OLD CALIFORNIO
"Metaterranea"
Après Old Californio Country, album composé presque exclusivement de reprises, présenté en ces colonnes en novembre 2022, Old Californio revient avec Metaterranea entièrement écrit par Rich Dembrowski. Les compositions sont solides et les harmonies vocales de Rich et Woody Aplanap, avec parfois le renfort de Justin Smith et Jason Chesney, sont superbes, quelque part entre les Beach Boys, America et Poco. Des titres comme The Swerve et Destining Again semblent tout droit sortis ses seventies, avec des guitares qui chantent et se répondent, acoustique, électrique et slide. Weeds (Wildflowers), avec les harmonies de Jason Chesney est un morceau acoustique, bucolique, qui incite à la rêverie. The Seer est en revanche un titre plus tape-à-l'oreille, avec une introduction électrique à la Crazy Horse et un texte qui évoque le côté éphémère de nos vies. Changement de tonalité à nouveau, aussi bien pour les voix que pour les instruments, avec Tired For A Sea qui revêt un parfum psychédélique. Pour Just Like A Cloud, dernier titre de l'album, enregistré live en studio, c'est un swing jazzy qui domine. Rich Dambrowski a d'ailleurs dit aux musiciens, avant l'enregistrement, en guise d'instructions: "Je veux que ce soit pleinement du jazz. Je veux que ce soit vous, les gars, exprimant votre sens musical". Le message a bien été compris par Woody Aplanap (guitare), Corey McCormick (basse) et Anthony Logerfo (batterie) et le titre est une parfaite conclusion à cet album qui démontre que Old Californio, seize ans après son premier album, n'a jamais été aussi en forme.
The BURRITO BROTHERS
"Together"
"Dedicated with pure love and gratitude to our bold brother, Bob Hatter (1950-2021)", Together est le troisième volet d'une trilogie des Burrito Brothers commencée en 2018 avec Still Going Strong (cf. Le Cri du Coyote n°160) et poursuivie en 2020 avec The Notorious Burrito Brothers (cf. Le Cri du Coyote n°165). Le nouvel album avait été conçu et écrit plus d'un an avant la disparition de Bob. La pandémie est arrivée et a retardé le processus dont Bob Hatter (guitares acoustique et électrique, voix) n'a pu être acteur qu'à son tout début. Les trois autres ont continué comme si leur ami avait toujours été avec eux. Chris P. James (voix, claviers, harmonica), Tony Paoletta (pedal steel guitar, dobro, guitare 12 cordes, banjo, mandoline, voix) et Peter Young (batterie, percussion, voix, guitare acoustique) ont enrôlé l'excellent Steve Allen (guitares acoustique et électrique, basse, voix) pour s'asseoir dans le siège laissé vacant par Bob (et avec la béndiction de ce dernier). Ces Burritos 2023 continuent avec autant de talent que d’humilité à faire vivre un héritage glorieux et lourd à porter (avec des hauts et des bas). Les musiciens sont excellents (Tony Paoletta, en tous points remarquable, n'a rien à envier à ses aînés), les harmonies vocales sont dignes des excellents groupes de country-rock des années 1970 (Firefall, Cowboy et quelques autres) et Chris James est un leader plus que crédible et un excellent chanteur (écoutez par exemple I Live For Loving You). Quant aux compositions, toutes originales, elles creusent vite, et de manière agréable, leur sillon dans nos conduits auditifs. À titre de curiosité, on notera que Mr. Custom Man est cosigné par Gram Parsons, Chris James et Bob Hatter. Parmi les moments forts, je citerai, en premier lieu, le magnifique Blood On His Hands, mais aussi Ms. Misery. Dans Together, on croirait entendre les Byrds avec la pedal steel de Sneaky Pete. Il y a encore Let Go, où Ronnie Guilbeau fait une apparition avec sa guitare B-Bender et puis Streets Of Santa Rosa avec un brillante partie de pedal steel. L'album s'achève avec History Suite, long collage de sept morceaux qui dure plus d'un quart d'heure avec, pour finir, le léger Goodbye dont on espère qu'il ne sera pas un adieu.
Rod PICOTT
"Starlight Tour"
Rod Picott n'est pas un inconnu pour qui fréquente assidûment les colonnes du Cri du Coyote. Starlight Tour doit être le sixième que j'ai le plaisir de chroniquer. Le précédent, Paper Hearts and Broken Arrows, avait été présenté en juillet 2022, de façon élogieuse. Rod considère son nouvel opus comme un de ses trois meilleurs albums, au moins au même niveau que le précédent. L'équipe est la même avec Neilson Hubbard (production, batterie et percussions), Lex Price (basse et mandoline) et Juan Solodzano (guitares acoustique, électrique et pedal steel, piano, glockenspiel et trompette) et, pourtant, quelque chose a changé. Comme l'explique l'artiste, il y a un sentiment d'urgence: il faut faire le meilleur disque possible au moment où on le fait, avec très peu de droit à l'erreur, un minimum de prises. Le budget est limité, le temps de studio aussi (cinq jours) et les chansons (dix, pas une de plus, pas de titre en réserve cette fois) les meilleures possible. Si Rod n'a pas écrit davantage de morceaux, c'est une affaire d'exigence, parce qu'il trouve de plus en plus difficile d'écrire quelque chose qui lui semble nouveau. C'est aussi pour cette raison qu'il s'associe à d'autres: Brian Koppeman (A Puncher's Chance et Combine), Amy Speace (Homecoming Queen) et Nick Nace (Starlight Tour). Il considère aussi que certaines chansons (Digging Ditches, A Puncher's Chance, Pelican Bay et Time To Let Go Of Your Dreams), sont comme touchées par la grâce, par quelque chose qui va au-delà de l'effort collectif du groupe. Rod Picott a en quelque sorte écrit sa propre chronique et il ne me reste pas grand-chose à ajouter. Par rapport aux réalisations précédentes, le son semble un peu plus brut, avec un rythme différent, lancinant, comme si le cœur de Rod battait autrement, avec aussi une guitare électrique qui se taille souvent la part du lion, ainsi qu'on peut le constater dès The Next Man In Line. Imaginez un croisement entre J.J. Cale et David Olney, avec une voix qui délivre des confidences à l'oreille de qui écoute, pour vous faire une idée. D'autres titres sont moins électriques (Television Preacher, Homecoming Queen) mais on a toujours la même pulsation qui les porte. C'est le même Rod Picott que nous retrouvons sur cet album et pourtant il est différent, se renouvelant sans perdre son identité. L'album apparaît comme une respiration après trois années où chacun retenait son souffle, en particulier les artistes, privés de la possibilité de vivre correctement de leur métier. Si le disque est excellent de bout en bout, il atteint des sommets avec les deux derniers titres, le bouleversant Pelican Bay et le plus optimiste Time To Let Go Of Your Dreams. Concernant celui-ci, Rod dit qu'il a dû quitter le studio, en larmes, lorsqu'il l'a écouté, ému par le travail réalisé. Starlight Tour est assurément l'un des plus beaux disques de cet automne, si riche musicalement.
Aaron SMITH & The COAL BITERS
"The Legend of Sam Davis And Other Stories of Newton County, Arkansas"
Et voici un Smith de plus. Le dernier en date pour moi, le premier par ordre alphabétique. Pour résumer, la carrière musicale d'Aaron Smith a certainement consisté à trouver sa voie durant les différentes périodes de la vie. Il a commencé à écrire des chansons au piano dans l'église de son enfance, à apprendre le banjo à la maison et à jouer du cor d'harmonie dans l'orchestre du lycée. Après s'être spécialisé en cor français à l'université, Smith a joué avec le North Arkansas Symphony. Il passe ensuite plusieurs années en Floride où il traverse une phase rock'n'roll avec une Stratocaster rose à motif cachemire, mais revient finalement en Arkansas, quelque peu désillusionné, et fait une pause dans la musique. L'un des tournants de la carrière d'Aaron a été sa rencontre avec Jack Williams qui l'a traité comme un fils et lui a ouvert les portes de cercles qui lui étaient fermés, lui permettant de s'enrichir au contact de songwriters comme Steve Gillette. En 2013, Aaron a rencontré le percussionniste et chanteur Ryan Gentry, et un an plus tard, le multi-instrumentiste George Holcomb les a rejoints pour compléter le groupe. Aaron Smith & The Coal Biters ont sorti leur premier album, The Way The World Turns, en 2015. La mort de Holcomb à 76 ans, le 13 février 2023, a hélas mis fin au trio. Influencé autant par Flannery O'Connor que John Prine et John Hartford, Aaron écrit des chansons qui vont d'un jazz inspiré à des ballades pensives et émouvantes, en passant par le groove des racine du sud. The Legend of Sam Davis, un recueil de chansons, d'histoires, d'œuvres d'art, de cartes et de photos de famille racontant des histoires et des légendes du comté de Newton, en Arkansas, est le deuxième et dernier album d'Aaron Smith & The Coal Biters. La première particularité de cette œuvre est que le disque est inséré dans un véritable livre (à couverture de carton épais) de quatre-vingt-dix pages. Si la musique se suffit en elle-même, le livre en fait un objet rare. Il s'agit d'un voyage dans le temps (vers l'année 1820) à Newton County, Arkansas avec Aaron Smith pour guide. Il nous fait suivre la légende de l'excentrique prêcheur des montagnes Sam Davis, dans une véritable odyssée pour retrouver sa sœur perdue. Il serait trop long de raconter cela en détail. Je peux simplement vous affirmer qu'on a grand plaisir à rencontrer des personnages tels que Henry Martain, Curly And Tom, Ab Clayborn ou Jack Evans ou encore Granny Brisco. On savoure les mélodies prenantes et les textes poétiques et intelligents de The Lion And The Bear, The Daughter Of My People ou A Thousand Years. Aaron Smith (voix, guitare, banjo, mandoline, dobro, cor français, accordina - un accordéon à anches - et claviers), George Holcomb (basse, clarinette et voix) et Ryan Gentry (voix et percussions) ne reçoivent que quelques renforts occasionnels comme Kelly Mulhollan (banjo et mandoline), Nathan Agdeppa (fiddle), Justin Farren (basse), Brian Rogers (batterie) ou Ben de la Cour (mandoline). Tous ensemble, il nous ont offert un album aussi beau par son contenu musical que par son enveloppe physique.
FOREST SUN
"Hey Magnolia"
Après l'excellent Follow The Love paru en 2022, Forest Sun (Schumacher) revient cet automne avec le non moins brillant Hey Magnolia. Comme il en a l'habitude depuis quelques année, le songwriter nous poste depuis la Californie, où il réside, une chanson par mois grâce à son Patreon, avant de les regrouper en un album. Si je devais résumer en deux mots Forest Sun, ces mots seraient classe et élégance. Coiffé de son chapeau noir, les favoris grisonnants, il affiche un style personnel que l'on retrouve dans ses chansons. Pour ce disque, elles sont au nombre de douze, toutes de la plume de l'artiste, Someday ayant été coécrit avec son ex-épouse et partenaire, Ingrid Serban. Forest Sun, voix et guitares est accompagné essentiellement par le talentueux et omniprésent Gavain Matthews (basses acoustique et électrique, hamonies, orgue Hammond, mandoline, guitares électrique et acoustique, guitare à résonateur, banjo, claviers, cordes). On trouve aussi Lara Louise (harmonies), Rob Hooper et Kyle Caprista (batterie), Luke Price (fiddle), Michael Fecskes (violoncelle) et Maria Grig (violon et alto). Du premier titre (Hey Magnolia) au dernier (Sweet Dreams, Caroline), on se laisse porter par des mélodies imparables et des textes poétiques, intelligents et pleins d'humanité, avec quelques moments forts comme Love Keeps On Trying, All The Mornings Have An Echo, At The End Of Everything ou encore le presque religieux Lost In The Dark. Cela dit, il n'y a, en vérité, pas un moment faible dans de nouvel opus de Forest Sun, et l'on attend déjà le prochain, qui commence à se dévoiler sur Patreon ou Bandcamp, tout en se disant "Chapeau, l'Artiste".
Charles Wesley GODWIN
"Family Ties"
Après Seneca (2019) et How The Mighty Fall (2021), deux albums fort bien accueillis par la critique, Charles Wesley Godwin, natif de Virginie Occidentale, a ressenti comme une énorme pression devant la nécessité de ne pas décevoir, se sentant incapable de trouver les mots de ses nouvelles chansons. L'inspiration est revenue lorsqu'il s'est contenté de regarder autour de lui, sa famille, ses amis, les paysages familiers. C'est ainsi qu'est né Family Ties, son troisième LP, publié chez Big Loud Records. En d'autres temps, ce disque, riche de dix-neuf titres, aurait été publié sous forme de double 33 tours. Family Ties trace un portrait de la maison, des relations, amis et famille, des leçons apprises et vécues. Les mélodies, inspirées, fusionnent avec des souvenirs décrits de fort belle manière. On a affaire à un travail fait avec tout l'amour et la sagesse d'un artisan. Charles Wesley Godwin, Naviguant avec aisance entre folk, rock et country, a enregistré l'album en terre musicale bénie, Asheville, Caroline du Nord, aux studios Echo Mountain, avec Julian Dreyer pour ingénieur du son principal. Al Torrence a mixé et produit l'album, assurant par ailleurs toutes sortes de parties instrumentales. Parmi les musiciens les plus remarqués, Read Connolly (banjo, dobro, lap steel, pedal steel) et Lucas Ruge-Jones (fiddle, trompette alto) sont à citer. Les chansons qui composent Family Ties sont comme des portes d'entrée vers la vie de Godwin. C'est une affaire intime, des vignettes dont beaucoup concernent les membres de la famille de Charles. Il y a Miner Imperfections, écrit pour son père, The Flood pour sa mère, Gabriel pour son fils. Il y a encore le mélancolique mais plein d’espoir Dance In Rain pour sa fille et la lettre d'amour pour sa femme qu'est Willing And Able, chanson lente et pleine de beauté. Tous les titres ont été écrits par Charles, dont deux en coécriture avec Zach McCord (Miner Imperfections et Dance In The Rain), à l'exception du célèbre Take Me Home, Country Roads, de John Denver (précédé par Cue Country Roads). Un nouveau songwriter de talent, servi par une voix vibrante, confirme ici de belle manière les promesses de ses débuts, il ne lui reste désormais qu'à acquérir une renommée dépassant ses frontières.