mercredi 30 novembre 2022

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

  Tray WELLINGTON

"Black Banjo" 

Cri du 💚

Le jeune banjoïste Tray Wellington, découvert avec le groupe Cane Mill Road (Le Cri du Coyote n° 160), publie son premier album. Avec un titre comme Black Banjo, je m’attendais à de la musique roots, dans la lignée des disques de Carolina Chocolate Drops. Black Banjo est au contraire un disque de bluegrass moderne. Trois titres sont fortement influencés par le jazz. Dans Black Banjo, ce n’est pas le banjo qui est noir, c’est le banjoïste. C’est suffisamment rare pour être signalé (à ce niveau de notoriété, c’est même à ma connaissance unique) mais - blanc ou noir ou jaune - l’essentiel est que Tray Wellington soit un excellent banjoïste et un bon compositeur. Il a écrit huit des onze titres, joués avec tout l’éventail des techniques du picking bluegrass. Style Scruggs pour Georgia Turnaround, titre le plus classique de Black Banjo, single string pour les morceaux jazz et beaucoup de melodic pour le reste. Wellington excelle dans toutes les techniques mais c’est son style melodic qui le rend, à mon avis, le plus original. On en entend notamment dans ses bonnes compositions Crooked Mind, Port Of Manzanita, Night Fall Rendezvous et Pond Mountain Breakaway, très inspiré par Béla Fleck. Il a aussi écrit deux chansons, Wasted Time, légèrement jazzy, chanté avec Tim O’Brien, et Saw A Little Boat qu’il interprète avec un timbre un peu sourd bien assorti à son banjo accordé plus grave que le standard habituel. Parmi les trois titres jazz, il y a une composition, la valse Unknown Days Waltz. Pour Naima de John Coltrane arrangé en trio avec violon et contrebasse, Tray Wellington a ajouté un passage rappé. Le dernier titre jazz est Strasbourg Saint Denis, une composition du trompettiste Roy Hargrove qui comprend de bons passage en duo ou en dialogue entre Wellington et le mandoliniste Wayne Benson. L’autre reprise est Half Past Four, tiré du répertoire de John Hartford et qui ressemble beaucoup au traditionnel Rickett’s Hornpipe dans l’arrangement de Wellington. J’ai trouvé les morceaux jazz un peu moins intéressants que les autres mais je pense que c’est affaire de goût personnel. Wellington compose bien. J’ai été vraiment séduit par sa technique et le son de son banjo. Ses accompagnateurs brillent également à ses côtés. Wayne Benson bien évidement, le guitariste Jon Stickley et trois jeunes fiddlers, Lindsay Pruett (qui fait partie du trio de Stickley), Carley Arrowood (qui a joué plusieurs années avec Darin & Brooke Aldridge et entame une carrière solo) et Avery Merritt qui se distingue notamment dans Port Of Manzanita et Georgia Turnaround

 

The LONG JOHN BOTHERS

"Often Astray" 

Cri du 💚

Révélation du festival bluegrass de La Roche-sur-Foron en 2021, le groupe suisse The Long John Brothers a largement confirmé son talent lors de l’édition 2022 et avec la sortie de son second album, Often Astray. La formation genevoise a beaucoup de qualités. Celle qui lui donne toute son originalité est la voix chaude de son guitariste Sylvain Demierre, magnifique sur un blues comme Mère Royaume, un bluegrass classique (Groundhog Days) ou un slow (Regrets and Sorrows). Une voix qui a la puissance de Scotch Barley, le chanteur de Hayseed Dixie dans Something Creepy In The Gutter, et qui sait trouver la profondeur et les graves d’un Louis Armstrong dans Morning Star! Voilà qui n’est pas banal. Il forme un excellent duo avec Jean-Michel Pache (mandoline), l’autre chanteur des Long John Brothers, notamment dans l’excellent Crankset. La voix haut perchée, beaucoup plus typique du bluegrass de Jean-Michel s’illustre aussi sur plusieurs titres, notamment For The Love Of Myself. Les harmonies à trois et quatre voix sont un autre point fort du groupe. Les quatre voix sont dans une tessiture plus grave que les quartets bluegrass habituels dans Morning Star et Rambling Mummy. C’est original et encore une fois réussi. J’aime aussi la fin à la Fox On The Run de At The Foot Of The Mountains. Les douze chansons ont été composées par les membres du groupe. Elles sont souvent marquées par le blues, ce qui va bien aux deux chanteurs. J’ai beaucoup aimé les arrangements, avec de nombreux passages ou deux instruments sont en duo. Olivier Uldry joue un très bon solo de banjo dans Crankset mais c’est surtout au dobro que je le trouve remarquable. Il complète parfaitement la voix de Sylvain Demierre dans Regrets and Sorrows et apporte beaucoup aux arrangements de Mère Royaume et Troubles In Sight, chanson qui démarre sur une rythmique rock. Demierre, Pache, Uldry et Sylvain Merminod (contrebasse) sont de bons musiciens. Ils étirent le dernier titre du disque sur presque sept minutes avec une succession de solos. Often Astray est le très bon album de bluegrass d’un groupe qui n’a guère d’équivalent, ni en Europe, ni aux États-Unis. 

 

Shannon SLAUGHTER

"Ridin’ Through The Country" 

Est-ce parce que Shannon Slaughter pensait que quatre titres de son nouvel album Ridin’ Through The Country étaient meilleurs que les autres qu’il a demandé à Adam Steffey d’y jouer de la mandoline ou est-ce parce que Steffey joue sur ces quatre morceaux (avec Jason Davis au banjo pour trois d’entre eux) qu’ils m’apparaissent comme les plus réussis du disque? Toujours est-il que la voix de Slaughter a la même douceur que celle de Ronnie Bowman dans le countrygrass Ridin’ Through The Country et que Hard A’ Part sonne comme du Lonesome River Band période Bowman-Tyminski. Quant à Plus One More Day, on le croirait tout droit sorti d’un album de Blue Highway. Il faut dire que la chanson a été composée par Tim Stafford et Bobby Starnes et que Shawn Lane est au soutien vocal de Slaughter sur le refrain (comme sur tout l’album). Comme les deux premiers titres cités, Goin’ Up The Mountain est une composition de Slaughter, bien chantée, avec une jolie intro de Steffey. Adam Steffey est excellent sur les quatre chansons où il joue. La réussite de Plus One More Day doit aussi beaucoup au style très rythmé de Jason Davis. Sur les autres chansons, Slaughter est accompagné par Ronald Inscore (mandoline) et Trevor Watson (banjo). Gaven Largent est au dobro sur quelques titres et Aubrey Haynie au fiddle sur presque tout l’album. Inscore et Haynie sont excellents dans Alberta Clipper mais ce genre de chanson plus classique (tout comme Bloody Bill et Where I’m Bound) convient moins bien à la voix de Shannon Slaughter. Le dobroïste Gaven Largent apporte beaucoup aux titres plus lents, les ballades Common Ground et I Let Her Go, qui mettent en relief la voix chaude de Slaughter. Le reste est varié (blues, chanson country avec pedal steel, gospel, une valse patriotique – mais empreinte de tolérance – I Stand For The Flag) mais moins réussi. Et Shannon Slaughter ne peut pas s’empêcher (comme dans Hold On To Your Heart, son précédent disque – Le Cri du Coyote n° 165) de nous infliger deux titres chantés par ses enfants. Elles n’auraient jamais dû sortir du cercle familial… 

 

Dave ADKINS

"We're All Crazy" 

Dave Adkins a une voix puissante, gutturale et bluesy dans le style de Chris Stapleton. Ses interprétations ont gagné en subtilité depuis son précédent album Right Or Wrong (Le Cri du Coyote 158). Des progrès confirmés par son nouvel disque, We’re All Crazy, qui compte dix chansons arrangées en bluegrass contemporain. Le style Scruggs de Jason Davis (banjo) et les glissés de Jeff Partin (dobro) sont joliment associés sur presque tous les morceaux. Ils sont bien secondés par Aaron Ramsey (guitare) et Will Clark (mandoline). Le fiddler George Mason est en vedette dans Blind Hawg. Les trois premiers titres, Dixieland Delight, We’re All Crazy et surtout Dear Departed (de Shawn Camp) ont des mélodies marquantes et sont de vraies réussites. Traveller se distingue par le solo très blues de Partin. Headed For The Hills et Cold Hearted Woman (la seule composition d’Adkins dans We’re All Crazy) sont également très agréables. 

 

COUNTRY GONGBANG

"We All Need Bluegrass" 

Les musiciens coréens de Country GongBang se sont produits pour la première fois en Occident lors du dernier festival Bluegrass In La Roche, confirmant tout le talent montré dans les vidéos qui les avaient fait connaître sur internet lors du confinement. Leur premier album, We All Need Bluegrass, relève presque du miracle pour un groupe qui a appris en regardant des vidéos sur YouTube, sans contact direct avec d’autres musiciens bluegrass. En public ou en vidéo, le visuel, le capital de sympathie que dégage un groupe gomment les petits défauts. L’écoute répétée du disque ne pardonne rien. Et We All Need Bluegrass a toutes les qualités des enregistrements des bonnes formations américaines. Le son est excellent. La rythmique est impeccable. Les solos sont remarquables surtout au fiddle. Country GongBang joue tout aussi bien du bluegrass classique que du contemporain ou du countrygrass. Born To Be Chicken a un solo de guitare légèrement swing. Une chanson (toutes les notes du livret et six des neuf titres sont en coréen – pas facile pour en parler) est très inspirée du style d’Alison Krauss & Union Station. J’aime moins quand le countrygrass tire trop vers la country. Tous les morceaux sont chantés en coréen. On avait découvert avec Youn Sun Nah que c’était une langue qui convenait au jazz. On s’aperçoit qu’elle va aussi très bien au bluegrass, surtout quand elle est chantée par la voix douce de Yebin, la mandoliniste du groupe. Avec la Norvégienne Rebekka Nilsson (Hayde Bluegrass Band) et l’Irlandaise Tabitha Benedict-Agnew (Cup O’ Joe), elle est aujourd’hui parmi les chanteuses étrangères qui peuvent prétendre rivaliser avec les meilleures américaines.

 

BLUEGRASS 2022 

De 1995 à 2001, Scott Vestal, Wayne Benson et différents musiciens au fil des années ont enregistré une série d’albums instrumentaux intitulés Bluegrass ‘95 jusqu’à Bluegrass 2001. Vestal a repris le concept en 2020. Pour Bluegrass 2022, il a conservé Cody Kilby (guitare) de l’édition 2020, récupéré Randy Kohrs (dobro) qui avait participé à plusieurs disques des années 90 et complété la formation avec Tim Crouch (fiddle), Byron House (contrebasse) et un jeune mandoliniste de 21 ans, Jonah Horton. J’ai trouvé ce disque plutôt décevant. En partie la faute au répertoire. Les disques précédents associaient de grands classiques avec quelques titres plus obscurs et des compositions des musiciens eux-mêmes. Ici, sur dix titres, aucune composition et cinq standards archi-connus, archi-joués dont on connaît de meilleures versions. Lonesome Fiddle Blues démarre sur le riff de contrebasse qui faisait l’originalité de la version de New Grass Revival mais l’accompagnement manque de vigueur par la suite. A l’inverse, la rythmique de Train 45 est presque brutale. Je ne trouve pas très heureuses les syncopes rythmiques dans la seconde partie de Blackberry Blossom. Reuben a une intro électro originale mais les solos manquent de brio. Gold Rush est plutôt mieux. C’est le standard le plus proche des versions classiques. Un peu moins joué, le traditionnel John Hardy a de bons solos de banjo et de mandoline. Dans Welcome to New York de Bill Emerson et Doyle Lawson, Horton et Kilby jouent des solos légèrement jazzy bienvenus. Le groupe a également adapté deux morceaux venus du courant new acoustic, EMD de David Grisman et Tipper, une des rares compositions que Tony Rice nous ait laissées. Scott Vestal s’intègre bien dans ces instrumentaux dont les versions originales avaient exclu le banjo. Horton et Kilby sont à la hauteur du challenge que représente la reprise de titres de Grisman et Rice. Tipper est la seule réelle surprise de ce disque avec l’adaptation instrumentale de Steam Powered Aereoplane, une chanson de John Hartford, plutôt réussie, surtout pour le solo de banjo en intro.

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