"One Step Away"
One Step Away est le premier album de Casey Penn, une jeune artiste qui se révèle être une très bonne chanteuse. Elle a certainement l’un des timbres les plus purs parmi les chanteuses bluegrass. Une voix claire particulièrement bien mise en valeur sur les tempos lents, le joli slow Dark and Desperate, la ballade Journey To Providence, la valse Oceans (ce sont trois des six titres qu’elle a écrits), la chanson country The Blade, et How To Bend où la voix est soulignée par un violoncelle. J’aime aussi l’esprit country qui anime Chasing Rainbows. Justin Moses (dobro, mandoline, banjo) et Jason Roller (guitare, fiddle) usent de leurs multiples talents au service de Casey. A cause de la proportion relativement importante de titres lents, ce sont surtout le fiddle et le dobro qui dominent les arrangements mais c’est le banjo qui mène We Go Together Like a Guitar and a Fiddle sorti en single avant l’album. Moses fait aussi une belle démonstration d’accompagnement de banjo sur une valse lente dans One Step Away. La voix de Casey Penn reste cependant l’atout majeur de ce premier album réussi.
Mighty Poplar est ce qu’on nomme (souvent à la demande des chargés de la promotion) un "supergroupe", une formation constituée de musiciens vedettes, ici les Punch Brothers Noam Pikelny (banjo) et Chris Eldridge (guitare), Alex Heargraves (fiddler de Billy Strings), le contrebassiste Greg Garrison (Leftover Salmon et ex-Punch Brother) et le mandoliniste Andrew Marlin. Ce dernier est certainement le musicien le moins connu des amateurs de bluegrass mais il s’est fait une solide réputation sur la scène americana comme songwriter, musicien et chanteur au sein du duo Mandolin Orange devenu Watchhouse en 2021. C’est autour de sa voix et du répertoire qu’il a choisi (uniquement constitué de traditionnels et de reprises) qu’a travaillé le groupe. Marlin a un style vocal très rare en bluegrass, très décontracté, une voix traînante, parfois presque fatiguée, plus proche de Leon Redbone que de Bill Monroe. Les musiciens se sont bien adaptés à son style. Le banjo est dynamique mais jamais clinquant (A Distant Land To Roam). C’est relax mais jamais mou (Up On The Divide). J’aime beaucoup l’adaptation du classique Blackjack Davy et de North Country Blues (Dylan). A cause du rythme rapide, Little Joe est le morceau qui ressemble le plus à du bluegrass classique. Parmi les six chansons interprétées par Marlin (et sur la totalité de l’album en fait), il me semble n’y avoir qu’une faute de goût : la reprise de Story of Isaac. Je ne reconnais rien de la mélodie composée par Leonard Cohen (Marlin semble l’avoir confondue avec celle de North Country Blues). C’est sans doute concevable au nom de la liberté artistique mais je ne pense pas que ce soit une réussite. Chris Eldridge interprète très bien, dans un style proche de celui de Marlin, Let Him Go Home Mama de John Hartford, légèrement swing. Garrison chante d’une voix plus douce Lovin’ Babe, un blues tranquille. L’arrangement est original (comme celui de Story of Isaac), sans solo instrumental bien que le titre dure près de six minutes, mais avec un entrelacs savant tissé par les différents instruments. De manière générale, Mighty Poplar a soigné les arrangements avec de nombreux passages en duo de Heargraves et Pikeny, notamment sur les deux instrumentaux, les traditionnels Grey Eagle (avec aussi un solo remarquable d’Eldrige) et Dr Hecock’s Jig. Ce premier album de Mighty Poplar est une œuvre singulière qui mérite d’être découverte.
"Across The Divide"
Joe Cicero (guitare), Alex Genova (banjo), Tommy Maher (dobro), Jesse Iaquinto (mandoline) et Carson White (contrebasse) sont originaires de Caroline du Nord et se sont rencontrés à l’université East Tennessee (dans le cursus bluegrass bien évidemment) mais on pourrait les croire du Colorado, tant Across The Divide les pousse vers le newgrass, davantage encore que Elements, leur précédent album (Le Cri du Coyote 165). Malgré la présence de quatre chanteurs différents (chacun interprète ses propres compositions), il y a un style Fireside Collective avec une voix lead qui surfe au-dessus d’arrangements fournis et travaillés où le dobro tient une part importante. Les deux titres interprétés par Maher se distinguent par l’écho sur sa voix, dans le newgrass Your Song Goes On comme dans le plus classique mais tout aussi percutant Blue Is My Condition. Jesse Iaquinto est le principal songwriter (et donc chanteur) de Fireside Collective avec cinq chansons. Le banjo est à l’attaque dans When You Fall ponctué de syncopes newgrass. Let It Ride est un blues funk porté par le dobro. And The Rain Came Down est un titre rapide bien arrangé, avec une bonne pulsation. Dans le même genre, j’aime moins House Into A Home. I’m Givin’ In est souligné par un motif de dobro. Joe Cicero signe les deux titres les plus calmes du disque dont une valse. Alex Genova a composé une autre chanson rapide, Rainbow In The Dark, bien arrangée, et Code Switch, seul instrumental de l’album. Chaque soliste y montre tout son talent mais c’est aussi le cas dans la plupart des chansons qui laissent une place importante aux interventions instrumentales. Un groupe à découvrir si vous aimez le newgrass qui déménage.
"The Wheels Won’t Go"
Cri du 💚
Hannah Shira Naiman est une artiste canadienne très influencée par la musique des Appalaches. Elle s’accompagne le plus souvent au banjo clawhammer et sa musique peut être définie comme du folk à base de old time. Elle joue aussi un peu de fiddle, de guitare et des percussions corporelles sur deux titres. Elle a composé dix des onze plages de l’album. L’originalité de ce troisième album tient en partie à ses compositions mais beaucoup aussi aux arrangements et à sa façon de chanter. C’est sa scansion très rythmée, complètement en phase avec son accompagnement au banjo qui donnent le bon groove à The Groose, Rosietta Gal ou au formidable Mary O’Mantansie. Hannah Shira chante très joliment les balades plus folk comme Vinegar Pie, Caroline Collins et Ones & Twos. Sa voix de tête apporte un charme particulier à The Wheels Won’t Go. Il y a de jolis passages à deux voix (avec Abigail Lapell) dans Oh The Mother et Winter. Côté arrangements, Hannah Shira a également beaucoup d’idées. La seule reprise, le classique Little Black Train est rythmé par un harmonica basse et les percussions corporelles. Il y a beaucoup de batterie et de percussions dans tout l’album, sans que ça vienne jamais gâter l’esprit folk/old time. Un peu de guitare électrique, une touche de piano aussi mais surtout un très inattendu cor d’harmonie qui se mêle parfois au fiddle, notamment dans Hartman’s Delight, le seul instrumental de The Wheels Won’t Go dans lequel Hannah Shira Naiman joue du banjo-gourde. The Wheels Won’t Go est certainement un album en marge de ceux chroniqués habituellement dans cette rubrique mais à côté duquel il serait dommage de passer. Personnellement, j’ai adoré.
BENSON
"Pick Your Poison"
Cri du 💚
Depuis 22 ans qu’ils sont mariés, Wayne Benson et Kristin Scott Benson sont un cas rare d’artistes bluegrass (très) réputés en couple menant leur carrière chacun de leur côté, Wayne avec IIIrd Tyme Out depuis 30 ans (une petite interruption de 3 ans pour accompagner John Cowan) et Kristin avec The Grascals depuis 2009 (après avoir joué avec Larry Stephenson et Larry Cordle). Ils n’avaient jusqu’à présent collaboré que sur les trois albums solo de Kristin. L’idée d’un disque en commun les travaillait depuis un moment. Le confinement lié au Covid leur a donné le temps de le réaliser. Pick Your Poison est un très bel album. Le son est vraiment excellent. Il y a trois instrumentaux, tous écrits par Wayne, parmi lesquels Conway et son gimmick entêtant pourrait bien se révéler l’instrumental bluegrass de l’année (The Fest of Rudy n’en serait pas loin non plus). Wayne (mandoline) et Kristin (élue 5 fois banjoïste de l’année par IBMA) sont accompagnés sur tout l’album par l’excellent Cody Kilby (guitare) et un bassiste (Paul Watson ou Jon Weisberger). Jim Van Cleve est au fiddle sur six titres et il y a un batteur ou percussionniste (Tony Creasman) sur l’instrumental Riverside et la plupart des chansons, très bien choisies par les Benson et interprétées par quatre chanteurs invités. Jamie Johnson, revenu récemment dans les Grascals après un long épisode dépressif, interprète très bien I’ll Follow The Sun des Beatles sur un superbe accompagnement. C’est le genre de ballade folk qu’un banjo peut gâcher et la performance de Kristin Scott Benson est tout simplement parfaite. Le fiddle qui relaie le solo de guitare est également magique. L’autre chanson marquante de Pick Your Poison est Oh Me Of Little Faith, une composition d’un chanteur chrétien (Matthew West) que les Benson ont tout simplement fait chanter par le pasteur de leur paroisse, Heath Williams. Il le fait si bien qu’ils lui ont également demandé d’interpréter deux chansons country, Livin’ In These Troubled Times de Crystal Gayle et Look At Me Now. L’arrangement de ce titre repris à Bryan White est assez fidèle à l’original (mais avec des instruments acoustiques). La batterie très sonore ne plaira pas forcément à tout le monde. Grayson Lane (un des fils de Shawn) chante deux titres. Il est efficace sur Icy Cold mais un peu juste pour What Kind of Fool, un titre de Becky Buller qui bénéficie d’une belle intro de Wayne Benson. Il faut un barnbunner dans tout bon album de bluegrass. Les Benson ont choisi d’accélérer le tempo de Red Mountain Wine, une vieille chanson de Gib Gilbeau (Flying Burrito Brothers) qu’ils ont apprise par Lost & Found. Elle est parfaitement interprétée par Mickey Harris, le fidèle contrebassiste de Rhonda Vincent. La maîtrise de Kristin Scott Benson sur ce tempo d’enfer est juste exceptionnelle. Wayne est excellent dans chacune de ses interventions. J’espère que les Benson ne mettront pas 22 ans avant d’enregistrer leur prochain album.
Eddie Ray BUZZINI
Tom Mindte, le patron de Patuxent Records, donne fréquemment leur chance à de jeunes artistes. Eddie Ray Buzzini, né en 2007, avait 15 ans à l’époque de l’enregistrement des douze titres de ce premier album. Il joue du banjo ou de la guitare selon les morceaux. Il n’y a que trois instrumentaux. Il joue Farewell Blues comme Scruggs avec un son qui était plus populaire dans les années 50 et 60 qu’aujourd’hui. Il est plus original à la guitare dans New Camptown Races et dans un titre jazz latino (Sunny Ray) qui vaut aussi par l’intervention du fiddler Patrick McAvinue. Eddie Ray chante lui-même huit chansons (il est bass vocal sur le gospel Daniel Prayed interprété par sa sœur Ida Rose) et c’est le problème de ce disque. Eddie Ray a un timbre très nasal, voire nasillard, qui n’est pas agréable, et il ne chante pas toujours très bien (I’ll Try Not To Care, une de ses trois compositions), ce qui est excusable étant donné son âge. C’est sur You’re No Good (de Jesse Fuller, l’auteur de San Francisco Bay Blues) qu’il s’en sort le mieux. Il y a de bons solos de David Knicely (mandoline) et Eddie Ray (banjo) dans Ragnarock, une autre chanson qu’il a écrite. Eddie Ray montre dans cet album qu’il a du talent mais ce premier enregistrement était certainement prématuré.
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