samedi 5 août 2023

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Grant PEEPLES

"A Murder Of Songs" 

A Murder Of Songs est déjà (depuis 2012) le sixième album de Grant Peeples que je chronique pour Le Cri du Coyote. Le précédent, Bad Wife (N° 164, mars 2020) était exclusivement composé de titres écrits par des consœurs de l'artiste. Avec son nouvel opus, Grant revient à ses propres chansons, même si l'album commence par la reprise de Brothers In Arms de Mark Knopfler et Dire Straits. Mais le songwriter de Floride n'est jamais à court d'idées et a choisi de présenter l'album comme un livre-disque. Le CD est inséré dans un livret de 44 pages, comporte les textes des chansons et un mot d'introduction pour chacune avec, ensuite, une histoire courte (The Trip Home) et sept poèmes. Bref, il y a autant à lire qu'à écouter. A Murder Of Songs a été enregistré dans plus de dix studios différents avec la participation de plus de trente musiciens et ingénieurs. Les enregistrements de base ont été pour la plupart réalisés pendant la période du confinement. Malgré les conditions qui auraient pu faire sonner le disque comme un ensemble hétéroclite, l'idée directrice qui relie les neuf titres, la qualité de la production et celle l'écriture de Grant ont permis d'aboutir à un ensemble d'une grande cohérence. Après la superbe adaptation de Brothers In Arms, Grant Peeples nous revient tel qu'en lui-même, tantôt davantage poète que chanteur engagé, tantôt le contraire, mais toujours un peu des deux à la fois. Avec This Is The Good News, co-composé avec le producteur Danny Goddard, Grant se contente du rôle de chanteur, puisque Danny assure toutes les parties instrumentales et les arrangements. Revolutionary Reel! a été écrit en pleine période Black Lives Matter mais recèle une bonne dose d'humour avec des sonorités (banjo et fiddle) plutôt guillerettes. Le côté politique est très présent sur des chansons dont les titres parlent d'eux-mêmes: Insurrection Song (January 6) qui a un parfum d'Irlande, Liberal With A Gun, Let's Start Killing Each Other. Les complotistes trumpistes, la NRA et le KKK sont clairement visés mais souvent avec cette forme d'humour propre à Grant, utilisé pour mieux démontrer l'absurdité de certaines positions. Liberal With A Gun avait déjà été enregistré sur le premier album de Grant (qu'il renie), Down Here In The County. Grant adopte un ton plus tendre pour Dear Sadie (dédié à sa petite-nièce) ou The Restless Ones, hommage à son premier cercle d'amis, dont le premier couplet est lu par la poétesse écossaise Lorna Simes. C'est un des titres les plus forts de l'album qui me fait penser à The Bravest de Tom Paxton. Elisabeth a été écrit et déjà enregistré (sur Okra And Ecclesiastes en 2011) par Grant pour son amie Elizabeth Williamson, par ailleurs co-productrice de A Murder Of Songs. Cette version provient en fait d'une maquette enregistrée en 2010 et laissé dans un tiroir depuis. Quand sonnent les dernières notes de Let's Start Killing Each Other (la pedal steel de Doug Stock et le piano de Tracy Collins essentiellement), on peut mesurer la richesse de l'album qui se révèle davantage à chaque écoute. Il me reste encore à découvrir la partie non-musicale de ce livre-disque qui confirmera à n'en point douter que Grant Peeples est un artiste rare, appartenant à une espèce en voie de disparition.

 

Ed SNODDERLY & The SHOESTRING SEVEN

"Chimney Smoke" 

Ed Snodderly est un vieux routier puisque Chimney Smoke est son dixième album depuis le premier, Sidewalk Shoes, publié en 1977. Je le découvre seulement aujourd'hui mais j'aurais pourtant dû avoir la puce à l'oreille en écoutant l'album de Matthews Southern Comfort, The New Mine, paru en 2020 qui ne comporte que deux reprises, un titre de Joni Mitchell et Working In The New Mine d'Ed Snodderly. Connaissant la capacité de Iain Matthews à dénicher les songwriters de talent, j'aurais dû creuser. Ed est ici accompagné par les Shoestrings Seven, un casting à faire rêver: Shawn Camp (mandoline et voix), Steve Conn (piano, accordéon, orgue), John Gardner (percussion), Steve Hinson (pedal steel, lap slide guitar), Chris Scruggs (basse électrique et contrebasse), Gary J. Smith (contrebasse), Kenny Vaughan (guitares en tous genres). Et si cela ne suffisait pas, quelques vocalistes de talent ont été enrôlés: Amythyst Kiah, Maura O'Connell, Gretchen Peters, Malcolm Holcombe, Eugene Wolf, R.S. Field (surnommé Kill Fee, par ailleurs producteur). Pour une touche d'émotion supplémentaire, il faut signaler que le disque a été enregistré et mixé par Bill VornDick (rurnommé Templar), décédé peu après, en 2022. Les onze titres (plus un bonus) ont été écrits par Ed et, à leur écoute, je ne peux que regretter de ne pas avoir découvert l'artiste plus tôt, d'autant que ses disques précédents sont très difficiles à dénicher. Contentons-nous donc d'écouter le nouvel opus. Après Better Just Ride The Mule, on est vite accroché par Gone With Gone And Long Time (avec Gretchen Peters), le sommet du disque, et Chimney Smoke (avec Amythyst Kiah) où les mélodies folk sont enluminées de notes de pedal steel, lap slide et mandoline. Ed a cherché à faire un album "sudiste", mettant en exergue ses ses origines appalachiennes (il vient de Knoxville, Tennessee) et il y parvient parfaitement avec ces deux titres (et avec d'autres). There You Are (avec Malcolm Holcombe et le piano de Steve Conn), plus blues, est également remarquable. Barn, avec Shawn Camp, est un rock mid-tempo (comme Walking In The Sunshine Again), qui démontre que quand la chanson est bonne, elle peut s'adapter à tous les styles. Un autre exemple est Crow's Fever avec les arrangements de cordes de Chris Carmichael et la guitare wah-wah enflammée de Kenny Vaughan. Eddie Lynn Snodderly est un songwriter de premier plan, de la trempe d'un Guy Clark, par exemple. L'album se termine avec la ballade Before School et le chaloupant So Far Away (et la voix de Maura O'Connell). Se termine? Pas tout à fait, car un titre bonus, The Diamond Stream, vient ajouter 2 minutes 45 de bonheur à cet excellent album. 

 

Drew HOLCOMB and The NEIGHBORS

"Strangers No More" 

À propos de Dragons, précédent disque de Drew Holcomb & The Neighbors, j'avais écrit que "le disque a cependant tendance à s'éloigner des racines et à prendre un virage trop pop à mon goût" (Le Cri du Coyote n° 163). Cette même tendance se retrouve dans Strangers No More, album qui balance entre des titres aux arrangements dépouillés et d'autres qui tendent vers un certaine grandiloquence. Les Strangers sont Nathan Dugger (guitares, banjo, mellotronsteel guitar, Wurlitzer, etc.), Rich Brinsfield (basses), Will Sayles (batterie et percussions) et Ian Miller (claviers), auxquels s'ajoute le producteur Cason Cooley (claviers). Les onze morceaux de l'album sont tous bien écrits, composés, seul ou non, par Drew, à l'exception de On A Roll qui est l'œuvre de Nathan Dugger. J'aime beaucoup les titres aux arrangements simples comme Troubles, délicatement country-folk, où la pedal steel de Nathan fait merveille, ou le plus rock That's on You, That's On Me. La meilleure chanson est peut-être Free (Not Afraid To Die), coécrit avec Natalie Hemby, qui clôture le disque. Deux titres ont été écrits avec Ketch Secor (Old Crow Medicine Show): Gratitude où la voix de Drew est particulièrement mise en valeur, et Dance With Everybody, aux arrangement très (trop?) riches avec cuivres et synthétiseurs qui me laisse plus réservé. Il y a un côté festif, une volonté de partager une joie collective, à l'image du titre, qui confine à l'excès. Quoiqu'il en soit, c'est un album qui mérite d'être entendu avec un mélange des genres plutôt bien maîtrisé, fort de compositions solides et de musiciens, en particulier Nathan Dugger, talentueux. 

 

Ben de la COUR

"Sweet Anhedonia" 

S'il ne jouit pas d'une renommée très grande par ici, Ben de la Cour est un songwriter intéressant qui publie son cinquième album, Sweet Anhedonia (l'anhédonie est la perte de la capacité à ressentir le plaisir, phénomène bien connu des dépressifs). Pour la biographie de Ben, je vous invite à vous reporter à la chronique de Shadow Land (Le Cri du Coyote n° 168) paru en 2021. Il produit toujours son "americanoir" avec des influences qui vont de Tom Waits comme le titre d'ouverture Appalachian Book Of The Dead, avec cuivres et cordes, à des songwriters plus proches du folk traditionnel (I've Got Everything I Ever Wanted sonne comme une chanson de Steve Earle dans ses moments apaisés, par exemple Christmas In Washington). Le deuxième morceau, Numbers Game bénéficie de la voix de Becky Warren. Elizabeth Cook est présente sur Shine On The Highway à l'ambiance cinématographique alors que la prometteuse Emily Scott Robison prête sa voix à Sweet Anhedonia, titre aux paroles sombres. Une des caractéristiques de Ben de la Cour est d'être imprévisible et d'avoir la capacité de nous emmener, d'un titre à l'autre, là où on ne l'attend pas. Il peut glisser un solo de trompette mélancolique après une introduction au piano classique sur un titre un peu grandiloquent (Palookaville) et enchaîner sur une ballade tout en douceur (Brother) que n'aurait pas reniée Donovan, sans pour autant nous perdre en route. Le disque a été enregistré dans divers studios de Nashville (Tennessee) et Athens (Georgia) et bénéficie d'un production de grande classe de Jim White. Quant à Ben, il écrit des textes souvent énigmatiques (à la Leonard Cohen) qu'il interprète d'une voix d'une grande sensibilité. Un petit point négatif: le titre Birdcage (à l'ambiance très proche de Tom Waits), disponible sur Bandcamp en version digitale, ne figure ni sur le CD ni sur le vinyle. 

 

Lucinda WILLIAMS

"Stories From A Rock N Roll Heart" 

Nous avions laissé Lucinda Willliams sur les six excellents volumes de Lu's Jukebox, albums hommages enregistrés en période de pandémie. Après un accident cardiaque qui l'a laissée diminuée (notamment pour jouer de la guitare), Lucinda remet les choses au point avec l'album Stories From A Rock N Roll Heart dont le premier titre, Let's Put The Band Back Together, ne laisse planer aucune ambiguïté: "Let's put the band back together and do it again" (Reformons le groupe et recommençons). Il est grand temps de remettre la machine en route. Steve Mackie (basse) et Stuart Mathis (guitare) sont toujours de l'aventure alors que Fred Eltringham (batterie) et Joshua Grange (pedal steel, etc.) cohabitent dans le disque avec notamment Steve Ferrone et Doug Pettibone. Dès les premières notes, et jusqu'à Never Fade Away, l'électricité règne en maîtresse, avec des points forts comme Stolen Moments, Rock N Roll Heart ou le brûlant This Is Not My Town. Parmi les moments plus calmes, Jukebox appararaît comme un sommet avec la steel guitar de Doug Pettibone et un texte qui évoque aussi bien Muddy Waters que Patsy Cline. Parmi les musiciens, Reese Wynans au claviers (notamment l'orgue B3) se distingue particulièrement. Quant aux invités qui viennent chanter quelques notes, la liste parle d'elle-même: Margo Price (Let's Put The Band Back Together, This Is Not My Town), Bruce Springsteen & Patti Scialfa (New York Comeback, Rock N Roll Heart), Angel Olsen (Jukebox) mais aussi Siobahn Maher Kennedy et Tommy Stinson. Toutes ces présences font de l'album un véritable moment d'amitié. En parlant de voix, celle de Lucinda a parfois eu tendance à m'énerver, notamment sur les ballades, mais avec son cœur de rockeuse remis en état, elle est ici parfaite. 

 

WATER TOWER

"Live From Los Angeles" 

J'avais déjà eu l'opportunité d'évoquer Water Tower avec l'album précédent du groupe, Fly Around (Le Cri du Coyote n° 169). Par rapport à ce précédent opus, seul le leader Kenny "Fretboard" Feinstein (guitare et fiddle) est encore présent. À ses côtés on trouve Tommy "Fingers" Drinkard (banjo et guitare), Jesse Blue Eads (banjo), et Joey "Juice" Berglund (basse). Tout le monde chante lead (essentiellement Kenny et Tommy). Le groupe est toujours aussi inclassable, et les quatre musiciens mêlent allègrement les genres que chacun préfère. Leur amour commun du bluegrass et du jamgrass rencontrent avec bonheur celles de Tommy (reggae et rock), de Jesse (jazz et prog-rock) et et de Kenny (punk-rock et old-time). California Love est même un rap bluegrass signé par Tupac. Des titres connus voisinent avec des compositions originales. C'est ainsi qu'on peut entendre des versions vitaminées et déjantées de Reuben's Train (précédé par Star Spangled Banner), Cotton Eyed Joe ou My Little Girl In Tennessee qui cohabitent sans problème avec River Song, AM PM ou I See The Light. Le disque, riche de quinze titres et intitulé Live From Los Angeles, a été enregistré en une seule journée aux studios Palomino, ce qui explique sa grande spontanéité. Quelque part entre Violent Femmes et Old Crow Medicine Show, Water Tower va réjouir à n'en point douter le public britannique et irlandais qui aura l'occasion de l'applaudir en ce mois d'août. Pour l'occasion, Kenny et Tommy seront accompagnés par Taylor Estes (basse et voix) et Nicholas Leahy (mandoline et voix).

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