jeudi 30 novembre 2023

Disqu'Airs, par Éric Allart et Jean-Christophe Pagnucco

 

The Country Side of HARMONICA SAM

"Back To The Blue Side" (2023. Sleazy records)

Samuel Andersson poursuit sans surprise sa recréation du Nashville sound précoce avec ces 14 titres dans la continuité de l’œuvre déjà entamée. C’est le son Starday tel qu’on pouvait le caractériser entre 1960 et 1965. Les arrangements sont toujours tirés au cordeau, faisant la part belle à la pedal steel de Peter Andersson parfois rehaussée d’un fiddle ou d’un piano. L’ensemble est impressionnant de mise en place et de cohérence. Le tout est soutenu par un shuffle solide. On est en terrain connu, trop peut-être et c’est là que l’exercice touche ses limites. Est-ce dû à l’âge? Aux quarante ans de consommation intensive de cette esthétique? Toujours est-il que l’album très agréable ne suscite ni passion ni surprise en ce qui me concerne. Pourtant des efforts sont faits pour sortir de l’impression de monotonie de l’ensemble. Citons Tell Her signée par l’excellent Theo Lawrence qui a rencontré ici des frères spirituels avec une mélodie immédiatement reconnaissable. J’ai aussi beaucoup apprécié Take A Letter Miss Gray où l’on se vautre avec délice dans les affres de la cheatin’ song. Once Upon A Time, avec une intro en guitare acoustique, évoque Don Gibson ou le parfait LP sous estimé de Jim Ed Brown, Bottle Bottle. Il sera intéressant de suivre l’évolution du groupe: coller à son style et son esthétique pour un public fidélisé qui a découvert le konky-tonk 60 avec Harmonica Sam ou entamer des incursions hors des sentiers balisés dans les dérives variétisantes de la pop country du début des années 70 Peu importe, l’œuvre reste impressionnante dans sa globalité, presque unique dans sa niche, et mérite gratitude et reconnaissance. (Éric Allart)

 

YODELIN’KIK and RATTLESNAKE JOE

"American roots music II" 

Le bluegrass français connait depuis une poignée d’années l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes que les amateurs ont pu apprécier au festival de la Roche sur Foron. Si le vivier de leurs aînés brillait par un tropisme pour les instrumentaux progressistes, dans le cas présent nous découvrons un duo inscrit dans la tradition revendiquée du brother’s duet. Egalement impliqués dans le collectif Pig Society, Valentin Lallart et Antoine Gellée nous interprètent avec conviction des standards des années 20-30, avec deux instrumentaux guitare-mandoline. On est tenté de comparer le résultat aux regrettés Old Time Hayride dans le même format, avec la figure tutélaire des Monroe Brothers comme influence majeure revendiquée. C’est fin, léger, avec toute la fraicheur naïve d’un style désormais centenaire. Les closes harmonies fonctionnent bien et, pour avoir vu le duo se produire cet été 2023 au Festival Herbe Bleue en Anjou, on peut peut-être regretter que l’album autoproduit soit passé inaperçu dans le milieu. Le charme vient de la subtilité du jeu et du chant: pas de démonstration virtuose afin de réinventer l’eau tiède, mais des nuances et un buzz plus que crédible dans les harmonies vocales. Les deux gars ne singent pas avec excès l’accent appalachien pre-war et le résultat tend à évoquer la fragilité émotionnelle des Blue Sky Boys. Voici une carte de visite qui saura tenir sans rougir son rang au sein de toute collection sérieuse à coté de ses parents étrangers. (Éric Allart)

 

Charlie WATTS

"Anthology", BMG 2023

A l’heure où les médias ruissellent du buzz colossal créé par la sortie de  Hackney Diamonds, le tout dernier album en date des Rolling Stones (best rock’n’roll band ever since 1964), c’est, une fois n’est pas coutume, leur légendaire et unique batteur, décédé en 2021 après presque 60 ans de loyaux services, qui a les honneur, ces jours-ci, d’une copieuse et luxueuse anthologie éditée par BMG, regroupant le meilleur de son œuvre solo (si, si, elle existe), œuvre au cours de laquelle, au gré de parutions irrégulières et de concerts ponctuels dans des lieux choisis et avec des comparses tout aussi sélectionnés (quartet, quintet, tentet et orchestra), il s’est adonné avec un réel bonheur à sa passion profonde (et presque secrète), pour le jazz et le boogie-woogie. Autant le dire tout de go: la trentaine de titres qui s’égrènent au gré de la tracklist impeccable de ce double CD qui coule tout seul est absolument excellente, old time et hautement délectable. La finesse du jeu de Charlie Watts est éblouissante, large-ment à la hauteur de son drumbeat imparable qui a fait trembler les clubs et les stades. Quant au choix du répertoire, largement composé de standards jamais éculés et exécutés avec passion (Take The A Train, Perdido, You Go To My Head, Flying Home, Stompin’ At The Savoy, somptueux), il est hautement révélateur du jazz qui a pris le cœur du batteur aux cheveux blancs il y a quelques décennies sans jamais le rendre. Au-delà de la célébration du groupe dont il a été le cœur battant et vénéré (Charlie, Charlie…), ce bel opus constitue un cadeau précieux pour se souvenir de ce bel esthète que fut le grand Charlie Watts. (Jean-Christophe Pagnucco)

 

Denis AGENET & NOLAPSTERS

"Peace Of Land", Rock’n’Hall 2023.

Il est particulièrement plaisant et stimulant de constater que des figures familières de la sémillante scène blues française, dont les poids lourds s’illustrent si bien sur les scènes européennes, voire sur les scènes américaines, révèlent encore des talents cachés, après une bonne quinzaine d’année d’activité frénétique. Connu en tant que sideman, batteur émérite du groupe Bad Mules qui s’est tant illustré ces quinze dernières années, Denis Agenet, véritable référence du drumming blues en France, s’illustre désormais en tant que frontman, sans délaisser son instrument de prédilection. Originellement inspiré par Nola Records et soucieux de défendre les pépites des années 40 à 60 avec son groupe les Nolpasters, Denis Agenet propose en 2023 cet album copieux, dont toutes les chansons sont issues de sa plume. Qualité à souligner, loin des poses et des reproductions serviles de standards éculés, l’artiste a visiblement à cœur de défendre un répertoire personnel, et il est en pleine capacité de le proposer, ce qui est une qualité à souligner et largement apte à le démarquer d’une concurrence, il faut le dire, bien peu créative. Entourés par le bottin des pointures du blues frenchy (Thomas Aubé aux guitares, le merveilleux Igor Pichon à la contrebasse, Cédric Le Goff aux orgues, Ben Bridgen au piano, ainsi que des guests aussi prestigieux que Nico Wayne Toussaint (le patron du blues européen), Arnaud Fradin, ou encore Gordon Beadle, Denis Agenet déroule un répertoire impeccable, bluesy en diable, swinguant sans cesse, soul au creux du cœur et groovy à la sauce New Orleans. Il s’avère, en plus d’être un batteur génial, être un chanteur impliqué et convaincant, ce qui est indispensable pour défendre des titres aussi personnels que Hey Dad (ma préférée) avec son picking entêtant et son harmonica délicat (l’album est dédié à ses parents), She’s My Fire Girl, qu’on dirait directement échappée de Specialty Records avec son piano entêtant et ses chœurs, Winky Meli, convoquant les fantômes de Fats Domino et de Dave Bartholomew, EarthBound, qui n’est pas sans évoquer les dernières aventures de William Bell produit par John Leventhal ou encore l’acoustique et envoûtant The Beautiful Sad Song. Une franche réussite. (Jean-Christophe Pagnucco)

 

Billy VALENTINE

"Billy VALENTINE and The UNIVERSAL TRUTH", Acid Jazz / Flying Dutchman, 2023.

Attention! Monument Soul Jazz en approche! Il serait si simple, pour des oreilles francophones recevant ce bel opus, la forme l’emporte sur le fond. La forme, il est vrai, à de quoi séduire et même impressionner. Voici un tout nouvel album de Billy Valentine, vétéran de la soul, qui a composé pour Ray Charles et les Neville Brothers, qui a collaboré avec Burt Bacharach et qui, après près de 50 ans de carrière, propose, dans un superbe écrin, un bel album de 8 titres puissants, où sa voix évoquant Terry Calier ou Curtis Mayfield, convoque les fantômes de Gill Scott-Heron et de Marvin Gaye. La couleur acid soul ou groovy jazz, admirablement servie par l’interprétation impeccable d’un artiste bien trop discret qui pourrait se hisser à la hauteur de quelques géants de la soul modern, rappelle les plus belles heures seventies de Tamla Motown ou de Stax, et rien que cela suffirait à convaincre. Mais il y a également le fond, et il serait bien dommage que les non-anglophones ignorent le fait que notre artiste a bien des choses à dire. Comme l’écrivait Roda-Gill, "à quoi sert une chanson si elle est désarmée"? Billy Valentine l’a bien compris, et ce sont les fantômes de l’Amérique profonde, en panne définitive d’intégration et de justice sociale, qui se trouvent dépeints dans cet opus qui, à bien des égards, pourrait constituer le What’s Goin' On des années 2020. Pour ce faire, il s’approprie, avec un talent colossal il faut bien le dire, les mots de Curtis Mayfield (We The People Who Are Darker Than Blue), de Stevie Wonder (You Haven’t Done Nothing), de Prince (Sign Of The Times, version sensationnelle ), et réinvente le puissant traditionnel Wade In The Water. Un très grand album de soul, à recommander à tous ceux qui ont des oreilles et un cœur. (Jean-Christophe Pagnucco)

 

Kaz HAWKINS

"Until We Meet Again", DixieFrog 2023.

Quelle grande chanteuse! Quelle belle artiste! Kaz Hawkins, soul et blueswoman irlandaise avalant et dévalant avec gourmandise les scènes françaises et européennes depuis quelques années, n’en finit pas de ravir sa base de fans qui ne fait que s’élargir, compte tenu de l’extrême qualité de ses prestations, de ses compositions et de ses productions. Son septième opus, Until We Meet Again, ne fait pas exception à la règle, et attrape l’auditeur à la gorge et aux tripes dès le démarrage a cappella du premier titre, Pray To, pour ne plus jamais le lâcher, du groovy en diable Get Up and Go, au bouleversant et élégiaque titre acoustique The River That Sings, que n’aurait pas renié John Hiatt, à Hold On for Home, qu’on dirait échappé d’un album sixties de Sam and Dave, en passant par le plus moderne Lonely Boy, presque californien, le déchirant Standing Tall, l’impérieux I gotta Be Me ou le dansant Get the Jack From The Bottle. Kaz Hawkins est dans la place, et ne cède pas un pouce de terrain lorsqu’il s’agit de conquérir le cœur des amateurs de blues, de soul, de rock racé, dont elle constitue l’une des plus brillantes interprètes et créatrices actuelles. Chapeau bas, au passage, à sa french team, absolument éblouissante, constituée de Stef Paglia à la guitare, de Cédric Le Goff aux claviers, du sensationnel Julien Boisseau à la basse, du légendaire Amaury Blanchard à la batterie, ainsi que Benoît Gaudiche à la trompette et Guillaume Sené au saxophone. Vite, un concert! (Jean-Christophe Pagnucco)

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