mercredi 6 décembre 2023

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

En écho à l’article sur le festival Bluegrass In La Roche paru sur le site du Cri du Coyote, voici quatre albums de groupes ayant participé au festival, et un excellent disque de chansons de Noël, c’est bientôt. 

 

HENHOUSE PROWLERS

"Bluegrass Ambassador’s Sessions vol. 1" 

Cri du 💚 

Les Henhouse Prowlers font partie d’un programme culturel de diffusion de la musique bluegrass à travers le monde. Peut-être un jour découvrira-t-on qu’ils sont en fait des agents de la CIA à visée impérialiste, mais alors ils auront bien caché leur jeu. A voir comment le banjoïste Ben Wright couvait le duo indien Grassy Strings lors de leur passage à Bluegrass In La Roche, l’été dernier, on a du mal à douter de la sincérité de leur démarche. Cet album, Bluegrass Ambassador’s Sessions, en est un second témoignage. Si les Henhouse Prowlers exportent un petit bout de la culture américaine à l’étranger, ils sont également sensibles à celle des pays qu’ils visitent. Dans chacun d’eux, ils s’efforcent d’apprendre, dans la langue originelle, une chanson locale et de l’adapter sur leurs instruments. Bluegrass Ambassador’s Sessions regroupe huit de ces chansons, certaines enregistrées avec des artistes du pays. Les trois titres européens sont à mes oreilles les moins réussis. Le néerlandais et l’allemand ne sont pas des langues très musicales. La chanson hollandaise est un rock. Les couplets sont plutôt rigolos mais les refrains manquent nettement de finesse. La chanson allemande est un folkgrass très sobre, interprété par David Lübke sur lequel Ben Wright joue en clawhammer. Pour la république tchèque, c’est le choix de la chanson qui est décevant. Jozin z Bazin est une chanson pour enfants. L’arrangement avec des chœurs et du kazoo lui donnent vraiment un aspect de comptine. C’est sympa mais il y avait certainement mieux à faire dans un pays dont le folklore se rapproche de la musique bluegrass, ce qui explique sa popularité du côté de Prague ou de Brno. Les cinq chansons africaines ou asiatiques sont de splendides réussites. Les Henhouse Prowlers sont seuls pour interpréter en swahili la chanson kényane Sura Yako, avec un bel arrangement vocal par moments a cappella. Jolies harmonies également dans Awinyo, mais cette fois en soutien de l’auteur de la chanson, le chanteur ougandais Kahiri. Certains passages font penser à la musique de Johnny Clegg & Savuka, pourtant originaires de l’autre bout du continent africain. Dil Dil Pakistan est le titre le plus bluegrass (à part l’intro qui ne l’est franchement pas). Le guistar (hybride entre la guitare et le sitar) de Fareed Haque se mêle avec bonheur au banjo de Ben Wright et à la mandoline de Jake Howard. Chnam Oun Dop-Pram Muy, chanson rock psychédélique (c’est ce qui est écrit dans le livret), est illuminé par la chanteuse cambodgienne Xang Heang, à la voix typique des traditions de l’extrême orient. Qilpillama est la chanson la plus aboutie dans le mélange des genres puisque la chanteuse Feruza Ochilova partage les chants avec les Henhouse Prowlers et ajoute le dutor (instrument à cordes) et la doyra (percussion) aux instruments bluegrass. En conclusion de cet album magnifique et original, les Henhouse Prowlers nous offrent Away Away, une composition de leur guitariste Chris Dollar enregistrée avec Feruza Ochilova, Kahiri et Xang Heang aux chants. Les Henhouse Prowlers nous promettent une suite (l’album est intitulé Ambassador’s Sessions vol. 1). Je suis déjà impatient de l’entendre. 

 

JOHNNY & THE YOOAHOOS

"Yooahoo Gospel" 

Il est plutôt inattendu que le deuxième album d’un groupe de bluegrasseux chevelus et européens (allemands très précisément) soit un EP (7 titres) consacré au gospel. Les Yooahoos le font à leur façon qui ne plaira pas forcément aux amateurs de traditionnel. Ce n’est pas du bluegrass bien carré avec une rythmique impeccable et des harmonies au cordeau, style Quicksilver. Il y a chez les Yooahoos un côté folk ou prénewgrass du début des années 70. Trois chansons ont cependant une facture assez classique avec des chants à trois ou quatre voix, le traditionnel Looking For The Stone et deux compositions du mandoliniste Johnny Schuhbeck, She’s A Draw A Cross et la valse Take Me To Thee avec un simple accompagnement de guitare et la voix du guitariste Bernie Huber qui s’envole de manière originale sur le refrain. La formidable voix de Bernie est en vedette sur les autres titres, particulièrement dans It’ll All Be Fine (autre compo de Johnny) où elle surfe littéralement sur l’arrangement à la manière de John Cowan. Take Me Down me rappelle également le New Grass Revival des débuts. C’est une composition du banjoïste Bastian Schuhbeck, tout comme la ballade White Shores, joliment arrangée avec des harmonies dans le style de Crosby, Stills & Nash

 

DAMN TALL BUILDINGS

"Sleeping Dogs" 

Le trio Damn Tall Buildings fait partie de ces groupes qui ne prennent leur pleine mesure que sur scène. Leur énergie, leur dynamisme, le charisme du guitariste Max Capistran, la puissance de la voix de Sasha Dubyk, la fougue du fiddler Avery Ballotta ne sont qu’en partie retranscrits dans leur nouvel album, Sleeping Dogs. Pour y pallier, en studio, ils musclent leurs arrangements. Avery et Max jouent fréquemment du banjo en plus de leur instrument de prédilection. Ils ont ajouté des cuivres sur le swing Dark Window Panes, de la lap steel dans Painter et de la flute dans Lemons. Sasha double sa voix dans Quietly Heartbreaking. Il y a aussi de la variété dans les rythmes, loin du old time de base auquel pourrait faire songer la composition du trio. What A Nice Life est funky et joyeux, Podcast est chaloupé. L’ensemble du disque est sympa à écouter, surtout quand on a des souvenirs de concerts mais Sleeping Dogs est moins enthousiasmant que les concerts du groupe. Damn Tall Buildings a peut-être simplement besoin (mais ce n’est pas simple) de meilleures chansons. Ma préférée sur cet album est Sweet Girl ("I’m Not Myself "). Lemons, Painter et Sleeping Dogs sont les autres titres à écouter en priorité.

 

Jussi SYREN & The GROUNDBREAKERS

"Bluegrass Voice"

  Bientôt trente ans que Jussi Syren & The Groundbreakers enregistrent des albums et tournent en Europe et parfois même jusqu’aux Etats-Unis. Bluegrass Singer sorti en 2015 avait été Cri du Cœur dans les colonnes du Cri du Coyote n° 148. Bluegrass Voice est leur treizième disque. Jussi a un timbre voilé qui est typique de certains chanteurs traditionnels mais sa voix s’est quelque peu assourdie ces dernières années et je le trouve désormais plus à son aise sur des chansons lentes ou midtempo comme Echoes From Another World (une de ses quatre compositions sur l’album), Playin’ Hard To Get ou Morning Has Broken, popularisé par Cat Stevens et que Jussi interprète ici joliment avec sa fille Veera. Dans Top Of The World, il laisse carrément le lead à Anneli Mattila dont l’interprétation est très proche de celle de Lynn Anderson. Le gospel One Step Over manque de groove et les autres chansons valent davantage par les interventions de Tauri Oksala au banjo que par les chants. Les trois instrumentaux font partie des bons titres de Bluegrass Voice. Je ne trouve pas que Norwegian Wood des Beatles soit un choix très judicieux pour un instrumental bluegrass mais il y a des passages tout en finesse dans les interventions de Tauri Oksala. Jussi Syren a composé Strokin’ Down dans le style de Bill Monroe. Le contrebassiste Tero Maenpaa et le guitariste JP Putkonen prennent leur tour dans les solos. Southwest Storm est une très bonne composition de Oksala qu’il joue en utilisant des Keith tuners. C’est un des trois titres qui bénéficie de l’intervention de l’excellent Michael Cleveland au fiddle. 

 

Becky BULLER

"The Perfect Gift"

Cri du 💚

 The Perfect Gift est un disque de chansons de Noël, un sous-genre très répandu en country, un peu moins en bluegrass. Cet album est paru l’an dernier, juste avant les fêtes de Noël (le 2 décembre 2022 !), trop tard pour que je puisse vous le présenter à temps pour que vous en glissiez un (ou plusieurs) dans la hotte de Santa Claus. J’ai préféré différer cette chronique d’un an. La qualité de l’album n’en fait pas un objet éphémère. C’est tout simplement le meilleur album bluegrass consacré à Noël depuis Beautiful Star de Rhonda Vincent, paru en 2006 (à la mi-octobre, Rhonda est plus douée que Becky pour le marketing). Mis à part le thème de Noël, les deux albums sont assez peu comparables. Rhonda avait essentiellement repris des standards. Becky a l’immense avantage d’être une excellente auteure-compositrice (Chicago Barn Dance a été élue chanson de l’année 2020 par IBMA). Elle a écrit 6 des 11 titres de The Perfect Gift et plusieurs sont excellents. A commencer par le gospel Mary Rocked Her Baby interprété magistralement a cappella par Becky et The Fairfield Four dans un arrangement typique de ce quartet afro-américain dans lequel la voix de Becky s’intègre à merveille. On entend régulièrement des artistes enregistrer avec leurs enfants ou leurs parents. Dans le meilleur des cas, c’est sympa. Le plus souvent, c’est pathétique. Quand Becky chante avec sa fille Romy, c’est tout simplement mignon et original - tout le monde n’a pas la chance d’avoir une maman qui écrit sur les colliers de nouilles (Merry Macaroni Art). Tous les arrangements de The Perfect Gift ne sont pas bluegrass mais il y en a quatre remarquables parmi les compositions de Becky, en grande partie (mais pas seulement) grâce au talent du banjoïste Ned Luberecki. The Box évoque d’autant plus Gentle On My Mind de John Hartford que Luberecki joue du low banjo sur ce titre. The Savior Is Born est un très joli midtempo. La valse bluegrass Our Gingerbread House et Anna ne sont pas mal non plus. Becky a également fait très fort côté reprises avec en tout premier lieu une excellente adaptation de Last Christmas, le tube de Wham!, interprété avec Ron Block au banjo et Sierra Hull, toujours bluffante à la mandoline et au chant. Il n’y a qu’un traditionnel, O Come, O Come, Emmanuel, joué à un tempo plus rapide que les versions habituelles. Le banjo clawhammer et le chant de Becky Buller sont tellement beaux que l’harmonie vocale de Tim O’Brien en devient presque anecdotique, c’est dire! Dean Martin chantait parfois le standard swing A Marshmallow World avec Frank Sinatra. Becky a choisi de l’interpréter en duo avec Rhonda Vincent et elles chantent comme deux sœurs, superbement accompagnées à la guitare électrique par Pat Bergeson (l’ex-mari d’Alison Krauss). Tell Me The Story of Jesus avec Vince Gill est plus anecdotique mais on retrouve la délicatesse de la voix de Becky, son fiddle et la mandoline cristalline de Sierra Hull dans I Heard The Bells On A Christmas Day, une vieille chanson que Becky a connue par Harry Belafonte. The Perfect Gift, le titre n’est pas usurpé.

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