vendredi 9 septembre 2022

L'Art selon Romain, par Romain Decoret

 

  L'Art (selon) Romain 

 

 

DR. JOHN 

"Things Happen That Way" (Rounder / Concord / Universal) 

Sur ce disque studio finalisé par sa famille et ses amis proches après sa disparition en 2019, Malcolm John Rebennack, sorcier musical voodoo, a tenu à revenir à la musique qu’il écoutait à ses débuts quand il était guitariste avec Ronnie & The Delinquents. La musique en question est la country-music et les hymnes religieux, mais avec un beat New Orleans qui est la signature de Dr John. Il y a deux titres de Hank Williams: Ramblin’ Man et I’m So Lonesome I Could Cry, et un hit de Johnny Cash période Sun, Guess Things Happen That Way. Aaron Neville est invité sur End Of The Line des Travelin’ Wilburys et Lukas Nelson, fils de Willie, joue sur une version métaphorique de I Walk on Gilded Splinters. Mac Rebennack traite seul Funny How Time Slips Away, mais Willie Nelson lui-même joue sur Gimme That Old Time Religion. Les originaux de Dr. John sont confessionnels (Holy Water traite de son arrestation en 1960), ou des paraboles philosophiques comme Sleeping Dogs Best Left Alone et Give Myself a Good Talkin’. Une carrière aussi important que celle de Dr. John ne se résume pas en 10 chansons, mais l’évolution de son style est bien évoquée, toujours en rajoutant dans les standards les plus connus des aspects que l’on n’aurait pas imaginés auparavant. (Romain Decoret

 

CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL 

"At The Royal Albert Hall - April 14 & 15 1970" (Craft Recordings)

 Gardé dans les archives du label Fantasy pendant plus de 50 ans, ce live inédit réapparait aujourd’hui après de longues mésaventures juridiques entre John Fogerty, Fantasy et le reste du groupe, Tom Fogerty, Doug Clifford & Stu Cook. Des univers entiers et même des métavers quantiques sont passés. Le groupe a implosé après cette tournée européenne de 1970 mais John Fogerty a continué en solo avec succès. Plus qu’une relique, ce disque permet de réaliser la puissance et l’inspiration de Creedence dans leur période la plus créative. Le groupe est au sommet en 1969 avec cinq singles n°2 (ils n’ont jamais eu de n°1 parce que Fantasy ne pratiquait pas le payola) et un trio d’albums dans le Top 10 (Bayou Country, Green River et Willy and The Poor Boys). La remasterisation par Giles Martin et Sam Okell (The. Beatles Get Back) de ce live ultime est accompagnée d’un DVD du réalisateur Bob Smeaton (Beatles Anthology, Jimi Hendrix Band Of Gypsys) intitulé Travelin’ Band, qui retransmet le show de l’Albert Hall dans son intégralité et l’acteur Jeff Bridges narrant sur de nombreuses images inédites le parcours du groupe depuis sa formation jusqu’à cette tournée européenne. Toutes les compositions sont signées John Fogerty, sauf Night Time Is The Right Time du bluesman Nappy Brown - bien que John Fogerty se soit probablement inspiré de la version de John Lee Hooker pendant que le groupe chante les chœurs des Raelettes de Ray Charles. Good Golly Miss Molly de Little Richard Penniman est aussi une reprise. Le set commence avec le swamp-rock archetypal de Born On The Bayou et tous les guitaristes reconnaitront dans le backline avec un petit coup au coeur les amplis Kustom de John Fogerty recouverts du fameux padding Tuck and Roll de l’époque. Vient ensuite un véritable trésor rarement rejoué sur scène: Tombstone Shadow évoque Wyatt Earp et Doc Holliday marchant dans la rue principale de Tombstone, Arizona à la recherche du gang Clanton pour le gunfight d’OK Corral. Il est juste de rappeler que John Fogerty a toujours été un démocrate anti-Nixon, Reagan, Bush et autres mais ses chansons étaient les favorites des G.I.s au Vietnam. Proud Mary est une autre œuvre majeure de John Fogerty, reprise par Ike & Tina Turner, puis par Elvis Presley lui-même. Le show se clôture avec Keep On Chooglin’, célébration du rythme adopté par Creedence: basse et grosse caisse sur les temps 1 et 3, guitare rythmique sur le 2 et le 4. Originalement, personne n’aurait attendu un tel swamp rhythm de la part d’un groupe californien d’El Cerrito. Un disque live était sorti en 1980, prétendument enregistré au Royal Albert Hall, mais en fait la captation pro-venait du Coliseum d’Oakland en 1970. J’ai d’ailleurs du mal à croire que c’était une erreur de notation. De plus 1980 était le moment où John Fogerty refusait de jouer les morceaux qu’il avait écrits pour Creedence car les droits allaient directement dans la poche de Saul Zaentz de Fantasy Records. Donc de1980 à 1997, John Fogerty ne toucha plus au répertoire de CCR. Pour cette raison, il est exceptionnel d’avoir retrouvé ce Live 1970 au Royal Albert Hall, comme un instantané perdu depuis longtemps qui permet d’apprécier à nouveau la cohésion très spéciale du groupe, jamais vraiment retrouvée en dépit des jams en solo avec les superstars, Bruce Springsteen, Billy Gibbons ou Dave Gröhl. (Romain Decoret

 

BERT JANSCH 

"Bert Jansch at the BBC" (Earth Records) 

Ce coffret monumental contient 4 LP vynile et 8 CDs digitaux, avec un livret de 40 pages pour 147 morceaux enregistrés de 1966 à 2009 en concert ou à la radio. Le son remasterisé est parfait et permet de découvrir d’autres aspects du jeu inspiré et puissant de Bert Jansch, décédé en 2011. Le songwriter écossais était, avec Davey Graham et John Renbourn, le meilleur guitar-picker et le plus influent dès le début des sixties. Son jeu fut une inspiration directe ou indirecte pour Jimmy Page (Black Mountain Side de Led Zep est en fait Black Water Side de Bert Jansch), Paul Simon (Angie), Neil Young (The Needle and the Damage Done vient de Needle Of Death de Jansch), et Donovan écrivit House Of Jansch avant de montrer à John Lennon le picking utilisé par ce dernier sur Julia du White Album. Ces performances en concert et à la radio accueillent des invités: John Renbourn et Danny Thompson de Pentangle, Jacqui McShee, Ralph McTell, mais aussi Johnny Marr et Bernard Butler, fans issus d’une génération plus tardive. Ces archives de la BBC sont un réservoir inépuisable de folk, blues, jazz, avec un style unique de poésie et un son qui rend justice au jeu dynamique Bert Jansch, sa main gauche est parfaite, d’une grande exactitude dans les hammerings et sa main droite a une puissance de picking et de frappe que Jimmy Page n’est jamais arrivé à égaler en acoustique. Tous les morceaux fondateurs sont là: Come Back Baby, Angie, Sally Free and Easy, mais aussi Blues Run The Game ou Kingfisher de l’album que Bert Jansch avait dédié aux oiseaux. Les véritables guitaristes acoustiques légendaires sont rares, en voici un, loin de la pop-music et de la simple distraction. (Romain Decoret)

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