jeudi 18 avril 2024

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

BILL & THE BELLES

"To Willie From Billy" 

To Willie From Billy est un album sorti fin 2023 par Bill & the Belles, originaires du Tennessee et dont aucun membre ne se nomme Bill. Kris en est le chanteur et les Belles se prénomment Kalia (fiddle) et Aidan (banjo). Cet album se veut un hommage aux quatre-vingt-dix printemps de Willie Nelson bien qu’il ne contienne qu’un seul succès du vétéran, le fameux On The Road Again, numéro 1 en 1980. Les onze autres chansons, soit n’ont jamais été classées nulle part, soit elles l’ont été mais par d’autres interprètes que Willie comme Three Days (numéro 7 en 1962 pour Faron Young), Pretend I Never Happened (numéro 6 en 1972 par Waylon Jennings) ou Undo The Right (numéro 10 en 1968 par Johnny Bush). Une bien étrange façon de rendre hommage à un monsieur qui a collectionné vingt numéro 1 et classé cent-quatorze chansons dans les charts. Cela dit, ce n’est pas un mauvais album pour autant. Le vocal est assuré par Kris, les filles n’étant que choristes. Le violon de Kalia est agréable et le banjo de Aidan est en soutien. De la bonne musique acoustique. 

 

Reba McENTIRE

"Not That Fancy" 

Sans contestation possible Reba McEntire est l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire de la musique country. Sa carrière en atteste avec vingt-et-un numéro 1 répartis sur quinze ans. La petite cavalière de rodéo de l’Oklahoma a fait du chemin et seule Dolly Parton peut rivaliser dans la catégorie des légendes qui enregistrent toujours après un âge… où la plupart de leurs consœurs sont à la retraite. Avouons-le, ce nouvel opus n’apporte rien à tous ceux qui suivent la carrière de la rouquine. En effet il s’agit de quatorze versions nouvelles de certains de ses anciens succès, soit sept numéros 1 choisis parmi ses vingt-et-un et quelques Top 10. Elle peut renouveler cet exercice avec un éventuel double album, elle a la matière pour ça. Après on peut s’interroger sur le bien fondé d’une telle initiative. Le vocal de Reba est toujours au top et ses fans enrichiront leur collection. Les plus jeunes qui la découvrent auront un beau résumé de son œuvre.

 

TOINI & RIO BRAVO 

"Turning Night Into Day" 

Une belle révélation pour moi que ce groupe dont on ne saurait déterminer l’origine par la musique qui nous restitue une ambiance agréablement retro. Pour tenter de vous situer la couleur musicale de Toini & Rio Bravo je me risquerai à dire qu’elle emprunte à la variété, à la pop et à la country des années 60 et 70. Sur certains titres le vocal de la chanteuse, donc Toini, est celui d’une rockeuse bien qu’il n’y ait que trois morceaux dans le genre. Je n’ai décelé que deux reprises sur les treize titres et elles sont diamétralement opposées en style: d’une part un classique du rockabilly avec le Diggin’The Boogie de Roy Hall (1956) fort réussi et d’autre part le tendre Someday Soon de Ian Tyson qui avait été excellemment repris par Suzy Bogguss en 1991. L’adaptation de Toini est le meilleur titre de cet album. Le guitariste et le pedal steel guitariste sont également excellents. Recommandé pour tous ceux qui ne se retrouvent pas dans la musique d’aujourd’hui. Au fait, Toini & Rio Bravo sont Norvégiens.

 

Suzy BOGGUSS

"Prayin’ For Sunshine" 

Meilleur espoir 1992 de la country (CMA de Nashville), Suzy Bogguss à l’aube de ses soixante-dix printemps peut attester d’une jolie carrière avec une demi-douzaine de Top 10 à son actif. Dans la fameuse décade des néo-traditionalistes (années90) on peut dire que Suzy fut l’une des chanteuses les plus proches de la country classique. En effet, en début de carrière elle réussit quand même à classer dans les charts des reprises de Patsy Montana (Cowboy’s Sweetheart) ou Merle Haggard (Somewhere Between). Après quelques années de repos, Suzy Bogguss nous revient avec ce nouvel album. Ne rêvons pas, nous ne sommes plus dans les années 90, Suzy s’est assagie. Son album est très calme mais après le huitième titre alors que je me préparais à deux ballades supplémentaires, voici que la chanteuse de l’Illinois nous assène deux bons country-rock (A Woman Who Cooks et Can You Still See Me Like That?). Il fallait les mériter! Et je n’ai pas eu besoin de prier pour avoir un rayon de soleil… 

 

Laura ZUCKER

"Lifeline" 

Encore un album pour insomniaque. Désolé mais treize ballades à la suite de style songwriter/folk, je digère mal. A la rigueur deux titres, dont un slow aurait pu être qualifiés de country s’il y avait eu la présence d’un fiddle. Ce n’est pas le cas. A essayer si vous aimez Joni Michell ou Lucinda Williams.

 

Marty STUART and his FABULOUS SUPERLATIVES

"Altitude" 

On est bien loin du Marty Stuart de Hillbilly Rock, The Whiskey Ain’t Workin’ ou Honky Tonkin’s What I Do Best. Ca c’était les années 90, Marty avait la quarantaine. Il en a pris trente de plus et a mis pas mal d’eau dans son vin. Il est toujours entouré de ses super pointures, les Fabulous Superlatives et il nous a démontré à Gstaad en septembre dernier que sa prestation tenait encore bien la route. Altitude n’installe pas Marty Stuart au sommet de son art car il a fait bien mieux auparavant mais il nous sert encore quelques country-rock bien aidé par ses acolytes. Cet album est assez dynamique si l’on évite Space quasiment parlé et la berçeuse The Sun Is Quietly Sleeping (et moi aussi!). La chanson Altitude est un honky-tonk, Long Byrd Space Train un instrumental comme on en écoutait il y a cinquante ans et l’album se referme sur une ballade acoustique, The Angels Came Down. De quoi patienter relativement agréablement jusqu’au prochain. 

 

Jaime WYATT

"Feel Good" 

J’avais fait connaissance avec cette chanteuse basée à Los Angeles par ses deux albums précédents sortis en 2016 et 2020. Voici donc sa dernière œuvre. La voix est toujours aussi puissante mais le style toujours éloigné de la country. Il est plus proche de la soul surtout dans les morceaux lents. Le blues lui irait très bien mais Jaime Wyatt s’illustre dans un americana/pop/alternatif qui ne m’accroche pas.

dimanche 14 avril 2024

Disqu'Airs par Éric Allart / Du Côté de chez Sam par Sam Pierre

 

Vince GILL & Paul FRANKLIN

"Sweet Memories: The music of Ray Price & the Cherokee Cowboys" 

Ray Price a occupé une place à part dans la cohorte des héritiers directs de Hank Williams Sr. D’abord en récupérant pour ses premières années les Driftin’ Cowboys pour une perpétuation du son originel. Mais, à partir du milieu des années 50, Ray Price s’émancipe du maître avec l’invention géniale d’un shuffle caractéristique. Il fait alors coup double: il modernise le format honky tonk en le durcissant rythmiquement, ce qui lui permet de tenir la dragée haute au rockabilly, et pose les canons d’un format encore actif aujourd’hui. A la différence d’un George Jones déglingué ou d’un Merle Haggard repris de justice, Ray Price a toujours véhiculé une image de gentil garçon, loin des excès, affable et fragile. Son évolution stylistique, proche de celle d’un Eddie Arnold, le fait basculer à la fin des années 60 dans un crooning symphonique variétisant, où des mièvreries romantiques sucrées visent un public féminin vieillissant avec leur idole. Quelques années avant sa mort, il revient à des formes plus authentiques pour le grand plus bonheur des puristes. Sweet Memories est un hommage rendu à Ray et à sa musique. Vince Gill incarne à la perfection cette sensibilité délicate qui faisait la signature de Ray, tant par le registre vocal que le timbre. On sait que personne ne va retourner la table, ça tombe bien, on n’est pas là pour ça. Une sélection de 11 titres où l’on retrouve Weary Blues From Waitin' de Hank Sr., magnifiés par la parfaite pedal steel de Paul Franklin qui s’astreint à poser des back ups qui réussissent à moderniser les thèmes sans coller de façon mimétique aux arrangements originaux. C’est là que réside la difficulté du projet, trouver l’équilibre entre citation et créativité, réussir à porter la transmission du flambeau sans se cantonner à la copie servile. Le produit fini est parfait formellement. Ni trahison, ni paresse. C’est sucré-acidulé, ça glisse sans effort. J’ai pris plaisir à m’immerger dans le résultat. Une question reste cependant en suspens en ce qui me concerne. Ne sont pas visés les fans hardcore, qui iront toujours vers l’original et qui pourront dénoncer un mixage au son trop contemporain. Ne sont pas visés non plus les fans de Beyoncé ou Luke Bryan, musique de vieux jouée par des vieux. Même si le succès commercial reste confidentiel, on saluera la démarche d’hommage et de déclaration d’amour au patrimoine. (Éric Allart)

Jefferson NOIZET

"Bienvenue chez moi" 

Jefferson Noizet, alias Jean-François Vaissière, fait partie de ces gens heureux qui sont nés quelque part mais qui, contrairement aux imbéciles brocardés par Brassens, n'en conçoivent aucune supériorité. En cinq titres, Jefferson se contente de nous chanter avec talent cette terre où il vit et qui ne cesse de l'inspirer, ce Sud qui, d'ouest en est nous enchante de ses accents. Je vous invite à vous rendre sur le site Bandcamp de Jefferson pour écouter les chansons, ou simplement lire les textes qui, en eux-mêmes, méritent qu'on s'y arrête. Il y a un peu de Van Gogh dans Couleurs de ses rêves. Le peintre disait: "D'abord, je rêve mes peintures, puis je peins mes rêves", et ce qui est vrai pour le pinceau l'est aussi pour la plume. Il y a du Robert Zimmermann de Bob Dylan's Dream dans Devant un café. Dans Ma terre, "De calanques en vieux volcans, de lavande en tournesol, De gascon en provençal, de Jaurès à Pagnol", il y toute la magie des paysages et langues du sud. Dans Plus d'avant, plus d'après, où il est question de Monet, il y a "Juste un instant à célébrer… Juste la vie à savourer". Pour terminer, avec Bienvenue chez moi, Jefferson, où est-ce Jean-François, nous invite "Dans mon palais de bois, Loin des bruits d’en bas, D’un monde aux abois". Tout cela est beau sur le papier mais l'est encore plus mis en musique, avec le décor sobre des guitares de Jefferson et d'Oswald Rosier avec parfois dulcimer ou Weissenborn (Jefferson), celesta (Oswald) ou encore l'orgue de Jimmy Smith (Ma terre) ou la pedal steel de Dietmar Watchler (Bienvenue chez moi). Un album (EP) indispensable pour les amateurs de folk à la française et les passionnés de la langue de chez nous dans ce qu'elle a de plus beau. 

 

Jeff TALMADGE

"Sparrow" 

Jeff Talmadge est un un gentleman du Sud, du Texas plus précisément. Né à Uvalde, pas loin de la frontière du Mexique, il vit aujourd'hui à Austin. Il a un passé de juriste et avait déjà quatre albums studio à son actif quand il a fermé son cabinet en 2003. Il manie l'élégance avec un naturel désarmant, aussi bien dans ses chansons que dans la vie de tous les jours. Son précédent album, Kind Of Everything, remonte à 2011, c'est dire qu'il ne nous inonde pas de ses compositions, et c'est bien dommage. Il a désormais huit albums studio à son actif, plus un disque en public enregistré en Allemagne où il jouit, comme aux Pays-Bas, d'une belle réputation. Si son précédent opus, produit par Thomm Jutz, faisait appel à de nombreux musiciens et vocalistes du cru, il s'est cette fois-ci entouré d'une équipe réduite: il a coproduit l'album avec Bradley Kopp (guitares, basse et voix) et J. David Leonard (muti-instrumentiste) et a juste fait appel, occasionnellement, à Benny "Bugs" Franklin (percussions) Carter Magnussen-French (voix), Grayson Petrucci (basse) et Jaime Michaels (voix). Ce dernier a co-composé Maybe Next Year, Bradley Kopp a fait de même pour l'instrumental Top Of The Hour, Jim Patton et Steve Brooks pour Devil's Highway.Le dix titres de l'album dégagent un sentiment de calme mélodieux, à l'ambiance acoustique, dominée par la guitare de Jeff. La poésie est omniprésente, quel que soit le thème abordé, qu'il s'agisse de Night Train From Milan, de If I Was A Sparrow, de l'enlevé Katie's Got A Locket ou du délicat The Sound Of Falling Snow. La rumeur dit que Jeff a enregistré l'équivalent de plusieurs albums jamais publiés au cours des dernières années. Si vous vous donnez le plaisir d'écouter Sparrow, je suis sûr que vous serez nombreux à espérer qu'ils fassent surface un jour. 

 

Billy Don BURNS

"I've Seen A Lot Of Highway" 

Je ne connais Billy Don Burns que depuis une dizaine d'années mais notre homme (soixante-quinze ans) est sur le pont depuis plus d'un demi-siècle. Il a débarqué à Nashville en 1972, son premier disque, Ramblin' Gypsy, produit par Porter Wagoner, date de 1982 et, à côté de ses propres compositions, il y reprenait deux titres de Hank Williams. Cela donne un bon aperçu de ce qu'est Billy Don Burns, un outlaw, un guerrier de la country music. Son visage buriné et marqué par des années d'excès en tous genres évoque pour moi Calvin Russell, dont Romain Decoret a récemment écrit un portrait pour Le Cri du Coyote. L'homme, qui ne connaît pas les compromis, laisse ses chansons parler pour lui-même et l'on peut aussi évoquer la liste (non exhaustive) de celles et ceux qui ont repris ses compositions: Willie Nelson, Johnny Paycheck, Tanya Tucker, Connie Smith, Mel Tillis, Sammy Kershaw et, parmi les plus jeunes, Cody Jinks, Colter Wall, Whitey Morgan et d'autres. Autre signe du respect que lui porte la nouvelle génération, les invités qui viennent chanter avec lui sur le nouvel album: Shooter Jennings sur Neon Circus, Cody Jinks sur I'Ve Seen A Lot Of Highway, Whey Jennings sur I Went Crazy, Wes Shipp sur You Can't Change Me ou encore The Storey Boys sur Satan Is A Son Of A Bitch. L'album est dédié à l'ami de Burns, Mack Vickery, décédé en 2004, et dont on peut entendre une co-composition, That's When I Knew. Il évoque aussi Mack et l'écriture de cette chanson dans Mack Story, titre parlé, nous ramenant à l'époque où la cocaïne était leur quotidien sur la route. S'il n'a pas eu la médiatisation de Waylon Jennings ou même de Steve Young, Billy Don Burns appartient à la même famille musicale et perpétue avec I've Seen A Lot Of Highway le mouvement outlaw, un terme galvaudé mais qui, avec lui, retrouve tout son sens. Il y est question de la route et de ses excès, des rencontres et des galères. Une vie dure, certes, mais pas question de se plaindre: Born To Ride, Motel Madness et Don't Cry For Me, comme la chanson titulaire, résument bien ce qu'est la vie du musicien sur la route, où la folie n'est jamais bien loin (I Went Crazy, Talk About Crazy). Ne passez plus à côté de cet artiste (pour Billy Joe Shaver: "Un ami pour toujours. Billy Don est sage au-delà de son âge. Un grand auteur. Un grand homme. Un leader dans tous les domaines. Le meilleur homme à avoir à vos côtés, quelle que soit la dangerosité de la situation"). Achetez ce disque plein de chaleur dont Billy Don dit qu'il a été réalisé sous le signe de l'amitié et de l'amour, concluant ainsi: "Ma vie a été merveilleuse, elle n'a pas été facile, mais elle a été merveilleuse. J'ai rencontré la plupart de mes héros et plusieurs d'entre eux ont enregistré mes chansons. Et si je mourais ce soir, j’aurais eu une belle vie". 

 

Ted Russell KAMP

"California Son" 

Originaire de New York, éduqué musicalement au son du jazz, Ted Russell Kamp peut se revendiquer un California Son puisqu'il vit à Los Angeles depuis 24 ans. Il a souvent collaboré avec Shooter Jennings en tournée, jouant de la basse au sein de son groupe. Pour cet album, il a plus ou moins repris la même équipe et les mêmes studios que pour Down In The Den paru en 2020. L'ambiance est résolument californienne, et l'on entend des sons qui évoquent Jackson Browne et les harmonies des Beach Boys, des Byrds ou Eagles. California Son, la chanson, est une véritable lettre d'amour de l'artiste à son état d'adoption et à ses lieux et artistes mythiques. Pour mieux enfoncer le clou, Ted interprète Shine On, co-écrit avec deux membres du groupe I See Hawks In L.A., Robert Rex Waller (voix) et Paul Lacques, récemment décédé (guitare), présents ici comme Paul Marshall (voix et guitare). Il y a des accents de la Cosmic American Music chère à Gram Parsons. On retrouve le Ted Russell Kamp qu'on connaît dans des titres comme Firelight et Ballad Of The Troubadour et l'on pense à Tom Petty lorsqu'on entend Hard To Hold, The Upside Down Of Downslide ou Every Little Thing. Il y a aussi un autre titre remarquable, Hangin' On Blues, interprété par Ted avec pour seul accompagnement ses lignes de basse caractéristiques et enchaîné de belle manière avec le rock Roll Until The Sun Comes Up. L'album est lumineux et Ted confirme qu'il est un multi-instrumentiste de talent (basse, guitares, dobro, Hammond, Wurlitzer, percussion), ce qui ne l'empêche pas de faire appel à de nombreux amis (10 guitaristes par exemple). Il se confirme également comme un auteur-compositeur et interprète de grand talent, ce que l'on n'avait peut-être pas assez souligné jusqu'à présent.

Heather LITTLE 

"By Now" 

Heather Little fait partie de ces autrices-compositrices respectées par leurs pairs mais qui ne se sont pas encore fait un nom en qualité d'artistes à part entière. Il est vrai qu'elle n'a publié à ce jour sous son nom, après plus de vingt ans de carrière, qu'un album de huit titres,Wings Like These, paru en 2013, ainsi qu'un disque live enregistré au légendaire Old Quarter de Galvestone et paru sous le titre Live Sessions Vol. 2 en 2022. On connaît notamment Heather pour avoir écrit avec et pour Miranda Lambert, et l'on retrouve sur By Now le titre Gunpower & Lead que Miranda avait popularisé dès 2007. Heather n'avait pas l'intention de l'enregistrer elle-même, mais elle a fini par le faire sur l'insistance de sa consœur Van Plating, armée de son violon magique, qui l'interprète avec elle, en conclusion du disque. La confiance des amis de Heather fait de By Now une grande réussite, et la listes des invités qui viennent pour un duo est édifiante: Rusty Van Sickle pour Five Deer County, Patty Griffin pour Hands Like Mine (avec l'accordéon de Stefano Intelisano) et This Life Without You, Leslie Thatcher pour Razor Wire (ici, c'est le violoncelle de Mai Bloomfield qui se distingue), Ronnie Bowman pour Better By Now, Crystal Bowersox pour Saint Christopher. La liste des musiciens présents est impressionnante et témoigne bien de l'estime dont jouit celle qui endosse ici le costume de chanteuse, armée de sa guitare acoustique. Pour ne citer que les guitaristes, on croise au fil des plages Frank Swart, Audley Freed, Duke Levine, Kevin Barry, Jared Tyler, John Jackson et Russ Pahl (pedal steel). Il faut souligner que ces derniers (et les autres) ne sont présents que pour mettre en valeur la vedette du jour et ses mélodies inspirées et inspirantes. Le disque est éclectique, abordant différent styles. Ainsi la tendre ballade California Queen, succède à un morceau pop-rock, Transistor Radio. Il y a aussi l'émouvant My Father's Roof avec pour supports nostalgiques le piano de John Deaderick et la trompette de Kami Lyle. Heather Little dit en souriant qu'il lui a fallu quarante-six ans pour réaliser ce disque brillant. Je suis prêt à parier qu'il va lui conférer une renommée qu'elle n'avait pas vraiment cherchée jusque-là. Ses talents d'écriture brillent, mais sa voix, avec ce côté vulnérable qui la rapproche de Patty Griffin, force le respect et l'attention. Pour moi, et c'est un véritable compliment, ses talents la rapprochent de ceux de Gretchen Peters qui est mieux qu'une référence.

dimanche 7 avril 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Danny BURNS

"Promised Land" 

Danny Burns est un guitariste et chanteur irlandais établi depuis plus de vingt ans aux États-Unis. Il avait enregistré en 2019 North Country, un premier album qui m’avait beaucoup plu (Le Cri du Coyote 161). Ses goûts le portent naturellement vers le bluegrass mais sa voix lui permet d’élargir son univers musical. Son chant avait des influences soul /newgrass dans North Country qui était un album de compositions personnelles. Il est plus pop dans Promised Land, en raison du répertoire constitué de reprises rock et country. Il s’est à nouveau entouré de musiciens bluegrass: Scott Vestal (banjo), Billy Contreras et Tim Crouch (fiddle), Tony Wray (guitare), John Methany (dobro) et Matt Menefee (dobro, mandoline). Trois splendides réussites sont à mettre au crédit de Danny Burns, à commencer par une surprenante adaptation de Someone Like You d’Adele, chantée avec Tim O’Brien et bénéficiant des bonnes contributions de Menefee à la mandoline et Contreras. La voix gratte un peu dans Some Might Say et ça va très bien à cette chanson d’Oasis complètement transformée en bluegrass rapide. Come To Jesus est une reprise d’un titre de Mindy Smith qui a eu une petite carrière country mais qui est surtout connue comme songwriter bluegrass et country. Le dobro, le fiddle et surtout le duo vocal avec Sam Bush rendent la version de Danny Burns particulièrement intense. Dans un autre genre, beaucoup plus calme, j’ai aussi aimé Nothing But A Child de Steve Earle que Burns chante avec son épouse Aine (qui prépare un album solo). On retrouve Tim O’Brien en duo avec Burns dans une reprise de Fields of Gold assez conventionnelle (cette chanson de Sting a connu de nombreuses versions bluegrass) et Magnolia de Guy Clark, arrangé avec un accordéon. Le blues Lifeline n’est pas mal mais Bryan Simpson (leader du groupe Cadillac Sky) n’est pas à la hauteur de Burns comme partenaire vocal. Promised Land est une chanson country arrangée avec une pedal steel qui m’a paru anecdotique. Je n’aime pas beaucoup le standard Danny Boy mais la version de Danny Burns, plus rythmée que celles que je connais, est plutôt réussie, avec encore une fois la participation de Tim O’Brien. La seule vraie erreur dans ce répertoire plutôt audacieux est Dirty Old Town. Même avec la mandoline de Sam Bush et le talent des autres musiciens, la version gentillette de Burns ne tient pas la route quand on a celle de Shane MacGowan et des Pogues dans l’oreille. 

 

JACKSON HOLLOW

"Roses" 

Jackson Hollow est un groupe canadien (Colombie Britannique) dont l’atout essentiel est sa chanteuse Tianna Lefebvre. Les arrangements sont bluegrass mais Tianna chante comme une chanteuse country, avec une puissance qui n’empêche pas les nuances (la chanson Roses en donne un très bel exemple). On peut rapprocher sa voix de celle de Pam Tillis dont elle reprend d’ailleurs Put Yourself In My Place. Le groupe est composé de son mari, Mike Sanyshyn (fiddle, mandoline), Eric Reed (guitare, banjo) et Charlie Frye (contrebasse). Ils reçoivent le soutien sur plusieurs chansons du banjoïste Jeff Scroggins et du dobroïste Michael Kilby. L’apport de Scroggins est particulièrement remarquable dans la reprise de Can’t Stop Now, titre emblématique de New Grass Revival et le dobro convient bien au feeling country de la plupart des chansons. Le talent des musiciens de Jackson Hollow n’est pas non plus à négliger. Au fiddle, Mike Sanyshyn est excellent dans A Heartache In The Works, une reprise de Randy Travis, et Travellin’ Heart, le titre le plus bluegrass de l’album. Au banjo, Eric Reed s’adapte bien à l’esprit country en jouant un picking au drive judicieusement atténué dans la ballade For The Life Of Me et le blues Pour It To Me Straight. Les harmonies vocales contribuent également à la réussite de Roses, album de bluegrass à offrir aux amateurs de country. 

 

SPECIAL GOSPEL

Depuis Bill Monroe et les débuts du bluegrass, le gospel est partie intégrante du bluegrass. Encore aujourd’hui, peu nombreux sont les groupes qui se dispensent d’en chanter. Comme les instrumentaux ou le swing, il apporte une variété bienvenue au répertoire des groupes. Pour peu qu’il y ait une bonne voix de basse dans la formation, les quartets vocaux (parfois a cappella) font d’ailleurs souvent partie des favoris du public. Régulièrement, des formations bluegrass enregistrent un album entier consacré au gospel. L’actualité (relative pour l’album de Authentic Unlimited qui date de 2022) nous en propose trois, tous œuvres de groupes de premier plan. 

 

HIGH FIDELITY

"Music In My Soul" 

Guère étonnant qu’un groupe de jeunes musiciens comme High Fidelity, toujours en costume-cravate pour les hommes et robe en-dessous du genou pour les dames, et portant haut le flambeau du bluegrass traditionnel, consacre son quatrième album au gospel. En utilisant toutes les formules du chant solo au quartet, en jouant sur les différentes combinaisons de voix masculines et féminines, et avec des tempos majoritairement entrainants, Music In My Soul est un album varié et tout-à-fait convaincant. Le duo constitué par le guitariste Jeremy Stephens et son épouse violoniste Corrina Rose est au cœur de nombreux arrangements. Ils interprètent cinq chansons en duo dont trois titres joyeux particulièrement réjouissants : I’m Ready To Go, My Lord Is Taking Me Away (une reprise de The Lewis Family) et l’accrocheur et pétillant The Mighty Name Of Jesus (composition de Corrina Rose). Comme dans tout bon disque gospel, les quartets sont à l’honneur avec notamment Walking With My Savior proche du style de Quicksilver et I’ll Be No Stranger There dans un arrangement qui fleure bon les années 50, bien dans l’esprit de High Fidelity. I’m A Pilgrim chanté a cappella n’est pas mal non plus. En revanche, l’harmonie haut perchée de Corrina Rose dans Music In My Soul fait franchement "voix de messe". Ce n’est évidemment pas hors contexte mais, esthétiquement, c’est loin d’être ce que je préfère. Il y a un bon trio mixte dans une reprise de Jim & Jesse, Are You Lost In Sin. Plusieurs tempos rapides et plus encore l’instrumental There Is Power In The Blood permettent aux musiciens de High Fidelity de montrer tout leur talent. Kurt Stephenson est un des meilleurs spécialistes du style Scruggs et il a un son tout simplement idéal. Corrina Rose est une excellente violoniste et elle m’a semblé encore en progrès par rapport aux albums précédents. Et Vickie Vaughn a été élue non sans raison contrebassiste de l’année par IBMA il y a quelques mois. L’album s’achève sur une reprise des Bailes Brothers, We’re Living In The Last Days Now, chantée en solo. Je ne sais pas qui est le chanteur (peut-être Stephenson) mais il a un timbre très proche de celui d’Alan O’Bryant à la grande époque de Nashville Bluegrass Band et c’est une merveilleuse manière de clore Music In My Soul

 

AUTHENTIC UNLIMITED

"Gospel Sessions Vol. 1" 

Le contrebassiste Jerry Cole, le banjoïste Eli Johnston et le fiddler Stephen Burwell ayant tous été membres de l’ultime version de Doyle Lawson & Quicksilver, il est logique qu’ils aient, dès les débuts de leur nouvelle formation, Authentic Unlimited, consacré un album au gospel, la grande spécialité de Quicksilver. Gospel Sessions Vol. 1 est sorti le même jour que l’album sans titre chroniqué dans ces colonnes en février 2023. Ce sont les chants à quatre voix qui ont fait la réputation de Quicksilver et Authentic Unlimited a arrangé trois des dix titres de l’album en quartet. What Wonderful World est interprété a cappella de façon impeccable mais sans grand relief. Je lui ai nettement préféré Hold On (une des trois compositions de Jerry Cole) qui swingue merveilleusement et God Told Nicodemus, également a cappella, qui reprend l’arrangement du Golden Gate Quartet avec les voix qui se répondent. La voix de basse de Jesse Brock (mandoline) et l’harmonie ténor de John Meador sont particulièrement bien mises en valeur dans ces deux titres. Meador, seul à la guitare, chante de façon magnifique Jonas, une composition de Dean Dillon (qui a écrit de nombreux succès de George Strait). The Key et Ready ont un arrangement légèrement countrifié par l’ajout d’une batterie. On retrouve la belle voix de Meador (les autres titres sont pour la plupart chantés par Cole qui est aussi un très bon chanteur)) dans le classique Washed In The Blood (enregistré entre autres par Flatt & Scruggs) et You’ll Find Me dont le punch doit autant à l’arrangement vocal en trio qu’au talent instrumental des musiciens de Authentic Unlimited. Cole, Meador, Johnston, Brock et Burwell s’affirment avec ce premier album gospel comme les dignes héritiers de Doyle Lawson. Le second devrait sortir dans les prochains jours. 

 

The STEELDRIVERS

"Tougher Than Nails" 

Le nouvel album des SteelDrivers est certes 100 % gospel mais c’est avant tout un album des SteelDrivers. Ils chantent la religion comme ils chanteraient qu’ils ne seraient jamais allés à Birmingham si ce n’est par amour. Les Steeldrivers ont d’autant plus de mérite à être fidèles à leur style que Matt Dame est le quatrième chanteur en presque vingt ans et six albums. Il a une grosse voix blues comme Chris Stapleton et Gary Nichols avant lui. Sans trahir ce style, Kevin Damrell qui chantait sur le précédent disque, Bad For You, avait un registre plus aigu qui le rapprochait davantage des chanteurs habituels de bluegrass. Avec Dame, on est vraiment dans la lignée de Stapleton et Nichols, mais avec un chant blues plus naturel, moins forcé, que j’apprécie beaucoup. Elle met très bien en valeur les compositions de l’excellente violoniste Tammy Rogers, la plupart coécrites avec Thomm Jutz. La marche était haute mais, comme auteur compositeur, elle a pris avec succès le relais de Stapleton et Mike Henderson, partis après les deux premiers albums (avec la réussite que l’on sait pour Stapleton). Parmi les compos de Rogers et Jutz, Magdalene et la valse 30 Silver Pieces ont de très jolies mélodies, superbement accompagnées par le fiddle de Rogers, le banjo de Richard Bailey et la mandoline de Brent Truitt. Toujours de Rogers et Jutz, Tougher Than Nails est une marche blues rendue intense par la voix de Dame et At The River est relevé par des chœurs qui ne sont pas dans la tradition bluegrass. Les harmonies vocales donnent encore plus de puissance à Somewhere Down The Road. La ballade His Eye Is On The Sparrow est davantage dans le style de Larry Cordle. Les Steeldrivers ont inclus deux classiques interprétés dans un style plus conforme à la tradition gospel (Just A Little Walk With Jesus et Farther Along), tout comme une composition de Stapleton et Ronnie Bowman (I Will Someday) que les Steeldrivers jouaient sur scène à leurs débuts mais qu’ils n’avaient jamais gravé sur disque. L’album s’achève sur une belle version du standard Amazing Grace avec une très longue introduction de fiddle en solo superbement jouée par Tammy Rogers. Un classique dont on devrait se sentir lassé. Pas quand ce sont les Steeldrivers qui l’interprètent.

lundi 26 février 2024

Lone Riders, par Éric Supparo

 

Oisin LEECH

"Cold Sea" 

On pense toujours être vaccinés. On a chopé le virus tellement de fois, ça ne peut pas recommencer. En tous cas pas aussi fort. Pas avec cette persistance. Pensait-il. Secoué comme un cocotier par un sublime Halfway Towards A Healing sorti sous la bannière The Lost Brothers, il y a six ans, on a gardé un œil et une oreille attentifs sur les faux-frères irlandais, Oisin Leech et Mark McCausland. Actif depuis plus de quinze années, le duo s’est fait une place parmi les formations les plus prisées de l’île, et ses prestations scéniques sont à la hauteur de sa réputation. 

Les années 2020 - période de pandémie, vous savez - ont invité Oisin Leech à une forme d’introspection, moins sur sa propre psychologie que sur ses rêves, ses inspirations, ses racines, sa géographie vécue. Longues nuits, feu de cheminée, guitare et poèmes de Seamus Heaney à portée de main, il écrit une série de chansons qui racontent une histoire, la sienne et celle de son paysage, la côte nord de l’Irlande, du côté de Malin Head, pointe septentrionale du comté de Donegal. Le vent, la pluie, l’isolement, le silence puis le rugissement de l’océan. Il décide d’emmener dans son road-trip Steve Gunn (excellent musicien de Brooklyn), et ils enregistrent ensemble neuf titres, épurés, réduits à l’essence même de ce qui fait une chanson. L’expression avant la virtuosité, l’émotion avant le commerce, des sonorités brutes et douces, du bois, des cordes (acier ou vocales), un exercice difficile tant il tient à la magie qui opère (ou pas) entre les compositions, leur interprétation, et la qualité des enregistrements. Si un des piliers s’effondre, l’édifice entier devient bancal. Chanter la pluie, l’océan, avec une guitare folk, on le sait tous, ça bascule soit dans un autisme embarrassant, soit dans le grandiose. Alors voilà, Cold Sea, n’est ni autiste ni timide. C’est un album rare, posé sur la voix incroyable d’Oisin, un organe d’un velouté assez inédit, une voix qui enveloppe tout dans une apesanteur divine, fait décoller les mélodies au moment juste, raconte sans effet et sans outrance. Ce voyage, arrosé d’eau salée et de Guinness, se vit les yeux fermés, avec, en moins d’une demi-heure, la puissance et la beauté naturelle des lieux dévoilées, magnifiées, suggérées. L’art d’Oisin Leech tient plus dans sa capacité à faire naître des images qu’à nous forcer à les voir. Un pouvoir magique, n’en doutez pas. 

La maladie m’a attaqué avec Color Of The Rain, puis avec October Sun (où M. Ward ajoute sa guitare au tableau, avec tact et talent, forcément). Jeff Tweedy (Wilco) plaisantait dernièrement dans un talk-show à propos de Dolly Parton. Dolly a écrit Jolene et I Will Always Love You la même journée. Jeff pense - avec son humour narquois - qu’elle aurait pu s’arrêter d’écrire après ça. Quand la magie vous gâte à ce point… Donc, Oisin, avec ces deux titres, a lui aussi tout ce qu’il faut pour se reposer sur ses lauriers. Et comme Dolly, il va poursuivre. Tant mieux. 

Accompagné par Tony Garnier (bassiste, entre autres, de Bob Dylan), les cordes de Roisín McGrory, le bouzouki de Dónal Lunny (qui a joué avec à peu près tous les musiciens qui comptent en Irlande, de Christy Moore aux Waterboys en passant par Paul Brady), Oisin Leech réussit avec Cold Sea un sans-faute intégral, qui enchante et réconforte, un opus que l’on peut qualifier de "folk-music" mais qui va au-delà des étiquettes. Un album qui aurait pu voir le jour en 1969 (on use et abuse de comparaisons avec Nick Drake dans la presse musicale, mais pour le coup, Empire ou Malin Gales laissent tous les suiveurs à distance, sans forcer), et qui sera toujours pertinent dans vingt ou cinquante ans. Quelques rares dates sont prévues ce printemps en France (dont une à Paris le 3 mai), profitez-en. De la beauté infinie, que voulez-vous de plus?

mardi 13 février 2024

Du Côté de chez Sam, par Sam Pierre

 

Phil LEE

"When I Close My Eyes I See Blood…" 

En terminant la chronique de Phil Lee & Other Old Time Favorites, le précédent album de Phil Lee, parue en ces colonnes en avril 2022, j'avais écrit: "En un peu plus de trente-trois minutes, Phil Lee nous a mitonné l'un des meilleurs et des plus réjouissants disques de l'année. On en redemande!". Voici ici la suite intitulée When I Close My Eyes I See Blood… et sous-titrée More Old Time Favorites From Phil Lee. Là encore, Phil Lee et David West assurent la totalité de l'instrumentation et des voix au long des dix titres (un peu plus de trente-cinq minutes cette fois). Deux reprises voisinent avec huit compositions originales, il s'agit du morceau titre (signé Brendan Earley) et de The Lonesome Road, dernière chanson de l'album (écrite par Nathanial Shilkret et Gene Austin). Tout commence par un rock, A Night In The Box, suivi d'un morceau plus calme mais plein de l'humour cher à Phil, Bad For Me, une ballade où Phil chante: "Tu m'as bien entendu / Je t'aime encore à la folie / Mais je ne te veux juste pas près de moi / Tu es mauvaise pour moi". Vient ensuite For All The Times I Won't ("Laisse-moi t'embrasser une fois / Pour toutes les fois où je ne le ferai pas"). Après les chansons d'amour et les chansons de rupture, on a droit ici à un hymne de non-amour. When I Close My Eyes I See Blood est un autre pur rock 'n roll au rythme duquel je vous défie de rester insensible. I Wish My Song Had Teeth a pour thème, comme le titre précédent, une forme de violence. Last Year, où David West excelle au dobro (mais aussi à la mandoline et au banjo), est un des meilleurs titres de l'album, enchaîné avec I'm The Why She's Gone, délicieusement country, à vous tirer des larmes. À peine remis de ses émotions, on arrive à Nobody But You, chanson gaie et entraînante, qui donne envie de taper des pieds, puis à She Ran Out Of Give, aux accents western-swing. Comme pour l'opus précédent, Phil termine par une reprise (The Lonesome Road), titre jazzy auquel il confère des accents gospel, comme pour terminer sur une note un peu plus calme un album virevoltant et plein de fantaisie, à l'image du véritable zébulon qu'est The Mighty King Of Love. Phil Lee ne se prend jamais au sérieux, ce qui ne l'empêche pas de nous offrir, encore une fois, un album parmi les meilleurs du moment. 

 

Alice DI MICELE

"Interpretations Vol 1" 

Alice Di Micele est une autrice-compositrice-interprète originaire du New Jersey et implantée en Oregon depuis 1986. Si depuis 1988 elle a publié des albums (seize au total) essentiellement composés de chansons originales, elle a choisi cette fois-ci de nous livrer un disque de reprises. Elle a mis a profit le temps de la pandémie pour s'approprier des chansons qu'elle avait toujours écoutées mais sans prendre le temps de les travailler et de les arranger à sa sauce. Si Alice appartient plutôt à la famille du folk américain, elle dévoile ici davantage sa sensibilité jazz et folk parfaitement adaptée à sa voix très soul. Huit songwriters sont mis à l'honneur: Neil Young (Old Man et Harvest Moon, Kate Wolf (Give Yourself To Love), le Reverend Gary Davis (Death Don't Have No Mercy), Christine McVie (Over My Head), Tom Petty (Square One), Abbey Lincoln (Throw It Away), Jerry Garcia & Robert Hunter (Sugaree) et Sting (The Hounds Of Winter). Si l'ensemble du disque est plus que réussi, j'attribuerai une mention spéciale à Death Don't Have No Mercy (blues brûlant et électrique), Throw It Away (avec l'épatante Mimi Fox à la guitare acoustique), et Sugaree, l'hymne du Grateful Dead. Ce n'est sans doute pas un hasard si ses trois titres sont les plus longs du disque puisqu'il dépassent les six minutes. On ne connaît que très peu Alice Di Micele en qualité de songwriter mais elle démontre, avec Interpretations Vol 1, qu'elle est une chanteuse de haute volée. 

 

James TALLEY

"Bandits, Ballads and Blues" 

Cinquante ans après son premier album, quinze ans après Heartsong, James Talley, quatre-vingts ans, est de retour avec un album (son quinzième), intitulé Bandits, Ballads and Blues. L'homme est modeste et ne fait pas la une des magazines, mais il fait partie des grands songwiters de de dernier demi-siècle. La vie l'a fait voyager de l'Oklahoma, où il est né, à Nashville en passant par Washington et le Nouveau Mexique, et cela s'entend dans ses mélodies et orchestrations. Le disque commence avec The Lovesong Of Billy The Kid avec l'accordéon de Jeff Taylor et l'on retrouve une ambiance qui fleure bon la frontière du Mexique un peu plus loin, pour une autre histoire de hors-la-loi, The Hanging Of "Black Jack" Ketchum. Les considérations sociales et humanistes sous-tendent la plupart des textes, comme dans If We Could Love One Another ou Jesus Wasn't A Capitalist. Il y a encore For Those Who Can't, dédiée à un ancien voisin de James au New Mexique, et à travers lui, à tous les jeunes de sa génération dont la vie a été bouleversée par la guerre du Vietnam. On ne peut pas être insensible à la tendresse qui se dégage de certains titres. Somewhere In The Stars est dédié à Diego, le compagnon canin de James et The Dreamer à son père. Quant à You Always Look Good In Red, c'est une chanson d'amour pour Jan, l'épouse de James. Je peux encore citer Christmas On The Rio Grande ou encore le dernier titre, For Sumner Blues. Un mot sur les musiciens: le disque est produit par le bassiste Dave Pomeroy (déjà présent pour The Road To Torreón en 1992) qui a recruté les excellents Doyle Grisham (guitare acoustique et pedal steel), Billy Contreras (fiddle), Mike Noble (guitares acoustique et électrique), Jeff Taylor (accordéon, piano et orgue Hammond), Mark Beckett (batterie) et Andrew Carne (trompette). Ajoutons-y les harmonies des McCrary Sisters et de Jason Kyle Saetvelt), et nous obtenons l'un des tous meilleurs disques de James Talley, celui, en tout cas, qui m'a le plus touché. 

 

DRUNKEN HEARTS

"Reckless Ways Of Living" 

Ce disque est une excellente surprise. J'avais déjà évoqué The Drunken Heats pour l'album Wheels Of The City (Le Cri du Coyote n°163), disque au son un peu rude avec des accents country-rock. On retrouve la même ambiance pour Reckless Ways Of Living avec cependant une production un peu plus travaillée. Le groupe (qui a laissé tomber le "The" de son nom) se compose de Andrew McConathy (voix et guitare), Tyler Adams (claviers, piano, orgue), James Dumm (guitares électriques), Drew Packard (guitare basse) et Alex Johnson (batterie & percussions). Peut-on vraiment parler de groupe? En effet, les seuls membres communs avec la formation précédente sont Alex Johnson et, surtout, Andrew McConathy (il a hésité à se lancer sous son seul nom avant de revenir au groupe) qui a d'ailleurs coécrit les dix titres avec Dave Pahanish. Ce dernier, non content d'écrire, produit également l'album et joue de la guitare acoustique, de la basse, du mellotron et des percussions. Peu importe, les cinq musiciens et leurs invités sonnent véritablement comme un groupe et évoquent pour moi The Outlaws des débuts, lorsque Henry Paul et Hughie Thomasson étaient aux commandes. Si l'instrumentation est au départ typiquement celle d'un groupe de rock, les musiciens additionnels confèrent à l'ensemble un couleur musicale qui se situent dans le domaine du country-rock. On peut citer Jason Carter et son fiddle, Vince Herman de Leftover Salmon à la guitare (et même aux kazoo et washboard sur Popcornin' Percocets), son fils Silas Herman à la mandoline, Kyle Tuttle au banjo, Neil Jones à la pedal steel et Lindsey Lou qui prête sa voix à Forever Highway. En matière de voix, celle de Andrew McConathy avec son riche timbre de baryton excelle tout au long du disque. Tout cela fait que cet album, de Never Say Goodbye à Eventually, en passant par Good Graces ou 100 Proof est plus que plaisant de bout en bout. 

 

LOST PLANET AIRMEN

"Back From The Ozone" 

Cinquante-deux ans après Lost In The Ozone, The Lost Planet Airmen sont de retour. Bien sûr, George Frayne, alias Commander Cody, et le batteur Lance Dickerson ne sont plus de ce monde. Mais Bill Kirchen (guitare lead et chant) et John Tichy (guitare rythmique et chant), sont toujours là, ainsi que "Buffalo" Bruce Barlow (basse et voix) et Andy Stein (fiddle et saxophone). Austin de Lone a pris le siège du Commander et Paul Revelli celui de Lance. La pedal steel est jouée en alternance par Peter Siegel et Bobby Black, allègre octogénaire et membre des Lost Planet Airmen dès le deuxième LP en 1972. L'album est composé de titres qui figuraient au répertoire du groupe dans les seventies (Git It, Wine Do Yer Stuff, Back To Tennessee, My Window Faces The South, Oh Momma Momma), et d'autres, reprises (Aint Nothin' Shakin') ou compositions originales: Out Of My Mind et Olivette chantées par Bill, Feel Like I'm 21 et I Can't Get High, chantées par John, que l'on découvre ici. Il y a aussi On The Cowboy Trail chantée par Bruce (avec yodels) et Little Bitty Records chantée par Austin. Le demi-siècle qui s'est écoulé n'a pas de prise sur le plaisir de jouer des musiciens (ce qui ne surprendra pas ceux qui ont suivi la carrière solo de Bill Kirchen) et, si le titre Too Much Fun ne figure pas sur l'album, il pourrait en être le sous-titre. Comme le précisent les notes de pochette, il s'agit ici d'une réunion de musiciens mais aussi de la constitution d'un supergroupe comme on le disait (souvent de manière abusive) à l'époque. 

 

Owen TEMPLE

"Rings On A Tree" 

Dix ans déjà, depuis Stories They Tell, que nous attendions des nouvelles du songwriter texan Owen Temple. En voici, et elles sont plutôt bonnes, avec Rings On A Tree. 8 (co-) songwriters, 10 musiciens, 15 chansons, divisées en trois parties thématiques (3 faces sur un seul CD): Big Bang, Pantheon, Tree Of Life. Owen écrit à ce propos: "Si vous remontez assez loin les branches d’un arbre généalogique, vous pouvez voir que nous sommes tous connectés. Rings On A Tree est un concept-album qui examine nos histoires familiales communes et la façon dont chaque interaction que nous avons se répercute pendant des générations". L'interaction dont se félicite Owen, c'est aussi celle de l'amitié et du talent d'artisans de la chanson de ses partenaires. Il a écrit avec Hal Ketchum, décédé en novembre 2020, à qui le disque est dédié (Churches And Cantinas), Walt Wilkins (Watch It Shine, Days, Always Becoming, More Like September, Wild Seeds), Kelley Mickwee (Beautiful Accidents, Virginia And Hazel, Twenty Years), George Ensle (Rings On A Tree), Nathan Hamilton (The Song of Us), Brandon Bolin (Are We There Yet?) et Jamie Lin Wilson (Fork In The Road). Gordy Quist (Band Of Heathens) a produit les sessions à Austin, Texas, avec Steve Christensen comme ingénieur du son. En plus d'Owen (guitare acoustique et harmonica) et Gordy (guitares et basse), Rick Richards (batterie), Josh Flowers (basse), Geoff Queen (pedal steel, dobro, guitare électrique), Noah Jeffries (fiddle et mandoline) et Trevor Nealon (piano et orgue) se sont partagé la partie instrumentale, alors que Tina (Mitchell) Wilkins, Walt Wilkins, Gordy Quist et Kelley Mickwee se chargeaient des harmonies, chacun, comme le souligne Owen, mettant son cœur et son âme dans chaque note et chaque vers. Sans entrer dans le détail de la philosophie qui sous-tend la division en trois parties (les textes imprimés sur le livret permettent de la comprendre), je citerai quelques titres. L'album s'ouvre avec The Song of Us, une chanson country mid-tempo, célébrant un monde qui change vite, tout en restant fondamentalement le même, avec une guitare baryton et une pedal steel qui mettent en lumière la voix d'Owen Temple. Beautiful Accidents évoque certains moments magiques dont on ne perçoit l'importance que longtemps après leur survenance. Fork In The Road est un rock enlevé, teinté de Rhythm & Blues avec un orgue virevoltant, et un guitare électrique acérée. Are We There Yet? est un air country et bluesy à la fois, où les guitares sonnent, avec un snare drum et un piano qui claquent, évoquant un road trip estival alors que les chœurs font penser à un hit rock’n’roll passant à la radio dans les années 1950. Je pourrais continuer ainsi, par exemple avec le son du dobro sur More Like September ou de la pedal steel la nostalgique sur l'émouvante ballade Gentle James, mais je ne peux que vous conseiller de prêter la plus grande attention à Owen Temple, artiste aussi talentueux que discret. 

 

Jean-Luc LEROUX

"Tombé de la lune"

Chroniquer l'album de quelqu'un qui vous demande (gentiment) de le faire n'est pas chose aisée quand on n'aime pas la complaisance. C'est pourquoi la première écoute de Tombé de la lune de Jean-Luc Leroux était cruciale. Au bout de trois chansons, j'étais rassuré tellement l'ambiance musicale de ce cru 2024 m'a donné le sourire. Je me revoyais gamin, en train de lire mes fanzines favoris de bandes dessinées qui avaient pour nom Buck John, Tex Tone, Davy Crockett ou Jack Diamond. C'est ainsi que j'imaginais les chansons de cowboys quand j'avais huit ou dix ans. Cela dit, il serait réducteur de résumer ainsi les onze titres qui composent le disque, il est d'ailleurs écrit dessus "Bluegrass and Country Music". Bluegrass, certes, car tous les instruments du genre sont représentés: guitares et mandoline (Jean-Luc), violon ou fiddle (Aaron Till, Matt Hopper, Thierry Lecoq), banjo (Paul Trenwith, Kelsey Crews, Dean Osborne, D.J. Stinson), dobro (Thierry Loyer, Paul Trenwith), basse (Jean-Luc, Paul, Rob Kanak, Christian Menvielle). Mais il il y a aussi, la pedal steel magique de Doug Jernigan, l'harmonica de Jean-Luc (en vedette avec le fiddle de Matt sur Long Time Ago) et un peu de batterie (D.T. Toon) qui font que le disque penche très fortement vers la country music et les ballades (les instrumentaux Mowing Grass et There And Back, seul titre composé par Paul Trenwith et non par Jean-Luc, en étant les exemples contraires). La plupart des chansons sont interprétées en Français, malgré ce que pourraient laisser les titres (Cherokee Thunder, Long Time Ago, New Trip, Non Stop, seul Cowboys around the world est chanté en Anglais) et évoquent le voyage (parfois dans le temps) et les grands espaces américains (même si L'arbre de la Baie, avec des harmonies familiales, se situe en Nouvelle Calédonie). Tout cela est superbement arrangé et chanté par Jean-Luc de sa voix claire et chaleureuse, les textes sont simples mais très évocateurs et l'on déguste l'ensemble comme un friandise. Tombé de la lune plaira sans aucun doute à tous ceux de ma génération qui ont découvert d'autres sons, d'autres mélodies, une autre imagerie, avec J'entends siffler le train ou les disques de Hugues Aufray avec son skiffle band. Le CD se termine avec Je reprends la route, chanson autobiographique qui qui est une invitation à aller de l'avant: "Je reprends la route, je reprends le chemin / mes souvenirs s'emmêlent, mes larmes coulent enfin / mon amour m'a laissé après plus de dix ans / dans ce vaste univers, je trace mes nouveaux plans…".