"Never Die Never Again"
Maurice Mattei, depuis son Ohio d’adoption, comme tout bon artisan qui se respecte, a patiemment apprivoisé ses outils, ses démons et ses inspirations. L’écriture est à la base de tout. On l’oublie parfois. Le sujet n’étant pas ici la dance music, une chanson raconte une histoire ou transmet des émotions, par les mots, et par l’écrin musical qui lui sert de support. Maurice a réduit à l’essentiel son décor: un crayon, un papier, une guitare acoustique et une voix. Il faut donc se laisser porter dans ce voyage doux-amer, douze titres qui racontent des aventures et (plus souvent) des mésaventures, des souvenirs de clubs enfumés il y a trente ou quarante ans, de mœurs étranges et d’espoirs en apesanteur. Il faut aussi et surtout applaudir quand un auteur parvient à travailler à l’économie, à ciseler les phrases, enlever le superflu pour garder une trame folk-blues âpre et sincère, sans ennuyer une seconde. On ne compte plus ses albums, mais Never Die Never Again, avec des titres aussi forts que Homewrecker, What Do Boys Know About Love ou Jesse James, rejoint son haut du panier. Garni, le panier. Merci, Sir Mattei.
"Golden Hour In The House Of Lugosi"
Une dizaine d’albums sous le bras, Kate Vargas reste confidentielle par ici (et par là aussi), malgré un talent assez épatant, qu’il s’agisse des compositions - fines et aiguisées - ou de ses qualités musicales. Golden Hour In The House Of Lugosi est sorti ce printemps et permet de se faire une idée assez précise de l’art de la dame : on passe de titres bluesy/swampy (Nothing Turns My Lock) à des tonalités plus cabaret (Rosy) ou même soul (Shower Me With Infinite Light), le fil conducteur restant sa voix si particulière, gypsy sans les clichés pénibles du genre, funky sans forcer. Une voix unique, si vous préférez… Tout cela est sublimé par des textes d’une rare intelligence, où sarcasmes roots côtoient une poésie plus urbaine. Au fil des ans, le rapprochement avec Tom Waits a été maintes fois évoqué. On ne va pas contredire. C’est une référence classy, et Kate est au niveau. Son parcours est désormais lié à celui d’Eric McFadden, fabuleux guitariste dont nous avons déjà parlé, au sein de Sgt Splendor, excellent groupe au passage. Forcément.
"A Few Tears Of Eros"
Si l’on cause cordes vocales, celles de Trevor Sensor méritent plus qu’un détour… Suivi depuis plus de dix ans, son parcours accidenté, autant que sa voix, mérite un vrai respect. Voilà un gars d’une trentaine d’années qui sonne comme un mix entre le Bob Dylan de Before The Flood, Sam Llanas (celui des débuts de BoDeans, Love & Hope & Sex & Dreams en particulier), Bobby Bare Jr (furieux Now That I’m Naked) et le serial killer que vos pires cauchemars n’osent même pas imaginer. Sa musique? Toutes. Les bonnes, en tous cas. Il ne fait pas le tri, tant mieux pour nous. Folk, blues, country sèche, symphonique (When I Had the Gall), punk-rock (les guitares au fer rouge de The Farm), rien ne lui fait peur. Cet album est très (très) impressionnant. On plonge dans des eaux troubles, on est surpris, emporté… Trevor ose et réussit tout ce qu’il veut et ne se pose pas la question du "genre". Rien de pire que l’homogène et le lisse. Il est aussi (et surtout?) un auteur flamboyant, et si vous n’avez pas trop peur du mot, littéraire est sans doute ce qui le définit le mieux. Philosophe, parfois torturé et vociférant, parfois instable et murmurant, cet artiste sincère et entier n’a pas vraiment d’équivalent ces jours-ci. Il a fallu attendre longtemps entre son précédent album et celui-ci. Mais le privilège est là, disponible, enfin. Un monde qui ne cherche pas à être cohérent et propre, mais qui laisse une large part d’ombre mener la barque. Montez à bord, vous ne regretterez pas le voyage.
On a tous nos points faibles et petites manies. Pour moi, ce sont les ballades folk-rock de Grant Lee… le temps ne fait rien à l’affaire ! Il possède un don qui ne lui fait jamais défaut, depuis les débuts avec Grant Lee Buffalo. Un don qui domine encore ce In The Hour Of Dust, superbe collection de chansons, toutes belles, profilées, élancées. Elles ont le pouvoir de transmettre des émotions, des plus rudes aux plus légères (Someone, qui défie l’apesanteur), avec quelques mots enveloppés de mélodies parfaitement calibrées. L’art et la peinture, qu’il pratique en parallèle de son activité de singer-songwriter, l’inspirent autant que l’inverse. Le visuel est donc aussi important, et les images qui naissent de ses compositions vont de la désolation (Closer Tonight ou Dark Ages) à l’intimité amoureuse (She Knows Me), toujours portées par une trame acoustique (guitare, piano), agrémentée d’ingrédients pop dont il a le secret, discrets mais efficaces. Il y a un réel savoir-faire chez lui, une science précise de la chanson, et ce nouvel album en est une nouvelle - et réjouissante - preuve.
"Comic Book Cowboy"
S’il fallait définir Lera Lynn, en tous cas celle de Comic Book Cowboy, il faudrait prendre le Wilco de The Whole Love, la classe vocale de Joni Mitchell et le côté addictif des travaux de Suzanne Vega avec Mitchell Froom. Adoubée par T Bone Burnett et Rosanne Cash en 2015 sur la BO de la saison 2 de la série True Detective, elle tourne et sort des albums régulièrement. Mais depuis plus de 15 ans, depuis le Tennessee, Lera a surtout réussi à trouver une voie qui lui est propre, d’une grande élégance - musicalement et artistiquement, et d’une fière indépendance. Ce nouvel opus, maîtrisé de bout en bout, à la production délicate et aux judicieux accents parfois pop-rock, contient quelques perles comme Beige ou Into Nothing, à l’introspection troublante et tourmentée, écrites sans esbroufe et au millimètre, Cherry Tree et son hook de pedal steel - que l’on fredonne sans s’en apercevoir, et puis Comic Book Cowboy, hit en puissance, si les Dieux obscurs de la renommée pouvaient, pour une fois, ouvrir grand leurs - deux - oreilles. Todd Lombardo, époux et grand musicien et arrangeur, participe généreusement, et avec bonheur, à la formule. En un mot, un réel plaisir pour les sens qui évolue (dans le bon sens) au fil des écoutes. Riche, entêtant et luxuriant, ne ratez pas le jardin fleuri de Lera…
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