mercredi 13 décembre 2023

Disqu'Airs, par Jean-Christophe Pagnucco

 

Ana POPOVIC

 "Power", Artistexclusive Records, 2023.

Après 25 ans de carrière, à écumer les scènes mondiales pour dégainer sa guitare affutée au service d’un blues rock mâtiné de soul et lardé de slide, Ana Popovic, droite dans ses santiags et d’une implacable régularité, propose en 2023 un nouvel album, Power, pour un public que l’on imagine fidèle à l’énergie, et parfois même au vacarme, qu’elle déploie sur scène. L’accent est ici mis sur ses onze compositions, mêlant blues, rock, soul et même jazz, servies ici par une production léchée et une instrumentation impeccable. N’ayant jamais été une chanteuse éblouissante, l’artiste serbe a cependant appris à tirer le meilleur parti de sa voix, qui semble ici particulièrement mise en avant, ce qui conduit l’album, ici ou là, à faire mouche sur quelques titres surprenants par leur registre inhabituellement groovy et soyeux (Your Luv’n’Touch, Recipe Is Romance), avant que la guitare acérée ne reprenne ses droits (Queen Of The Pack, Flicker’n’Flame). Le groove est le maître mot de ce nouvel album qui, avouons-le, est convaincant sans être passionnant ce qui demeure, avouons-le également, le sentiment qui domine généralement à l’écoute de la production discographique d’une artiste ayant essentiellement acquis sa réputation sur scène, auprès d’un public avide de sensations guitaristiques et largement acquis à sa cause. Un album à recommander à ces derniers, donc. 

 

Grant HAUA

"Mana Blues", Dixiefrog- Rock’n’Hall, 2023.

Grant Haua, le dernier phénomène Dixiefrog, n’en finit pas de délivrer une production abondante et de qualité. Le fameux bluesman maori livre ici son opus de l’année, qui ne doit pas effrayer malgré sa pochette hideuse. On notera que le propos est de plus en plus électrique, délaissant les rives du blues pour un rock de plus en plus hard, servi néanmoins par des compositions de qualité, des effluves ethniques distillées avec soin et bon goût, et un vocal toujours brillant. On saluera la version de personnelle de Billie Holliday, déjà présente sur l’album de sa compatriote DeLayne et un clin d’œil aux racines avec une reprise assez époustouflante du In My Time Of Dying de Blind Willie Johnson. La ballade groovy Jealousy prouve aussi que le bonhomme peut être un auteur et un interprète plus subtil qu’il n’y parait, tout comme l’ingénieux Good Stuff, en duo avec Brian Franks le réincarne en chanteur soul plus que convaincant. En forme de vœu pour l’avenir, on rêverait de le voir emprunter un chemin plus axé sur les qualités intrinsèques et réelles de son songwriting et de son interprétation et ne pas se laisser transformer en machine à débiter trop de disques, pour donner trop de concerts devant trop de publics uniformes, amateurs de blues bulldozers tendance highways teutonnes (Popa Chubby, si tu nous lis…). Grant Haua mérite une oreille attentive et on lui souhaite naturellement le meilleur… 

 

CAT SQUIRREL

"Blues What Am", Dixiefrog, Rock’n’Hall, 2023.

 Bon sang! Un album de blues saignant, proposé par un quintet emmené, au chant, par Mike Vernon, le boss du label Blue Horizon, qui nous a offert, dans les mythiques sixties, les plus belles heures de Fleetwood Mac (période Peter Green, what else?), découvert le regretté Duster Bennett, et même favorisé l’éclosion d’Eric Clapton-is-God, posté aux premières loges lors de l’enregistrement de l’album de John Mayall and The Bluesbreakers. 60 ans plus tard, revoilà l’élégant boss aux cheveux blancs pâles, si fréquemment sollicité par les documentaristes et les archivistes pour évoquer l’âge d’or du British Blues auquel tous les blues revivals doivent tant, et il s’est mué en chef de meute d’un blues gang passionné et convaincant. Au menu, un bel album de 14 titres qui sort tout droit catapulté d’une autre époque, celle où des meutes de jeunes anglais rentraient dans le leur d’une musique bleue, presque fossilisée (déjà, à l’époque…) pour lui redonner passion et couleurs électriques. De l’harmo, de la slide guitar, quelques reprises de Big Bill Broonzy ou de Doctor Ross, mais surtout des compositions personnelles pleines de références, enveloppées d’une belle énergie. On lira ça et là que le Mike n’est pas un chanteur spectaculaire… C’est tout à fait vrai tout en étant une remarque, dans le contexte, résolument dépourvue de pertinence. En ne forçant pas sa voix, en optant pour une approche naturelle, loin de la recherche mimétique d’intonations et de tics vocaux qui ne sont pas les siens (grande spécialité française), Mike Vernon satisfait à une démarche plus sincère, honnête et authentique (lâchons ce mot si galvaudé) que le tout courant de la production blues européenne et charmera, sans aucun effort, par cet album sans prétention, tout amateur de la note bleue doté d’un cœur et de deux oreilles! 

 

Boney FIELDS

"Just Give Me Some Mo", Rock’n’Hall, Dixiefrog, 2023.

Installé depuis bien longtemps à Paris, le chanteur trompettiste Boney Fields, au CV impressionnant tant par la richesse de ses concerts, de ses productions et de ses prestigieuses collaborations (Maceo Parker, Luther Allison, Lucky Peterson, James Cotton, Buddy Guy), avait sans doute fini par compter parmi les meubles… Lourde erreur. Il s’affirme, par ce copieux nouvel album, très très bel surprise, comme un artiste poids lourd du blues moderne, et comme le titre Just Give Me Some More l’indique, qui a encore bien des choses à dire et à vivre. Les compositions sont brillantes, les vocaux habités, les arrangements cuivrés saignants et classieux. Boney Fields embarque sans peine son auditeur pour 11 titres de blues moderne, envisagés dans bien des déclinaisons, cohérentes et complémentaires, pour servir une palette allant du rythm’n’blues New Orleans, au Chicago Blues moderne obédience funky, pour reprendre les choses là où les ambassadeurs modernes que furent Luther Allison et Lucky Peterson les avaient laissées. Au rang des clins d’œil, le très éculé Thrill Is Gone, cheval de bataille de BB King, reprend ici des couleurs inattendues et le Cross My Heart, de Sonny Boy Williamson via James Cotton, traverse à nouveau les âmes. On saluera la plume élégante du légendaire Sebastian Danchin sur The Change Is Yet To Come, titre qui fera date en rappelant les plus belles heures de Bobby Blue Bland, et on sera gré à Boney de nous propulser au cœur du Chitlin Circuit, sans passéisme aucun et avec une rage de vaincre, d’émouvoir et de jouer tout à fait palpable. Un des plus beaux albums de blues moderne de ces dernières années. 

 

Dr SUGAR

"These Words", Rock’n’Hall, 2023

. Attention ! Concentré de talent! Dr Sugar n’est pas un inconnu, puisque que derrière ce pseudonyme et ce look énigmatique qui évoquerait un Coco Robicheaux sobre, se cache Pierre Citerne, ancienne figure de proue des Marvelous Pig Noise, groupe jubilatoire qui a fait les plus belles heures de bien des scènes et bien des festivals des années 90. Le voici de retour, au chant, à la guitare, à l’écriture et aux arrangements pour proposer, au cœur de ce These Words, 10 titres originaux, nimbés d’orgues Hammond, de guitare funky et parfois de cuivres, mettant en valeur son beau talent de chanteur au service de compositions (très originales), dans un registre blues-soul-gospel New Orleans à la fois bourrés de références tout en tranchant singulièrement dans la production blues française. A écouter, à suivre, à voir sur scène. On appréciera tout spécialement le remuant The Little Church, le passionné Half Hearted Lovin' (Just Won't Do)… et bien sûr, notre petit cœur d’amoureux de la francophonie bondira à l’écoute de J’me suis bonifié, qui évoquera, que l’artiste s’en réclame ou non, les plus belles heures de Bill Deraime. Longue vie et longue route à Dr Sugar. PS : mazette, quel chanteur…

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