Malgré les innombrables propositions d’internet, les clips et la consommation musicale en ligne, il reste heureusement des amateurs de disques exigeants et cela permet la continuation d’une production de CD de qualité, comme ceux du label Bear Family, désormais promus directement en France, comme ces exemples récents:
"The Elvis Presley Connection Vol. 4"
(Sous-titre: 28 Roots and Covers of Elvis Presley)
Pas un jour sans Elvis, pas un mois sans une nouvelle sortie depuis son envol céleste en 1977 ! La réserve semble fantastique et inépuisable, avec un sens du marketing qui n’en finit plus de proposer “l’indispensable” version que tout fana a envie de posséder. Mais, à côté des reprises de concerts et les montages à thèmes, et en attendant une éventuelle résurrection du King (?) on exploite aussi l’entourage esthétique, comme ici avec des versions peu connues de chansons dont il a fait des succès. Comme toujours avec Bear Family, le livret et la mise en sons possèdent les qualités qui réjouissent tout collectionneur. Reste à savoir qui a envie d’écouter les 28 pistes qui ont inspiré le King. Je parie que les fans préféreront souvent la version d’Elvis, mais l’écoute des originaux, ou des interprétations diverses, apporte un intérêt à la fois esthétique (une majorité de belles plages sonores) et historique (ce qu’on écoutait en cette époque souvent mythifiée par l’histoire musicale). Avec, entre autres, les qualités de Jerry Reed, Charlie Rich, Don Gibson, Ray Charles, Conway Twitty, Mac Davis, Bob Luman, Bobby Bare, Mark James, Johnny Tillotson, Neil Diamond etc. Bref, une belle collection de voix et d’artistes majeurs, qui forme un album de fan pour les fans et musicologues curieux, ce qui englobe sans doute une bonne partie de nos amis coyotesques 😏
(Bear Family BCD 17760, 2025) www.bear-family.com
"On The Prowl With The Wolf"
(Sous-titre: 32 Growling and Howling Tracks with the Wolf, about the Wolf and How to get along with the Wolf! Happy Prowling Everybody).
Le loup porte en soi toute une mystique, de la peur à la fascination, et l’animal (réel ou symbolique) a inspiré bien des auteurs de chansons, et pas seulement pour les enfants. D’ailleurs le “loup est à notre porte” -chanté par Howlin’ Wolf (sic) aux côtés de Leon Payne, les Maddox Brothers (excellents) Amos Milburn, Ray Harris, Sam The Sham (bien aussi), Bunker Hill, The Anderson Sisters, Elvis Presley (ici avec le moins courant Wolf Call) et bien d’autres artistes, encore connus ou non de nos jours. Trente-deux titres réunis par ce thème (le mot Wolf faisant le lien en étant inclus dans le titre des chansons) qui passent de la séduction de l’animal à la métaphore et servent aussi bien les sentiments de crainte que l’état psychologique des transis d’amour. Une belle idée de thème pour réunir des enregistrements issus de divers labels parfois restés obscurs, mêlant un peu tous les styles (country, blues, rock ’n’ roll des années 50 et 60). Un livret de 26 pages joliment illustrées permet d’apprivoiser les divers aspects esthétiques de l’animal, sans oublier des figurations humoristiques (Tex Avery a marqué plus d’une génération!). Ainsi plus personne n’a peur du grand (gentil) loup quand il pousse son chant, et grands et petits peuvent profiter pleinement de ses échos musicaux! (Bear Family BCD17762, 2025)
"That’ll Flat… Git It! Vol. 49"
(Sous-titre: Rockabilly & Rock’n’Roll from the Vaults of Columbia & Epic Records)
Bear Family n’en finit pas de piocher dans les archives, et de proposer des enregistrements quasi inconnus, comme ici de Bill Craddock, Ronnie Self, Onie Wheeler, Werly Fairburn, Johnny Hicks, ou Charlie Adams et Jim Burgett, des noms qui ne parleront peut-être qu’aux mordus du genre. Certes tout n’est pas aussi prestigieux que les grands aînés restés dans les archétypes du rockabilly, mais cette profusion témoigne d’une belle énergie auprès d’un public qui se déhanche avec une délectation parfois juvénile ou, de nos jours, la nostalgie de son adolescence avec les différents “revivals” qui émergent plus ou moins régulièrement au cours des ans. Ce disque de rockabilly ravivé propose des petites perles moins connues de David Frizzell, Johnny Bond ou Little Jimmy Dickens, à côté des grandes stars comme Johnny Horton, les Collins Kids et bien sûr Carl Perkins. Au total 26 titres dont une majorité mérite une attention bienveillante. Un petit morceau d’histoire sans rides, qui semble hors du temps et qui bouge agréablement. (Bear Family BCD17751, 2024)
"Randy Starr - Presley Style Vol. 1" (35 titres) et "Randy Starr - Presley Style Vol. 2" (31 titres)
(Sous-titre : Lost Elvis Songwriter Demos).
J’avoue qu’à part deux ou trois (très) rares exceptions captées sur des sites spécialisés, je ne connaissais pas ces enregistrements de démos. Là encore, le nom d’Elvis permet de réunir des enregistrements réalisés par d’autres artistes. Si Randy Starr est l’auteur d’une douzaine de compositions utilisées dans les bandes sonores des films du King, et capte légitimement l’attention, ainsi que la majorité des titres répartis sur les deux volumes, on découvre aussi Malcom Dodds, Kenny Karen, Bernie Knee, en compagnie de Mimi Roman, sans doute la plus connue encore aujourd’hui. Une compilation inégale, mais qui ouvre les oreilles sur tout un champ musical moins porté sur le devant de la scène à l’époque de sa création et que les fouilleurs du passé aiment parfois raviver avec bonheur.
(Bear Family BCD 17703, 2024 et BCD 17748, 2025)
Quelques disques pour ne pas oublier que la scène est principalement alimentée par des artistes “de chez nous”. En dehors des quelques festivals encore actifs, ils sont la principale source de “musique vivante” en concerts. Il faut donc ne pas les négliger:
WISE GUYS
"Terlingua"
Ces petits malins (ou mafieux, selon les traductions et le contexte ;-) sont bien de chez nous, et plus particulièrement de Lyon : Phil Tardy (basse) JP Gouillon (guitare électrique) Jack Spiry (guitare, voix) Pierre Bissuel (batterie) Jaco Petot (guitare électrique, voix). Jacques “Spring” Spiry est connu depuis longtemps pour son apport à la radio, ses conseils judicieux de programmation de concerts (on se souvient des rendez-vous Navajo!) et avec Georges Carrier pour quelques années de festivals de Craponne au début du siècle. Avec ses complices musiciens, l’inspiration commune qu’ils ont affichée est celle de Buffalo Springfield, Alejandro Escovedo, Tom Petty, Steve Earle, Jerry Jeff Walker, Nick Lowe, Waco Brothers (sic). Belle brochette d’une sorte d’americana, un temps qualifiée d’insurgent. Les compositions, signées Jacques Spiry, ont le tempo et les thèmes dominants d’une marche dans l’univers d’une Amérique sublimée (rêvée ? en tout cas hors de ses scories actuelles). On a envie de chausser les bottes et saisir sa guitare pour les suivre. Un peu comme le voyage permanent d’une vie régénérée à Austin ou dans quelque chemin désertique menant enfin au patelin paumé qu’est Terlingua. Les images de Paris Texas se mêlent à nos propres errances, entre fantômes et redécouvertes de ces ambiances à fleur de peau. Une évidence partagée qui s’impose avec ses coups de guitares acoustiques dominantes, scandées comme un battement de cœur qu’on retrouve au générique d’émotions simples, claires et vibrantes, comme une poésie populaire. NB: bonus sur le net : The Litany Of Heroes. (soundcloud.com/jswiseguys)
Eddy Ray COOPER and THE TRAVELERS
"Live à l’Espass Rognac"
Pas simple de mener une carrière sur un créneau emprunté par une foultitude de chanteurs et de groupes ! Pour-tant, depuis qu’il participa à Sweet Nashville et sortit son premier album en 1996, Eddy tient toujours le coup, et son public et la scène ! Car il a réussi à maitriser l’essentiel de ces musiques entre rock’n’roll, blues et country, que ce soit en solo ou avec des complices comme ici avec Gil Zerbib (basse, voix) et Roberto Ferrero (batterie, voix). Le combo de base en trio - parangon par excellence du rockabilly - est alors exploité à partir de plusieurs sources: Hank Williams, les Cochran Brothers, Chuck Berry, Johnny Cash et Joe Shelton, à qui Eddy ajoute sa propre signature, son célèbre Limoncello Blues. Bref, un mélange de classiques et de réinterprétations, lancé avec fougue et en public (ce qui, encore une fois, nécessite un bonne tenue face aux amateurs). Un peu de nostalgie, mais sans toile d’araignée, pas mal d’action contemporaine, une fidélité incarnée, de quoi faire résonner longtemps encore des classiques auxquels Eddy s’est fort bien intégré avec la complicité d’un auditoire affectueux. (www.eddyraycooper.com)
Dallas KINCAID & DYL
"Surging Out Of The Blue"
Un album indirectement coyotesque, si l’on considère les critères majoritaires de nos plus de trente ans de publications de chroniques (à l’époque du papier !). Cependant, s’ils ont grandi un peu après nous (moi en tout cas ;-) ces deux musiciens ont écouté plein de choses que nous n’avons peut-être pas détaillées à l’époque. En particulier, il existe toute une frange du rock’n’roll que le magazine Abus Dangereux (“Indie Rock, Pop, punk, hardcore, noise, folk le meilleur de la musique indépendante” (sic) a présentée des années durant et dont nous avions quelques échos parfois grâce à la rubrique des Lone Riders (clin d’œil aux anciens lecteurs du Cri du Coyote). Mais comme c’est parfois “en marge” qu’on affine les paragraphes, le “détour découverte” devrait tenter certains de nos lecteurs les plus ouverts. Les deux amis avouent leurs sources musicales communes : “la maladie (!) Cohen, Bowie et Puccini” ! Les compositions sont de Dallas Kincaid, le reste (arrangements et mixage) a été maîtrisé par Dyl. Jetez une oreille et testez cette réalisation, même si aucun projet de concert n’est annoncé. Et amusez-vous à chercher les noms des “bons gars” derrière leurs pseudonymes, vous ne serez pas dépaysé(e)s. (Masters At Paradise 3/1).
Finissons avec un nouvel épisode des grands classiques de notre univers sonore:
Les Nocturnes – Georges Lang
(Sous-titre : Best Of Cool & Soft Rock)
Le coffret de 5 CD propose un livret intéressant sur la destinée de la radio des années 70 (les pirates, Europe n°1, Pop Club, Radio-France et bien sûr RTL, l’influence anglo-saxonne jusqu’à la (re)découverte des productions hégémoniques américaines). Il accompagne cette riche compilation. On revisite l’enfance musicale et les moments de vie de Georges, son apprentissage comme animateur, sa voix de confesseur amical, proche de nous, avec une science des enchaînements qui nourrit une expérience toujours enrichie par des nouveautés. Georges a interviewé et fréquenté les plus grand(es) mais ici il s’agit d’écouter une partie de sa richissime discothèque lancée à l’antenne dans “la chaleur de la nuit”. L’appellation Soft Rock est suffisamment souple pour que chacun y accroche sa préférence. On peut consulter sur Internet la liste des auteurs et titres (trop longue à citer ici, 92 pistes !). Même si on n’est plus familier de certains titres historiques, le temps passant, notre mémoire rejoint un forme de patrimoine collectif qui résonne encore, comme une sorte d’inconscient réveillé par cette écoute. On a tous entendu l’essentiel de ces titres et on peut maintenant vraiment les écouter ! Un petit coup de jouvence qui garde sa force d’émotion et donne envie de prendre la route des vacances avec la "radio plein les oreilles”. (Universal/ Panthéon/ RTL).
© Jacques Brémond