vendredi 21 novembre 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Marisa YEAMAN

"Weather The Storm" 

Marisa Yeaman est australienne, a partagé la scène avec quelques-uns des plus grands (Tom Russell ou Chris Smither par exemple), a traversé les océans pour trouver une terre d'accueil aux Pays-Bas avant de trouver refuge dans un village français, près de Semur-en-Auxois, jolie petite ville de Bourgogne. Elle a publié trois albums, Pure Motive (2006), Roadmap Heart (2008) et Voices From The Underground (2012), démontrant qu'elle est une autrice-compositrice qui compte, entre folk et rock, blues et jazz. Elle est également plasticienne et a publié un premier livre en 2019. Si elle ne s'est jamais éloignée de la musique, il a fallu attendre treize ans pour son quatrième opus, Weather The Storm qui comble celles et ceux qui l'ont attendu pendant tout ce temps. Elle n'a pas oublié ses attaches musicales néerlandaises, et on ne peut que lui donner raison quand on sait que c'est l'excellent Bart-Jan "BJ" Baartmans (bien connu des fans de Iain Matthews et de Matthews Southern Comfort) qui a été chargé de la mise en son de l'album (en plus de la production, il joue toute une ribambelle d'instruments: guitares acoustiques, électriques et 12-cordes, mandoline, dobro, guitare baryton, bouzouki, piano, basse, sitar électrique, harmonica blues, plus quelques harmonies vocales). Les autres musiciens viennent aussi du pays des tulipes et de Van Gogh (que je ne cite pas par hasard car Marisa avait été chargée de composer une chanson pour le musée consacré au peintre à Amsterdam): Rob Gaboers aux claviers divers et à l'accordéon), Tim Baartmans (guitares basses), Sjoerd Van Bommel (batterie et percussions) et Marie-José Sonneveld Didderen (violoncelle). Marisa se charge du reste, armée de ses guitares acoustiques, elle chante (fort bien) les onze titres qu'elle a écrits et composés. Quelques notes de guitare acoustique, une voix qui scande one, two, et c'est parti pour Love Is The Gold, une ode à la vie et la nature de toute beauté. La voix est pleine de sensibilité (avec celle de BJ qui répond sur le refrain), les arrangements au rythme chaloupé sont pleins de finesse et mettent pleinement en valeur la composition. Le titre suivant, Mansion On The Hill (au texte très émouvant, à propos de la maladie d'une personne chère) met en valeur Rob Gaboers à l'orgue Hammond B3 et l'on sait dès lors qu'on a affaire à un disque parmi ceux qui vont compter en cet automne. The Distance est autobiographique et montre que le choix de Marisa de vivre désormais dans un autre fuseau horaire, pas loin de Paris, ne l'empêche pas de penser à ceux qu'elle a laissés aux antipodes, concluant ainsi: "So think of me when the sun fades, you know I'm not really that far away and the distance could never keep us apart" ("Pensez à moi quand le soleil se souche, vous savez que je ne suis pas vraiment si loin et que la distance ne pourrait jamais nous séparer"). On retrouve aussi le thème de l'éloignement dans Innocent Beauty, un peu plus loin. Je ne vais pas entrer dans le détail de tous les titres qui sont pour la plupart sur un tempo modéré, avec parfois une orchestration plus rock (It's A Long Road, Hold On To Me). Je citerai quand même le bien beau Vermeer's Cloud (auquel le violoncelle et la mandoline confèrent une dimension presque visuelle), preuve de l'attachement de Marisa au pays d'Europe qui l'a accueillie, Weather The Storm, un véritable plaidoyer pour une vie où la gentillesse et l'amour sont les meilleures armes pour affronter la tempête, ou encore The War Is Raw. Le disque se termine par un autre moment de grande beauté (avec harmonica et dobro en évidence), Born Innocent ("Nous sommes tous né innocents dans ce monde, nous sommes tous du même sang") qui ferme la boucle en renvoyant à Love Is The GoldMarisa chantait: "Le cœur humain est né innocent, pourquoi ne le voyons nos pas?". Achetez ce disque qui est pour moi l'un des tous meilleurs du moment. Et surtout, lisez le livret (à défaut, consultez les paroles sur Bandcamp) et vous comprendrez comme moi que Marisa, remarquable chanteuse folk, avec ce qu'il faut de blues dans sa voix, compose et écrit comme peu savent le faire et conclut ses notes de pochette par ce souhait: "May love learn to raise it's voice louder than hate" ("Puisse l'amour élever sa voix plus fort que la haine").


 

 

John GORKA

"Unentitled" 

Le 9 novembre 2006, lors d'un concert organisé par Hervé Oudet et Acoustic In pAris, ce dernier m'avait remis un disque de John Gorka que je ne connaissais pas encore. Dix-neuf ans plus tard, à deux jours près, John donnait son premier concert en France, à l'initiative du même Hervé. L'homme a quinze albums en solo à son actif, auxquels il faut ajouter celui qu'il a publié sous le nom de Red Horse avec Eliza Gilkyson et Lucy Kaplansky. Dix-neuf ans que j'écoute ce songwriter du New Jersey (qui vit dans le Minnesota), dix-neuf ans sans l'ombre d'une déception. Unentitled est son nouvel opus, riche de dix compositions originales dont une, (Particle & Wave) figure en deux versions et de Harris And The Mare, chansons du regretté Stan Rogers dont on ne louera jamais assez la qualité de l'œuvre, hélas trop vite interrompue. John nous invite, de sa voix chaude et légèrement éraillée, à parcourir ces chemins musicaux que lui seul connaît. Favorite Place, A Light Exists In The Spring, First Snow On The Mountain, Welcome Home, ces titres parlent d'eux-mêmes. Il y a aussi No Time To Cry, Give Us Back Our Water ou encore Hope Doesn't Fall dont les mélodies finement ciselées nous emplissent de bien-être. Si John Gorka est très convaincant seul avec sa voix et sa guitare acoustique, il sait aussi bien s'entourer. JT Bates (batterie et percussion), Dirk Freymuth (guiares électriques), Rob Genadek (production et programmation de la batterie), Don Richmond (Weissenborn et mandoline), Joel Sayles et Enrique Toussaint (basses), Jeff Victor (claviers divers) et Russ Rentler (mandoline) sont les partenaires pour cet album. Il y a aussi les voix d'Elisa Gikyson, Lucy Kaplansky, Kathleen & Rhonda Johnson, Alice Pecock et Don Richmond qui complètent le casting. John Gorka a séduit le public du Café du Village à Paris, le 11 novembre, et nombreux sont les spectateurs qui sont partis, Unentitled à la main et le sourire aux lèvres. 




 

 

Amy SPEACE

"The Blue Rock Session" 

Amy Speace n'est pas nouvelle dans notre paysage même si elle n'a pas souvent l'honneur des gazettes. Je me rappelle cependant avoir chroniqué en 2016 le disque sans titre du trio Applewood Road qu'elle formait avec Emily Baker et Amber Rubarth, le qualifiant de pur délice (Le Cri du Coyote n°148). Actrice shakespearienne de formation, Amy, originaire de Baltimore, MD, et établie à Nashville, TN, est loin d'être une novice puisqu'elle a publié dix LP et deux EP de Space en 2002 à The American Dream en 2024. En juillet 2025, elle était en résidence pour une semaine d'écriture au Blue Rock Ranch & Studio à Wimberley, TX. Le lieu a inspiré Amy puisqu'à la fin de la semaine elle avait écrit six nouvelles chansons, guidée par le seul plaisir d'écrire, sans objectif de disque à publier. Bénéficiant aussi de quelques heures de studio avec un ingénieur du son, elle décida, armée de sa Gibson J-45 de 1956, d'enregistrer ses nouvelles compositions, y ajoutant quelques anciennes et, en trois heures, onze titres étaient en boîte, en une ou deux prises, à l'ancienne, dans une configuration proche de celle qui est la sienne sur scène ou elle est souvent seule avec sa guitare ou son piano. Cette session permet de constater qu'Amy est une véritable chanteuse folk, avec une voix qui n'est pas sans rappeler Joan Baez ou Judy Collins. Cela a d'ailleurs été un handicap pour elle à ses débuts alors que, paradoxalement, c'est Judy qui l'a signée sur son propre label après l'avoir entendue en 2005. The Blue Rock Session présente donc onze titres. Certaines chansons sont nouvelles: On A Monday In London, God Came To Me, In This Home, Dream Of The Hawk, Out Of The Blue, I Found A Halo (qu'Amy avait commencé à écrire en 2016 avec Robby Hecht), The Mother. Weight Of The World (coécrit avec Jud Caswell et Jon Vezner) avait été enregistré par Judy Collins sur son album Paradise mais Amy ne l'avait publié qu'en titre caché sur The Killer In Me. The Sea And The Shore (coécrit avec Robby Hecht) était paru sous forme de duo (superbe) avec John Fullbright sur How To Sleep In A Stormy Deep. Les deux derniers titres avaient été publiés sur Me And The Ghost Of Charlemagne en 2019. il s'agit de Both Feet On The Ground et Kindness, une composition de Ben Glover. Ce disque inattendu et spontané est un véritable moment de plaisir, j'aurais pu dire même un pur délice, si je n'avais déjà employé ce qualificatif pour Appleweed Road. Amy Speace écrit des chansons poétiques, avec des textes inspirants et des mélodies qui accrochent. Elle les chante aussi à merveille, en toute simplicité. Que demander de plus?


 

 

Tom RUSSELL

"Mount Olive" 

Cela faisait plus de six ans que Tom Russell était silencieux, depuis October In The Railroad Earth. Il revient avec un nouveau disque Mount Olive qui pourrait être un peu frustrant dans la mesure où il ne comporte que huit titres et dure moins de vingt-cinq minutes. Le côté positif est que l'on peut l'écouter deux fois de suite, voire plus, tellement la qualité est au rendez-vous. Le disque est co-produit par Tom Russell et Mark Hallman. Ce dernier joue de la guitare, de la basse, des claviers, de l'harmonica et chante les chœurs. Avec Bill Kirchen à la guitare, Jack Saunders à la basse et Rick Richards à la batterie, cela ressemble à une dream team à laquelle s'ajoutent Jacqui Sharkey (voix sur Into The Wild) et Josh Baca (accordéon sur Salt On The Rim et Where The Cows Turn Their Backs To The Wind. La voix de Tom n'a pas changé avec les années et son sens de la mélodie est toujours aussi imparable, sans artifice. Pour paraphraser, je dirai qu'il y a juste trois accords et la vérité, celle qui est née des années passées sur la route, celle qui fleure bon la poussière et le soleil du sud des États-Unis (même si Mount Olive est dans l'Illinois). Le premier titre, I Grew Up On Western Movies, aux accents autobiographiques et à la mélodie familière, donne le ton. 1946 Martin D-18, Where The Cows Turn Their Backs To The Wind et Kindred Spirits (The Choctaw Song) confirment que Tom peint aussi bien avec les mots qu'avec un pinceau et, en fermant les yeux, on voit se dérouler le film des chansons en même temps qu'on les entend. Le valsant Into The Wild et le tex-mex Salt On The Rim ont ma préférence, mais les deux titres que je n'ai pas cités, Landed On Your Feet Again (avec une belle partie d'harmonica de Mark Hallman) et Mount Olive (mi-parlé, mi-chanté) ne déparent nullement l'ensemble. Mount Olive est un disque à consommer sans modération, en espérant qu'il ne faudra pas attendre un lustre pour le suivant. 


 

 

Various Artists

"It's All Her Fault - A Tribute To Cindy Walker"

  Eddie Clendening est le producteur, Deke Dickerson l'ingénieur du son et Grey DeLisle la productrice exécutive de cet hommage à Cindy Walker dont tout le monde connaît les chansons sans toujours savoir qu'elle les a écrites ou coécrites. Le casting (pour le chant), est exclusivement féminin: Katie Shore, Summer Dean, Kimmi Bitter, Amythist Kiah, Mozzy Dee, Rosie Flores, Kelly Willis, Brennen Leigh & Grey DeLisle, Melissa Carper, Mandy Barnett, Gail Davies, Jolie Holland, Ginny Mac se partagent le privilège d'interpréter des titres qui évoqueront beaucoup pour les amateurs de western swing, de Bob Wills à Asleep At The Wheel, mais pas seulement. Au rang des interprètes des chansons de Cindy, on compte aussi les Byrds, Johnny Cash, Ray Charles, The Cherokee Maiden (nommées d'après le titre d'une chanson de Cindy), Kathy Chiavola, J.D. Crowe & The New South, The Flying Burrito Bros, Merle Haggard, Emmylou Harris, Terri Hendrix, Waylon Jennings, Johnnie & Jack, George Jones, Caleb Klauder, Jerry Lee Lewis, Don McLean, Manfred Mann, Kathy Moffatt, Michael Nesmith, Old 97's, Roy Orbison, The Osborne Brothers, Webb Pierce, Elvis Presley, Ray Price, John Prine & Mac Wiseman, Marty Robbins, Junior Sisk, Ricky Skaggs, Teddy Thompson, The Time Jumpers, The Wainwright Sisters, Dareel Webb et même les Français de Westbound. La liste est longue mais ce n'est qu'une sélection. Willie Nelson lui a consacré un album entier (You Don' Know Me: The Songs of Cindy Walker) paru en 2006, neuf jours avant le décès de Cindy. Je ne vais pas vous citer toutes les compositions de cette grande dame qui ont fait le succès de leurs interprètes, mais juste quelques-unes présentes sur cet album: You're From Texas, Don't Talk To Me About Men, It's All Your Fault, You Don't Know Me, I Don't Care, Take Me In Your Arms, Dream Baby (How Long Must I Dream), The Warm Red Wine, Don't Be Ashamed Of Your Age. Cela suffit à faire comprendre que It's All Her Fault n'est pas seulement un disque hommage de plus, c'est véritablement une page d'histoire de la musique américaine, texane en particulier, du vingtième siècle.


 

dimanche 9 novembre 2025

Disqu'Airs par Dominique Fosse

 

LARKIN POE

"Bloom" 

Blood Harmony, le précédent album de Larkin Poe, leur avait valu en 2024 le Grammy Award du meilleur album de blues contemporain, récompense qui a, par le passé, consacré des artistes comme Robert Cray, Stevie Ray Vaughan, Buddy Guy ou Keb' Mo'. J’avoue que j’ai un peu de mal avec Bloom, le nouvel album de Larkin Poe. C’est du blues rock caractérisé par un gros son avec de la distorsion sur la guitare de Rebecca Lovell et la lap steel de sa sœur Megan. C’est comme d’habitude Rebecca qui chante. Pas mal mais elle n’a pas la puissance pour vraiment envoyer ce genre de chansons et, souvent, elle force trop sa voix. Peu d’harmonies vocales dans Bloom alors que c’est un des points forts de ces artistes qui ont grandi à l’école du bluegrass (avec le groupe Lovell Sisters). Les quatre titres que je préfère sont ceux où Rebecca chante de façon naturelle, sans forcer: If God Is A Woman, Pearls (pourtant un des titres les plus rock de l’album), Little Bit (un blues avec un chant plaintif qui convient beaucoup mieux à Rebecca) et surtout la ballade lente Bloom Again chantée à deux voix sur un élégant arpège de guitare…


 

 

I’M WITH HER

"Wild and Clear and Blue" 

Wild and Clear and Blue est le second album du trio I’m With Her, sept ans après See You Around. Le groupe est composé de trois chanteuses multi-instrumentistes qui se sont fait connaître par le bluegrass. Aoife O’Donovan était la chanteuse de Crooked Still. Sara Watkins s’est révélée très jeune comme violoniste et chanteuse du trio d’adolescents surdoués Nickel Creek. De son côté, Sarah Jarosz a sorti sept albums solo en 15 ans dont le premier à 18 ans avec Jerry Douglas, Stuart Duncan et Chris Thile. Leur musique peut être qualifiée de folk moderne (un album dont une chanson s’intitule Rhododendron ne peut être que folk), dominée par les superbes voix des trois chanteuses. Sarah et Aoife ont des timbres très purs, des voix qui se ressemblent et leurs passages en duo (Ancient Light, Different Rocks Different Hills) ont la même magie que si elles étaient sœurs. Les trois voix se confondent dans l’aigu (Standing on the Fault Line) mais dans les mediums, Sarah a une très légère cassure qui la rend identifiable. Elle a aussi une prodigieuse agilité vocale (Year After Year). Les trois jeunes femmes ont écrit ensemble les dix chansons de Wild and Clear and Blue. Il y a de très jolis motifs de fiddle (Sara Watkins) pour enluminer Ancient Light, Wild and Clear and Blue et Mother Eagle. Le banjo clawhammer de Sarah Jarosz rythme Different Rocks Different Hills et sa mandoline est en évidence dans Find My Way Home. Un très joli album. 


 

 

Molly TUTTLE

"So Long Little Miss Sunshine" 

Cri du 💚   

À la sortie de So Long Little Miss Sunshine, de nombreux amateurs de bluegrass se sont sentis trahis par Molly Tuttle. Avec Billy Strings, elle était devenue en une demi-douzaine d’années la nouvelle star du genre avec de multiples récompenses IBMA (guitariste, chanteuse, chanson, album de l’année) et même deux Grammy Awards pour chacun de ses derniers albums, Crooked Tree (cf. juillet 2022) et City of Gold (septembre 2023). Sentiment d’abandon accentué parce que la parution de So Long Little Miss Sunshine a aussi correspondu à la dissolution de son groupe Golden Highway, un des plus talentueux (et le plus sexy) de ces dernières années. Ce serait oublier un peu vite que, si la formation de Molly s’est faite par le bluegrass, elle avait sorti avant Crooked Tree et City of Gold deux disques qui n’avaient rien de bluegrass (When You’re Ready et l’album de reprises But I’d Rather Be With You) et un EP (Rise) qui ne l’était que très partiellement. Quant au split de Golden Highway, il était sans doute inévitable avec le succès des albums solo de Brownyn Keith-Hynes et Shelby Means et la sortie prochaine de celui de Kyle Tuttle. A part I Love It, reprise du duo suédois Icona Pop (ne vous inquiétez pas, moi non plus je ne connaissais pas – j’ai écouté l’original, c’est très différent de ce que Molly en a fait), la jeune artiste californienne a écrit toutes les chansons, la plupart avec Ketch Secor (Old Crow Medicine Show), les autres avec Kevin Griffin (chanteur de Better Than Ezra, je ne connais pas non plus). A côté de chansons sentimentales, il y a cinq titres très intéressants par leur texte. Everything Burns et Summer of Love (avec une double évocation des Beatles dans le refrain et le pont) traite de l’état du monde actuel et de son évolution. Rosalee est une murder ballad (plus rock que ballade en fait) avec un point de vue décalé (pour une fois, ce n’est pas un féminicide). Deux textes sont beaucoup plus personnels, Story of My So-Called Life et Old Me (New Wig) dont le refrain a donné son titre à l’album. C’est une chanson de rupture de Molly avec elle-même qui pourrait aussi évoquer l’évolution de sa musique (mais je suis persuadé qu’elle reviendra au bluegrass à l’avenir). Musicalement, l’album est complètement dominé par la guitare acoustique de Molly. Elle joue toutes les intros et tous les solos, sur fond de batterie, basse et claviers (beaucoup de B3). Le fiddle et la mandoline de Ketch Secor sont relégués au second plan, voire à peine audibles. Seul son harmonica surnage dans Old Me (New Wig). La moitié des titres est assez rock avec une bonne touche pop donnée par la reverb sur la voix de Molly. Les parties de guitare sont excellentes dans The Highway Knows, That’s Gonna Leave A Mark et Old Me (New Wig). Dans Rosalee, Molly utilise sa technique clawhammer adapté à la guitare qui a en partie fait sa réputation et dans Everything Burns elle recycle magnifiquement des plans de hard rock. Le monde du bluegrass pleure peut-être Molly Tuttle mais celui de la musique rit toujours. 


 

vendredi 24 octobre 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Jim PATTON & Sherry BROKUS

"Two True Loves" 

Two True Loves, voilà un titre qui sied bien à Jim Patton et Sherry Brokus. En effet, avant ce nouvel opus, le couple avait déjà publié huit albums (dont une compilation), auxquels il faut ajouter deux disques parus sous le nom de Edge City, et tout cela en 25 ans. Ils célèbrent donc leurs noces d'argent musicales sur l'excellent label Berkalin de l'ami Brian Kalinec, ce qui est un gage de qualité. Le disque est riche de quatorze chansons, toutes écrites par Jim Patton. Deux ont été écrites avec Mookie Siegel, trois avec Steve Brooks, une avec Rob Lyttle, une avec Lew Morris. Jim est à la guitare acoustique au chant principal et Sherry aux harmonies. À leurs côtés, on trouve une belle équipe made in Texas: Ron Flynt (basse, claviers, guitare acoustique, harmonies), "Scrappy" Jud Newcomb (guitares lead), John Chipman (batterie) et BettySoo (harmonies). La voix de Jim est douce, à l'image des compositions, et légèrement éraillée (un peu dans le registre de Steve Forbert). Two True Loves ne fait pas partie des disques qui vont changer le cours de la musique ou se placer en tête des classements de fin d'année. Rien de révolutionnaire mais, et ce n'est pas moins important, on ressent un bien-être immédiat à son écoute, et l'on sait qu'il sera durable. Jim écrit de jolies chansons à propos des choses simples de la vie quotidienne mais elles sont arrangées et ordonnées de telle manière qu'on s'immerge progressivement dans l'univers du duo. Certains titres nous accrochent plus rapidement que d'autres, comme Two True Loves qui nous emmène dans un monde où l'on s'attend à rencontrer les Byrds ou les Beatles, Leave Me Alone et son titre répété de manière expressive, ou encore She Doesn't Want To See You Anymore avec son rythme chaloupé, avant un Caught In The Daylight qui est peut-être le titre le plus rock de l'album, avec un solo de guitare électrique de Scappy Jud Newcomb. Musicalement, on est la plupart du temps dans le domaine d'un folk-rock qui sait parfois se teinter de country, y compris dans les thèmes (Why Did You Leave Me For Him?). Quoi qu'il en soit, il est difficile de trouver un moment faible dans Two True Loves et cela d'autant plus que les trois derniers titres sont particulièrement remarquables. What If You're Fooling Me Now a une mélodie (et même quelques mots) qui semble directement inspirée de To Ramona de Bob Dylan (inutile de préciser que j'adore ce titre). Hard Times a une atmosphère plus pesante, bien adaptée au thème, avec une guitare électrique et des voix qui se répondent. Quant à One More Song, il s'agit d'une forme de profession de foi d'un artiste d'un certain âge qui continue à parcourir les routes et les scènes alors qu'il pourrait tout aussi bien profiter d'un repos mérité. Ici, il s'appelle Eddie, mais ce pourrait tout aussi bien être Jim ou Sherry: "But Eddie already knows the answer / And he knows why they carry on / Something inside that never quite died / And they’ve always got one more song / They’ve always got one more song" (Mais Eddie connaît déjà la réponse / Et il sait pourquoi ils continuent / Quelque chose en eux qui n'est jamais vraiment mort / Et ils ont toujours une chanson de plus / Ils ont toujours une chanson de plus).


 

 

Hayes CARLL

"We're Only Human" 

J'avais découvert Hayes Carll en 2006, il avait alors deux albums à son actif. J'avais eu la chance de le voir en concert quelques mois plus tard, partageant la scène avec Mark Erelli, grâce à Acoustic in Paris. Les quelques heureux spectateurs présents ce soir-là n'avaient pas manqué de déceler son potentiel. Il est vrai que le jeune homme (31 ans à l'époque) avait déjà été reconnu par ses pairs puisque, sur Little Rock, son deuxième album, il avait coécrit des titres avec Guy Clark, Ray Wylie Hubbard et Adam Carroll, qui étaient des références pour ce natif de Woodlands, Texas. Sept disques plus tard (en comptant Alone Together Sessions, réenregistrements en solo, en période de confinement, de titres déjà publiés), le jeune homme approche de cinquante ans et peut regarder avec fierté le chemin accompli. Avec We're Only Human, il ajoute une belle page à son grand livre, dix chansons que l'on a envie de fredonner, qui donnent envie de taper du pied ou simplement de se laisser aller au bien-être. Cependant, l'ensemble n'est pas forcément joyeux et We're Only Human, la chanson, nous rappelle ne sommes que des humains, avec nos forces et nos faiblesses. Stay Here Awhile nous explique que savoir se poser est nécessaire parfois: "I spent so long climbing the hill / But I only started movin’ when I got still" (J'ai mis si longtemps à gravir la colline / mais j'ai seulement commencé à bouger quand je me suis arrêté). Progress Of Man (Bitcoin & Cattle) n'incite pas franchement à l'optimisme: "The man on the TV keeps snakin' strange faces / There's folks flyin' rockets to far away places / The world's gettin' on turned by assholes and racists / And it's all for the progress of man" (L'homme à la TV continue de faire des grimaces étranges / Il y a des gens qui envoient des missiles sur des endroits lointains / Le monde est de plus en plus dirigé par des trous du cul et des racistes / Et tout cela au nom du progrès de l'humanité). Après High, arrive One Day avec ces phrases: "And one day I'm gonna wake up / With the battle behind me / And l'd let the stars remind me / That I'm right where I belong" (Et un jour je me réveillerai / Avec la bataille derrière moi / Et je laisserai les étoile me rappeler / Que je suis juste à ma place). Lassitude? Espérance d'une autre vie ou de la vie d'après? Les deux derniers titres de l'album expriment une forme de contrition. Il y a d'abord Making Amends ou le message est clair: "God knows it takes time to heal / The damage I've done / But I'm making amends / And tryin' to do better / I do not want to heurt anymore" (Dieu sait qu'il faut u temps pour guérie / Les dégâts que j'ai causés / Mais je fais amende honorable / Et j'essaie de faire mieux / Je ne veux plus blesser). May I Never est un gospel folk traditionnel (avec les voix de Hayes Carll, Gordy Quist, Shovel & Rope, Nicole Atkins, Ed Jurdi et Ray Wylie Hubbard) qui nous laisse avec cette phrase: "May I never forsake you again" (puissè-je ne jamais plus t'abandonner). Le message est indéniablement religieux et correspond au questionnement, omniprésent dans l'album sous différentes facettes, d'un homme arrivé au milieu de sa vie. Pour en revenir à l'aspect musical, le disque est produit par Gordy Quist (Band Of Heathens) et Hayes Carll. Parmi les musiciens, tous au sommet de leur art, en plus de Gordy et Hayes, il y a Brian Wright (guitares), Jared Reynolds (basse), Mike Meadows (batterie), Trevor Nealon (claviers), Geoff Queen (pedal steel) et Noah Jeffries (mandoline et fiddle). Dans le paysage souvent édulcoré de la country music, un album d'Hayes Carll est toujours une bonne nouvelle. Avec We're Only Human, elle est même excellente. 


 

 

John FOGERTY

"Legacy - The Creedence Clearwater Revival Years"

  John Fogerty vient d'avoir 80 ans et, depuis quelques années, il pratique beaucoup le recyclage de ses œuvres, disques en public, album de duos. Son dernier disque, en famille, s'appelait Fogerty's Factory (la photo de couverture pastichait celle de Cosmo's Factory) et contenait des reprises de ses propres chansons (avec CCR ou en solo) à côté de compositions de Bill Withers (Lean On Me) et Steve Goodman (City Of New Orleans). Aujourd'hui, il publie Legacy - The Creedence Clearwater Revival Years, vingt réinterprétations de chansons écrites pour le groupe légendaire (plus des bonus variables selon les éditions). Quel(s) intérêt(s) peut-on trouver à ce nouvel opus? Il y a d'abord un intérêt pour John qui a enfin pu récupérer en 2023 les droits d'auteur qu'il avait perdus. Intérêt financier mais pas seulement, car John a pu donner à ses chansons une nouvelle jeunesse en studio. Intérêt pour l'auditeur qui peut trouver en un seul disque la plupart des succès de Creedence Clearwater Revival, une compilation concoctée par l'artiste lui-même. Et puis, Legacy constitue une ultime mise au point à l'intention de ceux qui n'avaient pas compris que CCR était John Fogerty et lui seul. Ni Tom, son frère aîné, qui était au départ le leader des Blue Velvets et des Golliwogs, ni Stu Cook ni Doug Clifford, n'étaient plus que des faire-valoir. Cela posé, on ne peut que se réjouir à l'écoute de ces trésors qui, pour beaucoup d'entre nous, sont des souvenirs ineffaçables d'une époque où les tubes se succédaient à une cadence infernale. De Up Around The Bend à Fortunate Sun, c'est un véritable feu d'artifice de rock 'n' roll qui nous attend et j'y retrouve tous les titres qui m'ont fait vibrer à l'aube de mes 18 ans: Proud Mary, Have You Ever Seen The Rain, Born On The Bayou, Lodi, Down On The Corner, Bad Moon Rising, Traveling Band, Green River, pour citer mes favoris. John est accompagné de ses fils Shane (essentiellement) et Tyler mais aussi, au long des différent morceaux, de Bob Glaub, Matt Chamberlain ou Bob Malone. John s'est offert un cadeau d'anniversaire avec ces John's Versions, mais je suis sûr que c'en est un aussi pour beaucoup d'entre nous.


 

 

Willie NILE

"The Great Yellow Light" 

À 77 ans ans, Willie Nile n'en finit plus de nous surprendre et de nous ravir. Depuis Streets Of New York (2006) il a publié une ribambelle d'albums (dix en studios et trois en public) et ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. D'ailleurs, si la génétique joue un rôle dans son espérance de vie, il a un bel avenir devant lui puisque son père vient de fêter ses 107 ans en parfaite santé. Great Yellow Light comporte dix nouvelles compositions de Willie dont trois coécrites avec le fidèle Frankie Lee (We Are, We Are, Fall On Me et What Color Is Love) et une avec Rob Hyman, Eric Bazilian et Rick Chertoff (Washington's Day). Sur le disque, co-produit avec Stewart Lerman, Willie est accompagné par Jimi Bones (guitares électriques et acoustiques, voix), Johnny Pisano (basse et voix), et Jon Weber (batterie) ainsi que quelques invités dont les plus célèbres sont Rob Hyman, Eric Bazilian, Andy Burton, Waddy Wachtel et David Mansfield, mais aussi, pour les voix, Paul Brady et Steve Earle. Les trois premiers titres nous emmènent à un train d'enfer et dès le bien nommé Wild, Wild World, on sent que Willie n'est pas là pour plaisanter ni pour ménager sa voix. Il y a la mousson en Chine, la neige à Zanzibar, la canicule en Australie et, pendant ce temps, on sourit au Kremlin, on rit à Versailles et on s'esclaffe à Washington. Tel est ce monde sauvage vu par le songwriter. Après We Are, We Are et Electrify Me, la tension redescend pour un Irish Goodbye avec Paul Brady. Fred Parcells (tin whistle et trombone) et Chris Byrne (cornemuse et bodhran) apportent une touche celtique dans une ambiance qui évoque le temps béni des Pogues. Vient ensuite un moment de grâce avec The Great Yellow Light, chanson soufflée par les lettres de Vincent Van Gogh à son frère Theo et par la lumière qui l'a inspiré lorsqu'il vivait à Arles. Il y est question de moments rares et magiques d'émerveillement qui rendent la vie digne d'être vécue. Ici, le groupe troque son rock 'n' roll énergique contre un arrangement plus subtil, mais tout aussi intense et émouvant, tandis que la voix de Willie Nile, tout en retenue, n'a jamais été aussi belle ni aussi passionnée. Tryin' To Make A Livin' In The U.S.A., avec un rythme entraînant et joyeux, caractéristique de Willie, a un côté autobiographique et évoque, non sans humour, l'importance d'un succès discographique pour un artiste qui en a bavé. Les guitares redeviennent plus rock et électriques pour Fall On Me, même si le tempo est moins endiablé qu'au début du disque, alors que pour What Color Is Love, Willie nous gratifie d'une partie de piano, notamment l'introduction, pleine de gravité. Wake Up America est un autre sommet du disque. Qui d'autre que Steve Earle pouvait mieux venir chanter avec Willie ce manifeste, cette incitation à se réveiller et à ouvrir les yeux? Le message de Willie Nile n'est pas frontalement politique mais sa portée n'en est pas moins forte. Washington's Day, pour terminer, est une forme de prière pour un monde meilleur, où l'espoir et la compassion redeviendront des valeurs essentielles: "J'espère et je prie pour que tu sois là avec moi / Quand les montagnes qui s'élèvent s'effondreront dans la mer / Quand les royaumes qui viennent nous libèreront sur notre chemin / J'espère que tu seras là avec moi à la maison pour Washington's Day". Quarante-cinq ans après son premier LP, cela fait près de vingt ans que Willie Nile est au sommet de son art, près de vingt qu'à chaque fois il parvient encore à élever le niveau. 


 

 

Patty GRIFFIN

"Crown Of Roses" 

Patty Griffin s'était fait oublier depuis son album sans titre paru en 2019, pour des raisons liées à la pandémie et à des problèmes de santé. Pour beaucoup, elle n'est d'ailleurs connue que comme ayant fait partie du Band Of Joy de Robert Plant il y a une quinzaine d'années. La réduire à cela serait passer à côté d'une artiste à l'œuvre belle et consistante, depuis Living With Ghosts publié en 1996. Car Patty Griffin est avant tout une autrice-compositrice de grand talent, dont les chansons ont été reprises par nombre de ses consœurs, souvent plus célèbres qu'elle: Linda Ronstadt, Bette Midler, Emmylou Harris, Martina McBride, Joan Osborne, Miranda Lambert, Beth Nielsen Chapman, Mary Chapin Carpenter en sont quelques exemples. Voici donc Crown Of Roses, un album très personnel et plein d'émotion qui ne comporte que huit chansons, au tempo plutôt lent, mettant parfaitement en valeur la voix de Patty, une voix qui a évolué, sans doute à causse du cancer qui l'a frappée, une voix plus douce nous délivrant des confidences. Les arrangements eux-mêmes se mettent au diapason, sans être jamais envahissants, avec parfois une guitare électrique au premier plan (Back At The Start), parfois juste des cordes (The End), et même un titre où Patty est seule, avec sa guitare acoustique (Wake Up To The Sky). Ce dernier titre, comme Born In A Cage, évoque l'évolution de la nature, les oiseaux qui ne chantent plus, les arbres qui ne poussent plus si haut. Ces titres ont été inspirés à Patty par sa mère disparue, "sa chanteuse favorite de tous les temps" (la photo de la pochette est une photo de mariage de cette dernière) qui lui a transmis l'amour de la musique et de la nature. Est-ce elle qui est évoquée dans All The Way Home où guitare aux accents classiques et violon font merveille, avec même un santour, instrument d'origine irannienne à cordes frappées. Chaque titre se distingue par son originalité musicale, avec pour point commun de captiver l'attention, d'inciter à écouter chaque mot, à s'imprégner de chaque note. Long Time, avec quelques accords pincés de guitare électrique qui rythment la mélodie (sans oublier la participation vocale de Robert Plant), mais aussi I Know A Way, plus sombre, avec l'orgue de Bukka Allen, sont particulièrement exemplaires. A Word conclut l'album, avec la même configuration musicale et la même beauté que pour All The Way Home. Crown Of Roses peut être reçu comme un hymne à la vie et à la nature mais c'est aussi, comme le confie Patty, son premier album principalement consacré aux histoires de femmes. C'est en tout cas un bien beau disque auquel contribuent principalement David Pulkingham (guitares) et Michael Longoria (batterie), les parties de basse revenant à Craig Ross (dont le travail comme producteur est admirable) et Jesse Ebaugh. Heather Trost au violon et Jeremy Barnes au santour méritent également d'être cités.


 

 

DIRE STRAITS

"Brothers In Arms" (40th Anniversary Edition)

Chroniquer un disque Dire Straits n'est pas une chose que j'avais envisagée. J'ai toujours eu (cela remonte à 1978) une grande affection pour ce groupe, sorti de nulle part pour rencontrer un succès planétaire, et de son leader Mark Knopfler dont les talents de songwriter se sont confirmés de belle manière depuis. Quant à Brothers In Arms, il constituait l'apogée du groupe, mais c'était en mai 1985. Cet album est devenu un peu le disque-étalon des débuts du CD, c'est d'ailleurs le premier que j'ai entendu sous ce format, chez mon frère, notant d'ailleurs des différences notables par rapport à la version vinyle (et pas seulement pour la qualité du son). Mais voilà qu'en mai 2025, une édition quarantième anniversaire a vu le jour et je n'ai pas pu résister. Il n'y a rien de nouveau pour Brothers In Arms, premier disque d'un album qui en comporte trois. Rien de nouveau, certes, mais on se rend compte que la magie opère toujours, et que le plaisir d'écouter So Far Away, Walk Of Life, Your Latest Trick, Why Worry ou Brothers In Arms est intact. Même Money For Nothing, avec Sting, pourtant trop entendu, trouve grâce à mes oreilles. Mais voilà, il y a deux autres disques qui sont l'enregistrement d'un concert du 16 août 1985 à San Antonio, inédit à ce jour. Bien sûr, il y avait eu Alchemy (enregistré en 1983) et On The Night (enregistré en 1992), mais ce San Antonio Live In 85 (connu des amateurs de bootlegs) est un beau cadeau, qui porte fièrement ses quatre décennies. La composition du groupe est celle de Brothers In Arms. Mark Knopfler (guitares et chant), Alan Clark (claviers), Guy Fletcher (claviers et voix), John Illsley (basse et voix) et Terry Williams (batterie). S'y ajoutent Jack Sonni (guitares et voix) et Chris White (saxophone). Six des neuf titres de Brothers In Arms ont été joués ce soir-là (manquent So Far Away, Your Latest Trick et The Man's Too Strong) et l'on trouve tous les grands succès de Dire Straits: Sultans Of Swing, Romeo And Juliet, Tunnel Of Love, Wild West End, Private Investigations… Quinze titres en tout dont les plus connus (et très entendus) prennent une dimension nouvelle. Cela démarre avec un excellent Ride Across The River suivi d'Expresso Love. Si certains titres sont plutôt fidèles aux versions originales, comme Walk Of Life ou Don't Worry, ce n'est pas le cas pour d'autres qui explorent de nouveaux territoires. Le premier est Sultans Of Swing, cheval de bataille du groupe, où l'ajout du saxophone et la progression finale en font presque un autre morceau. Wild West End s'étire sur près de dix minutes avec une magnifique intro piano-saxophone, des chœurs originaux, et des parties de guitares remarquables: d'abord la National Steel de Mark Knopfler et, pour terminer, un solo de Jack Sonni (décédé récemment). Quant à Tunnel Of Love, c'est vraiment le monument de l'album. En d'autres temps, avec sa durée supérieure à dix-neuf minutes, il aurait occupé une face entière de 33 tours. Mark Knopfler y multiplie les citations musicales dans un long passage où il présente aussi les musiciens. Le concert se poursuit avec le calme Brothers In Arms, le percutant Solid Rock et, pour conlure, comme une invitation de prendre congé faite au public, Going Home. En plus de la qualité sonore du concert (mixé par Guy Fletcher), il faut aussi saluer la présence d'un livret illustré de vingt-huit pages, avec un article du journaliste Paul Sexton et les textes des chansons de Brothers In Arms


 

mercredi 22 octobre 2025

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

Cody JINKS

"In My Blood" 

Le Texan à la longue barbe doit en être à son cinquième ou sixième album. Mais celui-ci est peut-être le moins country. Il se situe dans un courant alternatif qui utilise quand même la pedal steel guitare mais qui repose essentiellement sur la guitare électrique dont on entend de belles envolées sur de nombreux titres. Les chansons sont trop longues pour une diffusion radio et pour garder l’attention éveillée, d’autant que ce sont majoritairement des rythmes lents et relativement uniformes. C’est toujours le souci quand on a affaire à un auteur-compositeur. Lennon et McCartney étaient les champions de la diversité. Ils resteront uniques.


 

 

Dylan EARL

"Level Headed Even Smile" 

Il est des albums qui vous laissent perplexe. Vous avez une dizaine de lignes à écrire et vous manquez d’imagination pour parler d’un chanteur au vocal certes agréable mais qui privilégie les tempos paisibles et modérés. On reste en plaine avec la pedal steel guitare et on ne franchit pas de cols. Seule une petite colline se présente avec Lawn Chair qui pousse les jambes à frétiller modérément. Pas de quoi lui décerner le titre d’album du trimestre. 

 

Grayson JENKINS

"Country Parables" 

Un petit fils de Conway Twitty? Car le véritable patronyme du chanteur aux quarante n°1 est Jenkins. Mais apparemment non car l’ex-rocker est originaire du Mississippi et a grandi en Arkansas alors que ce Grayson arrive du Kentucky. Voici un album tout simple enregistré sans fioriture mais pas sans intérêt. Une country paisible qui rappelle parfois Don Williams. J’ai surtout apprécié Grand Slam avec son accordéon et Old Trails avec un violon que l’on ne retrouve que sur un seul autre titre. De l’americana paisible teinté country.


 

 

JOSELYN & DON

"Lost And Found Highway" 

Un faux duo. En effet seule une voix féminine se fait entendre, Joselyn donc. Don ne participe que de très loin pour de discrètes harmonies vocales. Il ne s’agit pas de country. Les anglo-saxons emploient le qualificatif de "easy listening" pour ce genre de musique paisible qui peut vaguement laisser penser aux Mamas & Papas, voire à Abba. La reprise de Seminole Wind est intéressante par le fait qu’elle s’écarte radicalement de la copie, mais musicale-ment et vocalement elle n’a pas la profondeur de l’original de John Anderson

 

Mose WILSON

"That’s Love" 

Voici un album qui plaira à plus d’un lecteur du Cri par sa diversité de styles et qui va le balader au gré des sons qui composent ce que l’on appelle désormais l’americana. Du latino en ouverture au bluesy qui met le piano en valeur en passant par le cajun, Mose Wilson emprunte davantage à la soul qu’à la country. Le violon pourtant est souvent présent et l’on croit reconnaître au détour d’une chanson l’influence des Everly Brothers ou de Don Williams. Le dobro assure la vedette sur sa reprise du Amos Moses de Jerry Reed, swampy à souhait. Une immersion dans le Sud profond entre le Tennessee et les bayous de Louisiane. 

 

Sunny SWEENEY

"Rhinestone Requiem" 

Sunny Sweeney est devenue au fil des ans et des albums une figure emblématique de la country classique et par là même, de la scène texane. Son premier album, Heartbreaker Hall Of Fame, paru en 2006 (près de vingt ans déjà), dévoilait toutes ses promesses avec notamment une reprise du 16th Avenue de la grande Lacy J. Dalton. Trop country pour Nashville, ses albums successifs abordaient parfois la country moderne mais Sunny ne s’est jamais éloignée de la tradition pour autant. En témoigne ce septième album qui démarre au rythme du honky tonk pour enchaîner sur du rock and roll avec Diamonds And Divorce Decrees. Country-rock et honky tonk se succèdent ensuite sans temps mort jusqu’au slow final, bien classique et seul titre lent de cet album que je n’hésite pas à considérer comme l’album country de l’année à déguster sans modération. Évidemment le violon et la pedal steel guitare vous accompagnent tout au long des dix chansons. La country traditionnelle n’a plus sa raison d’être dans le Tennessee mais si le monde tournait enfin rond ce ne seraient pas les nymphettes de Nashville qui se disputeraient l’award de chanteuse country de l’année.


 

 

Tami NEILSON

"Neon Cowgirl" 

Tami Neilson, on la remarque d’abord par l’outrance de sa coiffure version pin-up des an-nées 50 caricaturée et à épingler dans la cabine d’un chauffeur routier. On ne fait pas plus rock and roll ou vintage pour employer un terme à la mode. Mais n’en espérez pas pour au-tant un ersatz de Wanda Jackson et par là même un pur album de rockabilly. Il n’y en a pas. Tout juste un rock and roll (Heartbreak City, USA) qui est du reste le seul titre à bénéficier d’une pedal steel guitare. En revanche il y a plusieurs titres de rock lourd qui ont du mal à passer. Je préfère très nettement les deux ballades "orbisonesques" dont l’une (Foolish Heart) est un hommage à la période crooner du rocker aux lunettes noires, façon It’s Over et sur laquelle le vocal puissant de la Néo-Zélandaise d’adoption fait merveille. Un bon album americana si vous enlevez quatre titres qui font mal aux oreilles.


 

 

The PLEASURES

"Enemy Of My Enemy" 

Catherine Britt est une chanteuse Australienne de country qui a sorti plusieurs albums solo avant d’en enregistrer deux avec un autre artiste des antipodes, Lachlen Bryan. Et ces deux albums de duos sont parus sous l’étiquette The Pleasures. Si l’ouvrage précédent pouvait être considéré comme country ce n’est plus le cas avec ce dernier opus qui verse carrément dans le pop-rock indigeste pour mes oreilles. Deux ballades peuvent être écoutées avec mansuétude mais le reste de l’album vous rappellera peut-être l’époque de ces groupes de pub-rock qui jouaient dans les arrières-salles de pubs dans les seventies. 


 

 

Tyler CHILDERS

"Snipe Hunter" 

Tyler Childers a commencé sa carrière par la country moderne et a décroché quelques accessits à Nashville, ce qui lui a permis d’enregistrer une demi-douzaine d’albums depuis son premier, paru alors qu’il n’avait que dix-neuf ans. Il a aujourd’hui trente-quatre ans et s’est éloigné de la country au profit d’une musique quelque peu déjantée empruntant autant au rock (le titre en ouverture aurait très bien convenu aux Rolling Stones) qu’au punk ou au courant alternatif/americana. Déjà son vocal atypique et au bord de la fêlure surprend un peu. Childers est un artiste anti conformiste à ranger du côté de Chris Stapleton, voir de Lyle Lovett, et qui devra trouver son public. Au-delà de la country bien sûr.