BÉLA FLECK "My Bluegrass Heart"
Certes, Béla Fleck enregistre régulièrement des albums. De la musique classique, de la musique africaine, du jazz ou du folk. Avec les Flecktones, avec Abigail Washburn, avec Chick Corea, avec Edgar Meyer. Mais pas de bluegrass ou quoi que ce soit qui s'en approchât depuis The Bluegrass Sessions en 1999. Il y a 22 ans ! Fleck considère My Bluegrass Heart comme le troisième volume d'une trilogie qui comprendrait aussi Drive et The Bluegrass Sessions. Pour moi, c'est tout autant la suite de Natural Bridge. On retrouve Béla Fleck dans un contexte purement bluegrass (ni batterie, ni claviers, ni électricité), entouré de vingt musiciens différents, pour un double album entièrement instrumental de dix-huit compositions sur dix-neuf titres (c'est copieux mais il y a vingt ans qu'on attendait). C'est bluegrass comme peuvent l'être les albums de Béla Fleck, c'est-à-dire penchant fortement vers ce que fut la new acoustic music. David Grisman est présent sur trois titres et My Bluegrass Heart est dédié à Tony Rice, guitariste des deux premiers albums de la trilogie. Tout est très beau dans ce disque. Les compositions de Béla Fleck ont de vraies mélodies, avec parfois plusieurs mouvements ou une progression dramatique crescendo (Charm School). Les arrangements sont très travaillés et l'interprétation virtuose. Vertigo, plein de triolets typiquement fleckiens rappelle Strength In Numbers (normal, il y a Sam Bush et Edgar Meyer). Béla Fleck a un jeu très original en chokes sur The Old North Woods magnifié par les fiddles de Stuart Duncan, Michael Cleveland et Andy Leftwich. Il y a beaucoup d'énergie et sans doute des parties (très bien) improvisées dans deux titres joués avec des musiciens plus jeunes, Billy Strings (guitare) et son bassiste Royan Masat, Chris Thile et le violoniste jazz et country Billy Contreras. Avec Tony Trischka et Noam Pikelny, il y a trois banjos dans Boulderlash. Joli duo banjo et pizzicato au violon (Contreras) sur Our Little Secret, un des deux titres proches de l'écriture de Jerry Douglas (présent sur dix plages). J'aime beaucoup la mélodie romantique de Round Rock avec le solo de guitare de Cody Kilby. Baptist Pumpkin Farm et Hunter's Moon rappellent les instrumentaux de Fleck il y a 30 ans. Il y a un joli motif de guitare entêtant dans Strider et des solos élégants de Molly Tuttle (gtr), Sierra Hull (mdo) et Leftwich (fdl). Us Chickens est un titre épatant basé sur un riff. Joli dialogue de Fleck avec les mandolines de Dominic Leslie et Sierra Hull sur le punchy Sour Grapes. Béla passe au banjo-cello dans Hunky Dory. Bum's Rush est un blues swingant avec Sam Bush qui fait du Sam Bush (il le fait très bien) et un original solo jazzy de Bryan Sutton. Je ne peux pas tout citer. My Bluegrass Heart est un formidable album. Il se clôt sur Psalm 136 joué avec délicatesse en duo par Béla Fleck et Chris Thile. (Dominique Fosse)
SANSEVERINO "Les deux doigts dans la prise"
Le précédent album (2019) avait été enregistré avec le groupe Tangomotán, passage inattendu (et réussi) par le tango. Où Sanseverino nous emmènera-t-il cette fois? Pour le cru 2021, on comprend dès le premier morceau Je n'en veux pas que ce sera électrique et énergique, avec un power trio gui-tarebasse-batterie de feu. François Puyalto (basse) et Stéphane Huchard (batterie) ont participé au projet dès la phase d'écriture et cosignent plusieurs titres. Musicalement, le disque prolonge Montreuil-Memphis (2017) où Stéphane Huchard étincelait déjà avec son style de batterie “New-Orleans” sur des morceaux blues-rock-rhythm & blues. Ici s'y ajoute une dimension funk (le groupe The Meters est la référence revendiquée), voire afrobeat. La combinaison basse-batterie de Puyalto et Huchard groove à merveille tout au long des 12 plages ; Stéphane Sanseverino s'éclate à la guitare électrique et on se régale de ses riffs ! Chez JJ Cale, le deuxième morceau, est un hommage au grand maître américain du laid-back, avec une section rythmique et une guitare parfaitement dans l'esprit et, en effet, "on sent le canapé danser sans bouger". Deux invités enrichissent la palette sonore : Xavier Tribolet a déjà travaillé à plusieurs reprises avec Sanseverino; cette fois il officie au synthétiseur de manière réjouissante; Frédéric Gastard joue du saxophone basse, apport insolite mais parfaitement intégré à l'ambiance. Sur Moi moi moi, par exemple, le résultat est vraiment étonnant à la frontière du funk et du prog-rock! Plusieurs textes font référence à l'actualité sombre, coups de gueule rageurs tels Craonne, Je n'en veux pas, Nein ou Au Medef. Mais on retrouve aussi l'ironie amoureuse dans Liquéfié, la peinture pittoresque de Ça boxe, l'introspection distanciée avec Les deux doigts dans la prise. Une écriture sans lieux communs. Les dix chansons originales sont complétées par deux reprises mémorables. Tout d'abord Les embouteillages, le premier (et seul !) tube de Sanseverino paru il y a déjà vingt ans. Le voici revisité en mode rock, il n'a pas pris une ride et va faire frétiller les auditeurs. Ensuite, Qui c'est celui-là (oui, Pierre Vassiliu !) qui subit une injection d'adrénaline et conclut l'album en beauté. (Alain Kempf)
WILD LEEK RIVER "Wild Leek River"
D'où vient cette Rivière du Poireau Sauvage? Cinq musiciens barbus ou moustachus descendus de la campagne du Vermont pour quérir un Cri du Cœur. Pas une seule ballade au compteur, le curseur est bloqué sur une musique dynamique qui alterne country-rock, honky-tonk, country rapides et même rock and roll. Mais pour reprendre son souffle Wild Leek River nous propose quand même trois ou quatre chansons un peu plus calmes. La pedal steel guitare est prépondérante sur tous les morceaux et la guitare est bien tonique. Un groupe local peut-être mais qui n'a rien à envier à bien des formations d'Austin. (Jacques Dufour)
ABBY POSNER "Kisbbe Ring"
Abby POSNER, qui écume la scène musicale de Los Angeles depuis seize ans, a publié deux disques (un EP et un LP) sous le nom d'Abby and The Myth. Kisbee Ring (indépendant) est le premier album qu'elle publie sous son nom et c'est une véritable révélation pour moi. Toutes les chansons ont été écrites, arrangées, interprétées et mixées par Abby. Certes, on entend aussi les voix Mary Scholtz sur Joshua Tree et de Ross Newhouse sur Wishing Well, titre sur lequel figure aussi le fiddle de M'Gilvry Allen, mais c'est tout. Pour le reste, on ne peut que rester confondu devant le talent de cette surdouée, aussi à l'aise dans un solo de guitare aux accents blues que dans un complexe riff de banjo inspiré par Earl Scruggs. Abby écrit aussi des musiques de film, chante bien des textes intelligents et qui incitent à la réflexion. Le morceau titre évoque une relation amoureuse qui menace de se terminer, Low Low Low traite de la dépression d'une manière originale. Blind Spots, hymne à la justice raciale, est inspiré par le meurtre de George Floyd alors que Wishing Well est né pendant la pandémie, période propice à la remise en cause pour beaucoup. "Au cours des dix-huit derniers mois, je suis passée par beaucoup de changements, et j'ai appris que la seule personne capable de me sauver est moi-même", dit Abby. L'écouter peut être salvateur pour nombre d'entre nous. (Sam Pierre)
ROOTS & DRIVE "Through The Years"
Le jeune groupe lyonnais commet là son deuxième opus et, si le premier était un bel album, celui-ci passe la vitesse supérieure car les dix chansons nous transportent dans une autre galaxie. Ce qui m'a le plus bluffé, au-delà de la maitrise avérée des instruments et des harmonies vocales, c'est le répertoire à 100% original. Le guitariste-chanteur, Patrick Peillon a composé (en anglais), 9 des 10 chansons, la dernière étant composée par Glenn Arzel et Fred Glas. Elles sont toutes le reflet des différentes expériences de la vie, ses joies et ses peines et sont toutes interprétées dans un style contemporain mais qui sait néanmoins garder ses racines (sic). Le banjo de Fred reste fidèle à son mentor, Sammy Shelor, Glenn Arzel prouve encore qu'il est LE mandoliniste sur lequel la France pourra compter aux prochains Jeux Olympiques et la gui-tare de Patrick s'envole telle un faucon (sic again), le tout ficelé rythmiquement par la contre-basse imperturbable de Jeff Pelosse. Parlons quelques instants des invités car les parties de violon de Simon Pierre et le DoBro de Manu Bertrand apportent tant au groupe qu'on en viendrait presque à regretter qu'ils soient "invités" en souhaitant qu'ils puissent intégrer le groupe à temps plein ! Claire Nivard et Mary Reynaud apportent également leur expérience vocale de très haute volée, pour des harmonies magiques, encore une fois. Au-delà de cet album, c'est toute la scène bluegrass française qui trouve ici sa juste récompense et si l'on pensait que cette musique n'attirait plus grand monde, on se trompait et c'est tant mieux! La relève est là, et bien là. Un Cri du Cœur pour ce bel album 100 % made in France pour une musique 100% américaine. (Philippe Ochin)
CHARLIE DANIELS "Duets"
Charlie Daniels nous a quittés en juillet 2020. Un an plus tard parait cet album constitué de seize duos. Le natif de Caroline du Nord n'et pas connu pour être un spécialiste de ce genre de partage du chant puisqu'en plus de quanrante ans de carrière il n'en a classé qu'un seul en l'an 2000, All Night Long, avec Montgomery Gentry. Je m'interroge: ces associations sont-elles réelles ou s'agit-il de traficages en studio comme Nashville l'a déjà fait, avec rajout de voix "invitées"? Dans le doute, considérons les chansons telles qu'elles sont et elles sont tellement bonnes que l'ensemble mérite un Cri du Cœur, même si aucune n'est typiquement country. Pourquoi cette distinction? Pour deux raisons. La première est que tous ces duos, exclusivement des reprises, sont particulièrement réussis à l'exception d'un instrumental longuet et sans grand intérêt joué avec Brad Paisley.La seconde est que l'on parcourt la musique roots américaine qui est la bannière de notre fanzine. La soul est représentée par deux titres, l'un joué avec Bonnie Bramlett et le second, plus surprenant, est une reprise du célèbre Jackson avec Gretchen Wilson. Le rock and roll est largement présent : What'd I Say avec Travis Tritt, Drinkin' My Baby Goodbye avec Montgomery Gentry, The South's Gonna Do It avec Keith Urban, enfin Southern Boy avec de nouveau Travis Tritt. Le bluegrass n'est pas oublié avec pas moins de trois titres : Maggie's Farm avec la Scruggs Family, Evangeline avec le Del McCoury Band et le rapide Daddy's Old Fiddle avec Dolly Parton. Quatre ballades quand même : The Night They Drove Old Dixie Down avec Vince Gill, Let It Be Me avec Brenda Lee, God Save Us All From Religion avec Marty Stuart et deux reprises de Long Haired Country Boy, l'une avec Brooks & Dunn, L'autre avec Hal Ketchum et John Berry. On trouve même la reprise d'un "vieux" Dylan avec Like A Rolling Stone partagé avec Darius Rucker. Cet album montre l'éclectisme et l'ouverture musicale de Charlie Daniels. (Jacques Dufour)
MARK GERMINO "Midnight Carnival"
Un secret bien gardé? C'est le moins que l'on puisse dire car son précédent album Atomic Candlestick date de 2006 et n'a pas vraiment fait la une des magazines. Mark GERMINO revient avec Midnight Carnival (Red Parlor Records) parce que c'est le moment opportun. Peu prolifique, mais exigeant sur la qualité, Mark donne raison à ceux qui ont eu la patience de l'attendre. Il écrit des folk songs suffisamment décents (c'est son expression) pour être publiés. Ses quatorze nouvelles compositions dépassent largement l'objectif. Entouré de Tom Comet (basse), Rick Lonow (batterie), Kenny Vaughan (guitares) et Michael Webb (claviers), Mark tutoie les sommets. Ajoutez-y quelques invités tels que Luke Bulla et Andy Leftwich (fiddle), Carlton Moody (voix) et Rusty Young (pedal steel), pour un de ses derniers enregistrements, écoutez des titres tels que Traveling Man, Peace Train, My Oh My ou Until The Fat Man Swings, et vous rejoindrez la (trop petite) cohorte des fans au premier rang desquels figure Iain Matthews. (Sam Pierre)
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