Je qualifierai ces musiciens de groupe de bars et honky tonks sans que cela soit péjoratif. Il en faut. Le vocal est relativement banal mais le fait de ne pas pouvoir rivaliser avec celui de Randy Travis ou de Josh Turner ne doit pas vous empêcher de chanter. Cet album devrait plaire aux amateurs de "red dirt" car il est nettement plus rock que country. Les guitares électriques débordent trop souvent à mon goût. À noter un bon blues à la John Mayall, une country relativement classique et un très rapide country rock avec harmonica. Le fiddle se fait entendre par deux fois. Un groupe pour faire la fête et boire de la bière.
Un patronyme français qui s’explique par le fait que cette chanteuse est née dans le nord de la Louisiane près du Mississippi. Elle vit à présent à Austin pour sa carrière. Sa musique est bien country classique avec de légères senteurs de marais qui s’échappent dans Bayou Moon. Sinon le répertoire est plutôt orienté vers des morceaux paisibles qui ne feront pas lever les bottes dans les honky tonks de la capitale du Texas. À l’exception cependant de deux bons country rock et en espérant que Paige en garde d’autres du même acabit en réserve pour ses prestations. Son vocal acidulé se rapproche de ceux d’Emily Nenni et Olivia Harms que l’on a déjà évoquées.
Chaque bourgade du Texas abrite au moins un artiste de country. Plusieurs s’il s’agit d’une ville. Et comme cet état est nettement plus vaste que la France vous comprenez aisément pourquoi on en découvre tous les jours. Remi Mae Baldwin est auteur-composteur-interprète. L’échantillon de son répertoire qui figure sur ce mini-album est bien varié allant du slow au country-rock avec deux duos en prime sur des titres bien country. L’un avec Sunny Sweeney et l’autre avec Cody Canada, l’ex-leader du groupe Cross Canadian Ragweed.
Ce chanteur que je découvre possède au moins trois visages qui plairont à tous ceux qui se moquent des étiquettes. Mais si l’on vous confie la charge de décrire cet album cela vous oblige à faire des petits compartiments dans lesquels vous rangerez les chansons selon ce qu’elles vous inspirent. Sterling Drake possède un vocal très agréable qui convient fort bien à des ballades country conventionnelles. Mais il y en a peu. Un slow relativement intimiste en ouverture interprété d’une façon émouvante laissait augurer une suite alléchante mais on dérive assez vite vers le morbide ou l’ennuyeux. Drake aborde le folk avec de l’harmonica façon Dylan et cet aspect-là est plaisant. On a droit à deux reprises assez inattendues: The House Of Rising Sun sur un tempo plus rapide que la version des Animals, mais loin du vocal de Burdon et sans l’orgue d’Alan Price. Puis c’est un emprunt à Townes Van Zandt pour le seul titre rythmé, White Freightliner Blues, assez réussi. De l’americana au sens très large.
Il s’agit d’un duo constitué de Jack Hackett originaire d’Atlanta et de Haley Spence Brown qui entraîne des chevaux dans le Missouri. Cette dernière assure le vocal sur la majorité des douze titres et c’est au bénéfice de l’album car elle possède une voix bien plus plaisante que celle de son partenaire. À la base, la paire faisait des sketches car ils sont comédiens. Ils ont eu raison de s’orienter vers la musique car la leur est plaisante, alliant le swing, le country rock et la country plus classique. Le tout avec une abondance de fiddle et de pedal steel guitare. Je regrette de n’avoir pu décrypter tout le sel de leurs compositions car certains titres ne sont pas des plus conventionnels: I Don't Give A Damn About Football (J’aime Pas Le Football), This Town Sucks (Cette Ville Pue) ou Too Ugly To Hitchhike (Trop Laid Pour Faire Du Stop). Ah qu’il était plaisant d’avoir les textes des chansons avec les albums! À découvrir.
Bien qu’ils affichent déjà six albums au compteur, les Turnpike atterrissent pour la première fois sur ma platine. Je les écoute donc sans a priori et ressens un véritable coup de cœur pour leur violoniste qui pour moi est leur élément principal. Son coup d’archet est parfois proche du celtique et il est particulièrement remarquable dans les titres bien rythmés, lesquels, hélas, ne sont guère nombreux sur cet album. A un degré moindre je lui associerai le pedal steel guitariste, un peu trop en retrait quand même. Les harmonies vocales sont également intéressantes. Le seul bémol pour moi réside dans le répertoire de ce groupe créé en Oklahoma il y a vingt ans et qui se situe entre country et americana: une majorité de chansons manquent de relief et sont trop longues pour être programmées. Le violon ne sauve pas tous les morceaux.
En entrée en matière, précisions que Ward Hayden est l’ex-leader du groupe Girls, Guns & Glory qui a effectué pas mal de dates en France. Ward Hayden & The Outliers est avant tout un groupe de scène avec un répertoire qui est destiné à mettre l’ambiance : country rock et rock and roll. Mais il y a quand même de la place pour les ballades et le vocal qui n’est pas sans nous rappeler un certain Dwight n’est pas pour nous déplaire. Attendons une prochaine tournée.
Oups, je pensais que Addison Lea était une fille. En fait il s’agit d’un chanteur au vocal bien mature et non dépourvu d’un certain charme. Pour définir le style musical de cet artiste, toute proportion gardée, je m’aventurerai à imaginer les Dire Straits faisant de la country. La guitare est bien fluide et la pedal steel guitare présente sur chaque titre bien que seuls deux morceaux puissent être qualifiés de country, dont le seul rapide au programme. Il règne une certaine uniformité qui relie tous ces titres aux tempos relativement calmes. Un peu plus d’énergie aurait rendu l’écoute beaucoup plus agréable. J’ai un faible pu la pochette.
Portons-nous sur la côte oust, à Portland plus précisément, pour y découvrir un groupe, The Riveters, fondé en 2017 et qui a la particularité de ne présenter que des musiciennes. Ashleigh Flynn a débuté sa carrière dans le Kentucky par le bluegrass, évidemment, avant d’opter pour l’Oregon et la country. Ce premier album est inégal. Certaines chansons font office de remplissage. Le violon et l’harmonica bien que présents se font trop discrets. Les amateurs de douceurs se consoleront avec un unique slow. Trois country rapides sortent du lot des onze titres. Le bilan est mitigé et ces amazones auront du mal à briller au-delà de la bordure du Pacifique.
Voici une singer-songwriter qui plaira à ceux qui apprécient la musique actuelle de Kacey Musgraves et Mary Chapin Carpenter. On navigue entre folk et americana dans une ambiance relativement intimiste. Mon titre favori, Little Sparrow, ne m’est pas guidé par mon appartenance à la LPO mais par le fait que cette chanson est bien country avec l’appui d’un violon et d’un banjo. L’illustration de pochette est magnifique mais hélas elle arrive à une époque où les disques ne sont plus offerts au regard dans les bacs des disquaires. Carolyn se produit dans son Colorado natal.
Retour dans l’histoire avec une quadrette qui a redynamisé la country dans les années 80. Après une lignée de n°1 dans la country Ricky Skaggs est revenu à son style de base, le bluegrass. Ricky Van Shelton (dix n°1) a choisi de prendre une retraite anticipée depuis longtemps. Randy Travis, malgré les magouilles de l’intelligence artificielle, ne chantera plus jamais. Ben, il en reste un seul: Dwight Yoakam. En 2025 celui-ci reste fidèle à sa voix et à sa voie. A savoir qu’après plusieurs années de silence discographique il nous revient avec un vocal et un style inchangés. Cela à la différence de certaines de ses consœurs dont la production actuelle est du niveau d’un thé dansant pour quatrième âge. Je ne citerai pas de noms. La country de Dwight est tout sauf mélancolique: la ballade n’est pas son five o’clock tea, il n’y en a qu’une sur les quatorze titres. Les morceaux aux tempos relevés dominent. Comme on les aime rajouterai-je. Un seul emprunt, un peu étonnant: Keep On The Sunny Side, de la Carter Family, reprise en mode rapide. De la part de Dwight rien ne nous étonne. On se souvient de son Purple Rain. En résumé les fans de Yoakam seront loin d’être déçus. Ils vont même se régaler. J’espère qu’il ne nous faudra pas attendre dix ans pour avoir la suite.
Voici quatre musiciennes originaires de Los Angeles et du Mexique. Hola Texas est leur premier album enregistré à San Antonio au Texas. Elles sont accompagnées par Flaco Jimenez à l’accordéon, ce qui est quand même une référence. L’album ne comporte que six titres sur l’exemplaire que je possède. En ouverture nous retrouvons une reprise guillerette tex-mex de El antalon Blue Jean que l’on connaissait au préalable par Flaco (1983). La même dynamique se poursuit avec Amor Bonito où Jimenez donne sa pleine mesure. Pourquoi changer? Rebelote avec In Heaven There Is No Beer. S’il n’y a pas de bière au paradis j’en connais qui ne seront pas pressés d’y aller. Et l’on se ressert une quatrième louche de tex-mex joyeux avec Perlita. Le cinquième titre, Tu Diras No Garet, est semblable aux quatre précédents. Enfin une fort jolie ballade, Sola, ponctue ce trop court mini-album. Il ne nous reste qu’à espérer une visite de ces talentueuses demoiselles de ce côté de l’Atlantique. Le tex-mex est un style musical étrangement absents de nos festivals. Voilà une bonne occasion d’y remédier
Commençons par le seul hiatus de cet album qui au demeurant est excellent: un morceau de style pub-rock s’est glissé d’une manière impromptue (pour l’auditeur) dans la programmation et qui nous transporte à une époque où les Inmates et Dr Feelgood sévissaient sur nos platines. La surprise passée nous pouvons apprécier l’excellence de cet album qui témoigne d’une country authentique avec abondance de fiddle et de mandoline. Le vocal de Boland est chaleureux et en phase avec un style de country beaucoup plus traditionnel que "red dirt". Les gars de l’Oklahoma ont fêté leurs vingt-cinq ans de belle manière avec cet album.
J’ai beaucoup aimé la voix de la chanteuse, fraîche, enjôleuse, voire mutine, bien que l’album repose principalement sur des duos partagés avec son mari dont le vocal est nettement plus râpeux. On peut qualifier cet album de country-folk bien que le violon se fasse entendre parfois, de même que le banjo (sur un titre) et l’accordéon en ouverture sur le titre le plus country que Willie ou Waylon n’auraient pas renié. L’ambiance est relativement sereine et acoustique à l’exception du neuvième et dernier morceau où l’on se croirait plongé dans la salsa du démon! Ce couple est originaire de l’Illinois.
Je connaissais Miss Tess par un album paru en 2016. Il était fort varié en styles allant du country rock au blues en passant par le rock and roll et quand même un zeste de country. La revoici un peu moins de dix ans plus tard et avec une connotation encore plus fidèle à ses origines. En effet Miss Tess interprète une valse et une ballade en français et deux autres chansons témoignent du pur zydeco dont un rock and roll. Il y a aussi du swamp qui aurait bien plu à notre ami Bernard Boyat. À noter la ballade bien country des plus classiques, Nobody Wins, qui fût un succès par Brenda Lee en 1973. Très bon album bien équilibré en tempos et en genres musicaux variés et bien "roots".
Jeff Finlin fait toujours partie des trésors (trop bien) cachés de la musique américaine. Myth Of The Giver est paru il y a tout juste un an et voit enfin le jour sur notre continent grâce à nos amis néerlandais de Continental Record Services. Je vous avais présenté son album précédent (Soul On The Line) en ces colonnes en août 2022. Ce nouvel opus (treize chansons toutes signées du songwriter), a été enregistré et interprété par Jeff dans son studio de Fort Collins, Colorado. Par rapport à son prédécesseur, il démontre un souci d'économiser les moyens humains puisqu'on note juste l'apparition de trois musiciens: Eric Straumanis (guitare électrique sur Cowgirl In Forever), Phillip Broste (pedal steel sur Tears Roll By) et Jeff Coppage (mandoline sur Volunteer). Mais Jeff est un multi-instrumentiste plus que compétent qui démontre qu'il peut (occasionnellement en tout cas) se passer des autres. N'oublions pas qu'avant sa carrière solo, il était batteur du groupe The Thieves (avec Gwil Owen et Kelley Looney) qui avait publié l'album Seduced By Money en 1989. Mais qu'il soit seul (ou presque) ou accompagné de musiciens plus ou moins célèbres, la qualité des chansons est là, les mélodies presque aussi paresseuses que celles de J.J. Cale parviennent vite à envoûter l'auditeur et, dès le deuxième titre (All Dolled Up Like Michigan), on sait que l'on écoutera l'album jusqu'au bout (voir plus si affinités) car les titres s'enchaînent comme les chapitres d'un livre qui nous transporte sur un chemin où l'on rencontre l'amour (Valentines Day, Love Is The Last Word, Lovers Day), la vie, le désir la nostalgie (Lighting Days), où l'on croise des cowgirls et des anges (The Cowgirl In Forever). Les textes sont toujours poétiques, originaux, souvent empreints de symbolisme et très personnels. Hannah In The Air et Volunteer (où il est question de St. Germain et de Paris) en sont de parfaites illustrations. En plus de Myth Of The Giver, Jeff Finlin nous propose un album en public enregistré à la fin de 2024 avec The 89's (Transcending The Armory), disponible sur Bandcamp en "pay what you want". C'est un bon moyen, si on ne le connaît pas encore, de découvrir cet artiste et il serait dommage de s'en priver.
Arlan Feiles est un songwriter américain avec des origines juives allemandes qui, avant Diaspora, avait publié six albums en studio plus un live et un EP de reprises de chansons du regretté Greg Trooper. Tout cela est excellent mais le nouvel opus prend une autre dimension dans la mesure ou Arlan affronte les réalités d'un passé horrible et d'un avenir peu réjouissant, et pas seulement aux USA. Le premier titre, I Know Your Number, nous parle d'amour éternel, un amour qui survit à la séparation et à la tragédie, quand l'être aimé se trouve privé de tout ce qu'il est, de la vie et même de son nom, ne conservant qu'un numéro. Oh, St. Louis évoque le sort des passagers du navire éponyme qui avait permis à certains de fuir le nazisme avant d'être refoulés par Cuba et les États-Unis et de faire retour vers les horreurs de l'holocauste. Vient ensuite Budapest 1936 et les murmures d'une guerre qui s'annonçait, après les Jeux Olympiques de Berlin. Broken World Order: l'ordre international vacille, hier comme aujourd'hui et l'énoncé du titre parle sans besoin de commentaires. Vient ensuite un fait divers qui remonte à 1915 où l'antisémitisme atteint des sommets d'horreur. Leo Frank (Hang 'im High) raconte l'histoire d'un jeune directeur d'usine juif condamné pour le viol et le meurtre d'une adolescente. Bien que sa culpabilité n'ait jamais été démontrée, Leo Frank fut condamné à mort avant que sa peine ne soit commuée en réclusion criminelle à perpétuité par le gouverneur de Georgie, convaincu de son innocence. Mais un commando armé et très organisé l'a extrait de la prison pour le lyncher et le pendre. Cette chanson, portée par une guitare acoustique lancinante sonne comme une murder ballad classique. Le dernier couplet est terrible: "The moral of the story is it doesnt matter who is who / As long as its a black man, a brown man or a Jew / It makes the people happy so give the peole what they want / Just a small price for admission and some popcorn while they watch" (La morale de cette histoire est que peu importe qui est qui / Du moment que c'est un homme noir, un homme brun ou un Juif / Cela rend les les gens heureux donc donnez aux gens ce qu'ils veulent / Juste un faible prix d'entrée et du pop-corn pendant qu'ils regardent). Vient ensuite The River Takes, chanson plus paisible avant une superbe reprise accompagnée au piano de la chanson de Leonard Cohen, Story Of Isaac. Les deux derniers titres, Diaspora et Ceasefire portent en elles l'espoir d'une vie meilleure. L'espoir déçu d'abord, avec la diaspora et l'émigration de Levi du Rhin jusqu'aux USA, une terre promise ou Arlan a vécu heureux mais ne se sent plus désormais vraiment chez lui en raison la montée des discriminations en tous genres. Quant à Ceasefire (Shalom Achsav), elle commence par ces mots: "I'm calling for peace / I call for a ceasefire" (J'appelle la paix / J'appelle un cesser-le feu) et se conclut ainsi: "Cause war knows no victors / It only knows defeat" (Car la guerre ne connaît pas de vainqueurs / Elle ne connaît que la défaite). C'est le déchirement d'un artiste tiraillé entre son amour pour Israël et le rejet des atrocités commises, des deux côtés. L'album a été une épreuve douloureuse pour Arlan Feiles qui dit avoir parfois pleuré pendant l'enregistrement. C'est un disque d'une grande et sombre beauté ou chaque mot, chaque note nous touchent et nous incitent à réfléchir. La voix d'Arlan Feiles est souvent bouleversante, les notes de sa guitare et, surtout, du piano renforcent encore la grave solennité des compositions. Peu de musiciens extérieurs sont présents, mais le violon de David Mansfield sur Broken World Order est particulièrement remarquable. Diaspora est pour moi un des plus beaux disques parus ces dernières années, mais on ne ressort pas intact de son écoute.
Voici la deuxième collaboration discographique entre Daniel Boling et Tom Paxton, It Matters, soit seize titres coécrits par les deux amis. Je vous avais présenté la première dans ces colonnes (Du Côté de Chez Sam, août 2023); Cet album n'est peut-être pas le dernier en commun puisque Tom (87 ans révolus) écrit dans les notes de pochette que les deux hommes ont déjà écrit soixante chansons ensemble et que cela n'est pas fini. Aux côtés de Daniel (guitare et voix, banjo sur God Is Too Big), Tom chante sur neuf titres. Il y en a même deux où ilchante seul (Something Missing In Your Smile et Goodnight). Jono Manson co-produit l'album avec Daniel, ajoutant une guitare tenor sur Mama Sing It Too Me et des harmonies sur ce même titre et Complain. Parmi les autres musiciens, je me contenterai de citer le fidèle Kelly Mulhollan présent sur quelques titres: Sgt. Reckless (mandoline, ukulele et harmonies), Hidey-Ho et Old Red Barn (banjo), ainsi que Char Rothchild à l'accordéon (It Matters et She's A Witch) et au tin whistle (Sgt. Reckless). Le fiddle de Gina Forsyth est aussi particulièrement en valeur dans Old Red Barn. Si vous connaissez bien l'œuvre de Tom, It Matters vous sera familier et, si vous vous plongez dans celle de Daniel (déjà onze album à son actif dont deux live, sans parler de ce qu'il a enregistré avec The Limeliters), vous noterez évidemment les similitudes presque fraternelles entre les mélodies et les thèmes abordés. Les chansons sont toujours pleines d'humanité, qu'elles évoquent ceux qui travaillent dans l'ombre (It Matters) mais dont le rôle est indispensable (y compris ceux qu'on a qualifiés de non-essentiels) ou une jument élevée au grade de sergent dans les marines (Sgt. Reckless). Il y aussi des chansons plus légères (We're not Happy, Whistlin' Our Songs, Old Red Barn), plus sérieuses (God Is Too Big, What Could Possibly Go Wrong?, Something Missing In Your Smile) ou plus nostalgiques (Mama Singin' To Me, Goodnight). Et puis il a ce titre, Complain qui sonne comme la profession de foi de songwriters qui ne veulent pas rendre les armes, même si elles ne sont que voix et guitares: "My body keeps betraying me a little more each day / But I still have this guitar and I still know how to play / And there’s nothing much the matter with my brain So, I’ll continue to complain – Yes, yes, yes / We really must complain – Yes, yes, yes / Complain, complain, complain". ("Mon corps me trahit un peu plus chaque jour / Mais j'ai toujours cette guitare et je sais toujours jouer / Et il n'y a pas grand-chose qui ne va pas avec mon cerveau / Alors, je vais continuer à me plaindre – Oui, oui, oui / Il faut vraiment se plaindre – Oui, oui, oui / Se plaindre, se plaindre, se plaindre")
Voici une jeune artiste originaire du Kent qui apporte un doux vent de fraîcheur au folk-rock britannique. Elle puise son inspiration chez Gillian Welch, Stevie Nicks ou Sandy Denny. Elle a d'ailleurs publié en 2024 un disque live, Thirty Summers, enregistré le jour de ses trente ans, où à côté de quatre de ses compositions, elle reprenait, seule avec sa guitare, Hard Times de Gillian and Who Knows Where The Time Goes de Sandy. Lost En Route est son premier LP qui ne comporte que neuf titres mais dont la richesse musicale est remarquable avec une inventivité qui tient à la fois à la qualité des compositions et au talent des musiciens. De l'entraînant Crazy For You au mélancolique Lost En Route, on passe par toutes sortes d'émotions musicales avec Old Man qui tire vers la country music, Living Free avec son incitation au rêve, The Way The Wind Blows, plein de délicatesse avec un piano lumineux. La voix de Sorrel, très soul, nous arrache des larmes dans la ballade Eggshells, avant Troubled Again où le banjo nous redonne le sourire. Dead Man's Road se risque à quelques explorations soniques, et démontre que Sorrel est à l'aise dans un registre rock, éloigné de ses racines folk. Le calme revient avec Wild Solitude et des arrangements de cordes de toute beauté. Si Sorrel a composé toutes les chansons et chante en s'accompagnant d'une guitare, elle n'est pas seule à bord du navire qu'elle pilote. Sam Anderson (guitare électrique, dobro et voix), Simon Browne (batterie), Rihan Baroche (claviers et voix), Stefan Croot (basse), Bea Everett (voix), Theo Holder (violoncelle et voix), Caelia Luniss (violon), Nathan Lewis Williams (cittern) et Kirk Bowman (banjo) méritent tous d'être cités.
Après Bucket List (Le Cri du Coyote n° 161) et Color Outside The Lines (Le Cri du Coyote n° 167), Jim Stanard nous propose son troisième album, Magical. Comme d'habitude, Jim a tout écrit, paroles et musiques, s'est entouré d'un bande de musiciens plus que compétents parmi lesquels les fidèles John Skibic (guitares électriques), Kip Winger (basse, guitares acoustiques), Steve Postell et Bobby Terry (guitares acoustiques), Mike Rojas (claviers), Wanda Vick (fiddle, dobro, banjo, mandoline). Certains ont évoqué Johnny Cash, Kris Kristofferson ou Tom Paxton pour définir le songwriting de Jim Stanard mais, à l'exception d'un conscience sociale et politique commune, ces référence ne sautent pas aux oreilles, car notre homme apparaît davantage comme un artisan de la chanson, modeste mais talentueux, que comme un géant du niveau des trois précités. N'oublions pas que Jim n'a pas la même carrière et qu'il n'a publié son premier LP qu'en 2018, à un âge où d'autres ne songent qu'à la retraite. C'est pour cela, sans doute, que l'on sent qu'il évolue constamment, qu'il maîtrise de mieux en mieux son art à chaque album. Ses textes démontrent un sens de l'observation, à la fois des sentiments humains et du contexte, politique, notamment. Lookin' Back est une chanson optimiste qui nous dit que l'on peut envisager l'avenir et profiter de la vie, même si un regard dans le miroir nous rappelle que la plus grande partie en est dernière nous. You Turned Red (That Made Me Blue) a une connotation politique évidente. Wanda Vick y brille, au violon et au dobro, et la première ligne à elle seule vaut son pesant d'or: "You've been awarded four Pinocchios" ("Tu as remporté quatre Pinocchios", l'oscar du mensonge sans doute). Hard Of Hearing Heart et, plus loin, Too Much Fun sonnent comme des rocks classiques, alors que Kansas a une ambiance presque cinématographique, celle d'un bon vieux western, avant un Waking Up Dead porté par des arrangements de cordes. Je citerai encore Magical, ou l'art de gâcher les choses qui vont bien, et The Minotaur avec cette question fondamentale: "Did Eve give you an apple Mr. Minotaur?" ("Est-ce que Ève t'a donné une pommme, M. Minotaure?". Après Hard To Keep, chantant un amour perdu, l'album se conclut avec l'émouvant When The West Was Won et ce refrain: "Their names are gone, but memories / Of their pain and fear / Reflect in a salty stream / Flowing from the Trail of Tears / They had anywhere to run / When the west was won" ("Leurs noms sont partis, mais les souvenirs / De leur peine et de leur peur / Se reflètent dans un courant salé / Qui coule de la Piste des Larmes / Ils n'avaient nulle part où aller / Quand l'Ouest a été conquis"). Magical confirme, à tous points de vue, que Jim Stanard, s'il n'a pas la prétention de s'assoir à la table des grands, fait partie de ces voix que l'on a besoin d'entendre pour couvrir le silence criminellement complice et assourdissant de l'Amérique trumpiste
Depuis Appetite en 1998, Kris Delmhorst nous envoie régulièrement des cartes postales musicales. Elle a désormais dix LP et deux EP à son actif, sans compter des participations à des projets parallèles (Session Americana, Redbird…). Pour Ghost In The Garden, elle s'est entourée d'une équipe réduite d'amis qui l'accompagnent aussi sur scène: Ray Rizzo (batterie, etc.), Jeremy Moses Curtis (basses électrique et acoustique) et Erik Koskinen (guitares électrique et acoustique, orgue), auxquels s'ajoutent Rich Hinman (pedal steel et guitare électrique) et Sam Kassirer (claviers, autoharpe). La liste de celles et ceux qui viennent prêter leurs voix pour un ou plusieurs titres en dit long sur l'estime dont jouit Kris: Rose Cousins, Jabe Beyer, Rachel Baiman, Anna Tivel, Jeffrey Foucault, Ana Egge, Anaïs Mitchell, Taylor Ashton. Pour en revenir au disque, il comporte dix titres écrits par Kris seule, le onzième, Beyond The Boundaries étant coécrit avec Matthew Sanborn. À côté de titres aux orchestrations plutôt classiques (que je qualifierais de country-folk) comme Wolves ou Age Of Innocence, Kris nous gratifie d'arrangements plus complexes, bien en rapport avec les sentiments, souvents teintés d'introspection, exprimés par les textes qu'ils habillent, comme la chanson titre, Summer's Growing Old, Detour (avec Jeffrey Foucault), Lucky River ou Something To Show. Ce ne sont pas des titres que l'on écoute d'une oreille distraite. J'ai aussi un faible pour Beyond The Boundaries avec la voix de Taylor Ashton et la pedal steel de Rich Hinman, ou encore Won't Be Long et Dematerialized, plus rock et d'abord plus immédiat et qui contribuent à l'équilibre de l'ensemble. Quoi qu'il en soit, Kris démontre encore une fois qu'elle fait partie des ces artistes rares, capables de se renouveler à chaque album, sans pour autant galvauder son âme ni son identité.
Un double 33 tours à la pochette immaculée, sans titre, avec juste le nom de l'artiste, cela ne vous rappelle rien? Joli clin d'œil de la part de Grey DeLisle à ses illustres prédécesseurs de Liverpool. Cet album (qui tient sur un CD simple) prend son envol, comme une évidence, sous l'appellation The Grey Album. Au menu, vingt titres qui explorent toutes les facettes du talent de songwriter de la dame qui, depuis trois ans et après une absence discographique de dix-huit ans, fait preuve d'une belle créativité. La production est assurée par Marvin Etzioni (ex Lone Justice) et au premier rangs des musiciens figure Murry Hammond (ex Old 97's), complice de longue date (pas seulement musical puisqu'ils ont un fils ensemble). Le talent vocal de Grey explose dans tous les registres. Des titres aux accents country comme le morceau d'ouverture Hello I'm Lonesome ou Daddy, Can You Fix A Broken Heart, des chansons plus rock et blues comme Sister Shook, 40 Something Runaway (avec Cherrie Currie des Runaways), Didn't We Try (avec la présence vocale de Stephen McCarthy des Long Ryders), The Last, Last Time ou I Can't Be Kind, des ballades pleines de tendresse comme Who To Love, A Promise I Can't Keep, Don't Let Go Of My Hand ou Take Me Dancing Again. Je ne peux citer tous les titres mais aucun n'est faible ni même simplement moyen, comme en témoignent Reach For The Sky, Convince Me ou encore My Darlin' Vivian. Parmi les musiciens qui donnent des couleurs lumineuses à ce Grey Album, je retiendrai particulièrement Tammy Rogers (violon, alto et arrangements de cordes) et Greg Leisz (steel guitar, Rickenbacker 12 cordes). À l'exception de Convince Me (écrit à l'origine pour Roy Orbison par Marvin Etzioni) et A Coastal Town, coécrit avec Joey Simeone, a écrit toutes les parole et musiques du disque. Cependant, si vous écoutez le dernier titre, l'émouvant Red Dress, vous reconnaitrez certainement une mélodie connue depuis la Carter Family (I'm Thinking Tonight Of My Blue Eyes). Dire que The Grey Album est une réussite est un euphémisme, c'est un véritable moment de bonheur musical qui dure près d'une heure
J'ai découvert Jefferson Ross vers 2012 pour sa participation à la trilogie The 1861 Project de Thomm Jutz. J'ai ensuite présenté ses albums dans les colonnes du Cri du Coyote à de nombreuses reprises. Notre homme, accompagné du producteur et multi-instrumentiste Thomm Jutz, a démontré au cours de la dernière décennie qu'il était un auteur-compositeur interprète de haute volée dont on peut simplement se demander pourquoi il n'est pas plus célèbre en dehors de sa Georgie. Avec Backstage Balladeer, Jefferson a choisi de se passer de toute aide, de privilégier le côté artisanal de son œuvre. Écriture, interprétation, enregistrement, mixage: il a tout fait, à la matière de Paul McCartney pour son premier album solo. Le son est plus brut que dans les disques précédents mais cela ne fait qu'ajouter au charme de l'ensemble. Les thèmes abordé sont variés et si Power a des connotations politiques et House Of The Lord religieuses, Lion In Zion sonne comme un gospel teinté de reggae, alors que The Blues And The Blood a des accents blues-rock lancinants, presque inquiétants. Travel, un des sommets du disque, honore une des nombreuses passions de Jefferson, le voyage. Son dernier en date, en Europe, en 2022, l'a amené à passer par la France, de la Provence à l'Alsace en passant par Paris, et les clichés qu'il a pris à cette occasion démontrent un autre de ses talents, la photographie qu'il pratique avec un œil de peintre (il excelle aussi dans ce domaine). Tout cela pour vous dire que chacun des textes est un véritable portrait, ou un paysage, avec une dimension qui dépasse celle de la simple chanson. Il peut évoquer Jerry Lee Lewis ou Mary Magdalene (deux titres de chansons) ou s'aventurer davantage musicalement avec Serpent, il sait nous régaler avec Brimstone Blues ou le superbe Backstreet Balladeer qui justifient à eux seuls l'acquisition de l'album. DIY peut-être, excellent certainement, Backstreet Balladeer a tout ce qu'il faut pour être aimé, sans condition.
Martha Fields, alias Marty Fields Galloway, avait prévu d'enregistrer un album live (CD + DVD), il y a quelques années, du côté de Bordeaux mais COVID et confinement en ont décidé autrement. C'est donc en novembre 2023 que Martha, accompagnée de ses French boys, s'est retrouvée à Lanton, au Baryton, pour réaliser enfin son projet qui permet à celles et ceux qui n'ont pas eu la chance de voir le groupe en concert de mesurer l'énergie déployée sur scène. Martha (guitare acoustique et chant) est accompagnée par Manu Bertrand (dobro, banjo, mandoline, lap steel et harmonies), Urbain Lambert (guitare électrique et harmonies), Serge Samyn, (contrebasse, basse électrique et harmonies), Olivier Leclerc (violon) et Denis Bielsa (batterie). Un concentré de haut niveau au service d'un répertoire partagé entre compositions de Martha et reprises choisies. Les premiers titres évoque la double appartenance de Martha, qui se partage entre USA et France. Il y a d'abord Paris To Austin où la Seine ressemble au Colorado, puis Country Roads Of France avec ce pont entre deux continents: "Yes the bridge is long and wide / Faire un pont pour de bon". Dans le traditionnel Lonesome Road Blues, Martha évoque la douleur du partir: "My momma, she said don't go to France / I got ants in my pants so I went to France" (Maman m'a dit ne va pas en France / J'avais des fourmis dans les jambes donc je suis parti en France). Biscay Bay, Headin' South et Demona évoquent des souvenirs personnels avec, intercalée, une belle et dynamique reprise de Honky Tonk Blues de Hank, Sr. C'est ensuite la chanson bilingue que tout le monde connaît et chante en chœur, J'entends Siffler le Train / 500 Miles et Johanna, chanson pleine d'émotion pour celle qui "Ressemblait à Mata-Hari / S'habillait comme Marlene Dietrich / Dansait au Moulin Rouge / Pour les soldats du Troisième Reich". Changement de décor avec le Kokomo Blues de Mississippi Fred McDowell où le Chicago blues est mis à l'honneur, prétexte à une jam magnifique où le talent d'Urbain, Olivier et Manu expose littéralement, avec le soutien sans faille de Serge et Denis. Vient ensuite un moment de calme avec Wayfaring Stranger qui permet au six amis de mieux déployer une dernière fois leur énergie, au couleurs du bluegrass, avec le célèbre Orange Blossom Special qui laisse tout le monde sur les rotules. J'aurais aiméêtre là, c'est ce que chacun se dit au bout de ces soixante-dix-huit minutes de partage musical. Pour ma part, j'avais prévu d'assister à l'enregistrement prévu initialement, mais le destin en a décidé autrement
"Looking For The Words: Live at the U of H Coffee House – October 30,1970"
Si l'on m'avait dit qu'en 2025 je chroniquerais un album de Guy Clark, décédé il y a tout juste neuf ans, j'aurais doucement souri! Quelques chutes de studio ou maquettes ont bien été publiées, mais cela ne suffisait à donner matière à un texte. Mais lorsque j'ai vu ce Looking For The Words, enregistré en public en 1970 (je rappelle que Old No. 1, le premier LP de Guy n'est paru qu'en 1975), j'ai été intrigué et ma curiosité a été bien récompensée. Pour ce qui est de la qualité sonore, elle est excellente et cela malgré les vicissitudes survenues à l'enregistrement réalisé par John Kuntz ainsi qu'il le narre dans les notes du livret (seize pages richement documentées et illustrées). Pour ce qui est du contenu, la surprise est aussi grande qu'agréable. À côté des traditionnels Frankie And Johnnie et Rye Whiskey, des blues Corina Corina et San Francisco Bay Blues, des standards que sont Just Like Tom Thumb's Blues de Bob Dylan (qui avait lui aussi à son répertoire de jeunesse les deux blues précités) et These Days de Jackson Browne, le CD propose douze compositions du jeune Guy Clark. Œuvres d'un auteur-compositeur qui se cherche encore ou titres déjà mûrs, ces chansons présentent un point commun: elles n'ont jamais été enregistrées par Guy sur un de ses albums studio. On connaît juste Step Inside My House devenue Step Inside This House pour donner le titre à un double album de Lyle Lovett en 1998. Looking For The Words se déguste comme un tout, d'un seul trait. Qu'il s'agisse d'un Susanna à l'état d'ébauche (y compris pour le jeu de guitare) ou d'un Frankie And Johnnie survitaminé, de chansons plus abouties comme Raggedy Ann, Spring Thing ou Step Inside My House où l'on trouve déjà le Guy Clark que l'on aimera plus tard, on reste captivé tout au long de ce concert où l'authenticité domine. Et puis, découvrir des titres de la qualité de The Gypsy Boy, Wine And Cigarettes et surtout Looking For The Words, plus d'un demi-siècle après, c'est un plaisir dont il serait dommage de se priver. Guy finit ce show par Headed Back To California, une chanson qui n'est en rien prophétique puisque, dès l'année suivante, Guy et Susanna Clark allaient quitter le Texas pour Nashville où s'écrirait leur brillant destin.
L'espèce des songwriters n'est pas en voie d'extinction aux États-Unis d'Amérique. Beaucoup d'entre eux émergent sur le tard après une vie passée à travailler pour vivre, laissant en sommeil une passion toujours vivante. Il est bien dommage que certains ne se fassent jamais entendre en dehors d'un cercle restreint. Barry Oreck est de ceux-là. Originaire de Chicago et établi à Brooklyn, il a fréquenté Steve Goodman et Frank Hamilton dans sa jeunesse et à mené une carrière de chorégraphe dans la danse et le théâtre tout en continuant à écrire et chanter ses chansons dans un style qui défie les étiquettes. Il revendique comme influences Stephen Sondheim, Odetta, Steve Goodman, Tom Waits et Tim O'Brien. Il aborde des thèmes variés, personnels ou politiques, parle de l'amour et du vieillissement, de questions sociales et écologiques. Il a publié son premier album en 2016 et We Were Wood est son cinquième. Le groupe d'ami(e)s autour de Barry (guitares et chant), se compose de Jesse Miller (guitares et harmonies), Rima Fand (violon et harmonies) et Adam Armstrong (basse). Les dix chansons sont de la plume de Barry, trois ayantété coécrites avec Rob Meador. Elle sont toutes sur un même tempo calme et la voix riche et sensible de Barry vogue tranquillement sur des arrangements pleins de trouvailles où chaque musicien apporte sa pierre à l'édifice. C'est véritable travail de groupe dont la production est assurée par Barry Oreck et Bob Harris qui ajoute quelques touches de mandoline, percussion et claviers. Parmi les titres qui ressortent du lot, je citerai Build Me A City: The Ballad Of Robert Moses (Robert Moses est un peu à New York ce que le Baron Haussmann est à Paris), The Crabbit Wee Tailors Of Forfar, et surtout The Norris Dam qui évoque la construction d'un barrage dans le Tennessee avec le drame vécu par les familles qui ont été obligées de tout quitter pour laisser la place au progrès, l'eau noyant l'histoire et les souvenirs d'une région entière (le Lac du Der ou celui de Serre-Ponçon, chez nous, auraient aussi pu inspirer des chansons). We Were Wood se termine sur She Calms Me, une tendre chanson d'amour, belle conclusion pour un disque attachant
Gordie Tentrees vient du Yukon et Jaxon Haldane du manitoba et ont longtemps mené des carrières parallèles, Gordie était davantage connu comme songwriter et Jaxon comme multi-instrumentiste (aux côtés des Sadies, de Romi Mayes ou de Jon Spencer). Ils ne se sont rencontrés qu'en 2005 lors d'un pique-nique chez Fred Eaglesmith dans l'Ontario. C'était d'ailleurs leur dénominateur commun puisque Gordie a souvent assuré les premières parties de Fred alors que Jaxon était un ami de longue date et protégé de Willie P. Bennett, fidèle second de Fred, sur disque et sur scène. Les deux nouveaux amis ont tout naturellement eu envie de se produire ensemble, assurant plus de 1100 show ensemble lors de la dernière décennie (j'avais eu la chance de les voir à Nancy en novembre 2015), dans le même esprit de camaraderie et de qualité qui a uni Fred et Willie pendant leurs vingt-cinq années de vie musicale commune. S'ils avaient publié un album en public, intitulé Grit (voir Le Cri du Coyote n° 157 en juin 2018), Double Takes est leur premier disque commun en studio. Jaxon a écrit et chante en s'accompagnant à la guitare acoustique Franklin, Crystal, Drive Or Push, Bobbi & Gus et Nowhere Fast. Gordie a écrit et chante en s'accompagnant à la guitare acoustique Arcata, Time, Gratitude, Tinkering et Bygone Days. Jaxon y ajoute toute une palette d'instruments, comme guitare électrique, la lap steel, mandoline, scie musicale et banjo (ainsi que des harmonies vocales) alors que Gordie se contente d'ajouter harmonica et dobro sur Bobbi & Gus. Cela étant, et contrairement à ce que cette énumération pourrait laisser croire, il s'agit bien d'un disque commun dont l'unité n'est jamais mise en doute. Parmi les musiciens invités ou associés (et je n'omettrai pas de citer Shawn Fichter à la batterie et Steve Mackey à la basse), on trouve quelques noms légendaires comme Charlie McCoy à l'harmonica sur le bluesy Drive Or Push et sur Gratitude, Lucky Oceans (Asleep At The Wheel) à la pedal steel sur Time. Il y a aussi Tania Elizabeth au fiddle sur Bygone Days et Crystal. Bill Chambers (moins célèbre que sa fille Casey) est à la lap steel sur Franklin et son fils Nash produit le disque, ajoutant quelques percussions et un peu de melodica. C'est un album plein de musicienneté (ne cherchez pas dans le dictionnaire, c'est ma version française de musicianship), de talent, d'amitié, de mélodies et de voix qui touchent. Si jamais ces deux-là passent près de chez vous, n'hésitez pas, il en valent le plaisir. Et puis Jaxon, entre sa scie à archet et ses boîtes de cigares transformée en guitares, c'est un spectacle à lui tout seul.
La voix de l’ange est de retour. Notre ange à nous, les bluegrasseux. Alison Krauss revient au bluegrass, quatorze ans après Paper Airplane, son dernier album avec Union Station (Le Cri du Coyote 123). Dans l’intermède, elle ne nous guère offert que le très dispensable disque country Windy City en 2017 et le deuxième album avec Robert Plant en 2021. Looks Like the End of the Road, le premier titre d’Arcadia, est une valse qui débute par une rythmique de guitare toute simple. Pourtant, dès les premières notes, on sait que la magie va fonctionner. Il y a un son Union Station qui magnifie la voix d’Alison (à moins que ce soit l’inverse)… Toutes les rythmiques, tous les arrangements sont délicats et somptueux. Je ne vous épargnerai pas la comptabilité dressée par tous les amateurs de bluegrass depuis la sortie de So Long So Wrong en 1997. Oui, cette fois encore, il n’y a qu’un seul titre chanté par Alison avec Ron Block au banjo. Dans la mesure où les chansons sont plutôt graves, les thèmes douloureux, le dobro de Jerry Douglas et la guitare de Ron Block dominent logiquement les arrangements. Adam Steffey (un ancien Union Station) est en renfort à la mandoline sur deux titres. Alison est plutôt discrète au violon. Elle a habilement sélectionné le répertoire, de très jolies mélodies idéales pour sa voix, pour la plupart œuvres de compositeurs avec lesquels elle a déjà travaillé (Robert Lee Castleman, Jeremy Lister, son frère Viktor, Dan Tyminski). One Ray of Shine a une très jolie mélodie. Le chant est tour à tour délicat et puissant dans The Wrong Way, magnifiquement souligné par le dobro. La voix est d’une pureté incomparable dans There’s A Light Up Ahead. Et Alison chante évidemment tout aussi bien quand la chanson est menée par le banjo (Richmond on the James).
Il y a un changement notable dans Union Station (le premier depuis plus d’un quart de siècle). Russell Moore remplace Dan Tyminski, occupé par sa propre carrière solo, comme second chanteur. Tout le monde connait Russell Moore, une des grandes voix du bluegrass, élu 7 fois de suite chanteur de l’année par IBMA, à la tête du groupe IIIrd Tyme Out depuis plus de 30 ans (qu’il n’a apparemment pas l’intention de quitter), après avoir fait ses classes auprès de Doyle Lawson. Il a été le premier choix d’Alison Krauss quand il a fallu remplacer Tyminski. Il a le même genre de voix, un peu moins de puissance et d’agressivité peut-être. Alison lui a fait de la place puisqu’il interprète quatre des dix chansons. Ma préférence va aux deux titres avec banjo. Snow est une composition bien rythmée de Bob Lucas (dont AKUS a déjà enregistré plusieurs titres et chez qui New Grass Revival avait fait son marché dans les années 70). North Side Gal est un blues entrainant repris du chanteur rockabilly revivaliste JD McPherson avec un solo de banjo boogie. Granite Mills est une bonne chanson plus sombre qui rejoint davantage l’esprit des titres interprétés par Alison. On glisse encore plus dans la noirceur avec The Hangman et, pour tout dire, j’aurais préféré à la place une troisième chanson avec banjo. Malgré le remplacement (peut-être temporaire) de Tyminski par Moore, Arcadia est tout à fait dans la lignée des précédents albums d’Alison Krauss & Union Station. Pas de surprise, mais après avoir attendu quatorze années, c’est exactement ce qu’il nous fallait.
25 Trips, le précédent album de la mandoliniste et chanteuse Sierra Hull qui date de 2020 (Le Cri du Coyote 165) ayant été Cri du Cœur, A Tip Toe High Wire l’est aussi puisqu’en gros, c’est le même en mieux. En plus cohérent au moins avec des arrangements servis par une équipe réduite (Shaun Richardson - guitare, Avery Merritt - fiddle, Erik Coveney - basse, Mark Raudabaugh - batterie), de jeunes et talentueux musiciens encore peu connus bien que certains aient déjà accompagné des artistes comme Béla Fleck, Missy Raines, Dailey & Vincent, Tony Trischka ou Front Country. Pas de pedal steel, de claviers ni de violoncelle comme dans 25 Trips, et peu de guitare électrique (jouée par Sierra elle-même). Sierra a juste ajouté du banjo (Béla Fleck) sur un instrumental et son mari, Justin Moses (dobro) sur trois chansons. Il y a moins de digressions instrumentales également, ce qui n’empêche pas de brillantes interventions des différents musiciens. Les rythmiques sont très originales mais toujours efficaces. Le son de la mandoline de Sierra est magnifique, son jeu virtuose. Les sommets de l’album sont Muddy Water, à la fois rythmé et délicat et Spitfire, superbement chanté, un des deux titres que Sierra accompagne (très bien) à la guitare. Let’s Go a des influences Nickel Creek / newgrass alors que la ballade Redbird et Truth To Be Told nous rapprochent davantage de l’univers d’Alison Krauss (sans doute en partie à cause de la présence du dobro). Come Out of My Blues avec sa délicate rythmique en arpèges de mandoline et Boom ont de fortes influences blues. Parmi les deux instrumentaux, malgré la présence de Béla Fleck en duo avec la guitare électrique de Sierra dans E Tune, ma préférence va à Lord That’s A Long Way, original, virtuose et musical à la fois. Tous les morceaux ont été écrits ou coécrits par Sierra. Pas un titre faible dans ce très bel album, au point de rendre presque anecdotique la présence de chanteurs comme Tim O’Brien, Ronnie Bowman, Aoife O’Donovan et Lindsey Lou en harmonie vocale.
Jubilee a été inspiré à Becky Buller par la dépression qu’elle a vécu pendant le confinement. L’album contient dix titres mais dure moins de 25 minutes car cinq morceaux font moins de deux minutes, Prelude et Interlude plafonnant à une trentaine de secondes. C’est un album parfois grave mais jamais triste ni pessimiste. Mon titre préféré, Kismet, est même un instrumental entrainant, voire joyeux. Spiral, autre instrumental, est plus romantique. Aucune des quatre chansons n’est réellement marquante mais aucune n’est banale. Jubilee a été coécrit par Becky avec Aoife O’Donovan (elle a composé seule les autres morceaux) qui chante avec elle les refrains. Dans Woman, Becky s’accompagne avec un banjo old-time baryton qui amène de la gravité. Alone est construit sur une rythmique de mandoline newgrass (Wes Lee) et laisse de grands espaces aux solistes du groupe de Becky (Ned Lubercki - banjo; Becky - fiddle; Jacob Groopman guitare). Whale est un blues bien rythmé qui permet un des nombreux duos banjo-fiddle de l’album. Jubilee est un album atypique dans la discographie de Becky Buller et sans doute à conseiller en priorité à ses fans.
À l’initiative de Cathy Fink (qui a souvent composé avec Tom Paxton) et du songwriter Jon Weisberger, Bluegrass Sings Paxton propose douze chansons de Tom Paxton en version bluegrass par douze interprètes différents. La partie protest song du répertoire de Paxton n’est malheureusement pas reprise ici (ses chansons contre la guerre du Vietnam, le formidable Johnny Got A Gun sur la prolifération des armes) mais ce n’est sans doute pas celle qui s’adapte le plus facilement au bluegrass. Huit chanteurs sont accompagnés par une formation 5 étoiles réunie pour la circonstance: Kristin Scott Benson (banjo), Deanie Richardson (fiddle), Darren Nicholson (mandoline), Chris Jones (guitare) et Nelson Williams (contrebasse). Ils déploient tout leur talent pour donner des arrangements vraiment bluegrass à des chansons qui ne le sont pas. Les interprétations les plus remarquables à mon goût sont celles de Claire Lynch (I Give You The Morning) et Laurie Lewis (Central Square) grâce à la douceur de leurs voix qui convient bien à des titres qui sont, à l’origine, des ballades folk. On notera également l’interprétation remarquable du blues The Things I Notice Now par Alice Gerrard qui ne devait pas avoir loin de 90 ans au moment de l’enregistrement (c’est son âge aujourd’hui). The Last Hobo par Chris Jones n’est pas mal non plus. Leaving London (Greg Blake), The Same River Twice (Aaron Burdett, nouveau chanteur de Steep Canyon Rangers), Looking for the Moon (Sav Sankaran, bassiste de Unspoken Tradition) et Ramblin’ Boy (Danny Paisley) sont plus ordinaires.
Trois titres sont interprétés par des groupes constitués. Sister Sadie reprend sans grand brio The Last Thing On My Mind, la composition de Tom Paxton la plus populaire dans le milieu bluegrass (la version de Tony Rice est la plus célèbre). Depuis quelque temps, Tim O’Brien et son épouse Jan Fabricius composent régulièrement avec Tom Paxton (un album entier de leurs chansons devrait sortir courant 2025). Tim et son groupe interprètent ici une de leurs œuvres communes, le gospel You Took Me In, arrangé à la manière de Flatt & Scruggs avec la guitare en fingerpicking, mais avec le swing propre à O’Brien et une belle partie de fiddle de Shad Cobb. Autre chanson de Paxton parfois reprise par les formations bluegrass, I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound est chanté en duo par Tom Paxton lui-même et Celia Woodsmith, accompagné par Della Mae, le groupe de Celia qu’on pourra entendre à Bluegrass In La Roche l’été prochain. La voix de Celia est magnifique sur ce titre. Della Mae accompagne également Cathy Fink (banjo clawhammer) et Marcy Marxer (mandoline) dans All I Want, une compo de Tom et Cathy, intégralement chantée en duo par Cathy et Marcy. C’est un des tout meilleurs titres de l’album avec son tempo rapide et un joli solo de Kimber Ludiker (fiddle).
SHADES OF NIGHT
Après Bluegrass 43, les Cactus Pickers, Turquoise, les Banjomaniacs, Sanseverino (j’en oublie certainement), Shades of Night est la nouvelle aventure musicale de Jean-Marc Delon. Shades of Night est un duo formé de Jean-Marc (guitare, banjo) et Marie Sheid (contrebasse). Tous deux chantent. Pour ce premier EP (7 titres), ils ont décidé d’enregistrer dans les conditions de la scène, c’est-à-dire que Jean-Marc ne double pas banjo et guitare sur un même titre. Le répertoire est très orienté bluegrass puisqu’il y a trois compositions de Bill Monroe et deux traditionnels qui sont des classiques du genre. Les arrangements le sont moins parce que Jean-Marc ne joue du banjo que sur un titre. Ma préférence va aux deux morceaux les moins liés au bluegrass, très bien chantés par Marie. Pour Song for a Winter’s Night de Gordon Lightfoot, Jean-Marc, à la guitare, s’est inspiré de l’arrangement de Tony Rice. When You Come Back Down sonne folk, très différemment de la version originale qui est un des rares titres de la discographie de Tim O’Brien où on peut entendre un saxophone. Marie chante également Rocky Road Blues. Avec Jean-Marc elle interprète intégralement en duo I’m Blue I’m Lonesome et Rabbit in the Log. De son côté, Jean-Marc chante When the Golden Leaves Begin to Fall et Ain’t Gonna Work Tomorrow. Cette dernière chanson est la seule sur laquelle Jean-Marc joue du banjo et, personnellement, j’en aurais voulu un peu plus…