Blood Harmony, le précédent album de Larkin Poe, leur avait valu en 2024 le Grammy Award du meilleur album de blues contemporain, récompense qui a, par le passé, consacré des artistes comme Robert Cray, Stevie Ray Vaughan, Buddy Guy ou Keb' Mo'. J’avoue que j’ai un peu de mal avec Bloom, le nouvel album de Larkin Poe. C’est du blues rock caractérisé par un gros son avec de la distorsion sur la guitare de Rebecca Lovell et la lap steel de sa sœur Megan. C’est comme d’habitude Rebecca qui chante. Pas mal mais elle n’a pas la puissance pour vraiment envoyer ce genre de chansons et, souvent, elle force trop sa voix. Peu d’harmonies vocales dans Bloom alors que c’est un des points forts de ces artistes qui ont grandi à l’école du bluegrass (avec le groupe Lovell Sisters). Les quatre titres que je préfère sont ceux où Rebecca chante de façon naturelle, sans forcer: If God Is A Woman, Pearls (pourtant un des titres les plus rock de l’album), Little Bit (un blues avec un chant plaintif qui convient beaucoup mieux à Rebecca) et surtout la ballade lente Bloom Again chantée à deux voix sur un élégant arpège de guitare…
Wild and Clear and Blue est le second album du trio I’m With Her, sept ans après See You Around. Le groupe est composé de trois chanteuses multi-instrumentistes qui se sont fait connaître par le bluegrass. Aoife O’Donovan était la chanteuse de Crooked Still. Sara Watkins s’est révélée très jeune comme violoniste et chanteuse du trio d’adolescents surdoués Nickel Creek. De son côté, Sarah Jarosz a sorti sept albums solo en 15 ans dont le premier à 18 ans avec Jerry Douglas, Stuart Duncan et Chris Thile. Leur musique peut être qualifiée de folk moderne (un album dont une chanson s’intitule Rhododendron ne peut être que folk), dominée par les superbes voix des trois chanteuses. Sarah et Aoife ont des timbres très purs, des voix qui se ressemblent et leurs passages en duo (Ancient Light, Different Rocks Different Hills) ont la même magie que si elles étaient sœurs. Les trois voix se confondent dans l’aigu (Standing on the Fault Line) mais dans les mediums, Sarah a une très légère cassure qui la rend identifiable. Elle a aussi une prodigieuse agilité vocale (Year After Year). Les trois jeunes femmes ont écrit ensemble les dix chansons de Wild and Clear and Blue. Il y a de très jolis motifs de fiddle (Sara Watkins) pour enluminer Ancient Light, Wild and Clear and Blue et Mother Eagle. Le banjo clawhammer de Sarah Jarosz rythme Different Rocks Different Hills et sa mandoline est en évidence dans Find My Way Home. Un très joli album.
À la sortie de So Long Little Miss Sunshine, de nombreux amateurs de bluegrass se sont sentis trahis par Molly Tuttle. Avec Billy Strings, elle était devenue en une demi-douzaine d’années la nouvelle star du genre avec de multiples récompenses IBMA (guitariste, chanteuse, chanson, album de l’année) et même deux Grammy Awards pour chacun de ses derniers albums, Crooked Tree (cf. juillet 2022) et City of Gold (septembre 2023). Sentiment d’abandon accentué parce que la parution de So Long Little Miss Sunshine a aussi correspondu à la dissolution de son groupe Golden Highway, un des plus talentueux (et le plus sexy) de ces dernières années. Ce serait oublier un peu vite que, si la formation de Molly s’est faite par le bluegrass, elle avait sorti avant Crooked Tree et City of Gold deux disques qui n’avaient rien de bluegrass (When You’re Ready et l’album de reprises But I’d Rather Be With You) et un EP (Rise) qui ne l’était que très partiellement. Quant au split de Golden Highway, il était sans doute inévitable avec le succès des albums solo de Brownyn Keith-Hynes et Shelby Means et la sortie prochaine de celui de Kyle Tuttle.
A part I Love It, reprise du duo suédois Icona Pop (ne vous inquiétez pas, moi non plus je ne connaissais pas – j’ai écouté l’original, c’est très différent de ce que Molly en a fait), la jeune artiste californienne a écrit toutes les chansons, la plupart avec Ketch Secor (Old Crow Medicine Show), les autres avec Kevin Griffin (chanteur de Better Than Ezra, je ne connais pas non plus). A côté de chansons sentimentales, il y a cinq titres très intéressants par leur texte. Everything Burns et Summer of Love (avec une double évocation des Beatles dans le refrain et le pont) traite de l’état du monde actuel et de son évolution. Rosaleeest une murder ballad (plus rock que ballade en fait) avec un point de vue décalé (pour une fois, ce n’est pas un féminicide). Deux textes sont beaucoup plus personnels, Story of My So-Called Life et Old Me (New Wig) dont le refrain a donné son titre à l’album. C’est une chanson de rupture de Molly avec elle-même qui pourrait aussi évoquer l’évolution de sa musique (mais je suis persuadé qu’elle reviendra au bluegrass à l’avenir). Musicalement, l’album est complètement dominé par la guitare acoustique de Molly. Elle joue toutes les intros et tous les solos, sur fond de batterie, basse et claviers (beaucoup de B3). Le fiddle et la mandoline de Ketch Secor sont relégués au second plan, voire à peine audibles. Seul son harmonica surnage dans Old Me (New Wig). La moitié des titres est assez rock avec une bonne touche pop donnée par la reverb sur la voix de Molly. Les parties de guitare sont excellentes dans The Highway Knows, That’s Gonna Leave A Mark et Old Me (New Wig). Dans Rosalee, Molly utilise sa technique clawhammer adapté à la guitare qui a en partie fait sa réputation et dans Everything Burns elle recycle magnifiquement des plans de hard rock. Le monde du bluegrass pleure peut-être Molly Tuttle mais celui de la musique rit toujours.
Two True Loves, voilà un titre qui sied bien à Jim Patton et Sherry Brokus. En effet, avant ce nouvel opus, le couple avait déjà publié huit albums (dont une compilation), auxquels il faut ajouter deux disques parus sous le nom de Edge City, et tout cela en 25 ans. Ils célèbrent donc leurs noces d'argent musicales sur l'excellent label Berkalin de l'ami Brian Kalinec, ce qui est un gage de qualité. Le disque est riche de quatorze chansons, toutes écrites par Jim Patton. Deux ont été écrites avec Mookie Siegel, trois avec Steve Brooks, une avec Rob Lyttle, une avec Lew Morris. Jim est à la guitare acoustique au chant principal et Sherry aux harmonies. À leurs côtés, on trouve une belle équipe made in Texas: Ron Flynt (basse, claviers, guitare acoustique, harmonies), "Scrappy" Jud Newcomb (guitares lead), John Chipman (batterie) et BettySoo (harmonies). La voix de Jim est douce, à l'image des compositions, et légèrement éraillée (un peu dans le registre de Steve Forbert). Two True Loves ne fait pas partie des disques qui vont changer le cours de la musique ou se placer en tête des classements de fin d'année. Rien de révolutionnaire mais, et ce n'est pas moins important, on ressent un bien-être immédiat à son écoute, et l'on sait qu'il sera durable. Jim écrit de jolies chansons à propos des choses simples de la vie quotidienne mais elles sont arrangées et ordonnées de telle manière qu'on s'immerge progressivement dans l'univers du duo. Certains titres nous accrochent plus rapidement que d'autres, comme Two True Loves qui nous emmène dans un monde où l'on s'attend à rencontrer les Byrds ou les Beatles, Leave Me Alone et son titre répété de manière expressive, ou encore She Doesn't Want To See You Anymore avec son rythme chaloupé, avant un Caught In The Daylight qui est peut-être le titre le plus rock de l'album, avec un solo de guitare électrique de Scappy Jud Newcomb. Musicalement, on est la plupart du temps dans le domaine d'un folk-rock qui sait parfois se teinter de country, y compris dans les thèmes (Why Did You Leave Me For Him?). Quoi qu'il en soit, il est difficile de trouver un moment faible dans Two True Loves et cela d'autant plus que les trois derniers titres sont particulièrement remarquables. What If You're Fooling Me Now a une mélodie (et même quelques mots) qui semble directement inspirée de To Ramona de Bob Dylan (inutile de préciser que j'adore ce titre). Hard Times a une atmosphère plus pesante, bien adaptée au thème, avec une guitare électrique et des voix qui se répondent. Quant à One More Song, il s'agit d'une forme de profession de foi d'un artiste d'un certain âge qui continue à parcourir les routes et les scènes alors qu'il pourrait tout aussi bien profiter d'un repos mérité. Ici, il s'appelle Eddie, mais ce pourrait tout aussi bien être Jim ou Sherry: "But Eddie already knows the answer / And he knows why they carry on / Something inside that never quite died / And they’ve always got one more song / They’ve always got one more song" (Mais Eddie connaît déjà la réponse / Et il sait pourquoi ils continuent / Quelque chose en eux qui n'est jamais vraiment mort / Et ils ont toujours une chanson de plus / Ils ont toujours une chanson de plus).
J'avais découvert Hayes Carll en 2006, il avait alors deux albums à son actif. J'avais eu la chance de le voir en concert quelques mois plus tard, partageant la scène avec Mark Erelli, grâce à Acoustic in Paris. Les quelques heureux spectateurs présents ce soir-là n'avaient pas manqué de déceler son potentiel. Il est vrai que le jeune homme (31 ans à l'époque) avait déjà été reconnu par ses pairs puisque, sur Little Rock, son deuxième album, il avait coécrit des titres avec Guy Clark, Ray Wylie Hubbard et Adam Carroll, qui étaient des références pour ce natif de Woodlands, Texas. Sept disques plus tard (en comptant Alone Together Sessions, réenregistrements en solo, en période de confinement, de titres déjà publiés), le jeune homme approche de cinquante ans et peut regarder avec fierté le chemin accompli. Avec We're Only Human, il ajoute une belle page à son grand livre, dix chansons que l'on a envie de fredonner, qui donnent envie de taper du pied ou simplement de se laisser aller au bien-être. Cependant, l'ensemble n'est pas forcément joyeux et We're Only Human, la chanson, nous rappelle ne sommes que des humains, avec nos forces et nos faiblesses. Stay Here Awhile nous explique que savoir se poser est nécessaire parfois: "I spent so long climbing the hill / But I only started movin’ when I got still" (J'ai mis si longtemps à gravir la colline / mais j'ai seulement commencé à bouger quand je me suis arrêté). Progress Of Man (Bitcoin & Cattle)n'incite pas franchement à l'optimisme: "The man on the TV keeps snakin' strange faces / There's folks flyin' rockets to far away places / The world's gettin' on turned by assholes and racists / And it's all for the progress of man" (L'homme à la TV continue de faire des grimaces étranges / Il y a des gens qui envoient des missiles sur des endroits lointains / Le monde est de plus en plus dirigé par des trous du cul et des racistes / Et tout cela au nom du progrès de l'humanité). Après High, arrive One Day avec ces phrases: "And one day I'm gonna wake up / With the battle behind me / And l'd let the stars remind me / That I'm right where I belong" (Et un jour je me réveillerai / Avec la bataille derrière moi / Et je laisserai les étoile me rappeler / Que je suis juste à ma place). Lassitude? Espérance d'une autre vie ou de la vie d'après? Les deux derniers titres de l'album expriment une forme de contrition. Il y a d'abord Making Amends ou le message est clair: "God knows it takes time to heal / The damage I've done / But I'm making amends / And tryin' to do better / I do not want to heurt anymore" (Dieu sait qu'il faut u temps pour guérie / Les dégâts que j'ai causés / Mais je fais amende honorable / Et j'essaie de faire mieux / Je ne veux plus blesser). May I Neverest un gospel folk traditionnel (avec les voix de Hayes Carll, Gordy Quist, Shovel & Rope, Nicole Atkins, Ed Jurdi et Ray Wylie Hubbard) qui nous laisse avec cette phrase: "May I never forsake you again" (puissè-je ne jamais plus t'abandonner). Le message est indéniablement religieux et correspond au questionnement, omniprésent dans l'album sous différentes facettes, d'un homme arrivé au milieu de sa vie. Pour en revenir à l'aspect musical, le disque est produit par Gordy Quist (Band Of Heathens) et Hayes Carll. Parmi les musiciens, tous au sommet de leur art, en plus de Gordy et Hayes, il y a Brian Wright (guitares), Jared Reynolds (basse), Mike Meadows (batterie), Trevor Nealon (claviers), Geoff Queen (pedal steel) et Noah Jeffries (mandoline et fiddle). Dans le paysage souvent édulcoré de la country music, un album d'Hayes Carll est toujours une bonne nouvelle. Avec We're Only Human, elle est même excellente.
John Fogerty vient d'avoir 80 ans et, depuis quelques années, il pratique beaucoup le recyclage de ses œuvres, disques en public, album de duos. Son dernier disque, en famille, s'appelait Fogerty's Factory (la photo de couverture pastichait celle de Cosmo's Factory) et contenait des reprises de ses propres chansons (avec CCR ou en solo) à côté de compositions de Bill Withers (Lean On Me) et Steve Goodman (City Of New Orleans). Aujourd'hui, il publie Legacy - The Creedence Clearwater Revival Years, vingt réinterprétations de chansons écrites pour le groupe légendaire (plus des bonus variables selon les éditions). Quel(s) intérêt(s) peut-on trouver à ce nouvel opus? Il y a d'abord un intérêt pour John qui a enfin pu récupérer en 2023 les droits d'auteur qu'il avait perdus. Intérêt financier mais pas seulement, car John a pu donner à ses chansons une nouvelle jeunesse en studio. Intérêt pour l'auditeur qui peut trouver en un seul disque la plupart des succès de Creedence Clearwater Revival, une compilation concoctée par l'artiste lui-même. Et puis, Legacy constitue une ultime mise au point à l'intention de ceux qui n'avaient pas compris que CCR était John Fogerty et lui seul. Ni Tom, son frère aîné, qui était au départ le leader des Blue Velvets et des Golliwogs, ni Stu Cook ni Doug Clifford, n'étaient plus que des faire-valoir. Cela posé, on ne peut que se réjouir à l'écoute de ces trésors qui, pour beaucoup d'entre nous, sont des souvenirs ineffaçables d'une époque où les tubes se succédaient à une cadence infernale. De Up Around The Bend à Fortunate Sun, c'est un véritable feu d'artifice de rock 'n' roll qui nous attend et j'y retrouve tous les titres qui m'ont fait vibrer à l'aube de mes 18 ans: Proud Mary, Have You Ever Seen The Rain, Born On The Bayou, Lodi, Down On The Corner, Bad Moon Rising, Traveling Band, Green River, pour citer mes favoris. John est accompagné de ses fils Shane (essentiellement) et Tyler mais aussi, au long des différent morceaux, de Bob Glaub, MattChamberlain ou Bob Malone. John s'est offert un cadeau d'anniversaire avec ces John's Versions, mais je suis sûr que c'en est un aussi pour beaucoup d'entre nous.
À 77 ans ans, Willie Nile n'en finit plus de nous surprendre et de nous ravir. Depuis Streets Of New York (2006) il a publié une ribambelle d'albums (dix en studios et trois en public) et ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. D'ailleurs, si la génétique joue un rôle dans son espérance de vie, il a un bel avenir devant lui puisque son père vient de fêter ses 107 ans en parfaite santé. Great Yellow Light comporte dix nouvelles compositions de Willie dont trois coécrites avec le fidèle Frankie Lee (We Are, We Are, Fall On Me et What Color Is Love) et une avec Rob Hyman, Eric Bazilian et Rick Chertoff (Washington's Day). Sur le disque, co-produit avec Stewart Lerman, Willie est accompagné par Jimi Bones (guitares électriques et acoustiques, voix), Johnny Pisano (basse et voix), et Jon Weber (batterie) ainsi que quelques invités dont les plus célèbres sont Rob Hyman, Eric Bazilian, Andy Burton, Waddy Wachtel et David Mansfield, mais aussi, pour les voix, Paul Brady et Steve Earle. Les trois premiers titres nous emmènent à un train d'enfer et dès le bien nommé Wild, Wild World, on sent que Willie n'est pas là pour plaisanter ni pour ménager sa voix. Il y a la mousson en Chine, la neige à Zanzibar, la canicule en Australie et, pendant ce temps, on sourit au Kremlin, on rit à Versailles et on s'esclaffe à Washington. Tel est ce monde sauvage vu par le songwriter. Après We Are, We Are et Electrify Me, la tension redescend pour un Irish Goodbye avec Paul Brady. Fred Parcells (tin whistle et trombone) et Chris Byrne (cornemuse et bodhran) apportent une touche celtique dans une ambiance qui évoque le temps béni des Pogues. Vient ensuite un moment de grâce avec The Great Yellow Light, chanson soufflée par les lettres de Vincent Van Gogh à son frère Theo et par la lumière qui l'a inspiré lorsqu'il vivait à Arles. Il y est question de moments rares et magiques d'émerveillement qui rendent la vie digne d'être vécue. Ici, le groupe troque son rock 'n' roll énergique contre un arrangement plus subtil, mais tout aussi intense et émouvant, tandis que la voix de Willie Nile, tout en retenue, n'a jamais été aussi belle ni aussi passionnée. Tryin' To Make A Livin' In The U.S.A., avec un rythme entraînant et joyeux, caractéristique de Willie, a un côté autobiographique et évoque, non sans humour, l'importance d'un succès discographique pour un artiste qui en a bavé. Les guitares redeviennent plus rock et électriques pour Fall On Me, même si le tempo est moins endiablé qu'au début du disque, alors que pour What Color Is Love, Willie nous gratifie d'une partie de piano, notamment l'introduction, pleine de gravité. Wake Up America est un autre sommet du disque. Qui d'autre que Steve Earle pouvait mieux venir chanter avec Willie ce manifeste, cette incitation à se réveiller et à ouvrir les yeux? Le message de Willie Nile n'est pas frontalement politique mais sa portée n'en est pas moins forte. Washington's Day, pour terminer, est une forme de prière pour un monde meilleur, où l'espoir et la compassion redeviendront des valeurs essentielles: "J'espère et je prie pour que tu sois là avec moi / Quand les montagnes qui s'élèvent s'effondreront dans la mer / Quand les royaumes qui viennent nous libèreront sur notre chemin / J'espère que tu seras là avec moi à la maison pour Washington's Day". Quarante-cinq ans après son premier LP, cela fait près de vingt ans que Willie Nile est au sommet de son art, près de vingt qu'à chaque fois il parvient encore à élever le niveau.
Patty Griffin s'était fait oublier depuis son album sans titre paru en 2019, pour des raisons liées à la pandémie et à des problèmes de santé. Pour beaucoup, elle n'est d'ailleurs connue que comme ayant fait partie du Band Of Joy de Robert Plant il y a une quinzaine d'années. La réduire à cela serait passer à côté d'une artiste à l'œuvre belle et consistante, depuis Living With Ghosts publié en 1996. Car Patty Griffin est avant tout une autrice-compositrice de grand talent, dont les chansons ont été reprises par nombre de ses consœurs, souvent plus célèbres qu'elle: Linda Ronstadt, Bette Midler, Emmylou Harris, Martina McBride, Joan Osborne, Miranda Lambert, Beth Nielsen Chapman, Mary Chapin Carpenter en sont quelques exemples. Voici donc Crown Of Roses, un album très personnel et plein d'émotion qui ne comporte que huit chansons, au tempo plutôt lent, mettant parfaitement en valeur la voix de Patty, une voix qui a évolué, sans doute à causse du cancer qui l'a frappée, une voix plus douce nous délivrant des confidences. Les arrangements eux-mêmes se mettent au diapason, sans être jamais envahissants, avec parfois une guitare électrique au premier plan (Back At The Start), parfois juste des cordes (The End), et même un titre où Patty est seule, avec sa guitare acoustique (Wake Up To The Sky). Ce dernier titre, comme Born In A Cage, évoque l'évolution de la nature, les oiseaux qui ne chantent plus, les arbres qui ne poussent plus si haut. Ces titres ont été inspirés à Patty par sa mère disparue, "sa chanteuse favorite de tous les temps" (la photo de la pochette est une photo de mariage de cette dernière) qui lui a transmis l'amour de la musique et de la nature. Est-ce elle qui est évoquée dans All The Way Home où guitare aux accents classiques et violon font merveille, avec même un santour, instrument d'origine irannienne à cordes frappées. Chaque titre se distingue par son originalité musicale, avec pour point commun de captiver l'attention, d'inciter à écouter chaque mot, à s'imprégner de chaque note. Long Time, avec quelques accords pincés de guitare électrique qui rythment la mélodie (sans oublier la participation vocale de Robert Plant), mais aussi I Know A Way, plus sombre, avec l'orgue de Bukka Allen, sont particulièrement exemplaires. A Word conclut l'album, avec la même configuration musicale et la même beauté que pour All The Way Home. Crown Of Roses peut être reçu comme un hymne à la vie et à la nature mais c'est aussi, comme le confie Patty, son premier album principalement consacré aux histoires de femmes. C'est en tout cas un bien beau disque auquel contribuent principalement David Pulkingham (guitares) et Michael Longoria (batterie), les parties de basse revenant à Craig Ross (dont le travail comme producteur est admirable) et Jesse Ebaugh. Heather Trost au violon et Jeremy Barnes au santour méritent également d'être cités.
Chroniquer un disque Dire Straits n'est pas une chose que j'avais envisagée. J'ai toujours eu (cela remonte à 1978) une grande affection pour ce groupe, sorti de nulle part pour rencontrer un succès planétaire, et de son leader Mark Knopfler dont les talents de songwriter se sont confirmés de belle manière depuis. Quant à Brothers In Arms, il constituait l'apogée du groupe, mais c'était en mai 1985. Cet album est devenu un peu le disque-étalon des débuts du CD, c'est d'ailleurs le premier que j'ai entendu sous ce format, chez mon frère, notant d'ailleurs des différences notables par rapport à la version vinyle (et pas seulement pour la qualité du son). Mais voilà qu'en mai 2025, une édition quarantième anniversaire a vu le jour et je n'ai pas pu résister. Il n'y a rien de nouveau pour Brothers In Arms, premier disque d'un album qui en comporte trois. Rien de nouveau, certes, mais on se rend compte que la magie opère toujours, et que le plaisir d'écouter So Far Away, Walk Of Life, Your Latest Trick, Why Worry ou Brothers In Arms est intact. Même Money For Nothing, avec Sting, pourtant trop entendu, trouve grâce à mes oreilles. Mais voilà, il y a deux autres disques qui sont l'enregistrement d'un concert du 16 août 1985 à San Antonio, inédit à ce jour. Bien sûr, il y avait eu Alchemy (enregistré en 1983) et On The Night (enregistré en 1992), mais ce San Antonio Live In 85 (connu des amateurs de bootlegs) est un beau cadeau, qui porte fièrement ses quatre décennies. La composition du groupe est celle de Brothers In Arms. Mark Knopfler (guitares et chant), Alan Clark (claviers), Guy Fletcher (claviers et voix), John Illsley (basse et voix) et Terry Williams (batterie). S'y ajoutent Jack Sonni (guitares et voix) et Chris White (saxophone). Six des neuf titres de Brothers In Arms ont été joués ce soir-là (manquent So Far Away, Your Latest Trick et The Man's Too Strong) et l'on trouve tous les grands succès de Dire Straits: Sultans Of Swing, Romeo And Juliet, Tunnel Of Love, Wild West End, Private Investigations… Quinze titres en tout dont les plus connus (et très entendus) prennent une dimension nouvelle. Cela démarre avec un excellent Ride Across The River suivi d'Expresso Love. Si certains titres sont plutôt fidèles aux versions originales, comme Walk Of Life ou Don't Worry, ce n'est pas le cas pour d'autres qui explorent de nouveaux territoires. Le premier est Sultans Of Swing, cheval de bataille du groupe, où l'ajout du saxophone et la progression finale en font presque un autre morceau. Wild West End s'étire sur près de dix minutes avec une magnifique intro piano-saxophone, des chœurs originaux, et des parties de guitares remarquables: d'abord la National Steel de Mark Knopfler et, pour terminer, un solo de Jack Sonni (décédé récemment). Quant à Tunnel Of Love, c'est vraiment le monument de l'album. En d'autres temps, avec sa durée supérieure à dix-neuf minutes, il aurait occupé une face entière de 33 tours. Mark Knopfler y multiplie les citations musicales dans un long passage où il présente aussi les musiciens. Le concert se poursuit avec le calme Brothers In Arms, le percutant Solid Rock et, pour conlure, comme une invitation de prendre congé faite au public, Going Home. En plus de la qualité sonore du concert (mixé par Guy Fletcher), il faut aussi saluer la présence d'un livret illustré de vingt-huit pages, avec un article du journaliste Paul Sexton et les textes des chansons de Brothers In Arms.
Le Texan à la longue barbe doit en être à son cinquième ou sixième album. Mais celui-ci est peut-être le moins country. Il se situe dans un courant alternatif qui utilise quand même la pedal steel guitare mais qui repose essentiellement sur la guitare électrique dont on entend de belles envolées sur de nombreux titres. Les chansons sont trop longues pour une diffusion radio et pour garder l’attention éveillée, d’autant que ce sont majoritairement des rythmes lents et relativement uniformes. C’est toujours le souci quand on a affaire à un auteur-compositeur. Lennon et McCartney étaient les champions de la diversité. Ils resteront uniques.
Il est des albums qui vous laissent perplexe. Vous avez une dizaine de lignes à écrire et vous manquez d’imagination pour parler d’un chanteur au vocal certes agréable mais qui privilégie les tempos paisibles et modérés. On reste en plaine avec la pedal steel guitare et on ne franchit pas de cols. Seule une petite colline se présente avec Lawn Chair qui pousse les jambes à frétiller modérément. Pas de quoi lui décerner le titre d’album du trimestre.
Un petit fils de Conway Twitty? Car le véritable patronyme du chanteur aux quarante n°1 est Jenkins. Mais apparemment non car l’ex-rocker est originaire du Mississippi et a grandi en Arkansas alors que ce Grayson arrive du Kentucky. Voici un album tout simple enregistré sans fioriture mais pas sans intérêt. Une country paisible qui rappelle parfois Don Williams. J’ai surtout apprécié Grand Slam avec son accordéon etOld Trails avec un violon que l’on ne retrouve que sur un seul autre titre. De l’americana paisible teinté country.
Un faux duo. En effet seule une voix féminine se fait entendre, Joselyn donc. Don ne participe que de très loin pour de discrètes harmonies vocales. Il ne s’agit pas de country. Les anglo-saxons emploient le qualificatif de "easy listening" pour ce genre de musique paisible qui peut vaguement laisser penser aux Mamas & Papas, voire à Abba. La reprise de Seminole Wind est intéressante par le fait qu’elle s’écarte radicalement de la copie, mais musicale-ment et vocalement elle n’a pas la profondeur de l’original de John Anderson.
Voici un album qui plaira à plus d’un lecteur du Cri par sa diversité de styles et qui va le balader au gré des sons qui composent ce que l’on appelle désormais l’americana. Du latino en ouverture au bluesy qui met le piano en valeur en passant par le cajun, Mose Wilson emprunte davantage à la soul qu’à la country. Le violon pourtant est souvent présent et l’on croit reconnaître au détour d’une chanson l’influence des Everly Brothers ou de Don Williams. Le dobro assure la vedette sur sa reprise du Amos Moses de Jerry Reed, swampy à souhait. Une immersion dans le Sud profond entre le Tennessee et les bayous de Louisiane.
Sunny Sweeney est devenue au fil des ans et des albums une figure emblématique de la country classique et par là même, de la scène texane. Son premier album, Heartbreaker Hall Of Fame, paru en 2006 (près de vingt ans déjà), dévoilait toutes ses promesses avec notamment une reprise du 16th Avenue de la grande Lacy J. Dalton. Trop country pour Nashville, ses albums successifs abordaient parfois la country moderne mais Sunny ne s’est jamais éloignée de la tradition pour autant. En témoigne ce septième album qui démarre au rythme du honky tonk pour enchaîner sur du rock and roll avec Diamonds And Divorce Decrees. Country-rock et honky tonk se succèdent ensuite sans temps mort jusqu’au slow final, bien classique et seul titre lent de cet album que je n’hésite pas à considérer comme l’album country de l’année à déguster sans modération. Évidemment le violon et la pedal steel guitare vous accompagnent tout au long des dix chansons. La country traditionnelle n’a plus sa raison d’être dans le Tennessee mais si le monde tournait enfin rond ce ne seraient pas les nymphettes de Nashville qui se disputeraient l’award de chanteuse country de l’année.
Tami Neilson, on la remarque d’abord par l’outrance de sa coiffure version pin-up des an-nées 50 caricaturée et à épingler dans la cabine d’un chauffeur routier. On ne fait pas plus rock and roll ou vintage pour employer un terme à la mode. Mais n’en espérez pas pour au-tant un ersatz de Wanda Jackson et par là même un pur album de rockabilly. Il n’y en a pas. Tout juste un rock and roll (Heartbreak City, USA) qui est du reste le seul titre à bénéficier d’une pedal steel guitare. En revanche il y a plusieurs titres de rock lourd qui ont du mal à passer. Je préfère très nettement les deux ballades "orbisonesques" dont l’une (Foolish Heart) est un hommage à la période crooner du rocker aux lunettes noires, façon It’s Over et sur laquelle le vocal puissant de la Néo-Zélandaise d’adoption fait merveille. Un bon album americana si vous enlevez quatre titres qui font mal aux oreilles.
Catherine Britt est une chanteuse Australienne de country qui a sorti plusieurs albums solo avant d’en enregistrer deux avec un autre artiste des antipodes, Lachlen Bryan. Et ces deux albums de duos sont parus sous l’étiquette The Pleasures. Si l’ouvrage précédent pouvait être considéré comme country ce n’est plus le cas avec ce dernier opus qui verse carrément dans le pop-rock indigeste pour mes oreilles. Deux ballades peuvent être écoutées avec mansuétude mais le reste de l’album vous rappellera peut-être l’époque de ces groupes de pub-rock qui jouaient dans les arrières-salles de pubs dans les seventies.
Tyler Childers a commencé sa carrière par la country moderne et a décroché quelques accessits à Nashville, ce qui lui a permis d’enregistrer une demi-douzaine d’albums depuis son premier, paru alors qu’il n’avait que dix-neuf ans. Il a aujourd’hui trente-quatre ans et s’est éloigné de la country au profit d’une musique quelque peu déjantée empruntant autant au rock (le titre en ouverture aurait très bien convenu aux Rolling Stones) qu’au punk ou au courant alternatif/americana. Déjà son vocal atypique et au bord de la fêlure surprend un peu. Childers est un artiste anti conformiste à ranger du côté de Chris Stapleton, voir de Lyle Lovett, et qui devra trouver son public. Au-delà de la country bien sûr.
J'avais chroniqué récemment dans la rubrique Disqu'Airs l'enregistrement public des GPs datant de 1981. Plus de quarante ans après, en novembre 2024, deux des membres de ce supergroupe du folk anglais, Ralph McTell et Dave Pegg ont enregistré un album au cours de divers concerts de la tournée The Old Pals Act (un nom qui avait été donné aux régiments qui s'étaient formés au début de la première guerre mondiale à partir de groupes sociaux déjà constitués, dans des mines ou des usines, des bureaux et des entreprises et même des théâtres). Ils nous proposent treize compositions de Ralph, ainsi que One Too Many Mornings de Bob Dylan et Pretty Boy Floyd de Woody Guthrie. Ralph chante, joues des guitares six et douze cordes et de l'harmonica. Dave joue ukulélé basse, mandoline et bouzouki des Ozark tout en assurant les harmonies vocales. Que dire de cet album, si ce n'est que c'est beau comme un concert de Ralph McTell dont la voix chaude n'a pas changé (il a eu 80 ans juste après ces concerts, en décembre). Dave Pegg ajoute une dimension supplémentaire aux compositions, dont on connaît la qualité intrinsèque, en faisant sonner ses cordes comme lui seul sait le faire. Écoutez notamment Pretty Boy Floyd dont l'interprétation ne ressemble à aucune autre. Mais cela est valable pour les autres titres comme Sweet Mystery, From Clare To Here, The Girl From The Hiring Fair, Zimmerman Blues, Let Me Down Easy ou encore le superbe Somewhere Down The Road sur lequel les deux vieux potes prennent congé.
Si Tim Grimm ne figure pas au panthéon des songwriters américains, ce Bones Of Trees démontre qu'il mériterait d'y occuper mieux qu'un strapontin. Ce doit être au moins le cinquième de ses albums que je chronique pour Le Cri du Coyote, ce qui ne représente pas le tiers de sa discographie solo entamée en l'an 2000 avec Heart Land. S'il a consacré une partie de son œuvre à la vie rurale, à sa vie au milieu des forêts de l'Indiana, il fait partie de ces trop rares artistes dont la guitare fait encore la chasse aux fascistes et aux guerres, sans relâche. Parmi ses influences figurent Bob Dylan, John Prine et Tom Paxton (cf. l'album Thank You Tom Paxton paru en 2011) mais aussi Woody Guthrie. En 2016, alors que la menace Trump se profilait, il avait écrit Woody's Landlord dont il avait publié une version familiale avec son épouse aux harmonies et ses fils au banjo et à la basse. Il a actualisé cette composition, devenue Woody's Landlord Revisited, avec cette fois Mark "Sergio" Webb à la guitare électrique. Chacun sait que ce landlord s'appelait Fred Trump et l'on sourit à l'idée, suggérée par le songwriter, de Donald et Arlo jouant ensemble dans le bac à sable. Woody Guthrie est également présent en filigrane sur In The U.S.A. dont le dernier couplet reprend les mots de Blowing Down That Old Dusty Road (Going Down The Road Feelin' Bad), non sans évoquer aussi Bob Dylan avec ces mots: ""Are we just a pawn in this game". Pour Hunting Shack, l'hommage musical à Johnny Cash & The Tennessee Three est évident et donne une nouvelle occasion à Sergio Webb de démontrer son savoir-faire. Il est d'ailleurs (à part Tim évidemment) le seul élément permanent sur tous les titres, aux guitares, au dobro, au mandocello ou au banjo. Pour ce qui est des compositions, en dehors des titres politiques (à ceux déjà cités, il faut ajouter Broken Truth), il y a des titres dont l'inspiration est plus personnelle: Gettin' Older (dont le seul énoncé indique le sujet), Bow And Arrow, Up In The Attic et une chanson qui se distingue par son orchestration celtique, Mists Of Ennistymon. Tim y évoque un certain Patrick Shannon, venu du Comté de Clare, en Irlande pour débarquer sur l'île de Cap Breton, au Canada, et qui n'est autre que son trisaïeul. À côté de ses compositions, Tim chante deux reprises. La première, Christmas In The Trenches (avec Sergio au mandocello) de John McCutcheon, est tout à fait dans la lignée de ses propres compositions. La seconde est plus surprenante à priori puis qu'il s'agit d'une chanson de Susan Werner (qui compose et s'accompagne au piano), Barbed Wire Boys, où Sergio Webb fait merveille au dobro. Et comme il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, Tim Grimm termine avec le très poétique Hadley's Banjo qui est en fait un hommage appuyé à Sergio Webb, citant notamment Richard Dobson et Pinto Bennett pour qui il avait officié. Tim Grimm vient d'avoir 65 ans et il n'a jamais été meilleur, héritier légitime des grands disparus que sont John Prine et David Olney, avec qui il a beaucoup de points communs.
Ed Dupas n'est pas seulement un singer-songwriter américain de plus. Ses productions discographiques ne sont pas nombreuses et avant Codename California, il n'avait publié que trois albums: A Good American Life (2015), Tennessee Night (2017) et The Lonesome Side Of Town (2019). J'avais écrit, à propos de ce dernier disque (Le Cri du Coyote n°163): "un disque vivement conseillé à qui n'aurait pas envie de suivre Sturgill Simpson dans ses aventures électriques". Depuis, Sturgill a débranché ses guitares et changé de nom et, après six ans de silence, Ed est de retour. C'est en 2019, après la mort de son père, que le songwriter, né à Houston et établi dans le Michigan après avoir grandi à Winnipeg, a appris que ses parents avaient quitté la Californie en 1971 alors que sa mère était enceinte de quatre mois. Ces six années ont été pour Ed celles de la remise en question. Il avait l'impression que, sur son dernier album, sa voix n'était pas la sienne, que ses compositions lui étaient étrangères. En pleine période de COVID a germé en lui l'idée d'un album avec pour thème central la Californie ou plutôt dont la Californie serait comme le Point Omega de Teilhard de Chardin (c'est Ed Dupas qui le dit). Au cours d'un séjour à Los Angeles, notre homme s'est imprégné de l'ambiance des lieux, notamment à Laurel Canyon où beaucoup de choses ont commencé dans les années 1960. Ces neuf mois précédant son retour dans le Michigan ont permis à Ed de redécouvrir sa voix musicale, de se reconnecter à l'authenticité dont il s'était éloigné, de se replacer, comme il le dit, dans l'œil du cyclone, le seul endroit où la paix est possible. Codename California est un album de dix chansons, toutes de sa plume, dont le son est moins country que sur les précédents, tendant davantage vers le folk-rock que l'on aimait entendre à la charnière des sixties et des seventies. La voix est claire, les textes sont riches et respirent la sincérité. Ed Dupas est ici accompagné du guitariste et co-producteur Michael Crittenden (qui s'est également chargé de l'enregistrement et du mixage), mais aussi, entre autres de Drew Howard et Tony Pace qui se partagent pedal steel, lap steel et dobro. Après Codename California, arrive Barbed Wire Cross avec la voix de Drew Nelson. Parmi les autres titres remarquables, il y a Box Of Lonely Men, peut-être mon favori de l'album (la chanson évoque un bar, refuge des hommes solitaires, et la barwoman dont ils sont tous un peu amoureux) mais aussi Queen Of Hearts avec la voix de Caroline Barlow, My Only One avec les cordes de Sav Madigan et Katie Lasron ou encore Holy Land, introduit par un son d'orgue liturgique et qui évoque la rencontre fortuite avec un prêtre, Father Gordon, dans un restaurant. Ed Dupas espère que nous aurons autant de plaisir à écouter cet album qu'il en a eu à le réaliser. En ce qui me concerne, c'est gagné.
Vous connaissez tous Shawn Camp. Non content d'être la voix principale des Earls Of Leicester, il a joué et chanté avec Ronnie Bowman, Garth Brooks, John Carter Cash, Guy Clark, Mark Collie, Paul Craft, Steve Earle, Gibson Brothers, Nanci Griffith, Kris Kristofferson, Jim Lauderdale, Ruby Lovett, Willie Nelson, Angaleena Presley, John Prine, Jim Rooney, Peter Rowan, Billy Joe Shaver, Philippe Cohen Solal et ses Monshine Sessions, Mac Wiseman et d'autres encore. Il a aussi coécrit un certain nombre de chansons avec Guy Clark et c'est cela qui a donné sa naissance à The Ghost Of Sis Draper. Les deux hommes avaient notamment écrit Sis Draperet The Death Of Sis Draper (Sis Draper était une joueuse de fiddle que Shawn avait connue dans l'Arkansas). Nous voici donc aujourd'hui avec quatorze titres dont Guy et Shawn avaient partagé l'écriture à l'exception de New Cut Road dû à Guy seul. Quant à Old Hillbilly Hand-Me-Down, il a été écrit à trois avec Verlon Thompson (qui chante ici des harmonies). Le disque a été enregistré en un seul jour (le 22 août 2024) avec les mêmes musiciens. Shawn (guitare et chant) est accompagné par Tim Crouch (fiddle), Chris Henry (mandoline), Jimmy Stewart (dobro), Cory Walker (banjo) et Mike Bub (basse). Disons-le tout de go, ce disque est un vrai moment de bonheur, tant la qualité des musiciens se situe au plus haut niveau. Et puis il y a la spontanéité, la qualité exceptionnelle des compositions.En ce qui concerne les chansons, je citerai en premier lieu Magnolia Wind (dont Emmylou Harris et John Prine nous avaient offert une émouvante version sur le disque-hommage This One's For Him) et The Cornmeal Waltz, mais aussi Hello Dyin' Day, Soldier's Joy 1864, Grandpa's Rovin' Ear et The Ghost Of Sis Draper, mais c'est l'ensemble qui ne peut que réjouir tout amateur de country music aux couleurs old-time et bluegrass.
Otis Gibbs n'avait pas publié d'album depuis Hoosier National en 2020, disque avec lequel il avait effectué un virage électrique. Dès l'introduction de Holy River Blues, le premier titre de The Trust Of Crows, son dixième album depuis 2002, on sait que la tendance va se confirmer. "Wise is the man who earns the trust of crows" (sage est l'homme qui gagne la confiance des corbeaux), assène Otis dans ce titre, et c'est un peu le fil conducteur du disque, parti d'un constat fait par le songwriter lorsqu'il est arrivé à East Nashville alors qu'il nourrissait les oiseaux, assis sur un porche. Comme pour les précédents albums, Thomm Jutz est producteur et guitariste et Lynn Williams est à la batterie. Ils sont rejoints par Dave Jacques (basse) et Finn Goodwin-Bain (orgue). Les titres s'enchaînent sans temps mort, certains plutôt paisibles (Eastside, Maybe In Memphis), d'autres plus immédiatement accrocheurs (Ditchweed), mais tous ont pour point commun un sens de l'observation du monde qui nous entoure que seul un sage peut posséder. Après un Tennessee aux accents chaleureux, presque country, c'est le très blues Mountains qui nous emporte. On retrouve la même alternance avec les titres suivants, Unloved Flower, une longue ballade rock chargée d'électricité, et Empty Spaces, un blues lent où la voix d'Otis, râpeuse et forte à la fois, se charge d'une émotion particulière. On connaît la qualité des compositions d'Otis depuis longtemps, mais cette voix est la force principale du disque. Notre homme n'a jamais semblé aussi concerné par ce qu'il chante et le dialogue permanent entre guitares et voix est aussi à mettre au crédit de Thomm Jutz qui a su maintenir au long des dix titres un parfait équilibre. Certains préfèreront sans doute un Otis Gibbs plus acoustique, dans la lignée de Woody Guthrie, comme dans ses premiers enregistrements, mais il leur sera difficile de nier qu'il a atteint de nouveaux sommets avec The Trust Of Crows. Quand les dernières notes de Drawn To Darkness retentissent et que les derniers mots sont chantés ("I'll spend my aging days earning the trust of crows" / je passerai mes vieux jours à gagner la confiance des corbeaux), on comprend que le cercle se referme et on est prêt à repartir pour un tour.
James McMurtry, fils de Larry et père de Curtis, est une figure incontournable de la scène musicale du Texas. Depuis Too Long In The Wasteland (paru en 1989), il nous envoie régulièrement de ses nouvelles via un album généralement nourri au blues-rock. The Black Dog And The WonderingBoy doit être son treizième disque (dont deux live), et à défaut de nous surprendre, il nous ravit car l'homme n'a rien perdu de son énergie ni de sa verve, quand il s'agit d'écrire des textes forts. L'album commence par Laredo (une chanson de Jon Dee Graham) avec des guitares rugissantes. On se dit qu'on est plus proche duTexas de ZZ Top que de celui de Townes Van Zandt. C'est Tim Holt qui assure la plupart des parties de guitare électrique aux côtés de James qui, lui, alterne entre électrique et acoustiques (six cordes, huit cordes baryton et douze cordes). Les guitares se font plus discrètes sur South Texas Lawman où le rythme est martelé de manière lancinante par la batterie de Daren Hess (c'est Cornbread alias Michael Taylor qui assure la plupart des batteries de basse). Est-ce l'homme de loi ou James qui dit ces mots: "I used to be young, I used to be bold / I used to be strong as any man / I used to be bold, nobody bothered me / I can't stand to be old, it don't fit me"? (J'étais jeune, j'étais audacieux / J'étais aussi fort que n'importe quel homme / J'étais audacieux, personne ne m'embêtait / Je ne peux supporter d'être vieux, cela ne me convient pas). Les guitares sont de nouveau en avant pour The Color Of Night (avec un solo de Tim Holt) qui précède Pinocchio In Vegas où Curtis McMurtry fait une apparition (banjo et harmonies). Le violoncelle de Diane Burgess apporte une réelle fraîcheur à ce titre et au suivant, Annie. Puis vient le morceau-titre avec un solo de guitare de Cornbread, l'ambiance redevenant plus lourde avant un Back To Cœur d'Alene qui nous emmène en Idaho au son de l'orgue de Red Young. Un titre à l'atmosphère très différente, mais également l'un des plus politiques, Sons Of The Second Sons, voit la participation de Will Sexton avec un instrument turc, le cümbüs, sorte de luth à long manche similaire au banjo. Sailing Away suit, avec la guitare tremolo de Don Dixon et l'orgue de Bukka Allen, avant que l'album ne se referme sur la seconde reprise du disque, Broken Freedom Song de Kris Kristofferson. Sur ce titre, BettySoo est à la guitare acoustique et aux harmonies (elle chante sur quatre autres titres et joue même de l'accordéon sur Back To Cœur d'Alene). C'est une belle conclusion à cet excellent disque, en même temps qu'un hommage à une autre figure légendaire du Texas. Aux côtés de Bruce Sprigsteen, Steve Earle et quelques autres dont Tim Grimm et Otis Gibbs, James McMurtry continue à être une voix qui compte, une voix porte-colère dans l'Amérique de Trump. La qualité de ses textes, l'énergie communicative de ses compostions, la voix, l'absence de concessions, tout cela est intact depuis trente-six ans maintenant et, comme il l'écrit en conclusion des courtes notes insérées dans le disque, "There will be more trials".