mercredi 8 juin 2022

Bluegrass & Co. par Dominique Fosse

 

GREENSKY BLUEGRASS

"Stress Dreams" 

La centaine de morceaux enregistrés par Greensky Bluegrass sous le titre de Leap Year Sessions parue l’an dernier était une (énorme) parenthèse presque exclusivement constituée de reprises (d’autres artistes ou d’anciens albums du groupe). Stress Dreams est donc le premier album post-confinement (et malheureusement pas post-pandémie) de Greensky Bluegrass. Le confinement a énormément influencé son écriture puisque les treize titres, tous écrits par les membres du groupe, interrogent sur le sens de la vie, incitent à jouir de l’instant, ou nous parlent de fin du monde. Des thèmes bien transcrits dans la musique de Greensky. De longs traits de dobro rendent Absence of Reason carrément inquiétant. Le même instrument hulule au début de Screams. Anders Beck est génial tout au long de l’album. Grace aux pédales d’effets, il sonne tantôt comme une lap steel, tantôt comme une guitare électrique (Streetlight, Grow Together). On retrouve dans les treize chansons la merveilleuse complémentarité des cinq musiciens, ensemble depuis quinze ans maintenant (et même vingt deux pour Hoffman, Bruzza et Bont). Ils ont la même science que New Grass Revival pour créer une rythmique rock sans la moindre percussion. Il se joue toujours des choses intéressantes derrière le chanteur. Les claviers (piano et orgue) sont très bien intégrés dans Stress Dreams, blues rock de 8 minutes chanté tout en duo par Mike Devol (basse) et Paul Hoffman (mandoline). La voix de ce dernier, plus proche de celle de Michael Stipe (REM) que de Bill Monroe (Bluegrass Boys) donne aux titres qu’il interprète un cachet "rock adulte". C’est plus léger quand Dave Bruzza (guitare) est au chant (New and Improved). Ma chanson préférée est Cut A Tooth. Sur ce titre comme sur Reasons To Stay, Greensky Bluegrass utilise un tempo très rapide qui contraste avec le chant lent et articulé de Hoffman. Michael Bont (banjo) y joue un long solo. Trois titres sont étirés sur plus de 6 minutes et permettent à chaque soliste de développer ses idées (Anders Beck est d’une créativité qui semble sans limites) toujours remarquablement soutenu par un accompagnement fourni et dynamique. Greensky Bluegrass est un groupe passionnant. 

 

Tammy ROGERS & Thomm JUTZ

"Surely Will Be Singing" 

L’association de Tammy Rogers et Thomm Jutz n’est pas nouvelle. Tous deux ont déjà enregistré plusieurs compositions écrites en commun, Thomm sur ses albums solo, Tammy avec son groupe, The Steeldrivers. Ils ont parait-il plusieurs dizaines de chansons en réserve et en ont choisi douze pour ce premier album en duo, Surely Will Be Singing. Ce sont tous deux d’excellents musiciens. Tammy s’est d’ailleurs d’abord fait connaître comme musicienne (fiddle, mandoline), aux côtés de Patty Loveless, Emmylou Harris et Trisha Yearwood. Thomm est un très bon guitariste. Ils sont accompagnés sur cet album par Justin Moses (banjo, dobro) et Mark Fain (contrebasse). Il y a un batteur sur deux titres. Tammy Rogers n’interprète que deux chansons en lead mais de nombreux refrains et plusieurs chansons entières sont en duo. L’ambiance est au calme, à l’intimité, à l’émotion. Dans ce domaine, les titres les plus intéressants sont All Around My Cabin, bien arrangé avec mandoline et alto, le dépouillé et élégant A Writer’s Tear, Five Winter’s More To Come avec banjo old time (Tammy) et un bon duo vocal sur le refrain, et la valse There Ain’t Enough Time. Sur un tempo plus vif, I Surely Will Be Singing tranche par son atmosphère joyeuse. Les titres plus rapides (Long Gone, Speakeasy Blues) permettent aux solistes – particulièrement Justin Moses – de faire étalage de leur talent.

 

The BAREFOOT MOVEMENT

"Pressing Onward" 

Depuis le EP Rise & Fly en 2020 (Le Cri du Coyote n°166), The Barefoot Movement s’est réduit à un trio. Alex Conerly (guitare) joue pourtant sur tous les titres mais il a apparemment décidé de remettre les chaussures et a officiellement quitté le mouvement. Peu importe après tout car The Barefoot Movement est essentiellement le groupe de sa chanteuse violoniste, la talentueuse Noah Wall. Elle a écrit les sept chansons originales du disque (dont quatre seule). Someday, superbement chanté en duo avec la contrebassiste Katie Blomarz, et Easy sont des ballades folk. Les autres compos ont des influences rock plus ou moins marquées et The Barefoot Movement joue la plupart avec un batteur qui libère Conerly et Morris de leur rôle rythmique. Back Behind The Wheel est un folk-rock bien chanté dominé un motif de mandoline hypnotique de Tommy Norris, excellent sur tous les titres. Sur Pressing Onward, ce sont le fiddle et la très jolie voix de Noah Wall qui sont en vedette. Find The Way est carrément rock et c’est paradoxalement le seul titre où on entend du banjo (Noah, elle a tous les talents). Sur Touch The Sky aux sonorités celtiques, le batteur aurait quand même pu y aller moins fort... Il y a aussi trois reprises sur ce disque. Katie Blomarz chante avec beaucoup de délicatesse It Doesn’t Matter Anymore de Paul Anka (accompagnée d’une pedal steel non créditée). Les deux autres reprises sont parmi les titres les plus marquants de l’album. Sur des arrangements funk newgrass, The Barefoot Movement réussit le défi de se passer de batteur. Grâce aux formidables parties rythmiques de Conerly et Morris dignes des plages les plus rock de New Grass Revival, le groupe nous propose des arrangements de Fire de Jimi Hendrix et d’un titre intitulé Baby Love mais qui n’est pas la chanson des Supremes. La voix de Noah Wall qui est si douce sur les ballades déborde d’énergie sur ces titres. Les chansons, les arrangements, la voix de Noah Wall, ses duos avec Katie Blomarz, les chœurs soul (Pressing Onward) ou rock (Find The Way Back), l’énergie, j’ai adoré Pressing Onward, formidable album à mi-chemin entre le rock acoustique et le bluegrass. Si The Barefoot Movement pouvait juste trouver un batteur un peu plus subtil pour le prochain album, ce serait top. 

 

 

COLEBROOK ROAD

"Hindsight Is 2020" 

On retrouve dans Hindsight Is 2020 de Colebrook Road leur bluegrass décontracté découvert avec Halfway Between et On Time (Le Cri du Coyote n°151 et n°162). Un style qui manque sans doute de tranchant, d’un peu de drive et de rigueur pour les partisans du bluegrass classique mais pas de charme. Jesse Eisenbise a une voix douce, assez haut perchée, qui rappelle celle de Evan Murphy (Mile Twelve) dans The Carolina Side. Il a écrit sept des dix titres. Son chant manque du cutting edge cher au bluegrass sur les titres les plus rapides (Back To Where You’ve Been) ou le blues Dry Gone Blues mais elle convient bien à Mountainside et All You Need To Know. Le gospel a cappella All Of Our Days fait également partie des bons titres du disque. Il y a de bonnes idées d’arrangements, même si tous ne sont pas complètement aboutis (le blues Days In The Nighttime construit sur un riff). Mark Rast signe l’instrumental Hindsight Is 2020 qui débute old time et finit en newgrass. Son banjo a un son un peu léger par rapport aux standards actuels mais tous les membres de Colebrook Road sont de bons musiciens. Et un groupe qui a intitulé un countrygrass Coyote mérite forcément votre confiance. 

 

Linda LAY 

(self-titled) 

Je me souvenais de Linda Lay comme contrebassiste et chanteuse du groupe Appalachian Trail il y a plus de 20 ans. Elle a ensuite fondé Springfield Exit avec son mari, le guitariste David Lay. Elle sort aujourd’hui son premier album solo composé d’adaptations bluegrass de chansons country (de Charlie Pride aux O’Kanes en passant par Emmylou Harris) et de titres de songwriters bluegrass actuels (Tim Stafford, Mark Brinkman). Le répertoire ne se prête pas aux démonstrations instrumentales mais Linda est bien accompagnée par Bryan McDowell (fiddle), Darren Beachley (dobro), Aaron Ramsey (mandoline) et Sammy Shelor (banjo), notamment sur Lightning et The Happiness Of Having You. L’ensemble est agréable même si ça manque d’originalité et de personnalité. Blue, Blueridge Mountain Girl rappelle les débuts de Rhonda Vincent. Lost In The Shuffle est un un shuffle entraînant signé Tim Stafford. Mon titre préféré est The Jingle Hole. Pas de banjo ni de fiddle mais une mélodie originale de Mark Brinkman, bien chantée par Linda et enveloppée d’une aura de mystère grâce aux interventions de dobro et de mandoline.

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