline) - aux côtés de Sisk depuis plus de dix ans - et le contrebassiste Curt Love. Le premier titre, Roll on Mississipi est une version bluegrass et accélérée d’une chanson de Charlie Pride qui nous embarque immédiatement avec sa jolie mélodie, son tempo rapide, l’interprétation splendide de Heather Mabe et les interventions des épatants Tony Mabe et Jonathan Dillon, épaulés par les guests Gaven Largent (dobro) et Stephen Burwell (fiddle). La qualité ne faiblit pas avec cinq très bonnes compositions de Heather, le countrygrass In Spite of Me, la douce mélodie de Daughter of the Stars où le chant de Heather fait penser à Amanda Smith, son interprétation sensible de la ballade All I Need, le tempo d’enfer de Dare to Dream (avec Tony Mabe et Burwell à l’abordage) et le magnifique et plus moderne Sincerity où la voix de Heather mêle douceur et énergie, joliment soulignée par le dobro de Jeff Partin. Le niveau baisse un peu quand Jonathan Dillon reprend un titre de Emerson & Goble (Leaving You and Mobile Too – ce qui évite d’y rester collé) mais remonte instantanément quand Tony interprète superbement Night Coach Out of Dallas (Faron Young) avec une voix de baryton et un phrasé qui font immanquablement penser à Johnny Cash. Heather Mabe ne chante pas que ses compositions. Halfway Down, un blues de Jim Lauderdale n’est pas la chanson qui lui convient le mieux, mais ce premier excellent album s’achève en apothéose avec une autre reprise, Last Time I Saw Him (déjà enregistré par des chanteuses aussi différentes que Dottie West et Diana Ross). Heather alterne le lead avec Suzanne Cox et Sharon White. Les refrains en trio sont dignes des plus belles harmonies des Ronettes ou des Shirelles. Cet album est entré directement à la première place des charts de Bluegrass Unlimited en avril dernier (il y est resté en mai et juin devant Alison Krauss & Union Station) et c’est amplement justifié.


 

 

Joe MULLINS & the RADIO RAMBLERS

"Thankful and Blessed"

  Le répertoire de Joe Mullins & the Radio Ramblers semble s’orienter de plus en plus vers le gospel. Comme Somewhere Beyond the Blue en 2021 (Le Cri du Coyote 170), l’album Thankful and Blessed est entièrement gospel, et plusieurs chansons de Let Time Ride, l’album paru entre temps (Bluegrass & C° juillet 2023), l’étaient aussi. Le groupe a un vrai savoir-faire, tant vocal qu’instrumental, pour ce style de musique mais Thankful and Blessed manque cependant d’originalité pour le répertoire comme pour les arrangements. Le titre qui ressort est une composition de Rick Lang, le swing Even Better When You Listen interprété par Chris Davis (mandoline) qui a une jolie voix claire, et mené par la contrebasse en walking de Zach Collier. There’s a New World a Waiting de Randall Hylton est chanté en quartet a cappella. Bien fait mais pas vraiment excitant, tout comme les autres refrains harmonisés à quatre voix. Il y a une bonne énergie dans One Breath Away, Journey On et No Stone Unturned. On note un bon solo de banjo de Mullins dans He Sees the Little Sparrow chanté par Adam McIntosh (guitare). He Set Me Free est une chanson plutôt quelconque mais elle a inspiré le fiddler Jason Barie. Un album court (10 chansons, moins de 28 minutes) qui plaira aux amateurs de gospel mais ne fera pas date dans la discographie de Joe Mullins & the Radio Ramblers


 

 

The SELDOM SCENE

"Remains To Be Scene" 

Le banjoïste Ben Eldridge, dernier des membres fondateurs à avoir quitté the Seldom Scene (en 2016) est décédé il y a un an, en ayant eu le temps d’écrire les notes du livret de Remains To Be Scene. Cela pourrait apparaître symboliquement comme le dernier lien entre la formation originelle (le groupe est né en 1971) et le Seldom Scene d’aujourd’hui, mais il faut se méfier des symboles et les membres actuels (pour la plupart présents depuis quand même trente ans!) réussissent au fil des disques à conserver l’esprit du groupe, tant pour les arrangements (importance du dobro de Fred Travers) que du répertoire. Comme d’habitude avec Seldom Scene, on retrouve des chansons issues d’autres genres musicaux, Last of the Steam Powered Trains des Kinks chanté par Lou Reid et A Good Man Like Me Ain’t Got No Business (Singin’ the Blues) de Jim Croce, interprété par Dudley Connell. Ce dernier chante aussi Farewell Angelina de Dylan dans une version que je préfère à celle – trop lente – de Tim O’Brien. Une autre chanson de Bob DylanWalkin’ Down the Line – fait le lien avec le répertoire bluegrass puisque the Seldom Scene reprend l’arrangement des Country Gentlemen. Les chansons bluegrass puisent dans le répertoire de Flatt & Scruggs (Hard Travellin’ de Woody Guthrie chanté par Ron Stewart), Don Reno (I Could Cry), Benny Martin (le swinguant The Story of My Life très bien chanté par Connell) et … Seldom Scene puisque Lou Reid reprend (superbement) White Line que le groupe avait enregistré sur l’album Live at Cellar Door du temps de John Starling. L’esprit de John Duffey plane sur les ballades Man at the Crossroads et Lonesome Day qui lui auraient parfaitement convenu. Elles sont ici chantées par Travers, soutenu par de jolies harmonies vocales (une des qualités historiques du groupe). Le gospel Show Me the Way to Go Home avec un refrain chanté à quatre voix complète ce répertoire typique. Remains To Be Scene n’est peut-être pas à la hauteur des premiers albums du groupe ou de Scenechronized et Scene It All mais il perpétue joliment la tradition du son Seldom Scene.


 

 

WATSON BRIDGE

"En Concert Setlist 1" 

Depuis dix ans, le duo Watson Bridge (les chanteurs et guitaristes Isabelle Groll et Jean-Paul Delon), enregistrent la plupart de leurs concerts. Ils ont décidé de nous en offrir les meilleurs extraits, en commençant chronologiquement par 15 titres datant de 2016 à 2019 qui constituent cette première livraison (ils annoncent plus de 50 morceaux, ce qui devrait remplir 3 ou 4 volumes). Il n’y a ici aucun doublon avec leur album studio Orion paru en 2020. C’est tout juste si on retrouve deux songwriters communs parmi les crédits, le quasi inévitable Bob Dylan (One More Cup of Coffee) et Sarah Jarosz (Run Away) – une vraie affirmation de leur identité pour le coup. Watson Bridge a les influences les plus variées, du bluegrass dans toute sa diversité (Bill Monroe, Del McCoury, Alison Krauss) au jazz (Chick Corea) en passant par le folk (Ralph McTell), le swing (Daddy’s Gone to Knoxville de Mark Knopfler), la variété pop anglaise (Katie Melua), la musique tsigane (l’instrumental Hora Lui Buica), la country (Hank Williams, Rodney Crowell), l’americana (Gillian Welch) et les songwriters US (Darrell Scott). Il y a une poignée de titres avec un ou deux musiciens supplémentaires (Dorian Ricaux ou Christophe Constantin – mandoline; Stan Pierrel - guitare électrique; Jean-Marc Delon – banjo). Sinon, c’est deux voix / deux guitares. Jean-Paul a juste rajouté une discrète contrebasse en studio (sauf dans The Lucky OneHubert Dubois joue dans l’enregistrement public). Si la plupart des titres sont connus, Watson Bridge en donne toujours des versions personnelles, grâce au duo vocal (Lovesick Blues, The Streets of London), aux arrangements de guitares (joli fingerpicking pour The Lucky One et Daddy’s Gone to Knoxville, solos en flatpicking pour River Take Me et I Feel the Blues Movin’ In). Ils réinventent aussi les morceaux en accélérant le tempo (Run Away, The Way It Goes et Tear My Stillhouse Down), en mariant Dylan et flamenco ou en chaloupant le rythme d’un vieux standard bluegrass (On and On). 


 

 

Shelby MEANS

Cri du 💚  

 

Dans d’autres genres musicaux, une jeune femme comme Shelby Means aurait certainement pu compter sur son physique pour accéder rapidement à la notoriété. Mais voilà, Shelby aime le bluegrass – un milieu musical où aucune chanteuse connue ne ressemble à un mannequin - et elle a patiemment attendu le bon moment pour enregistrer son premier album solo, faisant son apprentissage comme bassiste de Della Mae puis de Molly Tuttle & Golden Highway, tout en se produisant parallèlement avec son mari Joel Timmons (le duo Sally & George – on les a vus aussi à Bluegrass in La Roche en 2019 avec le quartet Lover’s Leap). Ceux qui déplorent l’arrêt de Molly Tuttle & Golden Highway en plein succès (Molly a complètement changé de genre musical, ce qui ne surprendra que ceux qui ont oublié que ses deux premiers disques solo n’avaient rien de bluegrass) pourront largement se consoler à l’écoute de Streets of Boulder, le premier titre de l’album de Shelby qui sonne comme du plus pur Golden Highway. Guère étonnant car les harmonies sont chantées par Molly et Kyle Tuttle. Shelby était la principale partenaire vocale de Molly dans Golden Highway et elle a une large palette qui lui permet de sonner comme Molly quand elle en a envie. Les harmonies vocales sont pour une bonne part dans la réussite de ce disque. Certains partenaires sont célèbres (Tim O’Brien dans Up on the Mountain, Billy Strings, assez discret mais parfait dans Suitcase Blues). Les chœurs de Rachel Baiman et Kelsey Waldron font toute la saveur de Farm Girl. Joel Timmons (le mari) et Maya de Vitry (la productrice de l’album) chantent dans la moitié des titres. A part Jacob Means, le frère de Shelby qui partage les interventions à la mandoline avec Sam Bush et se révèle excellent (solo dans Streets of Boulder), tous les musiciens sont des pointures: Bryan Sutton (guitare), Ron Block (banjo), Jerry Douglas (dobro), Brownyn Keith-Hynes, Michael Cleveland et Billy Contreras (fiddle) – Shelby est évidemment à la contrebasse. Parmi les titres bluegrass, Calamity Jane et Five String Wake Up ont un petit côté honky tonk. L’excellent Wild Tiger Rag est percutant, avec une énergie rock. Le dobro domine les ballades (High Plains Wyoming). Le seul titre dispensable est une reprise de Old, Old Home de George Jones. Bien joué et chanté mais manquant d’originalité pour une chanson trop souvent entendue. L’autre reprise (Shelby a écrit ou coécrit onze des treize chansons) fait partie des titres plus modernes. Il s’agit de Million Reasons de Lady Gaga, très bien adapté aux instruments bluegrass et chanté, avec les harmonies de Timmons et de Vitry. Fisherman’s Daughter est une jolie ballade assez folk. Il y a un excellent solo de Billy Contreras dans Elephant at the Zoo, une composition jazzy. L’album s’achève très joliment par Joy, autre très jolie ballade avec, encore une fois, des contributions décisives de Timmons, de Vitry et Jerry Douglas. Avec ce premier album, Shelby Means réussit tout: elle écrit de jolies mélodies, elle sait s’entourer des meilleurs musiciens et elle a des qualités d’interprète tant pour les titres rythmés que pour les ballades qu’on ne soupçonnait pas dans son rôle d’accompagnatrice dans Della Mae et Golden Highway. Une talentueuse artiste jusqu’ici dans l’ombre et qui prend très bien la lumière.