"Eagle Number 65" (2022)
Producteur et pilier de la scène d’Austin, Lloyd Maines nous livre dans ce 12 titres un panel de son talent de pedal steeler. Le son et la production sont modernes mais sans verser dans les dérives putassières surcompressées et écrasées par les basses et percussions. C’est de l’excellente country music, mais pas que. La sélection comprend des standards comme Steel Guitar Rag et Auld Lang Syne dont l’usure est telle que s’y attaquer reste toujours problématique. Deux pièges menacent alors l’interprète: refaire à la manière de, dans une copie peu créative, ou alors détruire le morceau en le dénaturant au-delà du sensé pour en faire autre chose. Lloyd Maines se tire d’affaire en évitant avec goût les deux cas. Steel Guitar Rag devrait plaire à notre ami Lionel Wendling, en effet, après la mise en place du thème, il l’enrichit avec des variations swinguantes du plus bel effet, c’est créatif sans perdre de vue l’identité. Pour Auld Lang Syne qui clôt l’album, on se régalera des harmonies riches et onctueuses des accords avec une longue intro où la steel seule est magnifiée. Il y a une belle ballade country Because Of The Wind, et un efficace rock sudiste ZZ Topien, Hank Hills Nightmare. Du jazz Homer Odds Is He où l’on appréciera la diversité des percussions. L’ensemble est assez touffu et riche de la diversité de l’instrumentation: une belle guitare acoustique, de l’accordéon sur le celtique Irish Blood, du dobro, on arrive, et ce n’est jamais évident, au bout d’un album instrumental centré sur la pedal steel sans impression de redite ou de platitude. Plus mitigé je suis sur Lullaby, seul morceau chanté, certes avec une belle mélodie et la voix d’Allison Krauss, mais qui aurait gagné à être plus concis. (Éric Allart)
L’étonnante prolixité de Charley Crockett confirme plusieurs tendances qui dessinent un paysage mental et artistique désormais bien établi. D’abord la capacité impressionnante de naviguer entre les genres avec une totale crédibilité, qu’il s’agisse de R&B avec des arrangements de cuivres, de donner dans un funk coloré de gimmick néo orléanais, ou de perpétuer, sans les singer, les meilleurs des plans de Nashville Sound des années 70 débutantes. L’homme n’en est pas à son coup d’essai, il ne produit pas une suite décousue mais à chaque album nous retrouvons un récit structuré avec introduction et conclusion, comme à la grande époque des disques concepts. Les familiers y retrouveront ce qui caractérise la qualité de son écriture: des histoires profondes et graves où la simplicité du lexique n’entrave en rien la puissance et la portée des images poétiques. Moins prégnant dans le dosage "Country” que ses albums précédents, on remarquera aussi un allègement des back-ups au profit de la voix mise en avant. Ça prend le temps de poser des ambiances, de cultiver l’attente. L’errance, les espaces, le western et sa mythologie, la femme perdue, l’introspection : on est dans la continuité des thèmes de prédilection. Le niveau d’exigence et de personnalité de l’ensemble se répercute sur les albums antérieurs auxquels celui-ci fait écho, et Charley trace ainsi un sillon poursuivant vers le futur une œuvre que l’on peut qualifier déjà de maitresse. (Éric Allart)
"À l’ombre des sycomores" (Socadisc, 2022)
Attention c’est du lourd ! Alors qu’il avance résolument dans la troisième décennie d’une carrière déjà bien remplie qui lui avait valu bien des rencontres et des honneurs et d’écrire, à sa manière, une belle page dans l’histoire du blues rock de ces dernières années, Rod Barthet continue ici d’explorer le sillon francophone qui lui a permis, disons-le tout net, d’émerger en tant que talent à part entière. Il marque ainsi de sa personnalité singulière, de sa voix au timbre personnel et de son touché si fin de guitariste électrique et éclectique, une nouvelle étape de sa carrière exemplaire en proposant aujourd’hui À l’Ombre des Sycomores, troisième album francophone après Au bout d’ma ligne et digne successeur de l’excellent Ascendant Johnny Cash, dont nous avions déjà eu le loisir de célébrer les louanges dans les colonnes de ce fanzine. Ici aussi, la plume de Rod côtoie en toute cohérence celle du légendaire Boris Bergman et rencontre celle de Joseph D’Anvers, provenant d’un univers plus chanson française mais qui avait été l’orfèvre de L’Homme Sans Âge, bel album écrit pour Dick Rivers en 2008. Au cœur de À l’Ombre des Sycomores, dont l’achat est recommandé à tous les férus de musique américaine au sens large du terme et de belle langue chantée, on goûtera à la guitare généreuse de Mon amour, aux violons des Mers du Sud, à l’ironie espiègle de L’amour m’a fait au revoir, à la slide de Le chemin que ne renierait pas Sonny Landreth, à la ballade atmosphérique et normande À Étretat, au proto country punk rock Gar’toi loin de ma maman avant de se clore par l’hymnesque Vivre en liberté. À se procurer absolument, afin d’encourager ceux qui ont su écrire une histoire si personnelle et passionnante dans ce genre musical souvent encombré de clichés et de redites, deux défauts jamais identifiés dans l’œuvre déjà considérable réalisée par Rod Barthet. (Jean-Christophe Pagnucco)
"Wherever The Road Takes Me, 30 Years Best Of Collection"
(Dixiefrog 2022)
Figure familière de nos contrées depuis 3 décennies, celui qui, depuis le décès du regretté Calvin RUSSEL, demeure le plus français des bluesmen texans, publie ces jours-ci une belle et généreuse compilation de sa production fidèlement proposée sur le grand label Dixiefrog, avec une impeccable régularité, depuis 30 ans. Construite et packagée avec grand soin, la compilation décline en deux cd une rétrospective de l’œuvre studio de Neal en 20 titres, toujours personnelle, délicatement écrite, parfaitement exécutée et savamment arrangée, puis 8 titres incendiaires en live, afin d’honorer la réputation non usurpée de road warrior que s’est construite notre homme, en brûlant inlassablement toutes les scènes de France et de Navarre, devant un public de fidèles et de nouveaux conquis. Une clé d’entrée idéale pour ceux qui voudrait dé-couvrir la voix caverneuse, la guitare habile et le songwriting racé d’un artiste qui mériterait sûrement une exposition plus importante encore. Un joli point d’étape pour les familiers de son œuvre exigeante, qui est si copieuse que l’on peut parfois ne pas avoir le temps de savourer les ressources cachées d’un opus récemment paru, ce qu’invite à faire ce double CD qui doit figurer en bonne place pour tous les amateurs de blues texan. Allez, quelques minutes de Handful of Rain pour retrouver le frisson… et s’ouvrir l’appétit pour dévorer ce cadeau copieux! (Jean-Christophe Pagnucco)
"Touch of Groove" (Absylone, 2022)
Dès son intitulé, ce bel objet discographique au visuel soigné annonce la couleur et dévoile ses intentions. De groove il sera question, et dès les premières notes, l’orgue Hammond et la basse groovy servent de tapis idéal à une voix féminine gorgée de soul, au service d’un songwriting habile pour un répertoire original si efficace qu’il n’a aucunement à rougir des belles heures des studios Ardent Muscle Shoals. Il est donc bien facile d’entrer dans le propos jubilatoire de la chanteuse Letty M., dont on entendra sûrement beaucoup parler dans les mois à venir, et dans le groove des claviers aussi malins que virtuoses de Sylvain Lansardière comme dans les entrelacs guitaristiques impeccables de bon goût réalisés par Paco Guégan. Des premières notes de Breath jusqu’aux ultimes pulsations de The Very Last Snowflakes, cet album bourré de feeling et d’un rythme irrésistible vous propulse sur le dance floor (essayez le dantesque et actuel This Summer 21) tout en allant cueillir des larmes qu’il pourrait aisément arracher à n’importe quel critique élitiste et blasé (pleurez sur People Of The Damned, que n’auraient renié ni Brother Ray ni Sister Aretha). Splendide entrée en matière pour ce nouveau groupe, longue vie et belle réussite à Touch Of Groove (vite, un concert!). (Jean-Christophe Pagnucco)
"Ora Blues At The Chapel" (Dixiefrog Live Series, 2022)
Décidément, le bluesman maori Grant Haua, si bien mis en avant ces derniers mois par le label Dixiefrog, ne manque jamais une occasion de convaincre qu’il est la plus belle découverte blues rock de ces dernières années, qu’il a beaucoup de choses à dire, et qu’il sait les dire de façon passionnante, voire envoutante, avec sa guitare habile, voire virtuose, et sa voix arrachée et gorgée de soul. Ce tout dernier opus, Ora Blues At The Chapel, le présente accompagné d’un quatuor de grande classe (Brian Franks à la basse, Mickey Ututaonga à la batterie, Delaney Ututaonga aux chœurs et Tim Jullian au piano), qui s’est réuni en février 2022 dans un village historique de la région de Tauranga, afin d’enregistrer dans une énergie live engagée, singulière et si émotionnellement impliquante et contagieuse ces 13 titres, dont la réalisation a marqué différentes étapes de la carrière déjà relativement longue de Grant Haua. Menées pied au plancher, les 13 étapes de cette invitation au voyage bluesy et nervée de rock’n’roll défilent comme un rêve sur une autoroute de plaisir. A l’écoute des quelques sommets que sont Be Yourself (excellent conseil), Voodoo Doll ou Song For Speedy, on se dit que Grant a décidément bien des choses à dire et à chanter et qu’il a décidé de le faire de la plus belle des manières: avec ses tripes, son âme et son cœur. Un artiste à suivre et à encourager! (Jean-Christophe Pagnucco)
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