samedi 4 novembre 2023

Lone Riders, par Éric Supparo

 

Vous en voulez, des bonnes nouvelles ? Vous êtes en manque ? Alors éteignez-moi ça (internet news, k-tastrof TV, et tout ce qui n’est pas un ensemble hi-fi ou lo-fi, un casque, un autoradio ou une enceinte à deux balles) et posez-vous une minute. Disons cinq. Inspirez, expirez, par le diaphragme bien sûr. Vous y êtes? On peut avancer maintenant, merci de votre attention… 

 

The HANDSOME FAMILY

"Hollow" 

Seule la musique peut soigner nos âmes sous-alimentées. Et pas n’importe quelle musique, entendons-nous bien. Celle de The Handsome Family par exemple. Rencontrés pour le Cri en 2000, lors de la sortie de In The Air, Rennie et Brett Sparks n’ont fait que poursuivre leur chemin sans jamais (jamais) se détourner de leur credo, que l’on peut qualifier de country gothique mais qui est bien plus que cela. Je tiens (et je ne suis pas le seul - demandez un peu à Andrew Bird) Rennie Sparks pour un des plus grands songwriters vivants. Rien que ça. Et chaque album (le précédent, Unseen, datait de 2016) ne fait que confirmer : savoir écrire une chanson c’est choisir ses mots avec la précision d’un entomologiste. Les ordonner sans le moindre faux-pas. Rennie sait manier le sordide et l’humour, la poésie et les comptines cruelles, l’évocation et la description, les cauchemars récurrents et les visions terrifiantes, vapeurs toxiques émanant de nos jardins, nos sous-sols, nos cuisines ou nos cimetières… Brett ajoute sa patte unique pour la musique (sa voix profonde, instrumentations légères ou très orchestrées, crincrins acoustiques, grands pianos gavés de pathos… rien n’est exclu par défaut), et vous obtenez Hollow, un album qui est sans doute à classer dans leur top five. Envoûtant, presque sous hypnose, en tout cas ailleurs. Je ne me lasse pas de Two Black Shoes, The Oldest Water (aux couleurs très country, tout comme Invisible Man), Shady Lake et Strawberry Moon. Splendide album, en voilà une vraie bonne nouvelle! 

 

WILCO

"Cousin" 

Nous avions laissé Wilco en territoire country (Cruel Country) l’an dernier. Cousin, sorti cet automne, se veut délibérément plus aventureux, plus délicat d’accès. Jeff Tweedy et son band ont acquis, en tout bien tout honneur, un statut assez unique, grand groupe de scène, à la fois excitant et toujours calé, droits dans leurs boots. Qu’ont-ils donc de nouveau à nous dire ? C’est un peu le problème… Ils ont fait beaucoup, par le passé, sur Yankee Hotel Foxtrot, sur The Whole Love entre autres, pour mélanger leur cocktail alternative-indie-folk avec des éléments nettement plus modernes (le bruit, les dissonances, les expériences jazz de leur guitariste Nels Cline), avec des résultats souvent épatants. Si les textes de Jeff sont toujours irréprochables (Ten Dead), et sa voix reste sans le moindre doute émouvante, l’habillage musical est un peu décevant. Est-ce la production de Cate Le Bon? Un album par an, est-ce trop ? Je n’ai pas la réponse. Même si Cousin est d’un niveau qui dépasse largement la moyenne du moment, on aimerait aimer ça plus fort. À réécouter dans cinq ans, dix ans ? Pourquoi pas… 

 

Delaney DAVIDSON

"Wandering Heart" 

On remercie chaleureusement Delaney Davidson pour avoir compilé sur Wandering Heart une quinzaine de ses morceaux, piqués ici et là (surtout là), seul ou en compagnie de Tami Neilson (Whiskey and Kisses qui clôturait l’album Dynamite! de Tami en 2015) et Marlon Williams (fabuleux chanteur, Heaven For You est là pour en attester…). Le travail demande en effet d’avoir suivi le parcours en zigzag du bonhomme : folk dru, valses empoisonnées, blues primal et country malade (Still Her Heart), tout lui va. Il semble que Delaney ne quitte plus beaucoup son jardin de Nouvelle-Zélande, mais ses prestations scéniques, à mi-chemin du théâtre improvisé et d’un tour de chant rempli de fuzz et réverbérations en tous genres mériteraient presque un billet d’avion ! Pas le budget ? No problem, jetez-vous sur Wandering Heart, prix de consolation idéal!

 

Various Artists

"The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project – The Task Has Overwhelmed Us" 

L’ombre de Jeffrey Lee Pierce, singer-songwriter de The Gun Club, n’en finit pas de nous hanter. Il faut dire que l’arrivée de cette personnalité au début des années 80 avait un goût inédit, mêlant punk et racines country-blues hurlantes. Son influence, avouée ou pas, est considérable sur ce qui a suivi, aux USA (le mouvement cow-punk par exemple) et en Europe (Noir Désir…). The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project – The Task Has Overwhelmed Us n’est certes pas le premier hommage collectif et sans doute pas le dernier, mais il est assez réussi. On notera les noms de Nick Cave, Warren Ellis (Bad Seeds), Duke Garwood, Debbie Harry, Alejandro Escovedo (qui reprend fréquemment Sex Beat sur scène), Jim Jarmusch ou Hugo Race. Rien de comparable avec le sauvage abandon de Jeffrey, mais de très beaux moments, bruyants comme il faut (From Death To Texas signé Escovedo, excellent) ou profonds (Lucky Jim, délicat duo Chris Eckman & Chantal Acda). L’essentiel étant de ne pas oublier son talent d’écriture, et lui garder la place qu’il mérite dans l’histoire de la musique. 

 

VOXANNA

"Voxanna" 

Terminons avec Voxanna, combo acoustique basé dans le Michigan. Billy Brandt (voix et guitares), figure de la scène de Detroit (avec The Sugarees, AshCanVanGogh ou Grievous Angel) partage l’écriture (et le micro) avec Raquel Salaysay (basse) et Elaine Schoendorf (guitare tenor) sur douze titres qui font la part belle aux harmonies vocales (impeccables) et aux mélodies sans additif. Time Stand Still ouvre le bal avec des sonorités à la J.J. Cale, élégance et groove compris. On navigue avec grand bonheur entre influences folk-rock early-mid-70’s (les performances d’Elaine et Billy combinées viennent nous rappeler que ces années là étaient - sur ce créneau - très productives et sans doute inégalées), de CSNY à Lindsey Buckingham et Stevie Nicks. L’habillage léger (Kerry Gluckman, très efficace au cajon et autres percussions), mais jamais plat (incursion en territoire jazz-swing sur I Like Coffee, cuivres et rythme latino sur Half Past Cinco, les percussions finales de Cold World), permet aux compositions de respirer, de prendre leur envol sans forcer, et on se retrouve, dernier morceau fini, avec un large sourire aux lèvres, prêts à appuyer sur play une nouvelle fois. Après tout, la vie est belle, non? 

 

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