"The Crosswinds Of Kansas"
Je vous avais présenté Now I'm Free, le troisième album de Bill Scorzari, dans le numéro 163 du Cri du Coyote. Je m'aperçois que je pourrais reprendre presque mot pour mot pour The Crosswinds Of Kansas ce que j'avais écrit il y a trois ans. La voix râpeuse et voilée de Bill évoque celle de Sam Baker ou Tom Waits, son chant se transforme souvent en confidences sur des mélodies très prenantes avec des arrangements qui font que l'ancien avocat transcende les genres. Est-ce du folk, du blues ou autre chose? C'est simplement du Scorzari, l'œuvre d'un poète, quelque chose qui ne ressemble qu'à ce qu'il a produit précédemment. Le disque est long (plus de soixante-dix minutes) et lent, mais il emporte l'auditeur. Bill élève rarement la voix, toute juste accélère-t-il le tempo sur A Ghost, My Hat and My Coat. Le dernier titre, Tryin', Tryin', Tryin', Tryin', est une longue incantation (près de douze minutes) avec des chants en langue Navajo mêlée à l'Anglais. On trouve aussi au long du disque pas mal d'instruments amérindiens comme les flûtes (jouées par Bill) ou les percussions (jouées par Neilson Hubbard, coproducteur). J'ai un faible pour les titres où les cordes (Chelsea McGough au violoncelle, Eamon McLoughlin au violon et Fats Kaplin à l'alto) jouent un rôle prépondérant: Oceans In Your Eyes, Patience And Time, Try, Try Again. Mais il ne faudrait pas oublier I-70 East, All Behind Me Now, Multnomah Falls ou The Measure Of A Man. Quoi qu'il en soit, le disque s'écoute dans sa continuité, comme un tout, un album profond qui nous entraîne vers des hauteurs insoupçonnées.
"In The Country"
Il y a cinquante-six ans déjà que Richie Furay a d'abord fait entendre sa voix haut perchée avec Buffalo Sringfield. C'est ensuite avec Poco qu'il a été considéré comme un des initiateurs du country-rock (Kind Woman, avec Buffalo Springfield et la pedal steel de Rusty Young, avait déjà tracé le chemin). En 2022, ce qui frappe en premier est que le timbre de Richie a peu vieilli. Pour In The Country, il a délaissé ses habits de songwriter pour nous proposer douze reprises avec, pour commencer, Somebody Like You de Keith Urban. L'album est produit par Val Garay, la précédente collaboration entre les deux hommes remontant à 1979 avec I Still Have Dreams. La liste des titres a été élaborée en comparant celle que chacun des deux avait rédigée de son côté. La première chanson sur laquelle l'accord s'est fait est Your Love Amazes Me popularisée par John Berry. À côté de deux immenses succès (Take Me Home, Country Roads de John Denver et Lonesome Town de Rick Nelson), on croise aussi The River de Garth Brooks, Chalk de Julie Miller et Walking In Memphis de Marc Cohn. Ce dernier titre, écrit à l'origine pour un piano a été superbement adapté pour la guitare acoustique de Tom Bukovac. Parmi les autres musiciens en vedette, il y a Chris Leuzinger (guitare), Dan Dugmore (pedal steel), Steve Nathan (claviers), Glenn Worf (basse) et Victor Indrizzo (batterie). On entend aussi la voix du vieil ami Timothy B. Schmit associée à celle de Jesse Furay Lynch (fille de Richie) sur I'm Already There. Globalement, on a affaire à ce bon vieux country-rock auquel Richie nous a habitués, léger et vivifiant, avec parfois des ajouts de cordes ou de chœurs. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, assurément, si ce n'est un moment de réel plaisir.
"Day By Day"
Là où Richie Furay choisit de de ne faire que des reprises, son vieil ami Timothy préfère n'enregistrer que des chansons qu'il a écrites seul (comme dans ses albums précédents Expando et Leap Of Faith). On se retrouve encore une fois en terrain connu, et beaucoup de titres de Day By Day auraient pu figurer sur un disque d'Eagles (deuxième période). Des ballades en majorité, des voix aériennes, parfois une guitare qui déchire (Errol Cooney sur Mr. X), un harmonica inhabituel (joué par TBS sur Question Of The Heart), le son de l'orgue de Mike Finnigan sur Heartbeat, un accordéon (Phil Parlapiano sur Grinding Stone), la présence d'amis connus (Lindsey Buckingham sur Simple Man, Benmont Tench et Kenny Wayne Sheppard sur Taste Like Candy), la recette est simple mais fonctionne plutôt bien. Il ne faut pas s'attendre à autre chose que passer une heure agréable en compagnie de quelqu'un qui accompagne depuis plus de cinquante ans ceux qui ont connu les (presque) débuts de Poco avec l'album éponyme paru en 1970.
"Wings On My Shoes"
Cet album doit être le douzième de Will Hoge (ajoutez y un EP intitulé Modern American Protest Music). J'ai chroniqué les trois précédents pour le Cri du Coyote mais qui le connaît? Pas grand monde, j'en ai peur. Si je dis qu'il se situe au niveau de James McMurtry ou John Mellencamp (au hasard), je vois déjà certaines oreilles se dresser. Et puis quelqu'un qui débute son album par John Prine's Cadillac ("Heureux lorsque la musique sort des haut-parleurs à l'arrière de la Cadillac de John Prine") mérite forcément le respect. C'est un rock à tempo moyen qui laisse rugir la guitare de Thom Donovan. Le groupe de musiciens est celui qui accompagne Will habituellement sur scène. Outre Thom aux guitares, on trouve Allen Jones à la batterie, Christopher Griffiths à la basse et Josh Grange aux guitares en tous genres (notamment pedal steel) et aux claviers. Pour cet album, Will a délaissé le costume de guerrier politique (le départ de Trump n'y est pas étranger) pour nous délivrer dix titres superbement écrits. Avec It's Just You, il marche sur les traces de Jacques Brel tendance Ne me quitte pas ("Tu as pris mon cœur, volé ma guitare, vendu tous mes disques, The Beatles, The Stones et The Band, tu as pris tout mon argent… Si j'avais à choisir entre toutes les choses que je détesterais perdre, si je dis la vérité, c'est seulement toi"). Il dessine le portrait de sa grand-mère (Queenie), et nous parle de son attachement à sa ville de Nashville où il est né (You Are The Place). Il passe sans transition d'une ballade superbe de délicatesse (The Last One To Go avec la contrebasse à archet de Paul Difiglia et les cordes de Larissa Maestro) au brûlot qu'est All I Can Take. Pour finir, il offre Whose God Is This?, où sa voix est juste soutenue par sa guitare acoustique et la pedal steel de Josh Grange. On y apprend que Jesus boit du vin rouge en compagnie de Tchang Kaï-Chek et que Mozart joue une chanson de Robert Johnson. C'est une bien belle conclusion avec un texte qui évoque à la fois Desolation Row de Bob Dylan et Jesus, The Missing Years de John Prine. Cela devrait être suffisant pour inciter les lecteurs à se ruer sur la riche discographie de Will Hoge.
"Book Of Life"
Il y a encore des promoteurs qui se battent pour faire vivre la musique et les artistes. L'un d'entre eux est Adam Dawson qui, avec Jukebox Media, est un de mes pourvoyeurs favoris. Parmi les artistes qu'il m'a permis de découvrir récemment, Brian Blake brille comme une étoile, celle du Texas. Même s'il est désormais établi dans le nord du Mississippi après avoir vécu à Memphis, Tennessee, Brian a enregistré son premier album, Book Of Life, à Austin, Texas, avec une production de Walt Wilkins et Ron Flynt. Ce concept album inclut des chansons sur sa famille et ses racines aux environs de Liberty, Texas. "Mon intention avec cet album est de rendre hommage à ma famille et au lieu où elle vit depuis plus de 175 ans. C'est là que j'ai passé la plus grande partie de ma jeunesse et c'est un lieu qui représente vraiment beaucoup pour moi", dit Blake. D'un bout à l'autre du disque, Brian nous convie à un voyage à travers le temps, de Rice Field In The Distance qui évoque les luttes de ses arrières-grands parents pour élever une famille nombreuse pendant la grande dépression, jusqu'à Nothing Gold Can Stay où Brian chante les inévitables changements de l'époque actuelle mais aussi les liens toujours plus étroits de sa famille avec Liberty. Move on J.D. est un des titres les plus forts du disque, il évoque un ancien combattant de la seconde guerre mondiale devenu, comme tant d'autres, sans abri. Cette chanson lui a valu le titre de Songwriter of the Year en 2021 par la Memphis Songwriters Association. Brian Blake fait partie des auteurs-compositeurs parmi les meilleurs qu'il m'ait été donné d'entendre ces dernières années. Je me suis cru revenu en mai 1987 quand j'ai découvert par hasard chez un disquaire ami le premier album de Lyle Lovett avec qui Brian a quelques similitudes vocales. Book Of Life est (au minimum) du même niveau avec un casting de musiciens qui fait rêver: Chris Beall (guitare électrique), Rich Brotherton (guitares diverses, cittern, dobro, mandoline), John Chipman (batterie et percussions), Bart de Win (accordéon), Ron Flynt (basse, pianos, guitare), Warren Hood (fiddle), BettySoo (harmonies) et Walt Wilkins (percussion et harmonies). Incontestablement mon disque favori de cette fin d'année.
"Flatlands"
On pourrait croire KB Bayley originaire du Midwest américain mais il vient du Royaume-Uni et je dois sa découverte à Geraint & Deb Jones et à G Promo PR. Son album précédent, Little Thunderstorms, paru en 2021 m'avait beaucoup plus et lui avait valu une reconnaissance méritée. Avec Flatlands, KB a changé son approche puisque, après un disque richement (tout est relatif) orchestré, il a choisi une approche plus dépouillée, seul avec sa Weissenborn: "je voulais partager ces chansons et histoires dans leur forme la plus brute, et je voulais célébrer mon amour pour la guitare Weissenborn comme un unique instrument raconteur d'histoires. Si l'on entend un peu l'harmonica de Gavin Thomas sur Driftwood Avenue et Year Zero et un piano feutré joué par KB sur Comet Girl, Flatlands est bien l'œuvre intimiste d'un homme seul, enregistré dans une seule pièce. À côté de six de ses compositions, KB reprend quatre titres qui résument bien ses goûts: The L & N Don't Stop Here Anymore (Jean Ritchie), Johnsburg, Illinois (Tom Waits), The Black Crow Keeps On Flying (Kelly Joe Phelps) et Maybe It’s Time (Jason Isbell). L'album, assez addictif, est une belle réussite, les compositions révèlent un artiste aussi doué pour les textes que pour les mélodies, avec une voix qui sied parfaitement à l'ambiance dépouillée de l'ensemble.
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