jeudi 16 juin 2011

Sweet Revenge, 16 juin 2011

Les artistes folk nord-américains parcourent l'Europe et, sans parler du Royaume-Uni où ils sont quasiment chez eux, ils ont une cohorte d'admirateurs aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Allemagne. En revanche, malgré leur désir de jouer en France, ils en trouvent rarement l'opportunité. La faute à qui? Certainement pas au Cinéma Jean Vigo de Gennevilliers qui propose chaque mois une affiche de qualité devant, malheureusement, une salle trop peu remplie. Le dernier concert de la saison, le 18 juin, présentera la Britannique Jancis Harvey avec Heather Joyce, Anglo-Canadienne et Parisienne d'adoption. Deux jours plus tard, un autre organisateur, qui ne manque pas de bon goût, vous propose d'entendre le 20 juin, les Canadiennes de Madison Violet qui se produiront au Sentier des Halles. Deux rendez-vous à ne pas manquer, avant la Fête de la Musique, pour mieux aborder l'été.




Madison Violet est un duo féminin composé de Brenley MacEachern et Lisa MacIsaac, qui chantent, composent et jouent de la guitare. Elle sont originaires de Nouvelle Ecosse, au Canada, et No Fool For Trying (True North Records) est leur troisième album. Depuis leurs débuts, elles ont évolué d'un style plutôt pop à un Americana du meilleur tonneau. Les amateurs de belles mélodies et d'harmonies vocales aériennes trouveront ici plus que leur compte. Madison Violet est sans doute le meilleur duo féminin en provenance du Canada depuis les sœurs McGarrigle avec qui on trouve beaucoup de points communs, notamment la qualité du songwriting. Pas de confusion cependant, Brenley et Lisa sont bien de leur temps, et l'on sent que leur folk s'est nourri à la source du rock. Les textes sont souvent autobiographiques, teintés de tristesse quand il s'agit d'évoquer des disparus comme le frère de Brenley (« The Woodshop »), tragiquement assassiné, ou Denny Doherty, des Mamas and Papas (« Hallways Of Sage »). Les guitares me font souvent penser à Neil Young dans ses moments acoustiques, la production de Les Cooper (qui joue par ailleurs de différentes guitares ou de claviers) est au dessus de tout reproche. Pour moi, les meilleurs titres sont ceux où Lisa sort son violon, parfois rejoint par la mandoline de Les ou le banjo de Chris Coole.





Au Canada toujours, David Francey vient de publier son neuvième album Late Edition (Laker Music). Ce natif d'Ecosse, à la voix chaude et aux textes pleins d'une humanité aux accents poétiques s'est entouré ici de véritables pointures: Kieran Kane (mandoline, banjo, guitare), Fats Kaplin (violon, accordéon, guitare), Richard Bennett (guitare, bouzouki) et Lucas Kane (fils de Kieran (batterie). Le titre de l'album est dû au fait que la plupart des titres ont été écrits en réaction à l'actualité, qu'elle soit personnelle, locale ou internationale. Comme d'habitude, avec David, on savourera la qualité des textes, la proximité d'un artiste que l'on écoute comme un vieil ami qui aurait écrit les chansons rien que pour nous. Mais le plaisir est aussi dans la richesse de la mise en son de cet album enregistré dans les conditions du live dans un studio de Nashville. On goûte les interventions de chacun des invités, sans réserve aucune. Un grand cru.




Bruce Cockburn, un autre Canadien, a lui plus de quarante ans de carrière et une trentaine d'albums à son actif. Il est respecté de tous, même si sa célébrité n'est que toute relative chez nous. Cinq ans après son dernier album studio, l'infatigable défenseur des causes nobles (paix, justice, écologie, démocratie), chanteur engagé s'il en fût, n'a rien perdu de sa pugnacité comme en témoigne Small Source Of Comfort (True North Records) et continue à parcourir le monde armé de sa guitare. C'est ainsi que l'Afghanistan lui a inspiré deux titres, « The Comets Of Kandahar » et « Each One Lost », le second étant dédié à deux jeunes soldats canadiens tués au combat. Du vécu! Sur le plan musical, Bruce a souhaité avec ce disque s'éloigner des sons noisy et des guitares saturées qui caractérisaient ses derniers enregistrements. On a donc ici affaire à une collection des titres plus folk, plus acoustiques dont la production a été confiée à Colin Linden, par ailleurs multi instrumentiste. Ceux qui connaissent la qualité et le talent de ce Monsieur ont sans doute déjà acheté le disque, les yeux fermés. Et je suis sûr qu'ils savent aussi quel guitariste, adepte du fingerpicking, est Bruce Cockburn, qui n'est pas seulement un songwriter. Les instrumentaux, au nombre de cinq, délicieusement teintés de jazz (grâce en particulier au violon de Jenny Scheinman), conférent à ce bel album l'aspect de bande son d'une tranche de vie, celle d'un observateur du monde et de ses turpitudes qui prend le temps de s'arrêter pour le faire point, de notre vie aussi, d'une certaine façon.








Emma Hill fait figure de gamine et, à vingt-trois ans, pourrait être la petite-fille du troubadour canadien. Après deux albums solo (le deuxième paru il y a quelques mois seulement), c'est sous l'appellation Emma Hill & Her Gentlemen Callers que cette native de l'Alaska nous propose aujourd'hui Meet Me At The Moon (Shut Eye Records / CD Baby). Le disque se situe cependant dans la droite ligne du précédent (Clumsy Seduction), plein de ballades folk indie ou alt country, où la guitare et la voix d'Emma sont agréablement soulignées par la pedal steel ou le banjo de Bryan Daste. L'ensemble est frais, mélodieux, les textes sont inspirés et poétiques, révélant au passage la grande maturité de cette jeune femme. C'est un disque qui plaira aux amateurs de Kathleen Edwards, de Caitlin Cary (Whiskeytown) ou des Be Good Tanyas, un disque qui a tout pour séduire, et qui y parvient. Le véritable challenge, pour Emma, sera de surnager dans un genre où les demoiselles de talent ne manquent pas.








Je n'avais jamais entendu parler de Cahalen Morrison & Eli West avant que l'on ne me donne à écouter The Holy Coming Of The Storm (Lucky Dice Distribution) et c'est une des belles révélations de l'année. Les amateurs de string bands et d'old timey ne peuvent qu'adorer, et ne s'en privent pas! C'est un véritable festival de Clawhammer banjo, bouzouki, mandoline, sans oublier quelques guitares, que nous offrent les deux compères avec le renfort de quelques amis dont l'excellent Matt Flinner, dont la virtuosité à la mandoline est appréciée des spécialistes. Quatorze titres, originaux à l'exception de deux traditionnels, nous embarquent dans cette Amérique, au son de cette musique qui est comme "un langage naturel qui provient d'un endroit où force et tendresse se rencontrent". C'est beau et c'est bien fait. Un disque rafraîchissant et vivifiant.








Tim Grimm est un songwriter et comédien qui a déjà derrière lui une belle carrière et quelques albums à la frontière du folk et de la country music. Ce chantre de l'Amérique rurale a cette fois-ci choisi de rendre hommage à un de ses glorieux aînés, un de ses maîtres en songwriting avec un album au titre explicite: Thank You Tom Paxton (Vault Records / CD Baby). Le disque, co-produit avec le guitariste Jason Wilber (habituel partenaire de John Prine, autre influence majeure de Tim) revisite douze titres de l'auteur de « Ramblin' Boy » ou « The Marvelous Toy ». Si ces deux standards sont ici absents, d'autres classiques reçoivent un nouvel habillage dont l'inoubliable « Last Thing On My Mind » (dont je collectionne les versions), « Fare Thee Well, Cisco » ou « How Beautiful Upon The Mountain ». Un bel hommage, avec évidemment les limites du genre, c'est à dire un répertoire totalement non original. Cela posé, c'est fait avec goût, talent et sincérité. Et Papy Tom (73 ans) mérite bien ce coup de chapeau, de son vivant.








Il est toujours question d'Amérique rurale avec Mark Jungers et son cinquième album studio More Like A Good Dog Than A Bad Cat (American Rural Records / CD Baby). Je vous avais déjà présenté Whistle This, son album live paru en 2009 (Xroads #27). Son nouvel opus confirme tout le bien que je pense de lui et si l'influence de gens comme John Mellencamp (tendance campagnarde) peut toujours être évoquée, on pense aussi, au long des treize titres de cet album, à Tom Petty et aux Traveling Wilburys, à la fois pour le timbre de voix et l'ambiance joyeuse et décontractée de l'ensemble. Mark est un artiste naturel qui a choisi de le rester, optant ainsi pour une technique totalement analogique qui met parfaitement en valeur l'esprit qui a présidé à la réalisation de l'œuvre (entièrement due à Mark). À l'exception de « Heel To Toe » de Phil Stevens, Mark Jungers a composé l'ensemble des morceaux, partageant l'écriture de deux titres avec Adam Carroll et d'un avec Owen Temple, deux beaux noms du songwriting texan. Je n'oublierai pas de signaler la présence (en plus de celle de son groupe The Whistling Mules) de l'excellente Susan Gibson pour quelques parties vocales du meilleur aloi.













Tokyo Rosenthal, ancien boxeur, a déjà eu les honneurs de ces colonnes avec Ghosts, son précédent album (Xroads #28). Son nouveau disque nous pose une question fondamentale: Who Was That Man? (Rocks & Socks Records / Hemifrån). Et qui est vraiment Tokyo Rosenthal? C'est en tout cas un artiste plein d'enthousiasme et de talent, un de ceux sur lesquels mise l'excellent Peter Holmstedt (avec son label Hemifrån). Le visuel du disque, inspiré d'une vielle série TV américaine intitulée The Lone Ranger donne une idée du contenu, porté par une instrumentation essentiellement acoustique où se distinguent le fiddle de Bobby Britt et la pedal steel de Allyn Love. La voix est toujours aussi chaude, les mélodies inspirées et le talent de raconteur d'histoires de l'ami Toke s'est encore affirmé. La section rythmique (Chris Stamey – qui co-produit – à la basse et Will Rigby à la batterie) assurent un tempo sans faille et l'unité d'ensemble qui faisait légèrement défaut aux opus précédents. Bref, c'est de la belle ouvrage, un album qui se fait rapidement une place dans les chaumières européennes. Toke Rosenthal sera d'ailleurs en tournée sur notre continent à partir de fin septembre et voudrait jouer en France (c'est même un besoin pour lui). Avis aux amateurs (et organisateurs).









Steve Spurgin est une légende. Sa carrière professionnelle approche le demi-siècle mais, avant de se mettre à la guitare folk dans les années 60, il avait découvert la musique par le piano classique et le cor anglais. Il a aussi joué de la batterie pendant une quinzaine d'années avec des groupes de rock ou de bluegrass électrique (avec Byron Berline notamment) avant de penser à une carrière solo. Ainsi naquirent Distant Faces en 1996, Tumbleweed Town en 2002 (avec, pour ne citer que les plus prestigieux des musiciens, Byron Berline, Chris Hillman et Herb Pedersen) et aujourd'hui Past Perfect (Blue Night Records), un disque enregistré avec des amis de grand talent, musiciens de bluegrass reconnus: Rob Ickes à la resonator et Adam Steffey à la mandoline sont deux noms qui suffiront à susciter l'intérêt des amateurs. Cela étant, si l'instrumentation est essentiellement bluegrass, on n'a pas ici affaire à une version intégriste du genre mais à un grand disque de singer-songwriter qui s'est paré des couleurs de l'herbe bleue. Des titres comme « Collar To The Wind » ou « The Light Of Reno » s'insinuent très vite en vous et la reprise de « Song For A Winter's Night » de Gordon Lightfoot finit de convaincre que Past Perfect est un grand disque, plein de talent et de chaleur humaine, un de ceux qu'on a envie de faire découvrir aux amis de passage. C'est d'ailleurs l'amitié qui a présidé à sa réalisation, et cela est plus que sensible à l'écoute.








Pour terminer, un disque qui appartient à la sous-rubrique download only et, là encore, il est dû à l'ami Joe Phillips qui cette fois nous propose l'album de Doc Merwin, It's Just Been Life (WildCat Recording). Andy "Doc" Merwin a 65 ans et il s'agit de son premier album solo, le couronnement – je l'espère – d'une carrière commencée à la fin des sixties. Doc a beaucoup joué pour les autres, a fait partie de quelques groupes, à traversé les hauts et les bas de l'existence d'un musicien rock et, pour la première fois, nous propose sa musique. Quatorze titres de sa plume, rien que sa voix et ses guitares (avec une apparition de Barry Marshall au saxophone): un festival de talent, une musique entre folk et blues toujours teintée d'une vitale énergie rock 'n' rollienne. Doc est l'un des guitaristes parmi les plus brillants et les plus inspirés entendus depuis longtemps et c'est quelqu'un qui a encore beaucoup de choses à dire. « J'ai donné à Joe Phillips, le producteur, presque assez de matériel pour deux albums, et j'ai écrit de nouvelles chansons depuis, c'est pourquoi j'éspère que vous serez sufisamment nombreux à acheter le disque pour inciter Joe à produire le second! ». Chiche?








C'est tout pour ce mois-ci, folkeux, et c'est déjà pas mal, comme dirait un ami!












1 commentaire:

  1. Cette rubrique aurait dû paraître dans le numéro de juin de Xroads qui, semble-t-il, ne verra jamais le jour...

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