vendredi 4 juillet 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Depuis une bonne trentaine d’années, les femmes se sont de plus en plus affirmées sur les scènes bluegrass mais il me semble que leur importance s’est encore accentuée récemment. Après Alison Krauss et Sierra Hull, Cris du Cœur dans la rubrique du mois de mai, ce sont Shelby Means et Heather Mabe (avec son groupe Red Camel Collective) qui sont à l’honneur cette fois-ci. 

 

RED CAMEL COLLECTIVE 

Cri du 💚  

Que font les musiciens de Jr Sisk quand le patron n’est pas là? Ce qu’ils savent faire de mieux, c’est-à-dire un groupe de bluegrass. Leur nom est d’ailleurs tiré d’une chanson de Jr Sisk (The Man in Red Camels, enregistré à une époque où aucun d’entre eux ne faisait d’ailleurs partie du groupe). Red Camel Collective a une base solide puisque Tony (banjo) et Heather Mabe (guitare) jouent ensemble depuis 2011 et avaient leur propre formation avant de devenir les accompagnateurs de Sisk il y a six ans avec Jonathan Dillon (mandoline) - aux côtés de Sisk depuis plus de dix ans - et le contrebassiste Curt Love. Le premier titre, Roll on Mississipi est une version bluegrass et accélérée d’une chanson de Charlie Pride qui nous embarque immédiatement avec sa jolie mélodie, son tempo rapide, l’interprétation splendide de Heather Mabe et les interventions des épatants Tony Mabe et Jonathan Dillon, épaulés par les guests Gaven Largent (dobro) et Stephen Burwell (fiddle). La qualité ne faiblit pas avec cinq très bonnes compositions de Heather, le countrygrass In Spite of Me, la douce mélodie de Daughter of the Stars où le chant de Heather fait penser à Amanda Smith, son interprétation sensible de la ballade All I Need, le tempo d’enfer de Dare to Dream (avec Tony Mabe et Burwell à l’abordage) et le magnifique et plus moderne Sincerity où la voix de Heather mêle douceur et énergie, joliment soulignée par le dobro de Jeff Partin. Le niveau baisse un peu quand Jonathan Dillon reprend un titre de Emerson & Goble (Leaving You and Mobile Too – ce qui évite d’y rester collé) mais remonte instantanément quand Tony interprète superbement Night Coach Out of Dallas (Faron Young) avec une voix de baryton et un phrasé qui font immanquablement penser à Johnny Cash. Heather Mabe ne chante pas que ses compositions. Halfway Down, un blues de Jim Lauderdale n’est pas la chanson qui lui convient le mieux, mais ce premier excellent album s’achève en apothéose avec une autre reprise, Last Time I Saw Him (déjà enregistré par des chanteuses aussi différentes que Dottie West et Diana Ross). Heather alterne le lead avec Suzanne Cox et Sharon White. Les refrains en trio sont dignes des plus belles harmonies des Ronettes ou des Shirelles. Cet album est entré directement à la première place des charts de Bluegrass Unlimited en avril dernier (il y est resté en mai et juin devant Alison Krauss & Union Station) et c’est amplement justifié.


 

 

Joe MULLINS & the RADIO RAMBLERS

"Thankful and Blessed"

  Le répertoire de Joe Mullins & the Radio Ramblers semble s’orienter de plus en plus vers le gospel. Comme Somewhere Beyond the Blue en 2021 (Le Cri du Coyote 170), l’album Thankful and Blessed est entièrement gospel, et plusieurs chansons de Let Time Ride, l’album paru entre temps (Bluegrass & C° juillet 2023), l’étaient aussi. Le groupe a un vrai savoir-faire, tant vocal qu’instrumental, pour ce style de musique mais Thankful and Blessed manque cependant d’originalité pour le répertoire comme pour les arrangements. Le titre qui ressort est une composition de Rick Lang, le swing Even Better When You Listen interprété par Chris Davis (mandoline) qui a une jolie voix claire, et mené par la contrebasse en walking de Zach Collier. There’s a New World a Waiting de Randall Hylton est chanté en quartet a cappella. Bien fait mais pas vraiment excitant, tout comme les autres refrains harmonisés à quatre voix. Il y a une bonne énergie dans One Breath Away, Journey On et No Stone Unturned. On note un bon solo de banjo de Mullins dans He Sees the Little Sparrow chanté par Adam McIntosh (guitare). He Set Me Free est une chanson plutôt quelconque mais elle a inspiré le fiddler Jason Barie. Un album court (10 chansons, moins de 28 minutes) qui plaira aux amateurs de gospel mais ne fera pas date dans la discographie de Joe Mullins & the Radio Ramblers


 

 

The SELDOM SCENE

"Remains To Be Scene" 

Le banjoïste Ben Eldridge, dernier des membres fondateurs à avoir quitté the Seldom Scene (en 2016) est décédé il y a un an, en ayant eu le temps d’écrire les notes du livret de Remains To Be Scene. Cela pourrait apparaître symboliquement comme le dernier lien entre la formation originelle (le groupe est né en 1971) et le Seldom Scene d’aujourd’hui, mais il faut se méfier des symboles et les membres actuels (pour la plupart présents depuis quand même trente ans!) réussissent au fil des disques à conserver l’esprit du groupe, tant pour les arrangements (importance du dobro de Fred Travers) que du répertoire. Comme d’habitude avec Seldom Scene, on retrouve des chansons issues d’autres genres musicaux, Last of the Steam Powered Trains des Kinks chanté par Lou Reid et A Good Man Like Me Ain’t Got No Business (Singin’ the Blues) de Jim Croce, interprété par Dudley Connell. Ce dernier chante aussi Farewell Angelina de Dylan dans une version que je préfère à celle – trop lente – de Tim O’Brien. Une autre chanson de Bob DylanWalkin’ Down the Line – fait le lien avec le répertoire bluegrass puisque the Seldom Scene reprend l’arrangement des Country Gentlemen. Les chansons bluegrass puisent dans le répertoire de Flatt & Scruggs (Hard Travellin’ de Woody Guthrie chanté par Ron Stewart), Don Reno (I Could Cry), Benny Martin (le swinguant The Story of My Life très bien chanté par Connell) et … Seldom Scene puisque Lou Reid reprend (superbement) White Line que le groupe avait enregistré sur l’album Live at Cellar Door du temps de John Starling. L’esprit de John Duffey plane sur les ballades Man at the Crossroads et Lonesome Day qui lui auraient parfaitement convenu. Elles sont ici chantées par Travers, soutenu par de jolies harmonies vocales (une des qualités historiques du groupe). Le gospel Show Me the Way to Go Home avec un refrain chanté à quatre voix complète ce répertoire typique. Remains To Be Scene n’est peut-être pas à la hauteur des premiers albums du groupe ou de Scenechronized et Scene It All mais il perpétue joliment la tradition du son Seldom Scene.


 

 

WATSON BRIDGE

"En Concert Setlist 1" 

Depuis dix ans, le duo Watson Bridge (les chanteurs et guitaristes Isabelle Groll et Jean-Paul Delon), enregistrent la plupart de leurs concerts. Ils ont décidé de nous en offrir les meilleurs extraits, en commençant chronologiquement par 15 titres datant de 2016 à 2019 qui constituent cette première livraison (ils annoncent plus de 50 morceaux, ce qui devrait remplir 3 ou 4 volumes). Il n’y a ici aucun doublon avec leur album studio Orion paru en 2020. C’est tout juste si on retrouve deux songwriters communs parmi les crédits, le quasi inévitable Bob Dylan (One More Cup of Coffee) et Sarah Jarosz (Run Away) – une vraie affirmation de leur identité pour le coup. Watson Bridge a les influences les plus variées, du bluegrass dans toute sa diversité (Bill Monroe, Del McCoury, Alison Krauss) au jazz (Chick Corea) en passant par le folk (Ralph McTell), le swing (Daddy’s Gone to Knoxville de Mark Knopfler), la variété pop anglaise (Katie Melua), la musique tsigane (l’instrumental Hora Lui Buica), la country (Hank Williams, Rodney Crowell), l’americana (Gillian Welch) et les songwriters US (Darrell Scott). Il y a une poignée de titres avec un ou deux musiciens supplémentaires (Dorian Ricaux ou Christophe Constantin – mandoline; Stan Pierrel - guitare électrique; Jean-Marc Delon – banjo). Sinon, c’est deux voix / deux guitares. Jean-Paul a juste rajouté une discrète contrebasse en studio (sauf dans The Lucky OneHubert Dubois joue dans l’enregistrement public). Si la plupart des titres sont connus, Watson Bridge en donne toujours des versions personnelles, grâce au duo vocal (Lovesick Blues, The Streets of London), aux arrangements de guitares (joli fingerpicking pour The Lucky One et Daddy’s Gone to Knoxville, solos en flatpicking pour River Take Me et I Feel the Blues Movin’ In). Ils réinventent aussi les morceaux en accélérant le tempo (Run Away, The Way It Goes et Tear My Stillhouse Down), en mariant Dylan et flamenco ou en chaloupant le rythme d’un vieux standard bluegrass (On and On). 


 

 

Shelby MEANS

Cri du 💚  

 

Dans d’autres genres musicaux, une jeune femme comme Shelby Means aurait certainement pu compter sur son physique pour accéder rapidement à la notoriété. Mais voilà, Shelby aime le bluegrass – un milieu musical où aucune chanteuse connue ne ressemble à un mannequin - et elle a patiemment attendu le bon moment pour enregistrer son premier album solo, faisant son apprentissage comme bassiste de Della Mae puis de Molly Tuttle & Golden Highway, tout en se produisant parallèlement avec son mari Joel Timmons (le duo Sally & George – on les a vus aussi à Bluegrass in La Roche en 2019 avec le quartet Lover’s Leap). Ceux qui déplorent l’arrêt de Molly Tuttle & Golden Highway en plein succès (Molly a complètement changé de genre musical, ce qui ne surprendra que ceux qui ont oublié que ses deux premiers disques solo n’avaient rien de bluegrass) pourront largement se consoler à l’écoute de Streets of Boulder, le premier titre de l’album de Shelby qui sonne comme du plus pur Golden Highway. Guère étonnant car les harmonies sont chantées par Molly et Kyle Tuttle. Shelby était la principale partenaire vocale de Molly dans Golden Highway et elle a une large palette qui lui permet de sonner comme Molly quand elle en a envie. Les harmonies vocales sont pour une bonne part dans la réussite de ce disque. Certains partenaires sont célèbres (Tim O’Brien dans Up on the Mountain, Billy Strings, assez discret mais parfait dans Suitcase Blues). Les chœurs de Rachel Baiman et Kelsey Waldron font toute la saveur de Farm Girl. Joel Timmons (le mari) et Maya de Vitry (la productrice de l’album) chantent dans la moitié des titres. A part Jacob Means, le frère de Shelby qui partage les interventions à la mandoline avec Sam Bush et se révèle excellent (solo dans Streets of Boulder), tous les musiciens sont des pointures: Bryan Sutton (guitare), Ron Block (banjo), Jerry Douglas (dobro), Brownyn Keith-Hynes, Michael Cleveland et Billy Contreras (fiddle) – Shelby est évidemment à la contrebasse. Parmi les titres bluegrass, Calamity Jane et Five String Wake Up ont un petit côté honky tonk. L’excellent Wild Tiger Rag est percutant, avec une énergie rock. Le dobro domine les ballades (High Plains Wyoming). Le seul titre dispensable est une reprise de Old, Old Home de George Jones. Bien joué et chanté mais manquant d’originalité pour une chanson trop souvent entendue. L’autre reprise (Shelby a écrit ou coécrit onze des treize chansons) fait partie des titres plus modernes. Il s’agit de Million Reasons de Lady Gaga, très bien adapté aux instruments bluegrass et chanté, avec les harmonies de Timmons et de Vitry. Fisherman’s Daughter est une jolie ballade assez folk. Il y a un excellent solo de Billy Contreras dans Elephant at the Zoo, une composition jazzy. L’album s’achève très joliment par Joy, autre très jolie ballade avec, encore une fois, des contributions décisives de Timmons, de Vitry et Jerry Douglas. Avec ce premier album, Shelby Means réussit tout: elle écrit de jolies mélodies, elle sait s’entourer des meilleurs musiciens et elle a des qualités d’interprète tant pour les titres rythmés que pour les ballades qu’on ne soupçonnait pas dans son rôle d’accompagnatrice dans Della Mae et Golden Highway. Une talentueuse artiste jusqu’ici dans l’ombre et qui prend très bien la lumière.


 

lundi 30 juin 2025

Disqu'Airs, par Jacques Brémond et Alain Fournier

 

 

Voici encore quelques sorties originales du label Bear Family, lequel, même après 50 ans de productions, trouve toujours, dans les archives discographiques, de quoi titiller notre curiosité: 
https://www.bear-family.fr 

 

Ooh-Eee! What You Do To Me?! - 
Stars, Inc. Rockers and Country Boppers from Atlanta, GA
 

Le tirage de cet album (LP 25 cm), limité à 500 exemplaires, en fait peut-être un futur objet de spéculation chez les amateurs de vinyles puisque ce support semble revenir en faveur d'un tout nouveau public. Dans un petit livret (8 pages) Bill Dahl nous plonge dans les années 1956-57 à Atlanta. Qui a lu l'important ouvrage de Richard A. Peterson (Creating Country Music) sait que, dès les années 1920, cette ville abritait une très vivace scène musicale (enregistrements, radios, maisons d’éditions) qui aurait pu en faire la première "Music City" avant la prédominance de Nashville et sa force de commerce (grâce au financement de son importante édition religieuse, mais ceci est une autre histoire)… On apprend donc que c’est un certain Bill Lowery, d'abord tout jeune DJ qui lance son label (Stars, Inc.) à Atlanta pour promouvoir la mode grandissante du rockabilly naissant. Il a senti qu’une esthétique était en train de prendre son essor auprès des jeunes de son âge. Ainsi découvre-t-on la fraicheur de tels exemples gravés en ce temps-là, avant que les étiquettes du marché imposent leurs catégories: You’re My Baby (The Night Hawks), My Baby Is Gone (Cleve Warnock) ou Did We Have A Party (Billy Brown) et Ooh-eee (What You Do To Me) par Chuck Atha et Ric Cartey. Les genres étant encore proches, Ten Wheels (Billy Barton) est dans la lignée des truck songs et on a même une (très) jeune artiste (Judy Tolbert, 11 ans) dont le I’m Wise To You Baby s'adresse au public adolescent qui fera une bonne partie de la fortune du rockabilly. Intérêt complémentaire pour les historiens musicaux, c'est le (bientôt célèbre) guitariste Jerry Reed qui apporte son talent à plusieurs productions de cet album compilation. Comme presque toujours avec Bear Family: un petit plaisir de la (re)découverte. (JB)


 

 

Rock-A-Ballads - Flipside Dreams And Loving Schemes Vol.1 

Le beau livret de 36 pages (par Bill Dahl) fort bien illustrées, détaille l'origine de ces 32 faces le plus souvent un peu ignorées des radios au bénéfice des titres les plus dynamiques des “rockeurs" placés en face A. Comme souvent dans ce genre de compilation, on trouve sans surprise un mélange d’artistes fort connus comme Patsy Cline (Walkin’ After Midnight), Richie Valens, Ricky Nelson (Poor Little Fool), l’inévitable Elvis Presley [Anyway You Want Me (That’s How I Will Be)], Jack Scott (My True Love), ainsi que Marty Robbins, Ronnie Hawkins, Rudy Grayzell, Ronnie Self, Sanford Clark, Marvin Rainwater... Bref, du beau monde. Reste à chacun de comparer avec sa discothèque pour éviter les doublons. En revanche, on peut supposer que peu d'amateurs auront les plages des inconnus (de moi je l’avoue) Gene Dunlap, Ral Donner, The Chaparrals ou Tooter Boatman. L'album donne plus dans la ballade que dans l'envie de danser, ce qui est sans surprise vu le thème général annoncé - entre rêve et douceurs sucrées - qu’on trouvait au verso des disques (45t), mais on peut, de temps en temps, aimer être bercé entre deux accès de fébrilité agitée du rock ’n’ roll ! (JB


 

 

That'll Flat Git It, Vol.50 - 
That'll Flat Git It! Rockabilly & Rock 'n' Roll 
From The Vaults Of Columbia and Epic Records
 

Jusqu'où s'arrêteront-ils dans les archives? Cinquante volumes (!) ont déjà été édités dans cette série qui mêle encore une fois des artistes “quelque peu oubliés” comme Dick Glasser, Dick Lory, Larry Hart et des stars confirmées des deux labels (Columbia et Epic): Carl Perkins (Pointed Toe Shoes), Johnny Horton (Lover’s Rock, The Wild One), les Collin Kids (The Rockaway Rock, Heartbeat), Marty Robbins (Long Tall Sally, un beau témoin de son ouverture vers le rockabilly, à côté de sa fabuleuse carrière “country") ainsi que Carl Butler ou les Maddox Brothers (avec la toujours très talentueuse Rose). Trente titres présentés dans un livret (36 pages) qui permet de retrouver également des mentions instructives sur Johnny Bond, Little Jimmy Dickens, Lefty Frizzell ou Charlie Adams et qui propose de découvrir des exemples de la jeune génération d’alors tombés dans les oubliettes de l’abondance de la production (Bobby Lord, Rick Tucker). L'histoire quasi officielle et universelle a retenu la prédominance du label Sun dans cette période, mais les "gros labels" et leurs hommes d'affaire du nord (qui ont senti le vent du show business) ont souvent su attraper de bonnes ondes au bon moment. Là encore, listez les apports éventuels pour compléter votre discothèque. Le reste est affaire de (bon) goût. (JB).


  

 


An Evening In Italy -
Dining, Dancing And Romancing The Italian Way
 

En guise de dessert, une curiosité avec la réunion de 28 titres comme des "clichés" sur l'Italie et ses charmes (l'amour en tête) détaillés dans un livret copieux (36 pages). Si le quotidien des uns est l'exotisme des autres, alors nul doute qu'on se sent en vacances avec la plupart des titres qu'on a entendus, mais peut-être pas toujours vraiment écoutés. Qui a échappé à Dean Martin, Louis Prima (Buona Sera), Elvis Presley (O sole Mio améri-canisé), Dion, Paul Anka ou même Mario Lanza (pour les moins jeunes) avec son Ave Maria? Ajoutons un peu de couleur locale avec des artistes de la botte plus ou moins connus: Renato Carosone (lien direct “Italie-USA” avec Tu Vuo Fa L'Americano), Natalino Otto, Fred Buscaglione ou Rocco Granata, et quelques américains dans l'air du temps qu’on découvre avec des qualités inégales: Norman Fox & The Rob Roys, Sharkey and His Kings Of Dixieland ou Camille Howard (O Sole Mio Boogie). Tout cela fait un ensemble léger et pittoresque de ritournelles souvent agréables, en hommage nostalgique à la communauté italienne importante dans les 50's et 60's et un zeste “d’airs de vacances” pour le reste de cette Amérique presque insouciante qu'on peut revisiter avec eux. Bonus coyotesque pour "ceux qui sachent": un clin d'œil à l’ami Jeff Blanc avec Lou Monte qui chante son Pizza Boy U.S.A. (JB)


 

🎵
🎶🎸🎻 

 

Randy WALLER & The Country Gentlemen
"Live in Holland"
Des harmonies vocales inspirées, une guitare, une basse, une mandoline et un fiddle...vous ne rêvez pas: c’est bien du Bluegrass! Et quel Bluegrass! Dès les premières notes, je retrouve le son des Country Gentlemen de ma jeunesse: virtuosité, rapidité mais aussi spontanéité. Cette première génération de gentlemen a fait place à une nouvelle - tout aussi talentueuse - emmenée par Randy Waller, le brillant héritier de son père Charlie! La tradition est assurée: bon sang ne saurait mentir… Ces "p’tits jeunes" ne sont plus des pied-tendres au royaume du Bluegrass. Leur assurance face au public va étonner plus d’un vieil adepte du "old Style". et ravir un public qui découvre cette musique chère à Bill Monroe. Ce concert enregistré en 2006 en Hollande par Pieter Groenveld est une merveille tant au point de vue de l’enregistrement que par la conviction des "New Country Gentlemen" à interpréter cet hommage aux Anciens, avec autorité et sans le moindre complexe! Outre les standards revisités avec élégance comme He Was A Friend of Mine ou Copper Kettle on remarquera la sincérité, l’émotion et la justesse de ton de Randy Waller, Mark Delany, David Kirk et Gary Creed face à un public prompt à les suivre sur la grand' route du Bluegrass. Un petit détour par Kris Kristofferson, Dolly Parton et de belles compositions signées David Randall Waller (patronyme complet de Randy) et nous voilà aux anges. Cet album de 22 titres proposé par Strictly Country Records (SCR-96) est un régal. Pieter a eu l’excellente idée de ressortir les bandes "endormies" depuis presque vingt ans et de nous en faire profiter. Une réussite! SCR@PieterGroenveld.com 
Alain Fournier Juin 2025

vendredi 20 juin 2025

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

Nick GUSMAN & The COYOTES

"Lifting Heavy Things"

 Je qualifierai ces musiciens de groupe de bars et honky tonks sans que cela soit péjoratif. Il en faut. Le vocal est relativement banal mais le fait de ne pas pouvoir rivaliser avec celui de Randy Travis ou de Josh Turner ne doit pas vous empêcher de chanter. Cet album devrait plaire aux amateurs de "red dirt" car il est nettement plus rock que country. Les guitares électriques débordent trop souvent à mon goût. À noter un bon blues à la John Mayall, une country relativement classique et un très rapide country rock avec harmonica. Le fiddle se fait entendre par deux fois. Un groupe pour faire la fête et boire de la bière.


 

 

Paige PLAISANCE

"Louisiana Lonely" 

Un patronyme français qui s’explique par le fait que cette chanteuse est née dans le nord de la Louisiane près du Mississippi. Elle vit à présent à Austin pour sa carrière. Sa musique est bien country classique avec de légères senteurs de marais qui s’échappent dans Bayou Moon. Sinon le répertoire est plutôt orienté vers des morceaux paisibles qui ne feront pas lever les bottes dans les honky tonks de la capitale du Texas. À l’exception cependant de deux bons country rock et en espérant que Paige en garde d’autres du même acabit en réserve pour ses prestations. Son vocal acidulé se rapproche de ceux d’Emily Nenni et Olivia Harms que l’on a déjà évoquées. 


 

 

Remi MAE

"Remi Mae" 

Chaque bourgade du Texas abrite au moins un artiste de country. Plusieurs s’il s’agit d’une ville. Et comme cet état est nettement plus vaste que la France vous comprenez aisément pourquoi on en découvre tous les jours. Remi Mae Baldwin est auteur-composteur-interprète. L’échantillon de son répertoire qui figure sur ce mini-album est bien varié allant du slow au country-rock avec deux duos en prime sur des titres bien country. L’un avec Sunny Sweeney et l’autre avec Cody Canada, l’ex-leader du groupe Cross Canadian Ragweed.


 

 

Sterling DRAKE

"The Shape I’m In" 

Ce chanteur que je découvre possède au moins trois visages qui plairont à tous ceux qui se moquent des étiquettes. Mais si l’on vous confie la charge de décrire cet album cela vous oblige à faire des petits compartiments dans lesquels vous rangerez les chansons selon ce qu’elles vous inspirent. Sterling Drake possède un vocal très agréable qui convient fort bien à des ballades country conventionnelles. Mais il y en a peu. Un slow relativement intimiste en ouverture interprété d’une façon émouvante laissait augurer une suite alléchante mais on dérive assez vite vers le morbide ou l’ennuyeux. Drake aborde le folk avec de l’harmonica façon Dylan et cet aspect-là est plaisant. On a droit à deux reprises assez inattendues: The House Of Rising Sun sur un tempo plus rapide que la version des Animals, mais loin du vocal de Burdon et sans l’orgue d’Alan Price. Puis c’est un emprunt à Townes Van Zandt pour le seul titre rythmé, White Freightliner Blues, assez réussi. De l’americana au sens très large. 


 

 

The DOOHICKEYS

"All Hat No Cattle"

Il s’agit d’un duo constitué de Jack Hackett originaire d’Atlanta et de Haley Spence Brown qui entraîne des chevaux dans le Missouri. Cette dernière assure le vocal sur la majorité des douze titres et c’est au bénéfice de l’album car elle possède une voix bien plus plaisante que celle de son partenaire. À la base, la paire faisait des sketches car ils sont comédiens. Ils ont eu raison de s’orienter vers la musique car la leur est plaisante, alliant le swing, le country rock et la country plus classique. Le tout avec une abondance de fiddle et de pedal steel guitare. Je regrette de n’avoir pu décrypter tout le sel de leurs compositions car certains titres ne sont pas des plus conventionnels: I Don't Give A Damn About Football (J’aime Pas Le Football), This Town Sucks (Cette Ville Pue) ou Too Ugly To Hitchhike (Trop Laid Pour Faire Du Stop). Ah qu’il était plaisant d’avoir les textes des chansons avec les albums! À découvrir.


 

 

TURNPIKE TROUBADOURS

"The Price Of Admission" 

Bien qu’ils affichent déjà six albums au compteur, les Turnpike atterrissent pour la première fois sur ma platine. Je les écoute donc sans a priori et ressens un véritable coup de cœur pour leur violoniste qui pour moi est leur élément principal. Son coup d’archet est parfois proche du celtique et il est particulièrement remarquable dans les titres bien rythmés, lesquels, hélas, ne sont guère nombreux sur cet album. A un degré moindre je lui associerai le pedal steel guitariste, un peu trop en retrait quand même. Les harmonies vocales sont également intéressantes. Le seul bémol pour moi réside dans le répertoire de ce groupe créé en Oklahoma il y a vingt ans et qui se situe entre country et americana: une majorité de chansons manquent de relief et sont trop longues pour être programmées. Le violon ne sauve pas tous les morceaux. 


 

 

Ward HAYDEN & The OUTLIERS

"Little By Little" 

En entrée en matière, précisions que Ward Hayden est l’ex-leader du groupe Girls, Guns & Glory qui a effectué pas mal de dates en France. Ward Hayden & The Outliers est avant tout un groupe de scène avec un répertoire qui est destiné à mettre l’ambiance : country rock et rock and roll. Mais il y a quand même de la place pour les ballades et le vocal qui n’est pas sans nous rappeler un certain Dwight n’est pas pour nous déplaire. Attendons une prochaine tournée.


 

lundi 16 juin 2025

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

Addison Lea THOMPSON

"Vita" 

Oups, je pensais que Addison Lea était une fille. En fait il s’agit d’un chanteur au vocal bien mature et non dépourvu d’un certain charme. Pour définir le style musical de cet artiste, toute proportion gardée, je m’aventurerai à imaginer les Dire Straits faisant de la country. La guitare est bien fluide et la pedal steel guitare présente sur chaque titre bien que seuls deux morceaux puissent être qualifiés de country, dont le seul rapide au programme. Il règne une certaine uniformité qui relie tous ces titres aux tempos relativement calmes. Un peu plus d’énergie aurait rendu l’écoute beaucoup plus agréable. J’ai un faible pu la pochette. 

 

Ashleigh FLYNN & The RIVETERS

"Good Morning Sunshine" 

Portons-nous sur la côte oust, à Portland plus précisément, pour y découvrir un groupe, The Riveters, fondé en 2017 et qui a la particularité de ne présenter que des musiciennes. Ashleigh Flynn a débuté sa carrière dans le Kentucky par le bluegrass, évidemment, avant d’opter pour l’Oregon et la country. Ce premier album est inégal. Certaines chansons font office de remplissage. Le violon et l’harmonica bien que présents se font trop discrets. Les amateurs de douceurs se consoleront avec un unique slow. Trois country rapides sortent du lot des onze titres. Le bilan est mitigé et ces amazones auront du mal à briller au-delà de la bordure du Pacifique. 

 

Carolyn SHULMAN

"Heart On A Wire" 

Voici une singer-songwriter qui plaira à ceux qui apprécient la musique actuelle de Kacey Musgraves et Mary Chapin Carpenter. On navigue entre folk et americana dans une ambiance relativement intimiste. Mon titre favori, Little Sparrow, ne m’est pas guidé par mon appartenance à la LPO mais par le fait que cette chanson est bien country avec l’appui d’un violon et d’un banjo. L’illustration de pochette est magnifique mais hélas elle arrive à une époque où les disques ne sont plus offerts au regard dans les bacs des disquaires. Carolyn se produit dans son Colorado natal.


 

 

Dwight YOAKAM

"Brighter Days" 

Retour dans l’histoire avec une quadrette qui a redynamisé la country dans les années 80. Après une lignée de n°1 dans la country Ricky Skaggs est revenu à son style de base, le bluegrass. Ricky Van Shelton (dix n°1) a choisi de prendre une retraite anticipée depuis longtemps. Randy Travis, malgré les magouilles de l’intelligence artificielle, ne chantera plus jamais. Ben, il en reste un seul: Dwight Yoakam. En 2025 celui-ci reste fidèle à sa voix et à sa voie. A savoir qu’après plusieurs années de silence discographique il nous revient avec un vocal et un style inchangés. Cela à la différence de certaines de ses consœurs dont la production actuelle est du niveau d’un thé dansant pour quatrième âge. Je ne citerai pas de noms. La country de Dwight est tout sauf mélancolique: la ballade n’est pas son five o’clock tea, il n’y en a qu’une sur les quatorze titres. Les morceaux aux tempos relevés dominent. Comme on les aime rajouterai-je. Un seul emprunt, un peu étonnant: Keep On The Sunny Side, de la Carter Family, reprise en mode rapide. De la part de Dwight rien ne nous étonne. On se souvient de son Purple Rain. En résumé les fans de Yoakam seront loin d’être déçus. Ils vont même se régaler. J’espère qu’il ne nous faudra pas attendre dix ans pour avoir la suite. 


 

 

The MEXICAN STANDOFF

"Hola Texas" 

Voici quatre musiciennes originaires de Los Angeles et du Mexique. Hola Texas est leur premier album enregistré à San Antonio au Texas. Elles sont accompagnées par Flaco Jimenez à l’accordéon, ce qui est quand même une référence. L’album ne comporte que six titres sur l’exemplaire que je possède. En ouverture nous retrouvons une reprise guillerette tex-mex de El antalon Blue Jean que l’on connaissait au préalable par Flaco (1983). La même dynamique se poursuit avec Amor BonitoJimenez donne sa pleine mesure. Pourquoi changer? Rebelote avec In Heaven There Is No Beer. S’il n’y a pas de bière au paradis j’en connais qui ne seront pas pressés d’y aller. Et l’on se ressert une quatrième louche de tex-mex joyeux avec Perlita. Le cinquième titre, Tu Diras No Garet, est semblable aux quatre précédents. Enfin une fort jolie ballade, Sola, ponctue ce trop court mini-album. Il ne nous reste qu’à espérer une visite de ces talentueuses demoiselles de ce côté de l’Atlantique. Le tex-mex est un style musical étrangement absents de nos festivals. Voilà une bonne occasion d’y remédier 


 

 

Jason BOLAND & The STRAGGLERS

"The Last Kings Of Babylon" 

Commençons par le seul hiatus de cet album qui au demeurant est excellent: un morceau de style pub-rock s’est glissé d’une manière impromptue (pour l’auditeur) dans la programmation et qui nous transporte à une époque où les Inmates et Dr Feelgood sévissaient sur nos platines. La surprise passée nous pouvons apprécier l’excellence de cet album qui témoigne d’une country authentique avec abondance de fiddle et de mandoline. Le vocal de Boland est chaleureux et en phase avec un style de country beaucoup plus traditionnel que "red dirt". Les gars de l’Oklahoma ont fêté leurs vingt-cinq ans de belle manière avec cet album. 


 

 

LOVESEAT

"Our Way" 

J’ai beaucoup aimé la voix de la chanteuse, fraîche, enjôleuse, voire mutine, bien que l’album repose principalement sur des duos partagés avec son mari dont le vocal est nettement plus râpeux. On peut qualifier cet album de country-folk bien que le violon se fasse entendre parfois, de même que le banjo (sur un titre) et l’accordéon en ouverture sur le titre le plus country que Willie ou Waylon n’auraient pas renié. L’ambiance est relativement sereine et acoustique à l’exception du neuvième et dernier morceau où l’on se croirait plongé dans la salsa du démon! Ce couple est originaire de l’Illinois.


 

 

MISS TESS

"Cher Rêve" 

Je connaissais Miss Tess par un album paru en 2016. Il était fort varié en styles allant du country rock au blues en passant par le rock and roll et quand même un zeste de country. La revoici un peu moins de dix ans plus tard et avec une connotation encore plus fidèle à ses origines. En effet Miss Tess interprète une valse et une ballade en français et deux autres chansons témoignent du pur zydeco dont un rock and roll. Il y a aussi du swamp qui aurait bien plu à notre ami Bernard Boyat. À noter la ballade bien country des plus classiques, Nobody Wins, qui fût un succès par Brenda Lee en 1973. Très bon album bien équilibré en tempos et en genres musicaux variés et bien "roots". 


 

mercredi 28 mai 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Jeff FINLIN

"Myth Of The Giver" 

Jeff Finlin fait toujours partie des trésors (trop bien) cachés de la musique américaine. Myth Of The Giver est paru il y a tout juste un an et voit enfin le jour sur notre continent grâce à nos amis néerlandais de Continental Record Services. Je vous avais présenté son album précédent (Soul On The Line) en ces colonnes en août 2022. Ce nouvel opus (treize chansons toutes signées du songwriter), a été enregistré et interprété par Jeff dans son studio de Fort Collins, Colorado. Par rapport à son prédécesseur, il démontre un souci d'économiser les moyens humains puisqu'on note juste l'apparition de trois musiciens: Eric Straumanis (guitare électrique sur Cowgirl In Forever), Phillip Broste (pedal steel sur Tears Roll By) et Jeff Coppage (mandoline sur Volunteer). Mais Jeff est un multi-instrumentiste plus que compétent qui démontre qu'il peut (occasionnellement en tout cas) se passer des autres. N'oublions pas qu'avant sa carrière solo, il était batteur du groupe The Thieves (avec Gwil Owen et Kelley Looney) qui avait publié l'album Seduced By Money en 1989. Mais qu'il soit seul (ou presque) ou accompagné de musiciens plus ou moins célèbres, la qualité des chansons est là, les mélodies presque aussi paresseuses que celles de J.J. Cale parviennent vite à envoûter l'auditeur et, dès le deuxième titre (All Dolled Up Like Michigan), on sait que l'on écoutera l'album jusqu'au bout (voir plus si affinités) car les titres s'enchaînent comme les chapitres d'un livre qui nous transporte sur un chemin où l'on rencontre l'amour (Valentines Day, Love Is The Last Word, Lovers Day), la vie, le désir la nostalgie (Lighting Days), où l'on croise des cowgirls et des anges (The Cowgirl In Forever). Les textes sont toujours poétiques, originaux, souvent empreints de symbolisme et très personnels. Hannah In The Air et Volunteer (où il est question de St. Germain et de Paris) en sont de parfaites illustrations. En plus de Myth Of The Giver, Jeff Finlin nous propose un album en public enregistré à la fin de 2024 avec The 89's (Transcending The Armory), disponible sur Bandcamp en "pay what you want". C'est un bon moyen, si on ne le connaît pas encore, de découvrir cet artiste et il serait dommage de s'en priver. 

 

Arlan FEILES

"Diaspora" 

Arlan Feiles est un songwriter américain avec des origines juives allemandes qui, avant Diaspora, avait publié six albums en studio plus un live et un EP de reprises de chansons du regretté Greg Trooper. Tout cela est excellent mais le nouvel opus prend une autre dimension dans la mesure ou Arlan affronte les réalités d'un passé horrible et d'un avenir peu réjouissant, et pas seulement aux USA. Le premier titre, I Know Your Number, nous parle d'amour éternel, un amour qui survit à la séparation et à la tragédie, quand l'être aimé se trouve privé de tout ce qu'il est, de la vie et même de son nom, ne conservant qu'un numéro. Oh, St. Louis évoque le sort des passagers du navire éponyme qui avait permis à certains de fuir le nazisme avant d'être refoulés par Cuba et les États-Unis et de faire retour vers les horreurs de l'holocauste. Vient ensuite Budapest 1936 et les murmures d'une guerre qui s'annonçait, après les Jeux Olympiques de Berlin. Broken World Order: l'ordre international vacille, hier comme aujourd'hui et l'énoncé du titre parle sans besoin de commentaires. Vient ensuite un fait divers qui remonte à 1915 où l'antisémitisme atteint des sommets d'horreur. Leo Frank (Hang 'im High) raconte l'histoire d'un jeune directeur d'usine juif condamné pour le viol et le meurtre d'une adolescente. Bien que sa culpabilité n'ait jamais été démontrée, Leo Frank fut condamné à mort avant que sa peine ne soit commuée en réclusion criminelle à perpétuité par le gouverneur de Georgie, convaincu de son innocence. Mais un commando armé et très organisé l'a extrait de la prison pour le lyncher et le pendre. Cette chanson, portée par une guitare acoustique lancinante sonne comme une murder ballad classique. Le dernier couplet est terrible: "The moral of the story is it doesnt matter who is who / As long as its a black man, a brown man or a Jew / It makes the people happy so give the peole what they want / Just a small price for admission and some popcorn while they watch" (La morale de cette histoire est que peu importe qui est qui / Du moment que c'est un homme noir, un homme brun ou un Juif / Cela rend les les gens heureux donc donnez aux gens ce qu'ils veulent / Juste un faible prix d'entrée et du pop-corn pendant qu'ils regardent). Vient ensuite The River Takes, chanson plus paisible avant une superbe reprise accompagnée au piano de la chanson de Leonard Cohen, Story Of Isaac. Les deux derniers titres, Diaspora et Ceasefire portent en elles l'espoir d'une vie meilleure. L'espoir déçu d'abord, avec la diaspora et l'émigration de Levi du Rhin jusqu'aux USA, une terre promise ou Arlan a vécu heureux mais ne se sent plus désormais vraiment chez lui en raison la montée des discriminations en tous genres. Quant à Ceasefire (Shalom Achsav), elle commence par ces mots: "I'm calling for peace / I call for a ceasefire" (J'appelle la paix / J'appelle un cesser-le feu) et se conclut ainsi: "Cause war knows no victors / It only knows defeat" (Car la guerre ne connaît pas de vainqueurs / Elle ne connaît que la défaite). C'est le déchirement d'un artiste tiraillé entre son amour pour Israël et le rejet des atrocités commises, des deux côtés. L'album a été une épreuve douloureuse pour Arlan Feiles qui dit avoir parfois pleuré pendant l'enregistrement. C'est un disque d'une grande et sombre beauté ou chaque mot, chaque note nous touchent et nous incitent à réfléchir. La voix d'Arlan Feiles est souvent bouleversante, les notes de sa guitare et, surtout, du piano renforcent encore la grave solennité des compositions. Peu de musiciens extérieurs sont présents, mais le violon de David Mansfield sur Broken World Order est particulièrement remarquable. Diaspora est pour moi un des plus beaux disques parus ces dernières années, mais on ne ressort pas intact de son écoute. 


 

 

C. Daniel BOLING featuring Tom PAXTON

"It Matters" 

Voici la deuxième collaboration discographique entre Daniel Boling et Tom Paxton, It Matters, soit seize titres coécrits par les deux amis. Je vous avais présenté la première dans ces colonnes (Du Côté de Chez Sam, août 2023); Cet album n'est peut-être pas le dernier en commun puisque Tom (87 ans révolus) écrit dans les notes de pochette que les deux hommes ont déjà écrit soixante chansons ensemble et que cela n'est pas fini. Aux côtés de Daniel (guitare et voix, banjo sur God Is Too Big), Tom chante sur neuf titres. Il y en a même deux où ilchante seul (Something Missing In Your Smile et Goodnight). Jono Manson co-produit l'album avec Daniel, ajoutant une guitare tenor sur Mama Sing It Too Me et des harmonies sur ce même titre et Complain. Parmi les autres musiciens, je me contenterai de citer le fidèle Kelly Mulhollan présent sur quelques titres: Sgt. Reckless (mandoline, ukulele et harmonies), Hidey-Ho et Old Red Barn (banjo), ainsi que Char Rothchild à l'accordéon (It Matters et She's A Witch) et au tin whistle (Sgt. Reckless). Le fiddle de Gina Forsyth est aussi particulièrement en valeur dans Old Red Barn. Si vous connaissez bien l'œuvre de Tom, It Matters vous sera familier et, si vous vous plongez dans celle de Daniel (déjà onze album à son actif dont deux live, sans parler de ce qu'il a enregistré avec The Limeliters), vous noterez évidemment les similitudes presque fraternelles entre les mélodies et les thèmes abordés. Les chansons sont toujours pleines d'humanité, qu'elles évoquent ceux qui travaillent dans l'ombre (It Matters) mais dont le rôle est indispensable (y compris ceux qu'on a qualifiés de non-essentiels) ou une jument élevée au grade de sergent dans les marines (Sgt. Reckless). Il y aussi des chansons plus légères (We're not Happy, Whistlin' Our Songs, Old Red Barn), plus sérieuses (God Is Too Big, What Could Possibly Go Wrong?, Something Missing In Your Smile) ou plus nostalgiques (Mama Singin' To Me, Goodnight). Et puis il a ce titre, Complain qui sonne comme la profession de foi de songwriters qui ne veulent pas rendre les armes, même si elles ne sont que voix et guitares: "My body keeps betraying me a little more each day / But I still have this guitar and I still know how to play / And there’s nothing much the matter with my brain So, I’ll continue to complain – Yes, yes, yes / We really must complain – Yes, yes, yes / Complain, complain, complain". ("Mon corps me trahit un peu plus chaque jour / Mais j'ai toujours cette guitare et je sais toujours jouer / Et il n'y a pas grand-chose qui ne va pas avec mon cerveau / Alors, je vais continuer à me plaindre – Oui, oui, oui / Il faut vraiment se plaindre – Oui, oui, oui / Se plaindre, se plaindre, se plaindre")


 

Sorrel NATION

"Lost En Route" 

Voici une jeune artiste originaire du Kent qui apporte un doux vent de fraîcheur au folk-rock britannique. Elle puise son inspiration chez Gillian Welch, Stevie Nicks ou Sandy Denny. Elle a d'ailleurs publié en 2024 un disque live, Thirty Summers, enregistré le jour de ses trente ans, où à côté de quatre de ses compositions, elle reprenait, seule avec sa guitare, Hard Times de Gillian and Who Knows Where The Time Goes de Sandy. Lost En Route est son premier LP qui ne comporte que neuf titres mais dont la richesse musicale est remarquable avec une inventivité qui tient à la fois à la qualité des compositions et au talent des musiciens. De l'entraînant Crazy For You au mélancolique Lost En Route, on passe par toutes sortes d'émotions musicales avec Old Man qui tire vers la country music, Living Free avec son incitation au rêve, The Way The Wind Blows, plein de délicatesse avec un piano lumineux. La voix de Sorrel, très soul, nous arrache des larmes dans la ballade Eggshells, avant Troubled Again où le banjo nous redonne le sourire. Dead Man's Road se risque à quelques explorations soniques, et démontre que Sorrel est à l'aise dans un registre rock, éloigné de ses racines folk. Le calme revient avec Wild Solitude et des arrangements de cordes de toute beauté. Si Sorrel a composé toutes les chansons et chante en s'accompagnant d'une guitare, elle n'est pas seule à bord du navire qu'elle pilote. Sam Anderson (guitare électrique, dobro et voix), Simon Browne (batterie), Rihan Baroche (claviers et voix), Stefan Croot (basse), Bea Everett (voix), Theo Holder (violoncelle et voix), Caelia Luniss (violon), Nathan Lewis Williams (cittern) et Kirk Bowman (banjo) méritent tous d'être cités. 


 

 

Jim STANARD

"Magical" 

Après Bucket List (Le Cri du Coyote n° 161) et Color Outside The Lines (Le Cri du Coyote n° 167), Jim Stanard nous propose son troisième album, Magical. Comme d'habitude, Jim a tout écrit, paroles et musiques, s'est entouré d'un bande de musiciens plus que compétents parmi lesquels les fidèles John Skibic (guitares électriques), Kip Winger (basse, guitares acoustiques), Steve Postell et Bobby Terry (guitares acoustiques), Mike Rojas (claviers), Wanda Vick (fiddle, dobro, banjo, mandoline). Certains ont évoqué Johnny Cash, Kris Kristofferson ou Tom Paxton pour définir le songwriting de Jim Stanard mais, à l'exception d'un conscience sociale et politique commune, ces référence ne sautent pas aux oreilles, car notre homme apparaît davantage comme un artisan de la chanson, modeste mais talentueux, que comme un géant du niveau des trois précités. N'oublions pas que Jim n'a pas la même carrière et qu'il n'a publié son premier LP qu'en 2018, à un âge où d'autres ne songent qu'à la retraite. C'est pour cela, sans doute, que l'on sent qu'il évolue constamment, qu'il maîtrise de mieux en mieux son art à chaque album. Ses textes démontrent un sens de l'observation, à la fois des sentiments humains et du contexte, politique, notamment. Lookin' Back est une chanson optimiste qui nous dit que l'on peut envisager l'avenir et profiter de la vie, même si un regard dans le miroir nous rappelle que la plus grande partie en est dernière nous. You Turned Red (That Made Me Blue) a une connotation politique évidente. Wanda Vick y brille, au violon et au dobro, et la première ligne à elle seule vaut son pesant d'or: "You've been awarded four Pinocchios" ("Tu as remporté quatre Pinocchios", l'oscar du mensonge sans doute). Hard Of Hearing Heart et, plus loin, Too Much Fun sonnent comme des rocks classiques, alors que Kansas a une ambiance presque cinématographique, celle d'un bon vieux western, avant un Waking Up Dead porté par des arrangements de cordes. Je citerai encore Magical, ou l'art de gâcher les choses qui vont bien, et The Minotaur avec cette question fondamentale: "Did Eve give you an apple Mr. Minotaur?" ("Est-ce que Ève t'a donné une pommme, M. Minotaure?". Après Hard To Keep, chantant un amour perdu, l'album se conclut avec l'émouvant When The West Was Won et ce refrain: "Their names are gone, but memories / Of their pain and fear / Reflect in a salty stream / Flowing from the Trail of Tears / They had anywhere to run / When the west was won" ("Leurs noms sont partis, mais les souvenirs / De leur peine et de leur peur / Se reflètent dans un courant salé / Qui coule de la Piste des Larmes / Ils n'avaient nulle part où aller / Quand l'Ouest a été conquis"). Magical confirme, à tous points de vue, que Jim Stanard, s'il n'a pas la prétention de s'assoir à la table des grands, fait partie de ces voix que l'on a besoin d'entendre pour couvrir le silence criminellement complice et assourdissant de l'Amérique trumpiste


 

Kris DELMHORST

"Ghosts In My Garden" 

Depuis Appetite en 1998, Kris Delmhorst nous envoie régulièrement des cartes postales musicales. Elle a désormais dix LP et deux EP à son actif, sans compter des participations à des projets parallèles (Session Americana, Redbird…). Pour Ghost In The Garden, elle s'est entourée d'une équipe réduite d'amis qui l'accompagnent aussi sur scène: Ray Rizzo (batterie, etc.), Jeremy Moses Curtis (basses électrique et acoustique) et Erik Koskinen (guitares électrique et acoustique, orgue), auxquels s'ajoutent Rich Hinman (pedal steel et guitare électrique) et Sam Kassirer (claviers, autoharpe). La liste de celles et ceux qui viennent prêter leurs voix pour un ou plusieurs titres en dit long sur l'estime dont jouit Kris: Rose Cousins, Jabe Beyer, Rachel Baiman, Anna Tivel, Jeffrey Foucault, Ana Egge, Anaïs Mitchell, Taylor Ashton. Pour en revenir au disque, il comporte dix titres écrits par Kris seule, le onzième, Beyond The Boundaries étant coécrit avec Matthew Sanborn. À côté de titres aux orchestrations plutôt classiques (que je qualifierais de country-folk) comme Wolves ou Age Of Innocence, Kris nous gratifie d'arrangements plus complexes, bien en rapport avec les sentiments, souvents teintés d'introspection, exprimés par les textes qu'ils habillent, comme la chanson titre, Summer's Growing Old, Detour (avec Jeffrey Foucault), Lucky River ou Something To Show. Ce ne sont pas des titres que l'on écoute d'une oreille distraite. J'ai aussi un faible pour Beyond The Boundaries avec la voix de Taylor Ashton et la pedal steel de Rich Hinman, ou encore Won't Be Long et Dematerialized, plus rock et d'abord plus immédiat et qui contribuent à l'équilibre de l'ensemble. Quoi qu'il en soit, Kris démontre encore une fois qu'elle fait partie des ces artistes rares, capables de se renouveler à chaque album, sans pour autant galvauder son âme ni son identité.