mardi 30 septembre 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 Jubal Lee YOUNG

"Squirrels" 

Mon histoire avec Jubal Lee Young a véritablement commencé en 2007 avec son album sans titre paru cette année-là. Mais c'est en 2011 avec Take It Home que ce digne héritier du mouvement outlaw (fils de Steve Young et Terrye Newkirk) a véritablement franchi un palier supplémentaire. Après On A Dark Highway (2014), Jubal a disparu des radars pendant dix ans. La mort de ses parents, la pandémie du COVID, et d'autres circonstances l'ont tenu éloigné du milieu musical. Il est vrai que Jubal est un véritable rebelle qui n'adhère pas, doux euphémisme, au système de Music City. Son retour s'est effectué en 2024 avec un album de reprises intitulé Wild Birds Warble (chroniqué en ces colonnes en mai 2024), doublé d'un EP de cinq titres bonus sous-titré Side 4. L'envie de chanter était revenue, mais aussi l'inspiration, et c'est aujourd'hui Squirrels que nous propose JLY, album riche et dont la qualité ne se dément à aucun moment. Toujours indomptable, toujours indépendant, notre ami s'est entouré d'une équipe réduite pour habiller seize nouveaux titres, tous de sa plume. Autour de Jubal (voix, guitare et harmonica) et du producteur multi-instrumentiste Markus Stadler (banjo, dobro, mandoline, bouzouki, guitare baryton et voix), ne sont présents que Christian Sedelmyer (fiddle), Charlie Pale (basse) et Jeff Taylor (accordéon). Jubal Lee Young affirme que, ayant atteint la cinquantaine, il ne s'est jamais mieux senti dans sa peau et aussi libre dans son écriture qui est, pour le moins, d'un haut niveau (ce qui n'est pas nouveau). L'album, aux textes profonds, paraît pourtant léger à l'écoute, et cela dès Squirrels, qui ouvre le bal, où le son du fiddle (Christian Sedelmyer illumine le disque de sa présence) donne un ton joyeux. Les morceaux peuvent être personnels comme Hand-Painted Portuguese Punch Bowl (qui évoque sa grand-mère), ou Wild Your Tanned Heart, chanson d'amour où le héros tire les leçons de l'expérience. Jubal n'évite pas les sujets politiques. Dans Weird, il dit: "Ne trouvez-vous pas cela un peu singulier / N'est-ce pas au-delà du crédible / Essayez de donner un repas gratuit à une pauvre enfant / Ils vous feront vous sentir comme un voleur / Mais s'il veulent un billion de dollars pour bâtir un mur / Soudain l'argent n'est plus un problème du tout". Young junior sait manier la provocation avec toujours un sens de l'humour un peu noir qui fait la qualité de titres comme Parts, Don't Be A Dickhead, IDGAF (I Don't Give A Fuck), ou encore Welcome To Nashville, Asshole, et tout cela sans jamais se départir d'un ton plutôt joyeux. Je pourrais encore citer Lost In Hollywood, Love Happens ou It's Gonna Be All Right mais, au-delà de cette prétérition, je regretterais d'avoir oublié tel ou tel autre titre. J'ai toujours tenu Jubal Lee Young en haute estime, à la fois comme être humain et comme songwriter, et Take It Home était pour moi son disque de référence. Mais je dois me rendre à l'évidence, sans rien retirer à son prédécesseur, Squirrels, si riche, à la fois quantitativement et qualitativement, permet à JLY d'atteindre une dimension encore supérieure.


 

 

Eric ANDERSEN

"Dance Of Love And Death" 

Eric Andersen est là depuis toujours, du moins depuis 1965 et Today Is The Highway. J'avoue ne l'avoir découvert que quelques années plus tard, la reprise de Close The Door Lightly When You Go par Ian Matthews et celle de Faithful par Linda Ronstadt ayant été pour moi des révélateurs. Depuis soixante ans, Eric n'a cessé de nous ravir de ses compositions mélodieuses, sans s'interdire de reprendre celles des autres comme dans ces deux disques parus il y a une vingtaine d'années, les Great American Song Series. Sa carrière n'a pas été linéaire et a beaucoup souffert de la perte des bandes (retrouvées par miracle 18 ans plus tard) de l'album Stages dont la parution était prévue en 1972. La fin du siècle a été pour Eric une période particulière avec la parenthèse enchantée Danko / Fjeld / Andersen, mais tout est reparti de plus belle en 1999 avec Memory Of The Future. Eric s'est établi aux Pays-Bas, a épousé Inge, a trouvé son inspiration auprès d'Albert Camus, Lord Byron ou Heinrich Böll. Nous ne devons pas oublier qu'il est un des rares géants vivants et actifs du mouvement folk US, teinté de blues, des années 1960. Avec Dance Of Love & Death, son premier LP de chansons totalement personnelles depuis Beat Avenue en 2003, il nous propose dix-sept titres, tous de sa plume à l'exception de Cross Of Gold (originalement titré Cross, écrit par Robin Batteau présent sur ce morceau). Trois titres sont des versions studio de chansons déjà parues sur des albums live, notamment le superbe Don't It Make You Wanna Sing The Blues, alors que deux autres avaient été publiés sur des albums digitaux. Les musiciens invités sont prestigieux, de Lenny Kaye à Larry Campbell, de Steve Addabbo à Michele Gazich, en passant par Tony Garnier et, bien sûr, Inge Andersen. Quant aux compositions, elles sont ce que tout amateur d'Eric Andersen attend, lentes et d'une beauté sombre. Ne vous attendez pas à un album sur lequel on danse, malgré son titre, même autour des tombes. C'est un disque que l'on écoute, d'une manière presque religieuse, transporté par la voix traînante et familière de l'artiste. L'énoncé des titres pourrait donner le blues: Dance Of Love And Death, After This Life (un des morceaux les plus entraînants du premier disque), Troubled Angel, Season In Crime, Broken Bone Blues... Et pourtant, la mélancolie de l'ensemble ne rend pas triste. Au contraire, au fur et à mesure que les titres défilent, imposant leur rythme à qui les écoute, on se sent envahi par une sorte de bien-être indéfinissable, celui que procurent les retrouvailles avec un vieil ami. Eric s'accompagne à la guitare sur onze titres et au piano sur cinq, se contentant de chanter sur Cross Of GoldRobin Batteau est à la guitare classique et au violon "echobox" et Abby Newton au violoncelle. Parmi les titres marquants, chansons d'amour ou peintures de la vie quotidienne, je citerai After This Life, Every Once In A While, Map Of A Woman's Heart sur le premier disque ou encore Color Blind, At The End Of The Day en duo avec Inge Andersen et Story Of Skin (avec le violon de Michele Gazich) sur le second CD. L'album se termine en apothéose avec Singin' Man (ode aux chanteurs de rue) où Larry Campbell cumule guitare, mandoline et violon), le tendre Sinking Deeper Into You, chanson d'amour où le piano d'Eric sous-tend un texte comme lui seul sait en écrire et Broken Bone Blues, long de près de neuf minutes et qui porte bien son nom, avec juste les guitares d'Eric et de Larry Campbell (qui nous donne une belle leçon de blues et conclut d'un éclat de rire). Ces trois titres illustrent parfaitement l'art d'Eric Andersen dans ses différents aspects. Ils ont un côté intemporel et auraient pu appartenir au répertoire d'un autre album, d'une autre décennie. Ils prouvent avec élégance qu'Eric Andersen, à 82 ans, a toujours la flamme et l'inspiration. 


 

 

David MASSEY

"Man In The Mirror" 

David Massey ne fait pas partie de ces noms clinquants que l'on retient, sauf si on l'a déjà vraiment écouté. La voix, calme et posée, n'est pas des plus remarquables mais elle sied parfaitement à l'esprit des compositions. Les lecteurs du Cri du Coyote ont sans doute oublié que je leur avais présenté Late Winter Night (n° 161) et l'EP Island Creek (n° 168). Pour Man In The Mirror (la chanson titulaire est inspirée d'un poème de Federico Garcia Lorca, Myself en Anglais), David est accompagné des fidèles Jim Robeson (basse et co-production), Jay Byrd (guitares), Bill Starks (claviers) avec, cette fois, Miles Lieder à la batterie. Huit titres sont au programme dont, pour terminer, la reprise de Tecumseh Valley de Townes Van Zandt, les sept autres étant de la plume de David (Dawn a été coécrit avec son cousin Mark Gillman). C'est par Till The Evening Comes, titre joyeux et enlevé, que la fête commence avec, en vedette, le dobro de Fred Travers et un piano sautillant. La chanson suivante, Too Soon Gone, est particulièrement émouvante, écrite pour son ami Lew qui a perdu ses deux filles (Jillian, 21 ans, et Lindsay, 19 ans) dans un incendie. Lew lui-même est décédé peu après d'un cancer. Une touche d'accordéon (Shamus McRobie), quelques notes d'orgue sont là avec la guitare acoustique de Jay Byrd pour la solennité de l'ambiance. Au long du disque on retrouve d'autre partenaires habituels de David: Zan McLeod à la mandoline (Man In The Mirror) et au bouzouki (Marianne) et Casey O'Neill à la pedal steel guitar (Dawn). Il faut aussi noter le violoncelle de Kirsten Jones (Marianne, Home And Free), et les harmonies de Sally Love (Till The Evening Comes, Man In The Mirror). Globalement, Man In The Mirror est un excellent album de folk-rock, jamais monotone, à l'image de Fighter's Lament, le seul titre que je n'ai pas cité. Pour Tecumseh Valley (note du rédacteur: ma chanson favorite de Townes), David Massey est seul avec sa guitare et les voix de Jay Byrd et Jim Robeson, nous délivrant une interprétation qui conclut de belle manière ce disque qui mériterait de de ne pas rester dans l'ombre.


 

 

Bill SCORZARI

"Sidereal Days (Day 1)" 

Bill Scorzari a désormais à son actif cinq albums, le sixième, Sidereal Days (Day 2), étant prévu pour 2026. J'avais chroniqué les deux précédents, Now I'm Free (Le Cri du Coyote n°163) et The Crosswinds Of Kansas (Du Côté de Chez Sam, novembre 2022). Il est difficile de parler d'un artiste que personne n'écoute de ce côté de l'Atlantique et dont les disques sont difficiles à trouver. Je vous invite à aller les découvrir sur Bandcamp, et j'en profite pour adresser un grand merci à Erin Scholtze et Dreamsider Publicity. Si les mélodies sont souvent prenantes et les arrangements subtilement travaillés, Bill met l'accent sur les textes, parfaitement véhiculés par sa voix, mixée en avant et si particulière. C'est une voix râpeuse qui peut sans heurt passer de la confidence à la colère. Sidereal Days (Day 1) est produit par Bill Scorzari et Neilson Hubbard. Les musiciens sont tous excellents. Bill (voix, guitares acoustique, électrique et baryton et piano) et Neilson (batterie et percussion) sont accompagnés par Brad Talley (dobro), Chelsea McGough (violoncelle), Danny Mitchell (piano et orgue Hammond B3), Eamon McLoughlin (violon et fiddle), Joshua Britt (mandoline), Juan Solorzano (guitare électrique, guitare rythmique, deuxième guitare acoustique, pedal steel, ganjo), Michael Rinne (contrebasse et basses électriques). Quant aux voix additionnelles, elles sont assurées par Cindy Richardson Walker et Marie Lewey (alias les Shoals Sisters) et Megan McCormick. Les chansons sont au nombre de dix, toutes écrites par Bill, et sont souvent longues. C'est ainsi que And Carries Me Away, Endgame et Grace dépassent allègrement les sept minutes, ce qui signifie qu'il y a beaucoup de mots que l'on ne peut pas écouter d'une oreille distraite, même si les arrangements, riches et inventifs leur procurent un parfait écrin. C'est ainsi que l'on peut apprécier la guitare classique et le piano de All This Time, la pedal steel guitare de And Carries Me Away, l'orgue et la guitare électrique de Can't Break This Fall... Avec Endgame, la voix de Bill change de tonalité, plus forte, exprimant une forme de colère soulignée par une batterie qui résonne davantage que sur les autres titres. Pour From Your Heart et Breathe, les morceaux les plus courts, ce sont fiddle (sur le premier titre), ganjo (sur le second), violoncelle, dobro et mandoline qui entrent dans la danse. Entre ces deux chansons, le long et lent Grace atteint une dimension presque religieuse (le thème, mais aussi les voix des Shoals Sisters en introduction n'y sont pas pour rien). Je n'aime pas les superlatifs, mais je peux qualifier cet album de chef d'œuvre (minor masterpiece comme on dirait outre-Atlantique) tant il fait partie de ceux dont on est certain de découvrir les subtilités à chaque écoute, et pendant longtemps. 


 

 

Les CHICS TYPES

"Live au Radiant" 

Les Chics Types fêtent leurs 20 ans avec la sortie d'un album enregistré en public, précisément au Radiant-Bellevue à Caluire en février 2024. Disque sans prétention, mais non sans talent, c'est au départ l'histoire d'une cassette audio qui ne quitte pas l'autoradio d'une vieille 504. Cette cassette est le point de départ d'un voyage musical que Les Chics Types ont proposé au public lors de la tournée de leur album Comme Si. Voilà pour le décor. Le groupe est composé de Christian Biral (chant et guitare acoustique), Éric Corbet (saxophone), Jean-Yves Demure (batterie), Pierre Nony (piano) et Cédric Vernet (basse et harmonica). L'ensemble de l'album incite à l'optimisme et nous procure un bien-être qui nous ramène à l'insouciance de l'époque où sont apparues les 504. Les chansons sont des compositions du groupe, à l'exception de Chanson à boire (Hubert Mounier) et de Quand la terre se dérobe, coécrite par Cédric Vernet et Kent qui vient chanter en duo sur ce titre. De Our Last Summer à En 504, en passant par Comme si et Ce qui se passe, on écoute ce Live au Radiant avec un sourire qui ne se dément pas et on est prêt à en reprendre pour 20 ans.


 

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