mardi 25 octobre 2022

Collector Album par Romain Decoret

 

 COLLECTOR ALBUM 
 

John PRINE

"Pink Cadillac" (1979)

 (Elektra Asylum, puis Oh Boy Records en 1989)

Produit par Sam Phillips, Knox & Jerry Phillips.

Studios Phillips Recording, 639 Madison Avenue, Memphis TN

Face A: Chinatown, Automobile, Killing The Blues (Roly Salley), No Name Girl (Billy Lee Riley/Jack Clement), Saïgon

Face B: This Cold War With You (Floyd Tillman), Baby Let’s Play House (Arthur Gunter), Down By The Side Of The Road, How Lucky (Can One Man Get), Ubangi Stomp (Charles Underwood/Warren Smith

 

Paradoxalement, il y a des disques ignorés au moment de leur sortie qui deviennent ensuite des classiques, spécialement quand l’artiste est authentique et n’essaye pas de se glorifier. c’est le cas avec Pink Cadillac, sixième œuvre de John Prine. Né au nord,dans l’Illinois, de parents venus du Kentucky, souvent comparé à Dylan, il a signé là son propre Memphis Skyline. Le sud n’est pas qu’une suite d’états géographiques, c’est un état d’esprit. Après un premier disque en 71, célébré par Kris Kristofferson et Dylan lui-même, John Prine avait abordé le bluegrass et Hank Williams, mixés avec des chansons contre la guerre au Vietnam. Son quatrième disque avait été produit par Steve Cropper et le cinquième par Steve Goodman contenait If You Don’t Want My Love, une chanson coécrite avec Phil Spector. Il s’installa ensuite à Nashville. 

 

CHANGEMENT

En 78, comme il le dit dans le livre de Peter Guralnick sur Sam Phillips : "Je voulais sortir de ma réputation folk et enregistrer en me concentrant sur le rythme. Les textes ne suffisaient pas. Tous les producteurs à qui j’en parlais me croyaient dingue. "Pourquoi veux tu jouer du hillbilly?". J’avais écrit Automobile d’après That’s All Right par Elvis Presley. Quand je leur chantais cette chanson, ils étaient prêts à me faire interner. Mais pour moi, c’était une leçon: valoriser ce qui est à la fois direct, fragile et brut, c’est l’art réel". Après avoir travaillé plusieurs mois avec Cowboy Jack Clement à Nashville pour trouver son propre son et le feeling, John Prine entra en contact avec Knox et Jerry Phillips dans le Phillips Recording Studio à Memphis, Tennessee.

 

639 MADISON AVENUE

John Prine a toujours eu de bons guitaristes avec lui, par exemple Arlen Roth. À Memphis, il était avec John Burns, Leo LeBlanc et Jerry Phillips. Les séances étaient fun, parfois même un peu plus fun qu’il n’est strictement légal, avec un son rockabilly-roots totalement à l’antithèse de ce que John Prine avait enregistré jusque-là. Ils invitèrent même Billy Lee Riley, le créateur de Flying Saucers Rock’n’Roll pour tenir la guitare acoustique et John Prine enregistra No Name Girl, que Riley composa et chanta avec lui. Ils reprirent Killing The Blues un rockabilly moderne de Roly Salley, bassiste de Chris Isaak, This Cold War With You classique country de Floyd Tillman et Ubangi Stomp de Warren Smith. Puis les compositions originales de John Prine: Chinatown, Automobile, Down By The Side Of The Road.

 

SAM PHILLIPS

Knox Phillips sentait dans la texture de la voix une qualité authentique qui pourrait réellement intéresser Sam Phillips. Suivant les versions, Knox & Jerry l’invitèrent, alors que d’après John, il passa en voiture en allant à la banque et s’arrêta au studio. C’était la première fois que Prine rencontrait le légendaire producteur qui avait découvert Howlin’ Wolf, Ike Turner, Elvis, Johnny Cash, Carl Perkins, Roy Orbison et Jerry Lee Lewis. "Sam s’est assis à la console et quand il me parlait c’était avec le slap-back écho sur l’interphone. Je me sentais comme Moïse quand le buisson ardent s’adresse à lui sur la montagne". A l’époque (1979) Sam Phillips s’occupait de ses stations de radio et n’avait rien enregistré depuis plus de dix ans, cette séance allait d’ailleurs rester la dernière qu’il produisit. Quoi qu’il en fut, ils travaillèrent toute la nuit jusqu’au lendemain midi.

 

HOW LUCKY CAN ONE MAN GET

D’abord Sam demanda à John de jouer les chansons qui pourraient l’intéresser. Après plusieurs titres, ils jouèrent How Lucky Can One Man Get. Sam approuva et expliqua au groupe qu’ils devaient accompagner Prine comme s’ils marchaient dans la rue et serraient la main d’un ami. Après plusieurs prises, il déclara qu’il avait la version définitive, avec l’atmosphère qu’il envisionnait : "C’est bien, vraiment bien mais passons à quelque chose de différent, avec du punch".

 

SAIGON

La chanson à laquelle il se référait était Saigon, une compo de Prine sur un vétéran du Vietnam, victime du syndrome post-traumatique ("Les parasites radio dans mon grenier sont prêts à exploser"). Ils la jouèrent full-speed mais perdaient le contrôle chaque fois qu’ils pensaient la tenir. Sam leur dit de réduire le tempo de moitié et ils pourraient s’entendre sans utiliser les écouteurs. "OK, maintenant deux fois plus lent". Là, c’était tellement lent qu’ils en avaient mal. C’est à ce moment que Sam leur dit "Maintenant, pouvez-vous y ajouter du sexxx? Avec un peu de soul?". John dit que c’est à ce moment que ses yeux se sont mis à briller : "Il nous a hypnotisés, le feu dans ses yeux, les mouvements de ses mains, il ressemblait à un prêcheur. J’aurais sauté du pont de l’Arkansas s’il me l’avait demandé pour rendre la chanson meilleure. Il s’est levé toujours en agitant ses mains et a mis l’ampli de John Burns dans la chambre d’écho avec le volume à fond, il a desserré une lampe, je ne sais pas comment il a fait ça mais l’ampli a commencé à cracher. Il voulait que dans cette chanson sur Saïgon, il y ait des pièces de métal brûlant qui volent dans l’air". "Et maintenant jouez full-speed". "C’était comme s’il dirigeait un film, laissant chacun jouer sa partie pour un résultat dont lui seul avait la vision. Quand il nous a invités dans la cabine, ce n’est pas un rough mix qu’il nous a fait entendre, c’était une bande qu’il venait de mixer à l’instant, comme tous ses disques légendaires. Puis il est parti et j’ai découvert plus tard qu’il n’avait demandé aucun salaire pour ces quelques 15 heures de travail".

 

CODA

Sam Phillips était un génie dans bien des domaines: le son, la radio, l’architecture (son studio de Madison Avenue qu’il a désigné lui-même est souvent cité comme un exemple de génie moderniste) mais aussi dans le domaine médical. Il avait recherché le meilleur traitement quand son fils Knox avait été diagnostiqué avec un cancer et avait été guéri. En 1998, John Prine apprit qu’il avait un carcinome squameux dans le cou. "Sam Phillips m’a appelé et est resté une heure au téléphone jusqu’à ce que je lui promette d’aller le lendemain au Texas, parce que lui et Knox avaient cherché partout avant de trouver ces docteurs qui avaient guéri Knox et étaient les meilleurs. A la fin de la conversation, il ajouta "si tu ne vas pas au Texas, John Prine, je vais venir à Nashville et te botter le cul chaque mile jusqu’à Houston". Je suis parti le lendemain, opération, chimiothérapie et je m’en suis sorti, merci à Sam Phillips".

 

Depuis le décès de John Prine en 2020, son disque Pink Cadillac a suscité beaucoup de secondes opinions et cette rencontre entre deux légendes est maintenant considérée comme un grand moment par les fans de l’artiste. Il était temps!

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