Numéro spécial made in France
"Country Music Time"
Country Music Time est le treizième album de ce musicien français qui a un pied en Nouvelle-Calédonie et l'autre au Texas. Cette situation génère de grands écarts musicaux, toujours placés sou le signe du bon goût. Ici, comme le titre l'indique, on est dans l'imagerie américaine, avec ses grands espaces, ses camions, ses amours perdues et une dose de whiskey. Jean-Luc a tout réalisé dans son studio, a écrit les chansons à l'exception de On A Bad Day de Kacey Chambers (Whiskey Courage a été coécrit par Jean-Luc et Amy Ames, sa compagne), et chante, évidemment, en s'accompagnant à la mandoline et à la guitare. Le disque se compose de quatre titres en français, dont Quand le printemps reviendra,suivis de l'instrumental Just In Time, puis de quatre titres en anglais, pour se terminer par l'instrumental After All, comme la face A et la face B d'un 33 tours. Tout cela est fort bien chanté, d'une voix chaude et amicale, sur des mélodies qui accrochent. Quant aux musiciens, qu'ils soient américains ou français, ils tutoient tous le haut niveau: Jean-Marie Redon, Thierry Loyer, Stéphane Missri, Thierry Lecoq, Christian Poidevin & Kelsey Crews, mais aussi Doug Jernigan, Aaron Till, Matt Hooper, Carole Stacey, Orville Grant et Michael Guerra sont au générique et la liste de ces noms en dit plus que tout discours.
"My Zombie Girl"
On ne devrait pas avoir à présenter Stéphane Missri, tellement sa carrière est longue et riche. Mais l'homme au banjo a toujours préféré l'ombre et la discrétion, préférant mettre sa musique dans la lumière. Pour My Zombie Girl, Stéphane se contente de jouer de la guitare et de chanter, ce qu'il fait bien et avec beaucoup de sensibilité. Cet album réunit une belle équipe de musiciens avec notamment Barry "The Fish" Melton (souvenez-vous de Woodstock et de Country Joe & The Fish) avec qui Stéphane collabore régulièrement. Parmi les autres amis, figurent aussi Jay Ryan qui chante sa co-composition She Loves Junk Food), Christian Poidevin (voix lead sur sa composition Heed The Earth, guitares, harmonica), Paul Susen (fiddle), Marten Ingle (basse) et Marty Vickers (batterie). Tous font partie avec Stéphane de Jay and the Cooks, le groupe de Jay Ryan. N'oublions pas de citer également Gabriela Arnon et ses claviers. On est assez loin ici du bluegrass et des musiques roots américaines. La tendance est plutôt à un country-rock teinté de psychédélisme que n'aurait pas renié le Grateful Dead des années 1970. Les voix sont bien posées, les mélodies au rythme chaloupé révèlent leurs qualités au fil des écoutes pour devenir quasiment addictives. Fake Is The Name (chanté par Barry Melton), Voices Along The Way (avec un fiddle bluegrass), Rickie Lee And Lyle ou encore She Still Not Even Care sont de belles illustrations de mes propos et contribuent à rendre ce disque digne de figurer dans toute bonne discothèque.
"From Either Side"
David Gastine est ce que l'on appelle une pointure dans le domaine du jazz gypsy (je n'aime pas le mot manouche), biberonné à la musique du Django Reinhart. Sans mon frère Denis, j'avoue que je n'aurais jamais prêté attention à ce remarquable musicien qui, à partir de 2013, a effectué un retour vers la musique country et folk, explorant notamment le répertoire de Johnny Cash. Avec l'harmoniciste Vincent Bucher et son frère Sébastien Gastine (contrebasse), il se produit désormais régulièrement en trio acoustique. Cette passion débouche aujourd'hui sur From Either Side, un disque enregistré avec le renfort estimable de la guitare de Samy Daussat. Le disque commence par une reprise de City Of New Orleans de Steve Goodman et, dès les premières notes, dès les premiers accents de la voix grave de David, les doutes que je pouvais avoir se sont évaporés. Johnny Cash est à l'honneur avec I Walk The Line, Folsom Prison Blues et So Doggone Lonesome. Quelques classiques sont revisités: I'll See You In My Dreams, (Ghost) Riders In The Sky, The Wayfaring Stranger, Green, Green Grass Of Home, Tennessee Waltz. S'y ajoutent You Don't Say A Word (composé et chanté par Vincent Bucher), Here's My Story de Roxane Arnal (aperçue récemment aux côtés de Valentine Lambert et qui publie prochainement un album, ELIOR, chez Dixiefrog) et Nuit américaine, un instrumental de David. L'album se termine de manière plus surprenante par La chanson de Prévert de Gainsbourg, comme une façon de continuer à briser les barrières, tout en démontrant que la virtuosité n'est pas incompatible avec l'émotion et la passion.
Laurent CHOUBRAC & Jean-Christophe PAGNUCCO
"Miettes d'éternité"
Laurent Choubrac et Jean-Christophe Pagnucco ont une vie en dehors de la musique. Et en musique, ils ont aussi leur propre vie. Ils produisent et ont enregistré, en groupe (Westbound pour Laurent, Les Witch Doctors pour Jean-Christophe) ou en solo (La parenthèse pour Laurent et Une raison de vivre pour Jean-Christophe). Ils se rejoignent aussi souvent qu'ils le peuvent, sur scène ou en studio et cela a donné le duo Gravel Road et un disque de reprises en Anglais, ainsi que Va savoir où ce chemin nous mène, premier album enregistré sous leurs noms. Tout cela vous a été présenté dans le Cri du Coyote, de manière élogieuse. Avec Miettes d'éternité, un double CD, avec leur "americana francophone", les deux amis ont toutes les chances de s'attirer beaucoup de superlatifs. Ils ont beau avoir une vingtaine d'années de différence à l'état-civil, ils sont parfaitement à l'unisson, animés par la même passion et par une immense culture commune où se mêlent harmonieusement folk, country, rock, blues, swing, chanson française… Il n'est pas besoin de connaître les deux hommes pour deviner leur amour de la musique ni leur désir de le faire partager. La chanson titre figure en deux versions, au début et à la fin de l'album, elle résume le plaisir d'être sur scène et le désir de le faire durer. Mais ces Miettes d'éternité sont aussi la quête de tout musicien qui grave ses œuvres sur disque, l'envie de laisser une trace. Pas seul dans cette histoire évoque l'avenir du monde et de l'humanité, oscillant entre pessimisme et espoir. Le bonheur, plein de swing, est un remerciement à la vie chanté par les deux hommes expriment leur gratitude, leur bonheur d'être ce qu'ils sont, de faire ce qu'ils font. Il en va ainsi au long des vingt-quatre titres, graves ou légers. Certaines chansons vous captent à la première écoute; je peux notamment citer Rester debout, Petit matin (avec un yodel inattendu), Hey Mister so Young (pour Neil Young), Le temps de vivre, Hello part'naire, Donner sans compter, Qui suis-je pour te dire… Et à la troisième rotation de cet album addictif, on s'aperçoit que tout est du même calibre. Musicalement, Laurent et Jean-Christophe naviguent avec aisance et fluidité entre les genres, un coup de blues, un coup de rock, des accents country, le tout écrit dans une belle langue qui n'est pas celle de Molière mais un Français actuel, à la fois simple et recherché, que chacun peut comprendre, qui sait faire rêver aussi bien que réfléchir. Les deux hommes ont tout fait avec le seul renfort de deux choristes (Océane Banon et Dorothée Veron) et d'un solo de guitare d'Emmanuel Desnos (Witch Doctors) sur Tant de choses à faire. Guitares électriques et acoustiques (6 et 12 cordes), guitare résonateur, basse, lap steel, piano, mandoline et même batterie (sans batteur), tout est dû à Laurent et Jean-Christophe. C'est du fait maison, du cousu main, mais de la haute couture musicale, le tout pour 13,00€, fais de port compris: qui peut dire, et surtout faire, mieux?
"New Morning"
Les fidèles lecteurs du Cri du Coyote seront peut-être surpris de trouver Patrick Abrial, ici accompagné de Jye (alias Jean-Yves Hellou) dans ces colonnes. Mais, sinon, qui en parlerait? Sa carrière a pris son envol en 1966 et s'est interrompue en 1982 avec en point d'orgue un tube inoubliable, Chanson pour Marie, en 1969. Ses mélodies teintées de folk ont ensuite évolué vers du rock, parfois progressif mais toujours avec une coloration tirant vers un blues teinté de romantisme (au sens non édulcoré du terme), comme un cousin de Jacques Brel qui aurait mis de l'électricité dans sa six-cordes. Et puis, pendant plus de trente ans, Patrick s'est consacré à d'autre activités, toujours en rapport avec la musique et le spectacle, faisant juste une parenthèse en 1995 consacrée aux fables de La Fontaine, avant de recommencer à se produire avec Jye en 2015 et de publier L'arnaque, au printemps 2018. Quelques mois après, ce spectacle au New Morning à donné lieu à un enregistrement (que l'on peut voir sur la chaîne YouTube de Patrick) et à ce disque qui fait l'effet d'un véritable coup de poing. L'alchimie entre les deux hommes est parfaite, et ils parviennent à transformer en brûlots, sans les dénaturer, des titres comme La chanson de Prévert (Serge Gainsbourg) et Il nous faut regarder (Jacques Brel). On retrouve pas mal de chansons anciennes avec des sommets comme Grand-Mère, Condamné amour, Les souvenirs du futur, Requiem pour un roi fou, qui prennent toutes une autre dimension par la grâce de la guitare inspirée de Jye, cheveux au vent, et la voix de feu de Patrick, chapeau vissé sur la tête. Et ce n'est sans doute pas un hasard si l'introduction du dernier titre de l'album, Le Testament, est celle de Voodoo Chile de Jimi Hendrix. Ce disque coupe le souffle de l'auditeur qui peut le reprendre en écoutant trois bonus en studio, deux inédits (Au bout du monde et Le vieil Indien) et une nouvelle version de Chanson pour Marie. MONSIEUR Patrick Abrial (comme le nomme Jye) est un grand. À l'approche de ses 76 ans (le 29 septembre), il serait temps que chacun le sache.
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