"Sweet Memories: The music of Ray Price & the Cherokee Cowboys"
Ray Price a occupé une place à part dans la cohorte des héritiers directs de Hank Williams Sr. D’abord en récupérant pour ses premières années les Driftin’ Cowboys pour une perpétuation du son originel. Mais, à partir du milieu des années 50, Ray Price s’émancipe du maître avec l’invention géniale d’un shuffle caractéristique. Il fait alors coup double: il modernise le format honky tonk en le durcissant rythmiquement, ce qui lui permet de tenir la dragée haute au rockabilly, et pose les canons d’un format encore actif aujourd’hui. A la différence d’un George Jones déglingué ou d’un Merle Haggard repris de justice, Ray Price a toujours véhiculé une image de gentil garçon, loin des excès, affable et fragile. Son évolution stylistique, proche de celle d’un Eddie Arnold, le fait basculer à la fin des années 60 dans un crooning symphonique variétisant, où des mièvreries romantiques sucrées visent un public féminin vieillissant avec leur idole. Quelques années avant sa mort, il revient à des formes plus authentiques pour le grand plus bonheur des puristes. Sweet Memories est un hommage rendu à Ray et à sa musique. Vince Gill incarne à la perfection cette sensibilité délicate qui faisait la signature de Ray, tant par le registre vocal que le timbre. On sait que personne ne va retourner la table, ça tombe bien, on n’est pas là pour ça. Une sélection de 11 titres où l’on retrouve Weary Blues From Waitin' de Hank Sr., magnifiés par la parfaite pedal steel de Paul Franklin qui s’astreint à poser des back ups qui réussissent à moderniser les thèmes sans coller de façon mimétique aux arrangements originaux. C’est là que réside la difficulté du projet, trouver l’équilibre entre citation et créativité, réussir à porter la transmission du flambeau sans se cantonner à la copie servile. Le produit fini est parfait formellement. Ni trahison, ni paresse. C’est sucré-acidulé, ça glisse sans effort. J’ai pris plaisir à m’immerger dans le résultat. Une question reste cependant en suspens en ce qui me concerne. Ne sont pas visés les fans hardcore, qui iront toujours vers l’original et qui pourront dénoncer un mixage au son trop contemporain. Ne sont pas visés non plus les fans de Beyoncé ou Luke Bryan, musique de vieux jouée par des vieux. Même si le succès commercial reste confidentiel, on saluera la démarche d’hommage et de déclaration d’amour au patrimoine. (Éric Allart)
Jefferson NOIZET
Jefferson Noizet, alias Jean-François Vaissière, fait partie de ces gens heureux qui sont nés quelque part mais qui, contrairement aux imbéciles brocardés par Brassens, n'en conçoivent aucune supériorité. En cinq titres, Jefferson se contente de nous chanter avec talent cette terre où il vit et qui ne cesse de l'inspirer, ce Sud qui, d'ouest en est nous enchante de ses accents. Je vous invite à vous rendre sur le site Bandcamp de Jefferson pour écouter les chansons, ou simplement lire les textes qui, en eux-mêmes, méritent qu'on s'y arrête. Il y a un peu de Van Gogh dans Couleurs de ses rêves. Le peintre disait: "D'abord, je rêve mes peintures, puis je peins mes rêves", et ce qui est vrai pour le pinceau l'est aussi pour la plume. Il y a du Robert Zimmermann de Bob Dylan's Dream dans Devant un café. Dans Ma terre, "De calanques en vieux volcans, de lavande en tournesol, De gascon en provençal, de Jaurès à Pagnol", il y toute la magie des paysages et langues du sud. Dans Plus d'avant, plus d'après, où il est question de Monet, il y a "Juste un instant à célébrer… Juste la vie à savourer". Pour terminer, avec Bienvenue chez moi, Jefferson, où est-ce Jean-François, nous invite "Dans mon palais de bois, Loin des bruits d’en bas, D’un monde aux abois". Tout cela est beau sur le papier mais l'est encore plus mis en musique, avec le décor sobre des guitares de Jefferson et d'Oswald Rosier avec parfois dulcimer ou Weissenborn (Jefferson), celesta (Oswald) ou encore l'orgue de Jimmy Smith (Ma terre) ou la pedal steel de Dietmar Watchler (Bienvenue chez moi). Un album (EP) indispensable pour les amateurs de folk à la française et les passionnés de la langue de chez nous dans ce qu'elle a de plus beau.
"Sparrow"
Jeff Talmadge est un un gentleman du Sud, du Texas plus précisément. Né à Uvalde, pas loin de la frontière du Mexique, il vit aujourd'hui à Austin. Il a un passé de juriste et avait déjà quatre albums studio à son actif quand il a fermé son cabinet en 2003. Il manie l'élégance avec un naturel désarmant, aussi bien dans ses chansons que dans la vie de tous les jours. Son précédent album, Kind Of Everything, remonte à 2011, c'est dire qu'il ne nous inonde pas de ses compositions, et c'est bien dommage. Il a désormais huit albums studio à son actif, plus un disque en public enregistré en Allemagne où il jouit, comme aux Pays-Bas, d'une belle réputation. Si son précédent opus, produit par Thomm Jutz, faisait appel à de nombreux musiciens et vocalistes du cru, il s'est cette fois-ci entouré d'une équipe réduite: il a coproduit l'album avec Bradley Kopp (guitares, basse et voix) et J. David Leonard (muti-instrumentiste) et a juste fait appel, occasionnellement, à Benny "Bugs" Franklin (percussions) Carter Magnussen-French (voix), Grayson Petrucci (basse) et Jaime Michaels (voix). Ce dernier a co-composé Maybe Next Year, Bradley Kopp a fait de même pour l'instrumental Top Of The Hour, Jim Patton et Steve Brooks pour Devil's Highway.Le dix titres de l'album dégagent un sentiment de calme mélodieux, à l'ambiance acoustique, dominée par la guitare de Jeff. La poésie est omniprésente, quel que soit le thème abordé, qu'il s'agisse de Night Train From Milan, de If I Was A Sparrow, de l'enlevé Katie's Got A Locket ou du délicat The Sound Of Falling Snow. La rumeur dit que Jeff a enregistré l'équivalent de plusieurs albums jamais publiés au cours des dernières années. Si vous vous donnez le plaisir d'écouter Sparrow, je suis sûr que vous serez nombreux à espérer qu'ils fassent surface un jour.
"I've Seen A Lot Of Highway"
Je ne connais Billy Don Burns que depuis une dizaine d'années mais notre homme (soixante-quinze ans) est sur le pont depuis plus d'un demi-siècle. Il a débarqué à Nashville en 1972, son premier disque, Ramblin' Gypsy, produit par Porter Wagoner, date de 1982 et, à côté de ses propres compositions, il y reprenait deux titres de Hank Williams. Cela donne un bon aperçu de ce qu'est Billy Don Burns, un outlaw, un guerrier de la country music. Son visage buriné et marqué par des années d'excès en tous genres évoque pour moi Calvin Russell, dont Romain Decoret a récemment écrit un portrait pour Le Cri du Coyote. L'homme, qui ne connaît pas les compromis, laisse ses chansons parler pour lui-même et l'on peut aussi évoquer la liste (non exhaustive) de celles et ceux qui ont repris ses compositions: Willie Nelson, Johnny Paycheck, Tanya Tucker, Connie Smith, Mel Tillis, Sammy Kershaw et, parmi les plus jeunes, Cody Jinks, Colter Wall, Whitey Morgan et d'autres. Autre signe du respect que lui porte la nouvelle génération, les invités qui viennent chanter avec lui sur le nouvel album: Shooter Jennings sur Neon Circus, Cody Jinks sur I'Ve Seen A Lot Of Highway, Whey Jennings sur I Went Crazy, Wes Shipp sur You Can't Change Me ou encore The Storey Boys sur Satan Is A Son Of A Bitch. L'album est dédié à l'ami de Burns, Mack Vickery, décédé en 2004, et dont on peut entendre une co-composition, That's When I Knew. Il évoque aussi Mack et l'écriture de cette chanson dans Mack Story, titre parlé, nous ramenant à l'époque où la cocaïne était leur quotidien sur la route. S'il n'a pas eu la médiatisation de Waylon Jennings ou même de Steve Young, Billy Don Burns appartient à la même famille musicale et perpétue avec I've Seen A Lot Of Highway le mouvement outlaw, un terme galvaudé mais qui, avec lui, retrouve tout son sens. Il y est question de la route et de ses excès, des rencontres et des galères. Une vie dure, certes, mais pas question de se plaindre: Born To Ride, Motel Madness et Don't Cry For Me, comme la chanson titulaire, résument bien ce qu'est la vie du musicien sur la route, où la folie n'est jamais bien loin (I Went Crazy, Talk About Crazy). Ne passez plus à côté de cet artiste (pour Billy Joe Shaver: "Un ami pour toujours. Billy Don est sage au-delà de son âge. Un grand auteur. Un grand homme. Un leader dans tous les domaines. Le meilleur homme à avoir à vos côtés, quelle que soit la dangerosité de la situation"). Achetez ce disque plein de chaleur dont Billy Don dit qu'il a été réalisé sous le signe de l'amitié et de l'amour, concluant ainsi: "Ma vie a été merveilleuse, elle n'a pas été facile, mais elle a été merveilleuse. J'ai rencontré la plupart de mes héros et plusieurs d'entre eux ont enregistré mes chansons. Et si je mourais ce soir, j’aurais eu une belle vie".
"California Son"
Originaire de New York, éduqué musicalement au son du jazz, Ted Russell Kamp peut se revendiquer un California Son puisqu'il vit à Los Angeles depuis 24 ans. Il a souvent collaboré avec Shooter Jennings en tournée, jouant de la basse au sein de son groupe. Pour cet album, il a plus ou moins repris la même équipe et les mêmes studios que pour Down In The Den paru en 2020. L'ambiance est résolument californienne, et l'on entend des sons qui évoquent Jackson Browne et les harmonies des Beach Boys, des Byrds ou Eagles. California Son, la chanson, est une véritable lettre d'amour de l'artiste à son état d'adoption et à ses lieux et artistes mythiques. Pour mieux enfoncer le clou, Ted interprète Shine On, co-écrit avec deux membres du groupe I See Hawks In L.A., Robert Rex Waller (voix) et Paul Lacques, récemment décédé (guitare), présents ici comme Paul Marshall (voix et guitare). Il y a des accents de la Cosmic American Music chère à Gram Parsons. On retrouve le Ted Russell Kamp qu'on connaît dans des titres comme Firelight et Ballad Of The Troubadour et l'on pense à Tom Petty lorsqu'on entend Hard To Hold, The Upside Down Of Downslide ou Every Little Thing. Il y a aussi un autre titre remarquable, Hangin' On Blues, interprété par Ted avec pour seul accompagnement ses lignes de basse caractéristiques et enchaîné de belle manière avec le rock Roll Until The Sun Comes Up. L'album est lumineux et Ted confirme qu'il est un multi-instrumentiste de talent (basse, guitares, dobro, Hammond, Wurlitzer, percussion), ce qui ne l'empêche pas de faire appel à de nombreux amis (10 guitaristes par exemple). Il se confirme également comme un auteur-compositeur et interprète de grand talent, ce que l'on n'avait peut-être pas assez souligné jusqu'à présent.
Heather LITTLE
"By Now"
Heather Little fait partie de ces autrices-compositrices respectées par leurs pairs mais qui ne se sont pas encore fait un nom en qualité d'artistes à part entière. Il est vrai qu'elle n'a publié à ce jour sous son nom, après plus de vingt ans de carrière, qu'un album de huit titres,Wings Like These, paru en 2013, ainsi qu'un disque live enregistré au légendaire Old Quarter de Galvestone et paru sous le titre Live Sessions Vol. 2 en 2022. On connaît notamment Heather pour avoir écrit avec et pour Miranda Lambert, et l'on retrouve sur By Now le titre Gunpower & Lead que Miranda avait popularisé dès 2007. Heather n'avait pas l'intention de l'enregistrer elle-même, mais elle a fini par le faire sur l'insistance de sa consœur Van Plating, armée de son violon magique, qui l'interprète avec elle, en conclusion du disque. La confiance des amis de Heather fait de By Now une grande réussite, et la listes des invités qui viennent pour un duo est édifiante: Rusty Van Sickle pour Five Deer County, Patty Griffin pour Hands Like Mine (avec l'accordéon de Stefano Intelisano) et This Life Without You, Leslie Thatcher pour Razor Wire (ici, c'est le violoncelle de Mai Bloomfield qui se distingue), Ronnie Bowman pour Better By Now, Crystal Bowersox pour Saint Christopher. La liste des musiciens présents est impressionnante et témoigne bien de l'estime dont jouit celle qui endosse ici le costume de chanteuse, armée de sa guitare acoustique. Pour ne citer que les guitaristes, on croise au fil des plages Frank Swart, Audley Freed, Duke Levine, Kevin Barry, Jared Tyler, John Jackson et Russ Pahl (pedal steel). Il faut souligner que ces derniers (et les autres) ne sont présents que pour mettre en valeur la vedette du jour et ses mélodies inspirées et inspirantes. Le disque est éclectique, abordant différent styles. Ainsi la tendre ballade California Queen, succède à un morceau pop-rock, Transistor Radio. Il y a aussi l'émouvant My Father's Roof avec pour supports nostalgiques le piano de John Deaderick et la trompette de Kami Lyle. Heather Little dit en souriant qu'il lui a fallu quarante-six ans pour réaliser ce disque brillant. Je suis prêt à parier qu'il va lui conférer une renommée qu'elle n'avait pas vraiment cherchée jusque-là. Ses talents d'écriture brillent, mais sa voix, avec ce côté vulnérable qui la rapproche de Patty Griffin, force le respect et l'attention. Pour moi, et c'est un véritable compliment, ses talents la rapprochent de ceux de Gretchen Peters qui est mieux qu'une référence.
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