vendredi 27 octobre 2023

Avenue Country, par Jacques Dufour

Chris JANSON

"The Outlaw Side Of Me" 

Chris Janson est certainement moins connu que Dierks Bentley, Chris Young ou Joe Nichols mais il a le mérite d’avoir toujours défendu une musique moderne et néanmoins country. Il est présent depuis une dizaine d’années, a déjà réalisé quatre albums et obtenu quelques Top 10 sans encore avoir pu décrocher le jackpot qui aurait véritablement donné une autre dimension à sa carrière. Mais il n’a que trente-sept ans. Je n’emploierai pas la formule qui consiste à dire que cet album n’est pas mal pour un artiste de Nashville: cet album est tout simplement excellent. Il comporte plusieurs morceaux carrément rock and roll d’une forme classique, des titres bien country et trois ballades (album déconseillé aux romantiques) dont une en duo avec Dolly Parton. Je connaissais peu cet artiste venu du Missouri mais il m’a convaincu avec ses treize chansons dont aucune n’est à écarter. 

 

Warren ZEIDERS

"Pretty Little Poison" 

L’album ouvre sur une ballade chantée d’une manière convaincante et puissante. Le vocal de Warren Zeiders rivalise sans problème avec ceux de Blake Shelton, Dierks Bentley ou autre Justin Moore dont le style de country moderne est assez voisin. Zeiders fait passer de l’émotion dans ses ballades même si elles ne sont que subrepticement surlignées par la pedal steel guitare. Je lui fais néanmoins le petit reproche de trop pousser sa voix mais cela semble être la mode avec des artistes comme Chris Stapleton. Je déplore aussi l’absence de titres rapides. Quatorze ballades c’est trop, surtout en country moderne. Cela dit Warren Zeiders mérite de caracoler en tête des charts entre Luke Combs et Zac Brown. Largement.

"Go For It" 

Rusty Meyers est un bon chanteur dont le vocal est particulièrement en évidence dans la seule reprise incluse dans cet album: You Don’t Know Me, le classique d’Eddy Arnold. Sur ce slow ainsi que sur tous les autres titres Meyers est accompagné par un violon qui ajoute un plus à certaines chansons qui n’auraient eu qu’un intérêt moyen. L’album ouvre sur une country bien rapide, The Line Dance Call, mais le tempo est nettement dépassé par le trépidant I Like The Sound Of That sur lequel se succèdent guitare, mandoline, piano et fiddle. Le reste est plus calme, plus ordinaire, mais bien country pour autant. 

 

Tim McGRAW

"Standing Room Only" 

Je serai indulgent vis-à-vis du dernier dinosaure des années 90 à se retrouver présent dans les charts de Nashville. Tim Mc Graw a fait beaucoup mieux en début de carrière et aussi bien pire plus récemment. Ne pensez pas à Merle Haggard en écoutant la musique du Louisianais qui n’a rien de traditionnelle. N’espérez pas le moindre semblant de honky tonk ou de swing. Néanmoins, bien que résolument moderne, la country de McGraw reste de la country et ne verse ni dans la pop ni dans le rap. C’est déjà ça me direz-vous, bien qu’il vous faille tendre l’oreille un maximum pour ouïr quelques accords de pedal steel guitare. Aucun titre ne vous filera le moindre frisson mais cela reste néanmoins écoutable. Si vous possédez dans votre discothèque ses deux premiers albums, écoutez la différence. 

 

Dallas BURROW

"Blood Brothers" 

Treize titres pour cet album dont la tendance musicale est assez paisible à l’exception d’un rock final mal venu qui est plus "hard" que "roll". L’ensemble n’est pas désagréable avec le son distinct d’une pedal steel guitare, d’un bon fiddle et d’une mandoline sur certaines chansons. 

 

Doug FIGGS

"One More Ride" 

Cet album est à écouter après la balade (n’oubliez pas le picotin à offrir à votre monture). En effet Doug Figgs est un cowboy chantant résidant au Nouveau Mexique et il nous offre principalement des ballades acoustiques entre country-folk et chansons western. La mandoline est souvent présente mais selon les titres on peut également entendre le fiddle, le banjo, le dobro ou l’harmonica. Entre Ian Tyson et Marty Robbins

 

 

Ward HAYDEN & The OUTLIERS

"South Shore" 

C’est un nouvel album solo que présente l’ex-leader de la formation Girls, Guns and Glory. Celle-ci s’est déjà produite en France en offrant une musique assez énergique. N’en attendez pas autant ici malgré une entrée sympa avec un premier titre assez cashien agrémenté d’un yodel à la Jimmie Rodgers. Il s’agit d’un album acoustique axé sur les tempos nonchalants. Ward Hayden dispose d’un vocal qui s’apparente parfois à celui de Dwight Yoakam mais il n’en a pas pour autant l’énergie. Dommage. 

 

Grady HOSS & The SIDEWINDERS

"Local Motive" 

Un album qui ne renouvelle pas le genre mais qui est agréable à l’oreille. Le vocal est attachant sans intention de ressembler à George Jones ou Alan Jackson. Il ne bénéficie que d’une seule ballade sur les onze titres mais à part un rock pas très convainquant les tempos ne sont pas des plus élevés. La pedal steel guitare est bien là. Une country assez classique loin de la pop nashvilienne. C’est toujours une satisfaction. 

 

Dylan EARL

"I Saw the Arkansas" 

Voici un album semblable à des centaines d’autres, c’est-à-dire sans particularité aucune et axé sur les ballades et titres calmes. Un chanteur d’audience régionale qui propose ses albums à la fin des prestations dans les bars. C’est honorable mais d’aucun intérêt pour le public européen. 

 

Tanya TUCKER

"Sweet Western Sound" 

Tanya Tucker a obtenu son premier n°1 en 1973. Cinquante ans plus tard elle nous offre son dernier album. Mis à part Dolly Parton et bien sûr les chanteuses qui nous on quitté (Loretta Lynn, Tammy Wynette) Tanya est la seule chanteuse encore active parmi toutes celles ayant connu le bonheur d’avoir obtenu un n°1 dans les années 70. Que deviennent les Donna Fargo, Crystal Gayle, Anne Murray, Billy Joe Spears, Marie Osmond, Melba Montgomery et même Emmylou Harris? Au bord de la piscine ou devant la cheminée mais certainement très éloignées des studios d’enregistrement. Certes, à l’âge de soixante-cinq ans, ce n’est plus la Tanya de l’album TNT sur lequel elle reprenait Not Fade Away et autre Heartbreak Hotel. Les ballades dominent et parmi celles-ci l’émouvante Letter To Linda en hommage à sa consœur qui lutte contre la maladie depuis plusieurs années. Le vocal râpeux et presque masculin de Tanya est toujours aussi envoûtant et j’espère que d’autres albums viendront s’ajouter à son abondante discographie. 

 


mardi 17 octobre 2023

L'art (selon) Romain, par Romain Decoret

 

Van MORRISON

"Accentuate The Positive" (Virgin/Universal)

Avec son précédent disque, Van Morrison revisitait ses premières racines: pour son 45ème album. Il passe à la seconde phase, le rock’n’roll. Il a été immédiatement inspiré par Fats Domino, Chuck Berry et les Everly Brothers qu’il interpréta dans les salles de concert de sa ville natale, utilisant souvent les mêmes instruments acoustique du skiffle qu’il n’hésite pas électrifier.. Ici; il revisite et réimagine certaines de ses chansons préférées. Le titre de l’album provient d’un morceau de Bing Crosby, mais suit la version de Gene Vincent sur le disque Crazy Times. Le poète/rocker irlandais aborde ensuite le Lonesome Train du Rock’n’Roll Trio de Johnny Burnette pour lequel il invite le regretté Jeff Beck à la guitare. Il passe ensuite à Flip, Flop & Fly de Big Joe Turner. Le bluesman Taj Mahal tient la guitare en invité sur ce qui fut l’un des premiers hits du rock’n’roll. Il est aussi sur Lucille de Little Richard. Van Morrison n’hésite pas à reprendre Shakin’ All Over de Johnny Kidd, autre joyau du rock britannique. Il insuffle à ces chansons intemporelles une passion qui élargit et remet en question ses propres traditions. Sa voix inimitable et de superbes arrangements parfaitement maîtrisés apportent une nouvelle et haute énergie à ces hits éternels. La suite pourrait être un retour à la période Them, et des titres fabuleux tels que I’m Gonna Dress In Black. A moins que Van Morrison ne nous surprenne avec un disque mystique dont il a le secret. En attendant, accentuez le positif…(Romain Decoret

 

Dylan LeBLANC

"Coyote" (ATO Records)

C’était simple mais il fallait y penser. Le songwriter avait déjà abordé le concept album de l’outlaw avec Renegade. Pour son cinquième disque à la fois autobiographique et conceptuel; il a mis en scène le personnage de Coyote, un hors-la-loi tiraillé entre les cartels mexicains de la drogue et sa propre personnalité. Il évoque ici un problème commun dans le Sud des USA où le Fentanyl mortel est largement distribué par des américains chapeautés par les cartels. Pour cela, Dylan LeBlanc a emmené sa guitare acoustique dans les mythiques studios Fame de Muscle Shoals. Le batteur est Fred Eltringham (Sheryl Crow, Ringo Starr) et Jim "Moose" Brown au piano vient du Bob Seger Band. La couverture du CD représente un coyote percé de flèches. Les compositions évoquent divers aspects de la vie de l’Outlaw. Dark Waters, Hate, Wicked Kind et Telluride sont le côté obscur, alors que No Promises Broken, Human Kind et The Crowd Goes Wild évoquent les épiphanies, aussi courtes qu’elles puissent l’être dans la vie de Coyote. Un disque profond et honnête. (Romain Decoret

 

Chad RUPP & The SUGAR ROOTS

"The Devil Won’t Get You" (Lightning in a bottle Re-cords)

Ce groupe vient de l’Oregon et représente bien la scène de Portland où les musiciens sont toujours prêts à se dépasser. Chad Rupp est un guitariste jouant sur Gibson aussi bien que sur Fender Stratocaster. Son répertoire est l’équivalent d’une constante rock’n’roll party avec des influences venues des Fabulous Thunderbirds, B.B. King ou Elvin Bishop pour son jeu de guitare. Vocalement, il chante avec une souplesse rare qui rappelle souvent Bobby Tench, chanteur du Jeff Beck Group. Pour son second disque (le précédent était Savage’s Life) il s’est entouré d’instrumentistes de très haut niveau comme Johnny Wheels à l’harmonica, le batteur Jimmy Botts (sacré meilleur batteur par la Blues Musiciens Association). Il a également réuni une section de cuivres imposante et invité Lloyd Jones (ex-Delbert McClinton), Peter Damian et Andrew Matthew. C’est particulièrement efficace dans Leopard For Your Love, The Devil Won’t Get You ou Bluesmen In Black avec Johnny Wheels. At The Candle light Room est dédié au club aujourd’hui disparu autour duquel se créa la scène de Portland. Le disque a été enregistré au studio Roseleaf Recordings et produit par Timmer Blakely. A la fois garage band et blues ce disque de jeunes musiciens est empli de virtuosité et incontournable. (Romain Decoret

 

Various Artists

"Heavenly Cream : An Acoustic Tribute To Cream" (Quarto Valley Records / Bertus France)

Le poète et parolier Pete Brown - aujourd’hui décédé - travaillait sur un autre projet quand est né le concept de ce disque: une rétrospective acoustique de la musique de Cream. Puis l’idée fit son chemin et de nombreux talents se réunirent dans les studios d’Abbey Road: Joe Bonamassa, Bobby Rush, Malcolm Bruce ( fils de Jack Bruce), Deborah Bonham (fille de John Bonham), Maggie Bell, mais aussi Paul Rodgers (ex-Free), Bernie Marsden (ex-Gerry & The Pacemakers) et même Pete Brown & Ginger Baker participèrent de manière posthume . Le répertoire revisite en acoustique les titres de Jack Bruce et Eric Clapton. Malcolm Bruce sonne comme son père et ne nous laisse pas oublier que Jack Bruce avait étudié le violoncelle à l’Académie de Glasgow. D’où des titres tels que Deserted Cities Of The Heart ou We’re Going Wrong. Mais aussi les hits que sont Politician, White Room et l’humoristique Take It Back sans oublier Sunshine Of Your Love, Spoonful, Born Under A Bad Sign et Sitting On Top Of The World des Mississippi Sheiks dans la version de Howlin’ Wolf. Pour Eric Clapton on retrouve Badge et les arpèges originalement joués par Georges Harrison sous le nom de l’Angelo Mysterioso. Il est dommage que le riff acoustique à la 12-cordes de Dance The Night Away ait été omis mais il est vrai que cette célébration de la danse est maintenant dépassée dans un monde où des assassins peuvent envahir un concert au Bataclan ou une rave party en Israël. Par contre Crossroads et Tales Of Brave Ulysses sont bien présents sur ce disque de grande envergure qui est plus qu’un hommage. Excelsior! (Romain Decoret)

jeudi 12 octobre 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

OLD CALIFORNIO

"Metaterranea" 

Après Old Californio Country, album composé presque exclusivement de reprises, présenté en ces colonnes en novembre 2022, Old Californio revient avec Metaterranea entièrement écrit par Rich Dembrowski. Les compositions sont solides et les harmonies vocales de Rich et Woody Aplanap, avec parfois le renfort de Justin Smith et Jason Chesney, sont superbes, quelque part entre les Beach Boys, America et Poco. Des titres comme The Swerve et Destining Again semblent tout droit sortis ses seventies, avec des guitares qui chantent et se répondent, acoustique, électrique et slide. Weeds (Wildflowers), avec les harmonies de Jason Chesney est un morceau acoustique, bucolique, qui incite à la rêverie. The Seer est en revanche un titre plus tape-à-l'oreille, avec une introduction électrique à la Crazy Horse et un texte qui évoque le côté éphémère de nos vies. Changement de tonalité à nouveau, aussi bien pour les voix que pour les instruments, avec Tired For A Sea qui revêt un parfum psychédélique. Pour Just Like A Cloud, dernier titre de l'album, enregistré live en studio, c'est un swing jazzy qui domine. Rich Dambrowski a d'ailleurs dit aux musiciens, avant l'enregistrement, en guise d'instructions: "Je veux que ce soit pleinement du jazz. Je veux que ce soit vous, les gars, exprimant votre sens musical". Le message a bien été compris par Woody Aplanap (guitare), Corey McCormick (basse) et Anthony Logerfo (batterie) et le titre est une parfaite conclusion à cet album qui démontre que Old Californio, seize ans après son premier album, n'a jamais été aussi en forme. 

 

The BURRITO BROTHERS

"Together" 

"Dedicated with pure love and gratitude to our bold brother, Bob Hatter (1950-2021)", Together est le troisième volet d'une trilogie des Burrito Brothers commencée en 2018 avec Still Going Strong (cf. Le Cri du Coyote n°160) et poursuivie en 2020 avec The Notorious Burrito Brothers (cf. Le Cri du Coyote n°165). Le nouvel album avait été conçu et écrit plus d'un an avant la disparition de Bob. La pandémie est arrivée et a retardé le processus dont Bob Hatter (guitares acoustique et électrique, voix) n'a pu être acteur qu'à son tout début. Les trois autres ont continué comme si leur ami avait toujours été avec eux. Chris P. James (voix, claviers, harmonica), Tony Paoletta (pedal steel guitar, dobro, guitare 12 cordes, banjo, mandoline, voix) et Peter Young (batterie, percussion, voix, guitare acoustique) ont enrôlé l'excellent Steve Allen (guitares acoustique et électrique, basse, voix) pour s'asseoir dans le siège laissé vacant par Bob (et avec la béndiction de ce dernier). Ces Burritos 2023 continuent avec autant de talent que d’humilité à faire vivre un héritage glorieux et lourd à porter (avec des hauts et des bas). Les musiciens sont excellents (Tony Paoletta, en tous points remarquable, n'a rien à envier à ses aînés), les harmonies vocales sont dignes des excellents groupes de country-rock des années 1970 (Firefall, Cowboy et quelques autres) et Chris James est un leader plus que crédible et un excellent chanteur (écoutez par exemple I Live For Loving You). Quant aux compositions, toutes originales, elles creusent vite, et de manière agréable, leur sillon dans nos conduits auditifs. À titre de curiosité, on notera que Mr. Custom Man est cosigné par Gram Parsons, Chris James et Bob Hatter. Parmi les moments forts, je citerai, en premier lieu, le magnifique Blood On His Hands, mais aussi Ms. Misery. Dans Together, on croirait entendre les Byrds avec la pedal steel de Sneaky Pete. Il y a encore Let Go, où Ronnie Guilbeau fait une apparition avec sa guitare B-Bender et puis Streets Of Santa Rosa avec un brillante partie de pedal steel. L'album s'achève avec History Suite, long collage de sept morceaux qui dure plus d'un quart d'heure avec, pour finir, le léger Goodbye dont on espère qu'il ne sera pas un adieu. 

 

Rod PICOTT

"Starlight Tour" 

Rod Picott n'est pas un inconnu pour qui fréquente assidûment les colonnes du Cri du Coyote. Starlight Tour doit être le sixième que j'ai le plaisir de chroniquer. Le précédent, Paper Hearts and Broken Arrows, avait été présenté en juillet 2022, de façon élogieuse. Rod considère son nouvel opus comme un de ses trois meilleurs albums, au moins au même niveau que le précédent. L'équipe est la même avec Neilson Hubbard (production, batterie et percussions), Lex Price (basse et mandoline) et Juan Solodzano (guitares acoustique, électrique et pedal steel, piano, glockenspiel et trompette) et, pourtant, quelque chose a changé. Comme l'explique l'artiste, il y a un sentiment d'urgence: il faut faire le meilleur disque possible au moment où on le fait, avec très peu de droit à l'erreur, un minimum de prises. Le budget est limité, le temps de studio aussi (cinq jours) et les chansons (dix, pas une de plus, pas de titre en réserve cette fois) les meilleures possible. Si Rod n'a pas écrit davantage de morceaux, c'est une affaire d'exigence, parce qu'il trouve de plus en plus difficile d'écrire quelque chose qui lui semble nouveau. C'est aussi pour cette raison qu'il s'associe à d'autres: Brian Koppeman (A Puncher's Chance et Combine), Amy Speace (Homecoming Queen) et Nick Nace (Starlight Tour). Il considère aussi que certaines chansons (Digging Ditches, A Puncher's Chance, Pelican Bay et Time To Let Go Of Your Dreams), sont comme touchées par la grâce, par quelque chose qui va au-delà de l'effort collectif du groupe. Rod Picott a en quelque sorte écrit sa propre chronique et il ne me reste pas grand-chose à ajouter. Par rapport aux réalisations précédentes, le son semble un peu plus brut, avec un rythme différent, lancinant, comme si le cœur de Rod battait autrement, avec aussi une guitare électrique qui se taille souvent la part du lion, ainsi qu'on peut le constater dès The Next Man In Line. Imaginez un croisement entre J.J. Cale et David Olney, avec une voix qui délivre des confidences à l'oreille de qui écoute, pour vous faire une idée. D'autres titres sont moins électriques (Television Preacher, Homecoming Queen) mais on a toujours la même pulsation qui les porte. C'est le même Rod Picott que nous retrouvons sur cet album et pourtant il est différent, se renouvelant sans perdre son identité. L'album apparaît comme une respiration après trois années où chacun retenait son souffle, en particulier les artistes, privés de la possibilité de vivre correctement de leur métier. Si le disque est excellent de bout en bout, il atteint des sommets avec les deux derniers titres, le bouleversant Pelican Bay et le plus optimiste Time To Let Go Of Your Dreams. Concernant celui-ci, Rod dit qu'il a dû quitter le studio, en larmes, lorsqu'il l'a écouté, ému par le travail réalisé. Starlight Tour est assurément l'un des plus beaux disques de cet automne, si riche musicalement. 

 

Aaron SMITH & The COAL BITERS

"The Legend of Sam Davis And Other Stories of Newton County, Arkansas" 

Et voici un Smith de plus. Le dernier en date pour moi, le premier par ordre alphabétique. Pour résumer, la carrière musicale d'Aaron Smith a certainement consisté à trouver sa voie durant les différentes périodes de la vie. Il a commencé à écrire des chansons au piano dans l'église de son enfance, à apprendre le banjo à la maison et à jouer du cor d'harmonie dans l'orchestre du lycée. Après s'être spécialisé en cor français à l'université, Smith a joué avec le North Arkansas Symphony. Il passe ensuite plusieurs années en Floride où il traverse une phase rock'n'roll avec une Stratocaster rose à motif cachemire, mais revient finalement en Arkansas, quelque peu désillusionné, et fait une pause dans la musique. L'un des tournants de la carrière d'Aaron a été sa rencontre avec Jack Williams qui l'a traité comme un fils et lui a ouvert les portes de cercles qui lui étaient fermés, lui permettant de s'enrichir au contact de songwriters comme Steve Gillette. En 2013, Aaron a rencontré le percussionniste et chanteur Ryan Gentry, et un an plus tard, le multi-instrumentiste George Holcomb les a rejoints pour compléter le groupe. Aaron Smith & The Coal Biters ont sorti leur premier album, The Way The World Turns, en 2015. La mort de Holcomb à 76 ans, le 13 février 2023, a hélas mis fin au trio. Influencé autant par Flannery O'Connor que John Prine et John Hartford, Aaron écrit des chansons qui vont d'un jazz inspiré à des ballades pensives et émouvantes, en passant par le groove des racine du sud. The Legend of Sam Davis, un recueil de chansons, d'histoires, d'œuvres d'art, de cartes et de photos de famille racontant des histoires et des légendes du comté de Newton, en Arkansas, est le deuxième et dernier album d'Aaron Smith & The Coal Biters. La première particularité de cette œuvre est que le disque est inséré dans un véritable livre (à couverture de carton épais) de quatre-vingt-dix pages. Si la musique se suffit en elle-même, le livre en fait un objet rare. Il s'agit d'un voyage dans le temps (vers l'année 1820) à Newton County, Arkansas avec Aaron Smith pour guide. Il nous fait suivre la légende de l'excentrique prêcheur des montagnes Sam Davis, dans une véritable odyssée pour retrouver sa sœur perdue. Il serait trop long de raconter cela en détail. Je peux simplement vous affirmer qu'on a grand plaisir à rencontrer des personnages tels que Henry Martain, Curly And Tom, Ab Clayborn ou Jack Evans ou encore Granny Brisco. On savoure les mélodies prenantes et les textes poétiques et intelligents de The Lion And The Bear, The Daughter Of My People ou A Thousand Years. Aaron Smith (voix, guitare, banjo, mandoline, dobro, cor français, accordina - un accordéon à anches - et claviers), George Holcomb (basse, clarinette et voix) et Ryan Gentry (voix et percussions) ne reçoivent que quelques renforts occasionnels comme Kelly Mulhollan (banjo et mandoline), Nathan Agdeppa (fiddle), Justin Farren (basse), Brian Rogers (batterie) ou Ben de la Cour (mandoline). Tous ensemble, il nous ont offert un album aussi beau par son contenu musical que par son enveloppe physique. 

 

FOREST SUN

"Hey Magnolia" 

Après l'excellent Follow The Love paru en 2022, Forest Sun (Schumacher) revient cet automne avec le non moins brillant Hey Magnolia. Comme il en a l'habitude depuis quelques année, le songwriter nous poste depuis la Californie, où il réside, une chanson par mois grâce à son Patreon, avant de les regrouper en un album. Si je devais résumer en deux mots Forest Sun, ces mots seraient classe et élégance. Coiffé de son chapeau noir, les favoris grisonnants, il affiche un style personnel que l'on retrouve dans ses chansons. Pour ce disque, elles sont au nombre de douze, toutes de la plume de l'artiste, Someday ayant été coécrit avec son ex-épouse et partenaire, Ingrid Serban. Forest Sun, voix et guitares est accompagné essentiellement par le talentueux et omniprésent Gavain Matthews (basses acoustique et électrique, hamonies, orgue Hammond, mandoline, guitares électrique et acoustique, guitare à résonateur, banjo, claviers, cordes). On trouve aussi Lara Louise (harmonies), Rob Hooper et Kyle Caprista (batterie), Luke Price (fiddle), Michael Fecskes (violoncelle) et Maria Grig (violon et alto). Du premier titre (Hey Magnolia) au dernier (Sweet Dreams, Caroline), on se laisse porter par des mélodies imparables et des textes poétiques, intelligents et pleins d'humanité, avec quelques moments forts comme Love Keeps On Trying, All The Mornings Have An Echo, At The End Of Everything ou encore le presque religieux Lost In The Dark. Cela dit, il n'y a, en vérité, pas un moment faible dans de nouvel opus de Forest Sun, et l'on attend déjà le prochain, qui commence à se dévoiler sur Patreon ou Bandcamp, tout en se disant "Chapeau, l'Artiste".

 

Charles Wesley GODWIN

"Family Ties" 

Après Seneca (2019) et How The Mighty Fall (2021), deux albums fort bien accueillis par la critique, Charles Wesley Godwin, natif de Virginie Occidentale, a ressenti comme une énorme pression devant la nécessité de ne pas décevoir, se sentant incapable de trouver les mots de ses nouvelles chansons. L'inspiration est revenue lorsqu'il s'est contenté de regarder autour de lui, sa famille, ses amis, les paysages familiers. C'est ainsi qu'est né Family Ties, son troisième LP, publié chez Big Loud Records. En d'autres temps, ce disque, riche de dix-neuf titres, aurait été publié sous forme de double 33 tours. Family Ties trace un portrait de la maison, des relations, amis et famille, des leçons apprises et vécues. Les mélodies, inspirées, fusionnent avec des souvenirs décrits de fort belle manière. On a affaire à un travail fait avec tout l'amour et la sagesse d'un artisan. Charles Wesley Godwin, Naviguant avec aisance entre folk, rock et country, a enregistré l'album en terre musicale bénie, Asheville, Caroline du Nord, aux studios Echo Mountain, avec Julian Dreyer pour ingénieur du son principal. Al Torrence a mixé et produit l'album, assurant par ailleurs toutes sortes de parties instrumentales. Parmi les musiciens les plus remarqués, Read Connolly (banjo, dobro, lap steel, pedal steel) et Lucas Ruge-Jones (fiddle, trompette alto) sont à citer. Les chansons qui composent Family Ties sont comme des portes d'entrée vers la vie de Godwin. C'est une affaire intime, des vignettes dont beaucoup concernent les membres de la famille de Charles. Il y a Miner Imperfections, écrit pour son père, The Flood pour sa mère, Gabriel pour son fils. Il y a encore le mélancolique mais plein d’espoir Dance In Rain pour sa fille et la lettre d'amour pour sa femme qu'est Willing And Able, chanson lente et pleine de beauté. Tous les titres ont été écrits par Charles, dont deux en coécriture avec Zach McCord (Miner Imperfections et Dance In The Rain), à l'exception du célèbre Take Me Home, Country Roads, de John Denver (précédé par Cue Country Roads). Un nouveau songwriter de talent, servi par une voix vibrante, confirme ici de belle manière les promesses de ses débuts, il ne lui reste désormais qu'à acquérir une renommée dépassant ses frontières.