On a parfois des préjugés. Je m’apprêtais à écouter une formation plutôt orientée rock ou country alternative. Faux. Reckless Kelly peut être catalogué comme un groupe tout simplement country pour une bonne majorité de sa musique. D’accord, l’absence du violon et de la pedal steel guitare ainsi que la brièveté des chansons, toutes en dessous des trois minutes, rapprocheraient le groupe du rock, mais la structure des titres et la douceur de certaines chansons incluent Reckless Kelly sans contestation possible dans la vaste famille de la country. Et l’ensemble s’écoute fort plaisamment.
Si près d’une heure de ballades et autant de balades dans les grands espaces de l’ouest américain au rythme de votre monture ne vous effraient pas, cet album est pour vous. Cette autrice-compositrice semble bien connaître son domaine car il s’agirait, ai-je lu, de son dixième album. On évolue dans une ambiance plus folk que country. Je l’assimilerais à une conteuse, bien que son vocal ne soit point désagréable. On ne peut cependant qualifier son style de country and western et elle ne va pas jusqu’au yodel. Il serait recommandé d’avoir ses textes sous les yeux pour vraiment profiter de la randonnée.
Ceux qui ont suivi l’évolution (ou la dégradation ?) de la musique country au long de ces vingt dernières années se souviennent peut-être d’un duo nommé Thompson Square. Il s’agissait de Shawna Thompson et son mari Kiefer. Ensemble ils ont obtenu un n°1 en 2010 et quatre Top 15. Leur musique était à fond dans la mouvance new country/pop. En 2024 Shawna nous propose son premier album solo et là, surprise, il s’agit de country music traditionnelle. Et même cinq morceaux sur les douze peuvent être qualifiés de honky tonk purs. Et quel bon goût de reprendre le fameux Jones On The Juke Box de Becky Hobbs. L’album se referme sur une excellente reprise acoustique de Together Again de Buck Owens. Shawna a bénéficié pour ce premier album du concours vocal ou instrumental de Vince Gill, Ricky Skaggs, Leona Williams, Pam Tillis, Leslie Satcher, Rhonda Vincent, Sunny Sweeney et Ashton Shepherd. Vous conviendrez que ces gens-là ne cautionnent pas de la daube "nashpop". Peut-être l’album de l’année.
Je suis un peu rétif vis à vis de ces artistes qui visent à plaire à différents publics en mélangeant les genres. Chacun se sent un peu frustré. Soyons positifs. Cet album contient de bonnes choses. Notamment en matière de country on se régalera de cinq titres avec pedal steel guitare et fiddle dont le rapide Someting I’m Working On (avec Brent Cobb) ou le bien classique Stubborn Son. Les cinq autres morceaux sont du registre pop / rock alternatif qu’apprécieront les fans de Tom Petty ou Bruce Springsteen, artistes auxquels le vocal râpeux du chanteur s’apparente.
West Of Texas n’est pas un duo. Ne tenez pas compte de la photo de pochette trompeuse. Le vocal est purement masculin et appartient à un certain Jerry Zinn, un Californien de Los Angeles. La fille n’est là que pour préparer le café. Ou plus si affinité. Jerry Zinn donc a sorti son premier album en 2021. Il est présenté comme un chanteur de style honky tonk, hérité du Bakersfield Sound. N’exagérons pas. Cet album ne propose que deux purs honky tonk mais il est néanmoins 100 % country avec un bon équilibre entre les titres rapides en début d’album et les quatre ballades regroupées. Zinn possède un vocal chaleureux propre à interpréter de la country. Un très bon album de country traditionnelle agréable à l’oreille.
Alex Miller est un jeune chanteur (encore adolescent je crois) originaire du Kentucky dont la maturité s’affirme à chaque sortie d’album. Il en a déjà trois parus en peu de temps. Il faut dire que ce sont des mini-albums de cinq titres chacun. Ce nouveau disque affiche un aspect plus tendre du répertoire du garçon avec des ballades et des mélodies bien calmes. Nous sommes toujours dans une country bien traditionnelle mais cette fois sans western swing ni honky tonk, ce qui définissait bien jusque là le style du jeune homme. Sur cette dernière œuvre je le rapprocherais plutôt de Joe Nichols ou Mo Pitney. Espérons que pour le prochain opus Alex nous gratifie de nouveau d’une country nettement plus dynamique.
Voici déjà le premier album des Oak Ridge Boys avec le remplaçant de Joe Bonsall, décédé en juillet dernier, Ben James, qui évoluait précédemment aux côtés de Dailey & Vincent. L’album s’intitule Mama’s Boys car les mamans constituent le thème des dix chansons nouvelles. Ils n’ont donc pas attendu la fête des mères car il est sorti en novembre. Pour les plus jeunes rappelons quand même que le quatuor constitué de septuagénaires a obtenu dix-sept n°1 après avoir débuté sa carrière en tournées avec Johnny Cash. Et si vous dansez sur les tubes new-country de Nashville vous n’irez pas au terme des dix titres, si courts soient-ils. Pour apprécier ce disque il faut avoir écouté par le passé les Bellamy Brothers ou les Statler Brothers: de la musique simple, traditionnelle et basée sur les harmonies vocales. Pas d’effets techniques irritants pour habiller (dégrader ?) une country à l’ancienne aux reflets gospelisants.
Le vocal d’Emily Hicks serait agréable dans sa douceur s’il n’avait ce petit timbre métallique qui me dérange quelque peu. L’ambiance est plus americana que purement country bien que certaines chansons auraient mérité d’être habillées de violon et de pedal steel guitare. Entre pop et folk et à l’orée de la country.
Amateurs de gros son, cet album vous attend. S’il doit y avoir un rapprochement à faire avec la country ce serait avec les Kentucky Headhunters. N’étant pas un spécialiste du rock sans roll je situerai la musique des Franklin entre Status Quo et le rock sudiste. Une country, une ballade et un country-rock échappent au rouleau compresseur parmi les douze titres. Il y a donc un potentiel.
Si vous n’appréciez que le style country cet album n’est pas pour vous. Par contre si dans votre jeunesse vous écoutiez Otis Redding, Carla Thomas ou Percy Sledge vous pourrez être intéressé par cette chanteuse établie à Austin et qui semble se spécialiser dans les ballades soul. Donc pas de rhythm and blues à la Wilson Pickett mais de la soul comme on en faisait chez Stax ou Tamla Motown dans les années 60, avec de l’orgue Hammond à tous les étages et ce son de basse bien distinct.
Encore une belle découverte. Il faut monter dans le Montana pour la trouver en la personne de Marcedes Carroll. Une chanteuse d’autant plus intéressante qu’elle ne s’inscrit pas vraiment en tant que représentante d’une country music traditionnelle ou contemporaine. En fait c’est son interprétation qui la situe en lisière d’une country conventionnelle. Ses ballades par exemple sont plus proches de Julie London que de Tammy Wynette. Tout comme Kimmie Bitter précédemment évoquée Marcedes n’hésite pas à aborder la variété américaine avec chœurs façon 50’s. Elle nous offre même un duo dans la pure tradition Nancy Sinatra & Lee Hazzlewood. Pour l‘aspect country elle n’omet pas de faire figurer la pedal steel guitare comme dans l’excellent tempo rapide en ouverture et se permet une belle reprise bien personnelle du Crazy de Patsy Cline. Autre reprise avec Save The Last Dance For Me de Doc Pomus et Mort Shuman. Voici une artiste qui mérite d’éclater au grand jour.
Seulement six titres sur ce mini album. J’en aurais bien aimé cinq de plus. Et oui la demoiselle possède un vocal attachant et son répertoire est fort plaisant. Elle semble bien entourée notamment par un guitariste électrique et un pianiste pour le rapide Lightning In July, par une mandoline, un banjo et une pedal steel guitare pour l’acoustique August ou encore par le fiddle sur la ballade Purple Gas. Un excellent début qui promet et cette jeune Canadienne n’a que vingt ans.
Patrick Le Moal est un ce qu'on appelle un oiseau rare, d'une espèce, non pas en voie de disparition, mais à préserver absolument. Nourri au folk, au blues, au rock, de Bob Dylan à Lou Reed, il possède en prime une plume digne des plus grands représentants de la chanson française. Trois ans après Stop ou Encore, il a choisi la deuxième branche de l'alternative, malgré les obstacles (notamment financiers) pour mener à bien son projet et nous propose Éclats, un album riche de dix titres "dédié aux indiens dans ce monde de cow-boys" ce qui situe bien l'esprit dans lequel notre Toulousain d'adoption l'a réalisé. Aux côtés de "P.J." (voix et guitare acoustique, paroles et musique), on trouve Bruno Wirtz (guitares électriques, claviers, chœurs, programmations et enregistrement), Dan Collet (basse), Olivier Bailly (accordéon) et Angéline Bailly (chœurs). Je ne vais pas me livrer à une analyse détaillée de chaque titre car tout est bon et, s'il faut résumer, je dirai simplement que Jacques Higelin, Alain Bashung ou Jean-Pierre Kalfon (toujours vivant), ont trouvé un digne héritier. En ce qui concerne les textes, il suffit de citer quelques titres pour situer le niveau d'ensemble: Un jour je recollerai tous les morceaux, Nos chevaux galopent dans la nuit lentement, Alors comme ça la terre est plate… Les titres s'écoulent paisiblement, s'écoutent attentivement, entre rock tranquille et folk habité. Je citerai quand même Sans toi ("Sans toi / Que serais-je devenu? / Un Vieux chanteur pour Dames?"), Des millions ("Je suis l'homme au manteau couleur de brique / Qui marche dans l'ombre des statistiques / Celui qui brille par son absence / Je suis celui qui ne gagne pas la course"), ou encore Au large d'Ouessant, hommage à la terre de ses ancêtres ("Au large d'Ouessant / Sous des écharpes d'écume / Le temps prend son temps / Là-haut où la lande se glisse / Jusqu'au bord du précipice / Un matin du mois de mai / Me lanceras-tu un bouquet?"). Les textes sont souvent tendres mais aussi pleins d'un humour doux-amer qui en fait tout le charme (écoutez par exemple Alors comme ça la terre est plate). Avec une dizaine d'albums à son actif, PJ Le Moal s'impose plus que jamais comme un des meilleurs représentant de la chanson rock française et, même s'il est celui qui ne gagne pas la course, il mérite pour moi d'être tout en haut de cette rubrique.
Bobbie (française, comme son nom ne l'indique pas plus que son choix de chanter dans la langue de Dylan) commence à acquérir une certaine notoriété dans son pays. Il faut cependant se méfier des étiquettes que la presse hexagonale se sent obligée de lui accoler (sans pour autant se plaindre qu'on parle d'une artiste qui le mérite). Disons simplement que Bobbie est une excellente chanteuse, à la voix pleine d'âme, qui interprète de belles chansons qu'elle à écrites elle-même (dont deux en co-écriture avec Sébastien Gohier: They Don't Show It In Movies et Nothing Ever Lasts). Bobbie a été invitée aux Francopholies de La Rochelle et, plus récemment à l'émission de télévision Taratata. On la range un peu hâtivement dans la catégorie country mais, malgré la présence de la steel guitar du toujours remarquable Manu Bertrand sur huit des onze titres, elle démontre qu'elle évolue dans un registre plus large. Elle revendique d'ailleurs comme influences Joni Mitchell et Dolly Parton qui sont loin de s'être cantonnées à un seul genre musical. L'emploi des cuivres sur Nothing Ever Lasts nous conduit aux frontières de la soul music alors que The Sacred In The Ordinary avec les claviers de Michel Amsellem et une section de cuivres a un parfum de gospel country. Les titres plus dépouillés comme Mom, Let Me Go (piano / voix) ou les plus orchestrés (I Need You More Than I Want You, Losing You, Last Ride, Back Home) ont un point commun: la sensibilité avec lesquels Bobbie les interprète. Elle est, ce qui ne gâte rien, accompagnée par une bande de musiciens plus talentueux les uns que les autres au nombre desquels (outre Manu Bertrand et Michel Amsellem) je citerai Glenn Arzel (guitare acoustique), Philippe Entressangle (batterie), Marcello Giuliani (basse) Sébastien Gohier (synthétiseur et guitare électrique), Jerry Raharison (orgue). Alors, country, folk, soul, gospel, peu importe. Chacun y trouvera son compte, sans réserve.
Le talent fleurit un peu partout en France, et c'est du côté de Chartres qu'a éclos celui de Valentine Lambert. Née dans une famille d'artistes, avec une mère artiste-peintre et un père musicien, Valentine avait le choix. Pour le bonheur de nos oreilles, c'est l'héritage paternel qui l'a emporté. Papa (Urbain Lambert), qui est le talentueux guitariste de Martha Fields, a initié très jeune sa fille à l'art de la six-cordes. Après deux EP (Un Millénaire en 2018 et Nomade en 2021), Valentine publie aujourd'hui son premier LP, Le silence. La jeune femme dit avoir pour références Bob Dylan, Emmylou Harris et Norah Jones, mais elle a d'ores et déjà un style qui n'appartient qu'à elle, un folk enrichi de son amour pour la pop. Valentine à le souci d'incorporer des sonorités modernes dans ses compositions au départ plutôt de facture classique, et il n'est pas étonnant qu'elle revendique comme nouvelle influences Xavier Rudd, Sarah Jarosz et First Aid Kit. Pour ce faire, elle s'est entourée pour la production et les arrangements de Manu Bertrand (le David Lindley français – même si je ne l'ai jamais entendu jouer de violon) et Roxane Arnal. Le choix est gagnant, et ce n'est pas une surprise pour ceux qui connaissent Manu Bertrand. Quant à Roxane Arnal, je vous invite à vous reporter à son album Elior (featuring Baptiste Bailly) chroniqué en ces mêmes colonnes en février 2023. Toujours est-il que Le Silence nous apporte un vent de fraîcheur bienvenu en ces temps pour le moins moroses. En douze chansons, Valentine nous embarque dans ses voyages, sans susciter d'autre envie que celle de la suivre. Pour débuter, J'suis comme ça est une espèce d'autoportrait musical qui fait qu'on aime la jeune femme, tendre et malicieuse, sans avoir besoin de la connaître. Le jeu de guitare est excellent, la voix est claire, souple et bien posée, sans tic ni chichi. On entend et on comprend chaque mot, chaque syllabe, ce qui est devenu bien rare dans la chanson française moderne. Le rythme est parfois enlevé (Road movie, Polaroïd avec un banjo endiablé, Le veilleur de minuit aux accents knopfleriens), teinté de swing (J'ai pas l'temps), parfois plus calme, voire nostalgique (Je pense à hier, Boom dans mon cœur, Joli mois de mai), mais avec toujours la même qualité aussi bien dans les textes que dans les mélodies, sans oublier les arrangements pleins de trouvailles qui se révèlent au fil des écoutes. S'il fallait distinguer deux titres, je citerai d'abord Elle s'appelle Jane qui démontre que Valentine sait brosser un portrait, en l'occurrence celui d'une personne ordinaire, avec des mots pour pinceaux, à la manière des meilleurs songwriters américains. Et puis (et surtout?) il y a Le silence, qui referme l'album pour mieux nous inviter à le rouvrir sans attendre. Cette délicieuse ballade repose essentiellement sur la voix et la guitare acoustique de Valentine, avant que la Weissenborn de Manu ne vienne lui conférer une dimension supplémentaire. Si je sais d'où vient Valentine Lambert, je ne sais pas jusqu'où elle ira. Très haut j'espère, car je ne me souviens pas d'avoir entendu une autrice-compositrice-interprète de ce calibre, dans ce genre musical (disons, pour simplifier, le folk à la française) depuis la regrettée et mésestimée Anne Vanderlove.
Avec les Supersoul Brothers, on prend la direction du sud-ouest de la France et on change totalement de style musical. Comme le nom du groupe l'indique, on est dans le territoire de la soul music, du rhythm & blues, du funk. L'ensemble est articulé autour de la voix de David Noël dit Feelgood Dave) qui n'a rien à envier à celles de ses modèles. C'est aussi une bande de musiciens d'une grande unité et, d'ailleurs, onze des douze titres sont composés et arrangés par le groupe (les textes étant signés par David Noël et Claire Rousselot-Paillez). Les membres du groupe sont Ludovic Timoteo (basse), Fabrice Seny-Couty et Olivier Pelfigues (batterie), Pierre-Antoine Dumora (guitares), Julien Stantau (orgue et claviers), Julien Suhublette (trombone à coulisse) et Claire Rousselot-Paillez (voix). Une section de cuivres est également présente sur le premier titre, Toy Party Time, très funky, et le dernier, Changing The People (Take My Hand). On pense souvent aux Temptations ou à James Brown, voire à Little Richard, tout au long d'un album sans temps mort, avec des moments forts comme Gimme Somme Soul, Father, Yeah! Yeah! Yeah!, By The Way ou encore Play It Like A Sister, chanté par Claire Rousselot-Paillez (sélection totalement subjective et variant selon les écoutes). J'ai un faible pour l'un des titres les plus tranquilles du disque, One More Day, sur lequel plane l'ombre tutélaire et géante d'Otis Redding. Jean-Christophe Pagnucco avait précédemment souligné en ces colonnes la qualité du groupe en concert (The Road To Sound Live, chronique parue en février 2023). Quand on sent l'énergie que les Supersoul Brothers parviennent à capter en studio, on ne peut qu'être convaincu de ce qu'ils sont capables de faire sur scène.
Qu'il semble loin le temps où le jeune Ian MacDonald faisait des débuts discrets en 1967 avec Fairport Convention. Depuis, il est devenu Ian (puis Iain) Matthews et a enregistré des dizaines d'album en solo, en duo, en groupe, toujours différent et toujours le même, porté par un talent certain et un amour de la musique qui ne l'est pas moins, multipliant les expériences, d'Angleterre aux États-Unis, des États-Unis aux Pays-Bas. The Art Of Obscurity, paru en 2013, était annoncé par Iain comme son dernier album solo et pourtant, après de nouveaux disques enregistrés avec Matthews Southern Comfort, The Matthews Baartmans Conspiracy et The Salmon Smokers, notre homme est de retour avec How Much Is Enough Volume One (ce qui ne signifie pas qu'il y aura nécessairement un volume deux). Combien est assez, ou comment ne pas faire le disque de trop? C'est un peu l'esprit dans lequel Iain était quand il a demandé à BJ Baartmans de travailler avec lui pour ce qui était peut-être son dernier album (refrain familier). Mais la qualité des chansons proposées (12 compositions originales et une reprise, To Baby de Billy Rose) et le plaisir que les deux hommes ont eu de retravailler ensemble ont fait oublier cette question existentielle, au moins jusqu'au prochain disque. Iain sait qu'il approche de la fin de son voyage de songwriter, mais il ne peut pas cesser de d'écrire des chansons (et il le fait de mieux en mieux) comme il l'explique en introduction du livret du disque. Quant à Bart-Jan Baartmans, il écrit simplement: "Quiconque a suivi Iain depuis les 60 dernières années, qui aime la qualité de l'écriture de ce chanteur si subtil, le son naturel d'un grand groupe americana ou qui se soucie de la musique qui vient du cœur doit écouter cet album. Il est définitif, et peu importe ce qui vient ensuite". Alors, écoutons et savourons. La voix, d’abord, intacte, avec ce petit voile qui en a toujours fait le charme. C’est à peine, en tendant d’oreille (par exemple dans The New Dark Ages), si l’on se rend compte que plus d’un demi-siècle s’est «écoulé depuis If You Saw Thro’ My Eyes. Les arrangements, ensuite, fidèles à ce qu’a toujours été Iain et en même temps si actuels. Celui qui a survécu aux seventies et a failli sombrer dans les eighties n’a jamais aussi bien maîtrisé son sujet. Le chansons ne sont pas en reste, de Ripples In A Stream à To Baby, on se régale. S’il faut parler des moments forts, j’ai envie de citer Where Is The Love, Good Intentions, Santa Fe Line ou encore Turn And Run. Et plus il y a l’enchaînement entre How Much Is Enough (qui pose les questions évoquées plus haut) et I Walk (coécrit avec Andy Roberts) qui y répond: "Je marche pour sentir la musique / Pour secouer la musique et la libérer du rythme des graviers sur le chemin sous mes pieds / Ces vieilles Adidas battant le tempo avec chaque syllabe et rime / Jusqu'à ce que la chanson soit complètement mienne / C'est pour cela que je marche". Il y a aussi Rhythm & Blues (qui évoque fortement Down In The Valley To Pray) et qui cité quelques héros du genre, Bessie Smith, Duke Ellington, Billy Strayhorn, Nat King Cole, Charlie Parker, Miles Davis, Thelonious Monk, James Brown, Aretha Franklin, Marvin Gaye, John Coltrane, Stevie Wonder, mais aussi Malcolm X, Cassius Clay et Martin Luther King. Quant aux musiciens, autour de BJ Baartmans le maître d'œuvre multi-instrumentiste, ils sont impeccables, en particulier Sjoerd Van Bommel (batterie et percussions) et Mike Roelofs (claviers en tous genres). How Much Is Enough peut aparaître comme un disque inattendu mais il était espéré par tous ceux, trop peu nombreux, qui aiment Iain Matthews depuis longtemps et pour qui le mot assez n'est pas d'actualité.
David RODRIGUEZ & The RHYTHM CHIEFS
"Rise And Shine"
David Rodriguez né en 1952 à Houston, Texas, est décédé à Dordrecht, Pays-Bas, en 2015. Il était ce que l'on appelle un artiste culte, plus connu de ses pairs que du grand public, et moins connu que sa fille Carrie Rodriguez, un temps partenaire de Chip Taylor. C'est Lyle Lovett qui me l'avait fait découvrir par la reprise de sa composition Ballad Of The Snow Leopard And The Tanqueray Cowboy. Peu de temps avant sa mort, David a réenregistré 9 de ses chansons aux Pays-Bas, où il s'était établi, avec le groupe local The Rhythm Chiefs (Dusty Ciggaar à la guitare lead, Danny Van't Hof à la batterie) & Rafael Schwiddessen à la basse). Près de dix ans plus tard, ces enregistrements sont enfin livrés aux oreilles avides des trop rares fans de ce grand songwriter. Ballad Of The Snow Leopard And The Tanqueray Cowboyest là, bien sûr, parmi quelques autres de ses meilleures compositions, The Friedens Angels, The Lonesome Drover, Wonder How It Feels ou Ballad Of Wanda Jewell. Il n'y a qu'un titre qui me paraît inédit, South Holland Woman, qui évoque irrésistiblement (et c'est tout sauf un hasard) Colorado Girl de Townes Van Zandt. Mieux que tous les éloges funèbres, Rise And Shine rend justice à un artiste qui avait parmi ses admirateurs, outre Lyle Lovett, Lucinda Williams et Butch Hancock et qui avait partagé la scène avec Townes van Zandt, John Prine, Blaze Foley et bien d'autres.
Question: qu’est ce qui ressemble le plus à un album de Josh Turner? Réponse: un autre album de Josh Turner. Le natif de Caroline du Sud dont la remarquable voix de basse fait frissonner l’échine des dames met trop souvent ses effets vocaux au service de chansons bien moyennes. Une seule vraie ballade et un unique titre rapide sur onze, c’est peu. Ce dixième album n’est pas mauvais mais il n’apporte rien et je vous conseille plutôt de vous replonger dans ceux des années 2000 où il nous offrait Your Man, Firecracker ou Long Black Train.
Leah Sproul est ma dernière découverte. Elle est fort mignonne et dans une revue je l’ai vue poser en compagnie d’un matou coiffé d’un stetson. Il m’en faut peu pour que je m’intéresse à une jolie jeune femme! Par un plaisant hasard il se trouve que l’album de cette délicieuse diplômée de l’université du Missouri, section musique, est l’un des trois meilleurs qu’il m’ait été donné d’écouter cette année. Son registre vocal, à la fois souple et puissant, est tout aussi remarquable que la diversité de son répertoire. Elle ouvre sur une chanson new-country pour tromper son monde puis passe à une country rapide, I Don’t Dance, où le violon est à son aise. Suit une ballade bien classique où cette fois la pedal steel guitare prend la relève. La seule reprise est une version supersonique de I’ll Be Gone de Dwight Yoakam. Le slow Sticks And Stones semble sortir de chez Tamla Motown. Darlin’Who nous renvoie dans les années 50 avec ses chœurs à la Jordanaires. Doin’ Fine nous offre un peu d’exotisme avec son accordéon et l’album se referme sur le rapide Wild Heart Queen auréolé de fiddle et de pedal steel. Pas de répit. Que du bon. Un nouveau grand talent sur qui il va falloir désormais compter.
Nous recevons une abondance de premiers albums émanant principalement de jeunes chanteuses. Ce qui est de bon augure pour l’avenir de la musique country, tout du moins de l’autre côté de l’Atlantique. Maggie Antone est l’une d’entre elles. Elle est originaire de Richmond en Virginie. J’ignore son âge mais son vocal a quelque chose de juvénile qui n’est pas sans nous rappeler Kimmi Bitter ou une autre chanteuse mentionnée dans cette rubrique. Ses chansons et sa manière de les interpréter me rappelle Kacey Musgraves sur ses premiers albums. Cette première œuvre souffre de l’absence d’un ou deux titres au tempo relevé. Donc, ne pas écouter les dix titres d’une seule traite pour éviter de sombrer dans l’ennui.
L’album de cet auteur compositeur est présenté comme un hymne envers les Appalaches. Si vous maîtrisez suffisamment l’anglais et si vous avez parcouru cette région du sud-est des Etats-Unis vous trouverez certainement un intérêt à écouter cet opus. L’accompagnement musical est assez riche avec du dobro, du fiddle, de la pedal steel guitare et de la mandoline. Les rythmes sont variés et le vocal de Pony Bradshaw me fait penser à Dylan, en plus juste. Une bonne découverte. Et si vous ne trouvez pas sublime les 5 minutes 40 du titre final Rebel on vous rembourse votre abonnement au CRI.
Parmi toutes ces jeunes chanteuses de country émergentes il en est une qui est peut-être un peu plus originale que les autres, et même aussi un peu plus traditionnelle puisqu’elle se permet de reprendre quelques classiques et notamment du Bob Wills. Il s’agit de Sweet Megg. Originaire de la ville de New York elle a étudié le jazz à Paris et dans sa ville natale avant de s’établir à Nashville en 2021. Elle a publié deux albums de jazz puis a décidé d’associer la country music à son style de musique initial. Cela nous vaut quelques belles reprises de San Antonio Rose, Please Help Me I’m Falling, Leaving On Your Mind ou encore la ballade bien classique I Wonder Where You Are Tonight. Un seul titre peut être qualifié de jazz pur façon Ella Fitzgerald, Lonesome Hearted Blues. Il s’agit bien là d’un album de country où le violon et la pedal steel guitare sont bien présents mais ils côtoient la trompette et parfois le saxophone. Les musiciens sont remarquables et soutiennent admirablement le vocal puissant de la chanteuse. Assurément une artiste à suivre.
Encore un album qui s’est glissé dans la pile par erreur. Mon rédacteur en chef sait que j’ai un petit faible pour les chanteuses aussi il a tendance à orienter dans mon casier toutes les demoiselles qui lui paraissent évoluer dans la country à la vision de la pochette. Apparence parfois trompeuse. Certes le vocal de Cyrena est accrocheur mais son style musical ne m’a pas envoûté. Imaginez une dizaine de slows ou ballades que je qualifierais de pop/alternative. Aucun rapport donc avec l’objet de cette rubrique.
Un bel exemple d’americana nous est offert par cette nouvelle venue, Eliza Thorn. Son vocal est particulier et sa musique l’est aussi. Une voix de Lolita qui nous rappelle Emilie Nenni ou Kimmie Bitter. On accroche… ou pas. Mais on y décèle une tonalité jazzy qui est notamment en évidence dans l’unique western swing, hélas bien trop court avec ses 2 minutes15, Nobody But You. J’en aurais bien repris un petit deuxième. Autre titre intéressant , I Tried, avec un côté slow et un côté swing, bien appuyé par le fiddle et la pedal steel guitare. Plusieurs chansons sont davantage du domaine de l’alternatif mais avec un piano et du violon. Deux titres sont bien country. À essayer et peut-être adopter.
Sur un plan commercial George Ducas a mieux réussi en tant que compositeur plutôt que comme interprète. En effet il n’a réussi à obtenir qu’un seul Top 10 en 1994. Par contre ses chansons ont été enregistrées par Sara Evans (un n°1), George Jones, Garth Brooks, les Dixie Chicks ou encore Trisha Yearwood. Ça démontre le talent du bonhomme. Les années ont passé. La country a bien changé depuis les années 90 mais le natif de Texas City est toujours actif. Il a recentré son style sur la country traditionnelle ce qui est loin de nous déplaire. Avec quatre purs honky tonk en ouverture on se dit qu’on tient là le meilleur album de country classique de l’année. Cependant la seconde moitié est nettement plus paisible et conventionnelle. On reste néanmoins bien au-dessus de la majeure partie de la production actuelle nashvilienne.
George Strait, une valeur sure. C’est comme avec Alan Jackson, un album moyen de ces deux-là se situeront toujours au-dessus de la majorité de la production de Nashville. Aucune usurpation du terme "country". À l’âge de soixante-douze ans et quarante-deux ans après son premier n°1 obtenu en 1982, Strait aurait pu se retirer sur son "front porch", on ne lui en aurait pas voulu. Après trente-six numéros 1 dans sa carrière. Mais la musique c’est sa vie et il continue de battre des records d’affluences lors de ses concerts: 110.905 personnes en juin dernier dans un stade au Texas. Cette dernière œuvre pour moi n’est ni meilleure ni moins bonne que ce qu’il nous a toujours offert. On est loin de l’époque où il nous servait du western swing sur chaque album. Seulement trois titres rapides sur treize sont au programme dont la seule reprise, le Waymore’s Blues de Waylon Jennings qui prouve qu’il a encore de l’énergie. Et l’un de ces trois titres est l’excellent Honky Tonk Hall Of Fame partagé avec l’une des stars actuelles de Nashville, Chris Stapleton. À noter encore le honky tonk The Book et la ballade bien classique Wish I Could. Certes George Strait a fait mieux. Mais nous ne sommes plus en 1987 où il chantait All My Ex’s Live In Texas.
Certaines critiques qualifient la country de Hannah Juanita de traditionnelle. N’exagérons pas. La musique de cette native du Tennessee mais certainement d'ascendance mexicaine, certes country avec ce qu’il faut de fiddle et de pedal steel guitare dans son accompagnement n’a rien de Loretta Lynn. En revanche son répertoire est bien varié, voire parfois original avec par exemple la chanson en ouverture qui est abordée sur un tempo "cashien". Un piano et un accordéon contribuent à rajouter une dose d’exotisme et d’originalité. Le vocal d’Hannah ressemble un tantinet à celui d’Eliza Thorn évoquée dans cette rubrique. Certains peuvent craindre. Pour ma part j’adopte.
Voici le quatrième album de ce Californien qui figure parmi les jeunes représentants de la country musique traditionnelle actuelle (il n’a que trente-deux ans). Certains parmi vous l’ont peut-être découvert à Equiblues en 2023. À l’encontre de ce qui est devenu la normalité sur les albums country à l’heure actuelle qui consiste à vous abreuver de ballades souvent insipides, Jesse Daniel nous propose une abondance de country-rock, rock and roll et country au tempo trépidant. Il nous réserve quand même une ballade de style bien classique, When Your Tomorrow’s In The Past, dont il partage le vocal avec une certaine Jodi Lyford (son épouse). Peu de honky tonk au sens traditionnel mais tous les ingrédients de la country sont bien là. On ne risque certainement pas de somnoler dans une soirée animée par Jesse Daniel.
Doyle Lawson & Quicksilver enregistrait un album chaque année, alternant albums gospel et profanes. Formé par trois de ses musiciens quand Doyle a pris sa retraite, Authentic Unlimited fait un choix à peine différent en sortant, tous les deux ans et simultanément, un disque gospel et un disque profane. Les deux premiers étaient parus en 2022 (chroniques de février 2023 et avril 2024 – pas au top de l’actualité sur ce coup-là). So Much For Forever et Gospel Sessions Vol. 2 forment la cuvée 2024. Les albums gospel de Quicksilver ont souvent été plus intéressants que les autres et c’est aussi le cas pour Authentic Unlimited. Dans les deux albums, tout est au cordeau, bien joué, bien chanté, très bien enregistré, pas un poil d’harmonie qui rebique. Mais c’est un peu trop lisse à mon goût, ça manque d’originalité, surtout en ce qui concerne So Much For Forever. L’album commence pourtant très bien avec Big Wheels, un titre rapide, dynamique, une composition du bassiste Jerry Cole, avec des harmonies vocales dans l’hyper-aigu qui captent l’oreille. Cette chanson de camion devrait servir de locomotive à l’album. Elle est d’ailleurs rapidement grimpée au sommet des charts bluegrass. Le titre suivant, Goodbye, est une émouvante chanson sur les difficultés de la séparation. Également écrite par Cole, elle est très bien interprétée par le guitariste John Meador, un tenor avec une voix "tout là-haut", douce sans jamais être mièvre. Je trouve la suite très bien faite mais un peu trop tranquille, avec une majorité de ballades et de countrygrass (Fall in Tennessee avec Jerry Douglas en guest au dobro, Ain’t Got Time avec des percussions), et quand les tempos sont plus rapides, ça manque d’un soupçon d’originalité (Reflection). J’ai préféré à ces chansons les deux instrumentaux, l’élégant A Drive At Dusk du mandoliniste Jesse Brock et le fiddle tune Benfield Line signé du violoniste Stephen Burwell avec de jolis passages en duo fiddle – banjo (Eli Johnston).
Gospel Sessions Vol. 2 n’est pas plus original mais, par nature, le classicisme sied au gospel (rares sont les formations comme The Steeldrivers qui réussissent à s’en éloigner (Tougher Than Nails – cf. avril 2024)). Comme Big Wheels dans So Much For Forever, un titre se détache, Wings Of Love, une des deux compositions signées des cinq membres du groupe. C’est un swing entrainant, avec un bel arrangement vocal en quartet dans le style barbershop, agrémenté d’un duo instrumental entre Brock et Burwell. Un autre quartet (You’ve Been A Blessing To Me) met à l’honneur la partie tenor de Meador et la voix de basse de Jesse Brock. Dans Thank You Lord For Grace, Meador chante un peu dans le style de Jamie Dailey (autre ancien de Quicksilver). Il y a une jolie fin a cappella sur Memories of Home. La ballade To The Cross est interprétée en duo par Cole et Meador. La moitié des titres sont chantés à quatre voix et les Authentic Unlimited maîtrisent parfaitement l’exercice. Pas un chef d’œuvre mais, à part les Steeldrivers, il n'y aura pas beaucoup de groupes en fin d'année pour les concurrencer pour l'album gospel 2024.
Dans le livret qui accompagne cet album, Béla Fleck raconte avoir aimé très jeune et dès la première écoute Rhapsody in Blue de George Gershwin. De nombreux amateurs de bluegrass français ont pu découvrir l’adaptation qu’il en a fait lors de sa tournée européenne My Bluegrass Heart en janvier 2024 (elle est notamment passée par Maisons-Alfort). Cette version intitulée Rhapsody in Blue(grass) a été enregistrée avec les musiciens de la tournée. Elle figure en tête de l’album mais, chronologiquement, c’est la seconde créée par Fleck. C’est pendant le confinement qu’il a entrepris d’adapter au banjo la partie de piano de l’œuvre de Gershwin pour la présenter pour la première fois au public en 2023 avec l’orchestre symphonique de Nashville. C’est ensuite qu’il a pensé à l’adapter avec les musiciens bluegrass qui l’accompagnaient pour la tournée My Bluegrass Heart, Sierra Hull (mandoline), Bryan Sutton (guitare), Michael Cleveland (fiddle), Mark Schatz (basse) et Justin Moses (dobro). Pour compléter l’album, Béla Fleck a concocté une troisième version, Rhapsody in Blue(s) avec Sam Bush, Jerry Douglas (dobro) et Victor Wooten (basse). 2024 étant l’année du centenaire de la création de Rhapsody in Blue, Fleck a ajouté deux œuvres de Gershwin qu’il joue en solo. Rialto Ripples est un ragtime assez connu alors que Unidentified Piece for Banjo n’avait jamais été enregistré. C’est également un ragtime que Fleck joue sur un instrument à cordes en nylon avec la virtuosité qu’on lui connait.
Des trois versions de Rhapsody in Blue, ma préférence va très nettement à l’arrangement pour instruments bluegrass. Je trouve la version symphonique artificielle. Il y a plusieurs dizaines de musiciens dont une quarantaine de cordes et c’est souvent déséquilibré à côté d’un banjo qui sonne tout sec parce que la mélodie lui impose de jouer en single string. Béla Fleck n’est pas le premier à s’essayer au mariage d’un instrument bluegrass et d’un grand orchestre (Krüger Brothers, Steep Canyon Rangers). Jusqu’à présent, aucune expérience ne m’a vraiment convaincu.
La version bluegrass est magnifiquement arrangée. Les instruments se relaient pour présenter la mélodie. Fleck n’est pas systématiquement en single string comme dans la version symphonique, il y a un long passage en style Scruggs qui fait vraiment le pont entre bluegrass et musique classique. Avec cette œuvre, Gershwin avait l’ambition d’associer musique classique et jazz. Les phrasés jazz sont habilement repris par Clevelandet Moses. Sierra Hull et Bryan Sutton y ajoutent une touche manouche. C’est délicat, virtuose et intelligent.
La version blues est une adaptation beaucoup plus libre (et beaucoup plus courte) de l’œuvre de Gershwin. Il y a même un solo de basse de Victor Wooten. Béla Fleck et Jerry Douglas sont en vedette, Sam Bush ayant davantage un rôle rythmique.
Avec six titres seulement, Pages In Your Hand est ce qu’on appelle un EP (Extended Playing). C’est le second disque de Chris Jones avec la formation actuelle des Night Drivers soit Mark Stoffel (mandoline), Grace Van’t Hof (banjo) et Marshall Wilborn (contrebasse). Il n’y a que deux titres avec banjo, deux compositions de Chris Jones, dont The Price of Falling, chanson bluegrass typique qui devrait lui valoir une bonne diffusion dans les émissions bluegrass. Carley Arrowood est au fiddle sur le countrygrass Pages In Your Hand. Billy Cardine est en vedette au dobro dans la marche swing Blow Whistle composée par Wilborn. Les Night Drivers reprennent également un gospel peu connu de Ralph Stanley, Step Out In The Sunshine. Chris Jones est un bon chanteur mais à la voix plutôt monocorde. Il a eu la bonne idée de laisser un titre à Grace Van’t Hof (qui joue de la guitare tenor sur les titres où elle n’est pas au banjo). Elle a une voix très particulière, nasale, qui convient aux vieilles chansons country, idéale pour reprendre Those Gambler’s Blues de Jimmie Rodgers.
Depuis bientôt 30 ans (l’album de Wyatt Rice & Santa Cruz en 1996), Junior Sisk est une des principales voix du bluegrass classique. Typique, nasillarde et plutôt aiguë mais sans excès et avec beaucoup de nuances dans l’interprétation. Après une bonne dizaine d’années à la tête du groupe Rambler’s Choice (qu’il avait fondé avec son cousin le songwriter Tim Massey en 1997 et reformé en 2007 après une interruption consécutive à un accident de la route), Junior Sisk avait décidé en 2017 de continuer en solo. Mais depuis trois albums, c’est la même excellente équipe qu’on retrouve sur ses enregistrements et qui l’accompagne en tournée : Le couple Tony et Heather Mabe (banjo et guitare), le mandoliniste Johnathan Dillon (fidèle depuis Rambler’s Choice) et le contrebassiste Curt Love (depuis 2022 et l’album Lost & Alone – cf. mars 2023). Pour If There’s A Will There’s A Way, ils sont accompagnés par Tim Crouch au fiddle. Un album tous les deux ans, dix titres par album, à peine plus de trente minutes de musique, Junior Sisk ne se tue pas à la tâche mais la qualité est là. Du bluegrass bien rythmé, dynamique avec These Are They et Old Cold Shoulder, du classique typique des thèmes country (Nothing’s Good About Goodbye), une bonne adaptation d’un titre de Roger Miller (A Man Like Me) avec la contribution discrète de Dan Tyminski (même discrétion pour Ricky Skaggs sur le gospel des Stanley BrothersMemories of Mother). J’ai mis un peu de temps à apprécier Long Hard Road (de Rodney Crowell) tant j’ai la version de Nitty Gritty Dirt Band dans l’oreille mais l’interprétation en douceur de Sisk finit par s’imposer et c’est vraiment une jolie chanson. Même phénomène pour Bluegrass Country interprété par Heather Mabe. La version de Del McCoury (sur l’album Del & The Boys, un des chefs-d’œuvre de l’histoire du bluegrass) est tellement splendide qu’il faut être téméraire pour s’attaquer à ce titre. Mais, ici encore, il suffit de quelques écoutes pour apprécier l’excellente interprétation de Heather Mabe. Citons encore What A Wonderful Life, un midtempo rythmé, bien chanté par Sisk. Il y a de jolis trios sur les refrains (These Are They, If There’s A Will There’s A Way), les arrangements sont classiques mais très bien joués. Je n’aurais pas été contre une paire de chansons en plus.