"Dreams For Sale"
Theo et Brenna McMillan sont frère et sœur, une association plutôt rare parmi les duos bluegrass. Ils chantent et composent tous les deux. Theo joue de la guitare et Brenna du banjo. Ils ont enregistré leur premier album, Dreams For Sale (il y a eu un EP en 2019) avec leur groupe, la mandoliniste et chanteuse Mary Meyer, le contrebassiste Evan Winsor et Maddie Denton qui doit avoir un agenda bien chargé puisqu’elle est aussi la violoniste de East Nash Grass et Dan Tyminski Band. La musique de Theo & Brenna pourrait être qualifiée de softgrass ou folkgrass, principalement à cause de la voix douce des deux chanteurs. Trop douces parfois, surtout quand on compare leurs reprises de I Can Hear Kentucky Calling Me et Red Dirt Girl à des versions de référence (Osborne Brothers et Emmylou Harris respectivement). C’est également sensible mais moins gênant sur leurs compositions, surtout quand elles sont countrygrass (Dreams For Sale) ou folk (Burn Down The Sun). Il y a trois belles réussites dans cet album. La première est une surprenante reprise de Be My Baby des Ronettes chantée par Brenna à laquelle l’harmonie vocale de Mary Meyer apporte beaucoup. Kodachrome de Paul Simon est le titre que Theo chante le mieux et il y a un bon arrangement avec le banjo staccato et de belles parties de fiddle. Enfin, Wildflowers In Eden est une ballade folk écrite et chantée par Theo avec un bon groove (eh oui, il y a du folk qui groove), une jolie mandoline et des chœurs féminins. Pour les amateurs de softgrass (ou folkgrass c’est comme on veut).
"Rhinestone Revival"
J’avais bien aimé All Suited Up, le précédent album de Kody Norris Show (Le Cri du Coyote 169). Je trouve Rhinestone Revival moins réussi. La recette est pourtant la même. Du bluegrass plus que classique porté par la voix du guitariste Kody Norris. Le groupe est inchangé avec son épouse Mary Rachel (fiddle), Josiah Tyree (banjo) et Charlie Lowman (contrebasse). Comme sur le précédent disque, Jason Barie joue plusieurs titres en double fiddle avec Mary Rachel et c’est encore Darin Aldridge qui produit. Le groupe privilégie les tempos rapides qui mettent en valeur le bon style Scruggs de Tyree mais les mélodies sont trop simplistes ou chantées trop platement (Please Tell Me Why et Let All The Girls Know You’re A Cowboy notamment) et les parties de fiddle sont vraiment standard. Deux titres se détachent néanmoins. Baltimore I’m Leaving est une des quatre compositions de Kody Norris et c’est un des titres qu’il chante le mieux sur un bon accompagnement boogie de Tyree. Il y a un bon esprit rockabilly à la Johnny Cash dans Looking At The World Through A Windshield, trucksong country de Jerry Chestnut bien arrangée en bluegrass.
"Celebrants"
La sortie d’un nouvel album de Nickel Creek est d’autant plus surprenante qu’il n’était pas évident que le groupe existât toujours. L’album précédent, A Dotted Line en 2014, semblait déjà une résurgence après le long hiatus qui avait suivi la sortie de Why Should The Fire Die en 2005 et la mise en sommeil du trio après la publication d’une compilation et une tournée d’adieu en 2007. D’autre part, l’agenda de Chris Thile était bien rempli avec les Punch Brothers, l’animation d’une émission de radio et de nombreuses collaborations. Sara et Sean Watkins ont mené une carrière solo chacun de leur côté mais ont également enregistré et joué ensemble sous le nom de Watkins Family Hour et Sara s’est payé un joli succès avec son trio de filles, I’m With Her. Celebrants n’aurait peut-être pas vu le jour sans le confinement lié à l’épidémie de Covid qui a donné du temps libre aux trois musiciens. Ils décrivent l’élaboration ce cet album comme un processus créatif continu, l’écriture d’un morceau en entraînant un autre. Je suis souvent très réservé sur ces discours présentant, à leur sortie, des disques comme un "grand tout" conceptuel mais il est vrai qu’il y a une unité dans cette somme de dix-huit titres grâce à quelques redondances (ça n’a rien de péjoratif) dans les mélodies et une instrumentation resserrée: la mandoline de Chris, le violon de Sara, la guitare de Sean, leurs voix et la contrebasse de Mike Elidonzo. Juste des claps de mains et de bottines sur le premier titre pour tout gimmick. L’unité revendiquée de Celebrants n’empêche pas que l’auditeur peut avoir une appréciation très variable des différents titres. On retrouve dans la moitié des morceaux cette complexité tortueuse de passages lents succédant à des tempos rapides, de montées crescendo suivies de plages calmes qui caractérisent aussi la musique des Punch Brothers, et j’avoue ne pas en être trop amateur. Il y a des clients pour ce style de musique, sans doute les mêmes qui, au début des années 70, préféraient le rock progressif de Yes ou de Genesis (période Pete Gabriel) à celui des Rolling Stones ou Creedence (seul Pink Floyd fédérait tout le monde). Il y a bien entendu des passages très bien joués dans ces titres et les écoutes répétées font qu’il m’arrive d’apprécier To The Airport chanté par Chris ou l’instrumental Going Out mais, parmi ces constructions plus complexes, il n’y a guère que New Blood interprété par Sara que je trouve vraiment intéressant. Ma préférence va aux titres plus simples, des rocks (Strangers, Where The Long Line Leads) et un blues (Thinnest Wall) chantés par Sara, et une chanson presque pop interprétée par Sean (Stone’s Throw). Chris chante Celebrants qui ouvre l’album. Dans le doux Holding Pattern accompagné par un joli arpège de guitare, on constate avec plaisir que, pour une fois, il utilise sa voix dans son registre le plus grave et c’est très agréable. Les chœurs étoffent partout des arrangements travaillés où chaque musicien brille tour à tour (Sara dans New Blood, Chris dans Strangers notamment).
Andy LOWE
"Nervous Energy"
Les trois albums des Deer Creek Boys (Le Cri du Coyote 149, 156 et 162) se distinguaient par les qualités musicales de ses membres, en particulier le style Scruggs dynamique du banjoïste Andy Lowe. Les Deer Creek Boys sont inactifs depuis deux ans et c’est sans doute la raison de cet album solo. Andy Lowe s’est entouré de musiciens brillants qui ont été membres de Mountain Heart (le fiddler Jim Van Cleve), de Volume 5 (le guitariste Jacob Burleson) ou de ces deux formations (le mandoliniste Aaron Ramsey et le dobroïste et bassiste Jeff Partin). Bien que Andy Lowe ne chante pas lui-même, il y a neuf chansons parmi les douze titres de Nervous Energy. Il ne compose pas non plus mais fait preuve de beaucoup d’audace dans le choix de son répertoire. Zip-Lock est un titre d’un groupe punk, Lit, chanté par Zack Arnold (du groupe de Rhonda Vincent) dans un arrangement tout ce qu’il y a de plus bluegrass et vraiment réussi. De même, Mountain provient du répertoire du groupe rock alternatif Tonic. C’est un blues très bien chanté par Josh Shilling (autre connexion avec Mountain Heart). Bonne interprétation également de Drop Dead Gorgeous d’un autre groupe rock alternatif (Republica) par Amanda Cook. L’original plutôt brutal est transformé en sucrerie masochiste avec des accents tantôt 50s, tantôt 70s, par la voix d’Amanda, le banjo classique d’Andy Lowe, un bon dobro bluesy et une intro de mandoline newgrass. Une partie du répertoire est plus classique, notamment ma chanson préférée de l’album, le traditionnel Barbry Allen, très prenante grâce à la voix de baryton d’Aaron Ramsey et un arrangement que ne renierait pas Blue Highway. On retrouve l’influence de Blue Highway dans On The Lonesome Wind pourtant tiré du répertoire de Del McCoury. Les autres chansons sont moins intéressantes mais le gospel (rien qu’un poil moralisateur) Holiday Religion (Reno & Smiley) est bien foutu. Parmi les trois instrumentaux, Boatman Stomp est un traditionnel rarement joué mais guère original qui vaut cependant par les prestations de Lowe et Van Cleve. Je n’ai trouvé pas judicieux d’enregistrer une version instrumentale bluegrass de Jamaica Farewell mais elle permet à Lowe de montrer sa science du jeu en accords. L’instrumental qui ressort est Uptown de Tom McKinney, bon banjoïste des années 70, surtout célèbre pour avoir inventé le capo qui porte son nom et qu’utilisait Tony Rice. Tous les musiciens sont brillants dans Uptown, Andy Lowe se distinguant par l’utilisation de "chokes". Nervous Energy ravira tous les amateurs de banjo Scruggs mais l’album est aussi intéressant pour la performance de l’ensemble des musiciens et l’originalité du répertoire.
"Living In The South"
Starlett Boswell et Big John Talley ont joué du bluegrass chacun de leur côté pendant de nombreuses années avant de former ce duo en 2019. Living In The South est leur deuxième album. Ils ont écrit ensemble six des quatorze chansons. Starlett a une jolie voix toute droite, sans aucun vibrato. C’est elle la chanteuse principale du duo. Elle interprète notamment le gospel Safely In The Arms of Jesus et les trois meilleures compositions du duo, la ballade Quit Quittin’ You, le joli blues Livin’ In The South et surtout Clean Slate, un bluegrass classique avec un excellent groove. Accompagnée par la seule guitare de Big John, elle reprend Deepening Snow, chanson popularisée par Connie Smith et Tammy Wynette. C’est sur les reprises que Big John se montre le plus à son avantage, Back Away Little Heart des Dixie Gentlemen et Makeup and Faded Blue Jeans de Merle Haggard. Toutes les chansons et ce dernier titre en particulier sont remarquablement bien accompagnés par le fiddler et producteur de l’album Ron Stewart, le mandoliniste Jonathon Dillon (du groupe de Jr Sisk) et le banjoïste David Carroll, tous excellents. Big John est un bon guitariste. Starlett les accompagne à la contrebasse. Sans procurer de frisson particulier, la voix de Starlett et celle de Big John, assez nasillarde et puissante, s’accordent bien sur tous les refrains et les deux titres chantés en duo, Makin’ Tracks To Macon et un classique de Hank Williams, Settin’ the Woods on Fire.
"Undertow"
The Magpies est un trio anglais qui a été fondé par Bella Gaffney et la violoniste Holly Brandon. La troisième musicienne change régulièrement. Lors de l’enregistrement de ce second album, il s’agissait de Kate Griffin qui alterne banjo old time et guitare avec Bella (elle a depuis laissé sa place à Ellie Gowers). Le répertoire est principalement constitué de chansons écrites par Bella ou Kate et d’instrumentaux composés par Holly. Pour ce disque, elles sont accompagnées par le contrebassiste Mark Waters. Les instruments joués par les membres du groupe lui donnent bien entendu une couleur old time prononcée, mais les chants ramènent davantage The Magpies dans le camp du folk, surtout quand c’est Bella qui chante. Elle a une voix haut perchée, presque éthérée mais jamais vaporeuse (Pass Me By, Undertow), très agréable. Il y a davantage de punch dans l’interprétation de Kate (Now & Then, If Time Were Money). Les harmonies vocales donnent beaucoup de charme à toutes les chansons. Holly Brandon est une excellente violoniste, inventive dans l’arrangement des chansons et auteure de deux bons instrumentaux, Colin’s Set et Solstice qui a des accents celtiques. A côté des bonnes compositions de Bella et Kate (Fall On My Knees, Galileo), il y a une très intéressante version du traditionnel I Never Will Mary et une superbe adaptation de Sweet Dreams, le tube du duo pop Eurythmics entièrement chanté en trio. Une chanson dont on n’attendait certainement pas une version old-time folk mais qui est pourtant une des nombreuses réussites de ce joli album.
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